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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Vendredi 1 juin 5 01 /06 /Juin 20:00

Intimité bisNoam passa ses pouces sur mes lèvres. Ce geste signifiait que notre deuxième session s'achevait. Mais il ne m'adossa pas, comme la première fois, au mur de la piscine.

Il serpenta le long de mon corps étendu, effleura mon ventre et mes hanches pour s'arrêter à mes pieds.

Lentement il les massa. Massa mes chevilles, mes mollets, mes genoux, les enserrant, les pétrissant, attisant en moi un désir prompt à s'enflammer.

Noam remonta à mes cuisses. J'aurais pu les ouvrir pour l'accueillir, mais ma béatitude était telle qu'un seul mouvement m'eût coûté.

Et je pressentais que ce n'était pas le jeu.


Abandonnée j'étais, abandonnée je devais rester. Comme frigide aux paumes de Noam qui pourtant enfonçaient des pointes dans ma chair. Aiguës, cuisantes, perçantes comme des bourgeons sous le gel. Floraison brûlante qui me vrillait tout le corps et lui ordonnait de se tourner, gorgé de sève, vers le soleil de ces mains tendues.

Mains qui dévalèrent mon dos, s'attardèrent au creux de mes reins cambrés, sinuèrent entre mes fesses, longèrent mon sexe, en écartèrent les lèvres pour les frotter l'une contre l'autre et entre elles s'immiscer.

Mes pupilles chavirèrent. Je me mordis les joues. Les muscles de mes paupières s'animaient de soubresauts, mes épaules de spasmes.

J'aurais pu me redresser. Agripper Noam par les cheveux. Le griffer, le mordiller, m'emparer de sa verge sûrement raidie sous son maillot de bain.

Oui, d'un seul geste j'aurais pu briser cette suave torture.

Mais non, je ne le fis pas.

Abandonnée je restais, comme indifférente alors que mon corps entier hurlait sa faim.

 

Noam me lâcha brusquement.

Brusquement privée de son contact je me sentis vulnérable, minuscule, perdue dans l'immensité de la piscine. Abandonnée encore, mais de l'abandon douloureux causé par les grandes absences.

Un manque glacé se creusa entre mes côtes.

Soudain je voulus couler de tous bords, grandir, m'étendre à l'infini. Hériter d'un corps si immense que Noam, où qu'il soit, ne pourrait que le toucher. Un corps si vaste qu'il ne lui laisserait plus la place de se mouvoir.

Un corps-pays, un corps-continent contre lequel Noam, vaincu, devrait reposer.

Un corps-patrie peut-être. Un que Noam rêverait d'habiter.

Lorsqu'enfin Noam retrouva ma peau, je souris.

Apaisée.

 

Intimité 2Noam bascula mes épaules.

Mes bras voltigèrent en arrière, paumes et doigts tendus. Sous eux crissa l'étoffe élastique d'un maillot. Puis entre l'arc de mes phalanges se logea un sexe érigé.

Je souris encore. Sentis des gouttes s'égrener une à une sur mon front, des lèvres chaudes l'effleurer.

Peut-être me murmurèrent-elles quelques mots. Peut-être pas.

J'aurais pu briser mon immobilité de statue pour les rejoindre, les dessiner de la langue pour les rendre miennes.

Je ne le fis pas.

Le moindre geste eût gâché cette intimité. Bouleversante, parfaite, liquide et fragile comme l'eau qui sous mon corps se délitait, se séparait pour mieux se rejoindre et fusionner dans une caresse.


Lorsque Noam encercla ma nuque, toute ma peau se hérissa. Non à cause de ce presque crépuscule, du vent d'orage qui s'était levé, de l'eau de la piscine qui fraîchissait. Mais bien à cause de ces mains, de leur exigeante douceur, de leur bienveillance, de leur sensualité, de leur tendresse.


Tendresse... Noam est avec moi un homme tendre, sauf lorsque je souhaite qu'il ne le soit plus. Qu'il me prenne violemment, baise ma gorge, claque mes fesses, mes seins, ma chatte.

Qu'il me possède en adjoignant à sa queue un jouet. Qu'il le mette en marche pour me pourfendre de ses vibrations, vibrations que Noam perçoit aussi à travers la membrane de mon cul.

Qu'il utilise sa ceinture qu'à quatre pattes, je déloge de son pantalon. Que, debout, je lui remets en tamisant l'éclat de mes prunelles. Cette étincelle que Noam aime autant qu'il la redoute, se demandant bien quelle nouvelle fantaisie m'a traversé la tête, quel supplice j'ai encore inventéSur quelle rive inconnue je vais à nouveau l'entraîner, consentant mais timide, amusé et conquis.


Troublé de me voir, à minuit, enfiler des talons vertigineux pour déambuler nue dans la maison.

Troublé de me découvrir imprévisible, avec des limites si lointaines qu'il ne peut ni les distinguer, ni en faire le tour.

Troublé de voir un si large terrain de jeux s'ouvrir à lui.

Playground insoupçonnable, affirme-t-il, pour qui me croise dans la "vie normale". M'entend m'exprimer d'un ton posé ou m'esclaffer pour un rien. Parler de films ou de poissons rouges, vêtue d'une jolie robe ou d'une simple chemise au retour d'une plongée, la ligne du masque encore imprimée sur le visage.

Noam me confirmait ce que je savais déjà : mon être social a peu en commun avec mes goûts sexuels. Femme-caméléon, certainement.

Et il l'avoue sans détours ni gêne : il est inexpérimenté en ce genre d'amour. Celui qui fait tant de bien en faisant mal. Celui qui l'autorise à prendre l'ascendant sur moi, à me dominer en m'attachant les poignets, en me courbant, en m'écartelant.


Intimité 3Quand nous ne sommes pas ensemble, Noam pense à moi. Me revoit gémissante et ployée. Imagine ce qu'il pourrait m'infliger mais n'a pas encore osé. Combat certaines visions en se persuadant que ça, je refuserai.

Puis doute, à son plus grand émoi, de mon refus.

Peut-être, finalement, accepterais-je.

Peut-être aimerais-je.

Peut-être même en jouirais-je.

Qui sait ?

 

Noam ne me dit pas tout non plus. Il préserve sa part de secret mais parfois se trahit. Comme pour cette petite image me servant de portrait sur un réseau social, vignette qu'il essaya, lança-t-il, d'agrandir en vain.

Surprise je m'exclamai :

- Oh, mais tu m'as donc cherchée ?

Noam afficha un sourire embarrassé, l'air charmant du garçon qui s'est étourdiment coupé.

- Mmmh. Oui... Mais je n'étais pas censé t'en parler. Parce que euh... il faut bien que je garde des choses pour moi.

- Bien sûr, garde-les pour toi. Mais qu'as-tu fait d'autre, sinon ?

Il gloussa. Moi aussi.


Noam me l'a pourtant signifié clairement : il ne veut pas d'une relation. Parce que pour l'heure, il n'y a pas de place à ses côtés. C'est lui-même qu'il cherche. À lui-même qu'il a besoin de se confronter.

Ce qu'il désire, c'est goûter sa liberté, éprouver ses choix, défricher seul sa route.

L'expatriation en fut le premier saut décisif. Son installation ici le second.

Vivre ici de son métier lui sera difficile. Patience, rigueur, chance, il lui en faudra beaucoup.

Parfois l'argent viendra à manquer. Parfois Noam doutera du bien-fondé de ses décisions. Questionnera cette voix intérieure qui lui a soufflé qu'il devait quitter son pays, sa famille, son travail pour se reconstruire sur une terre neuve, à peine dégagé d'un grand amour avec lequel il partagea sept ans de vie.

Sept ans. Un des caps critiques pour un couple. Une portion d'existence dont on ne se relève pas du jour au lendemain, même deux ans après la rupture.


Les mots de Noam roulaient dans l'obscurité complice. Je l'approuvais. Je comprenais son cheminement autant que la nécessité, pour moi, de conserver une distance, fût-elle minime.

La distance qu'impose une telle confession alors même que les actes sont équivoques. De plus en plus équivoques.

Comme cette brosse à dents que, le premier soir, Noam fit tant de manières pour accepter. Qu'il finit par prendre tandis que de ses hésitations je me moquais, l'invitant à la remporter chez lui s'il voyait dans ce don l'ombre d'un engagement ou d'une contrainte à revenir.

Le lendemain Noam partit en la laissant dans la salle de bains.

 

Intimité 4Les actes comme ses regards qui m'enveloppent, me susurrent qu'il me trouve belle mais pas que.

Il y a, je le sens, autre chose. La profondeur d'une émotion, d'un mouvement d'âme que Noam ne maîtrise pas.

Comme ses baisers à mon cou, à mes tempes, sur ma bouche. Avant, pendant, après l'amour, comme si de moi, il n'était jamais tout à fait rassasié.

Comme ses attentions dont, soucieux de ne pas me blesser, il m'entoure.

Comme son invitation à me nicher au creux de son giron après la jouissance. Et à m'y endormir, tendrement pressée contre sa peau.

Comme sa main qui, avant le sommeil, cherche la mienne pour l'étreindre. Et la serre, fort, au seuil des rêves.


La nuit et le partage. Flous comme cette intimité qui entre nous balbutie et esquisse, à son esprit défendant, les contours d'une relation.

Même si dans deux semaines, je m'en vais.

 

 

Photos : Heinz Hajek Halke, home made (mon dos à moi),

Weegee, Hosoe.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Dimanche 27 mai 7 27 /05 /Mai 14:46

Like a baby 2Noam m'avait dit que ce serait une conversation sans paroles.

Qu'il serait toujours là, à mes côtés.

Que je devrais me laisser aller.

Que plus je me laisserais aller, plus le voyage serait fécond.

Qu'il me guiderait à travers ce voyage-là.

Parce que Noam est un passeur.


J'ai regardé ses mains fermées sur la table. La bague en argent à son annulaire. Ses longs cheveux châtains répandus sur ses épaules. Ses yeux marron-vert frémissant lorsqu'ils s'attardaient sur moi. Ses lèvres qui découvraient ses dents, tous les petits plis que faisait monter son sourire au coin de ses paupières.

Mi par provocation mi par déduction, j'ai lancé :

- So, I must trust you ?

Noam gloussa. Baissa la tête comme devant une évidence, ou comme gêné que j'aie touché si juste.

- Oui, en effet... Ce serait mieux.

Ce sur quoi je conclus :

- De toute façon, si je ne te faisais pas confiance, je ne serais pas là. Et toi non plus.


Le lendemain, sans un mot, je plaçai ma paume dans celle, ouverte, de Noam. Sursautai. Elle était brûlante, animée d'une énergie si forte, si vibrante, qu'une décharge m'électrisa jusqu'au coude.

Je pliai les genoux pour m'allonger. Noam m'accueillit entre ses bras.

Avant que mes oreilles n'entrent au contact de l'eau, ne s'en remplissent pour m'isoler du monde, il souffla - avec tendresse je crois :

- Bon voyage...

Sa main gauche soutenait ma tête. La droite, chaude contre mon dos, mes flancs, mes épaules, me tirait, me poussait, me faisait tournoyer avec force et lenteur. Gestes assurés, fermes, précis, mille fois répétés, tout en maîtrise mâtinée de bienveillance.

À eux je m'abandonnais, basculant ma nuque, décontractant mes noeuds, relâchant une à une les tensions qui me vrillaient. 

Laisser aller, glisser, couler. N'être que liquide dans le liquide.

Lâcher prise.


Moi séparée de moi-même. D'un côté l'esprit qui calcule, prévoit, dissèque.

De l'autre le corps qui capitule, renonce au contrôle, à la coordination de ses mouvements. Jambes et bras surnageant comme des scarabées, buste et hanches en équilibre parfait, en harmonie dansant sur la ligne du monde, cet horizon rectiligne dérobé par mes yeux clos.

Mon esprit quitta mon corps tel un naufragé fuit un bateau en perdition.

Moi fondue à moi-même. Mon esprit qui se déchire comme de la gaze, kaléidoscope syncopé d'idées éparpillées au vent. Puis qui, léger, réintègre la chair, mon enveloppe sans poids dérivant entre les bras de Noam.


Like a baby 3Entre les bras de Noam, nos phalanges entrecroisées.

Il caresse ma joue, incline doucement mon visage, contourne mes mâchoires pour s'arrimer à ma nuque.

M'attire à lui, encore plus près.

Sa langue pointée agace mes lèvres, les écarte d'une pression pour se faufiler entre mes dents et s'introduire violemment dans ma bouche.

D'un coup, entière, comme s'il prenait soudain possession de mon corps, y pénétrait tout entier d'une bascule de reins, se noyait dans le berceau liquide de mes cuisses.


Je gémis. Presse Noam contre ma poitrine, mon ventre. Plonge dans la masse dorée de sa chevelure pour m'en emplir les paumes. À pleines mains saisie, ployée, tordue, mèches écartées puis fusionnées au gré de ma fantaisie, au rythme de mon souffle.

Ses poignets glissent sous mes fesses, me soulèvent et me déposent sur le plan de travail de la cuisine.

Derrière moi une pile d'assiettes s'effondre. Une bouteille malmenée roule sur le marbre et en dégringole sans que je n'esquisse un geste pour la rattraper.

Mes jambes-compas se referment en anneau, alliance de ma peau humide contre son sexe érigé. Alliance de mes tendons à ses muscles, de mes pupilles à ses iris, de ces flèches qui, décochés des siens, me transpercent de part en part.

Trois flaques sur le carrelage de la cuisine.

La bouteille explosée à terre. L'eau gouttée de nos maillots de bain. 

 

Noam frappa l'eau avec vigueur. Sous cette gifle des bulles se formèrent et coururent, effervescentes, le long de ma colonne vertébrale. Appel à me laisser happer par leurs tourbillons, à dévaler encore l'échelle de ma conscience, à me rapprocher d'un non-être qui n'est peut-être que l'être, finalement. Comme lorsqu'en plongée, aspirée, gilet lesté, je m'approche du coeur de moi-même en traversant des nappes d'eau successives. Certaines chaudes, d'autres froides, avec le monde aquatique dévidé derrière l'écran de mon masque. Actrice et spectatrice d'un univers qui me dépasse et auquel je me fonds.

 

Comme un bébé je flottais.

Plus rien n'avait de consistance ni de réalité. Des pensées s'imposaient, affleuraient sans que je ne m'accroche à une seule. Bouées larguées au fil du courant, des images dérivaient. Polaroïds de bords de plage, sensations d'écume brisée à mes pieds, réminiscences d'enfance que j'avais oubliées.

Mais non. Depuis ma naissance elles étaient là, tapies. Mais le chemin rationnel que j'empruntais pour les retrouver ne menait nulle part. J'avais la destination, oui, mais pas la bonne route.


Ces visions ne font en effet pas partie de ma mémoire consciente. Elles se sont déposées, inscrites, gravées à l'intérieur d'une couche obscure, presque secrète : la mémoire inconsciente de mon corps. Celle que Noam déverrouilla pour m'en ouvrir l'accès.

Les vacances dans le Sud de la France. Ma mère me portant dans la mer tiède quand je ne savais pas encore nager.

La toilette à la bassine. Ma grand-mère lavant mon corps dodu, pression rêche du gant mêlé d'éclaboussures et de savon.

En état de veille, ces images m'auraient sans doute dévastée. Mais dans l'apaisante matrice de la piscine, elles étaient duveteuses, châles d'amour lovés autour de mes épaules, plus douces et enveloppantes que des plumes.

 

Like a baby 4Enveloppants, la chevelure de Noam dénouée sur mes seins, ses yeux qui me cajolent, ses lèvres qui me dévorent. De la langue et des dents sans que, mon souffle, je ne puisse le reprendre.

Sans que je ne veuille le reprendre non plus.

Au bord de l'asphyxie entre ses cuisses qui m'enserrent, agitée de tremblements incontrôlables, si haletante que mes doigts picotent et se raidissent. Muscles arqués de tétanie, pouces collés aux majeurs sans pouvoir les en séparer.

Tête qui tourne au tempo de la chambre défilant de plus en plus vite, ondoyant manège en spirales de luxure.


Sa verge au fond de ma gorge. L'empalant comme ma chatte, avec délicatesse puis fureur, cisaillant mes chairs pour les forcer à s'ouvrir encore. Davantage que mes jambes pourtant écartelées sur le sommier, genoux pliés, remontés à angle droit vers ma poitrine.

Sa queue frappant mes fesses. Hampe captive, gland turgescent fouaillant mon aine, les lèvres de mon sexe, les grandes, les petites, mon clitoris, le vestibule de mes tripes suintant leur désir en appel à y plonger.

Ses paumes s'abattant sur mes mamelons, mes côtes, ma croupe. Globes que, timide, Noam n'a jusqu'alors que frôlés, caressés, à peine pétris. Jusqu'à ce que je l'invite à les brusquer. Que je le lui demande, exigeante et provocante de mon cul dressé, balancé sous son nez tandis que je m'empare de son sexe. Le lèche comme je veux qu'il me fesse. Brutalement, par salves, jouant du blanc entre deux à coups, de ces instants pendant lesquels il ne se passe rien.

Rien si ce n'est la suspension chavirée de l'attente, l'anticipation d'un plaisir aussi bref que cuisant, la crainte d'une douleur soudain trop forte et le fugitif désappointement quand elle ne l'est pas assez.

Et la tendresse, infinie, de son regard. De ses doigts apposés sur mes joues. De ses lèvres qui me chuchotent belle, si excitante qu'il doit se retenir pour ne pas, de suite, exploser en moi.


Mes vertèbres se courbèrent, mes jambes dessinèrent un large arc-de-cercle. Emportée par la vigueur de Noam, soumise à son élan, je fendis l'eau de la piscine. Mon coude droit se plia, libre, jusqu'à se refermer sur sa taille. Contact fortuit me ramenant à la réalité de cet homme debout contre moi, à distance de baiser.

Soudain la tentation de prolonger cette intimité. Puis, aussitôt, le renoncement.

J'étais redevenue un bébé. Un foetus immergé dans le ventre maternel, isolé et protégé de l'extérieur par le liquide amniotique.


Noam plaça un bras en travers de mes hanches. Me bascula en avant, roulée en chien de fusil, chevilles retenues par ses mollets. Ma tête creva, quelques secondes, la surface du bassin. Je repris alors conscience du monde, mais une conscience si tranquille qu'elle ne me perturba pas.

J'accueillis le bruissement des cigales du jardin, des bribes de conversation venues de la villa voisine, les clapotis, la respiration puissante de Noam. Tissée de désir peut-être, au diapason de l'assurance qui roulait, paisible, dans mon sang.

Arriverait ce qui arriverait.

Je replongeai. Seuls mon nez et mes yeux dépassaient de l'eau.

Noam appuya avec précaution sur mes paupières. Le noir zébré de rouge soleil se changea en encre.

Mon relâchement se fit extrême, presque jouissance tandis qu'il massait mon front, mes tempes, ma nuque.

 

 

Like a baby 5Nos fronts, nos tempes, nos nuques perlés de sueur. Nos corps trempés, ruisselants, s'étreignant sur les draps défaits.

Noam sur mon échine courbé, fiché dans mon cul, léchant mes oreilles, mordant mes épaules, agrippant mes cheveux pour renverser mon cou, cherchant mes lèvres pour y mêler sa langue. 

Le masque du plaisir sur ses traits apposé, délayés par une lame de fond déferlant de sa bouche à ses iris. Leur éclat flou, palpitant, perdu, rivé à mes prunelles aussi égarées, livrées corps, souffle, âme, à son sexe qui me possède.

Abandonnée à lui comme je le fus dans la piscine.


Plus tard Noam me dira que mon visage s'est incrusté sous ses paupières. Ce visage qui s'effrite pour en dévoiler un autre insoupçonnable, troublant, inconnu, métamorphosé par la jouissance.

Il me dira qu'en partant, c'est ce visage fou qu'il emportera avec lui.

Ce visage d'amante bouleversée et plus bouleversant qu'un aveu.

Ce visage qui en moi fait se rejoindre et la vunérabilité et la force, et l'enfant et la femme.


Noam m'assit sur ses genoux, près du bord de la piscine afin que je m'y appuie.

Et, se penchant tout contre moi, murmura :

- Welcome back...

Je ne voulais pas ouvrir les yeux. Ne m'y résolus qu'au prix d'un grand effort. Et rencontrai aussitôt son regard vert liquide qui me ramena sur la terre des hommes.

Ni lui ni moi ne connaissions la durée de mon voyage : les aiguilles de son réveil posé dans l'herbe indiquaient obstinément quatorze heures trente deux. Soit l'heure précise de mon départ. Soit la minute précise où Noam était devenu mon passeur.

L'officiant de mon baptême et de mes noces liquides.

Entre ses bras comme un enfant.

Entre ses bras comme une femme.


 

Photos : Tony Frissel, Wingate Paine,

Flore-Aël Surun, Heinz Hajek Halke.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Vendredi 4 mai 5 04 /05 /Mai 19:40

Puerto Princesa, Casa Linda Inn, nuit du 30 avril.

 

 

Ma nuit fauveAvant que les contours ne se brouillent, écrire sur Adrien.

La mémoire est faillible, parcellaire, et après quelques jours, le temps a déjà entamé son oeuvre d'oubli.

Déjà les couleurs de cette nuit fauve s'affadissent, les sensations se ternissent, des détails s'effacent, des reliefs s'abrasent.


Alors me souvenir de la chambre, du miroir et de mes mains posées sur le ventre d'Adrien. De sa soudaine transformation en une étrange divinité à plusieurs bras. De mes paumes qui serpentaient sur ses flancs, sa poitrine, effleurant le tatouage qui l'ornait.

Un drôle de dessin avec une longue histoire. Une histoire qu'Adrien me tut cette nuit-là.

Qu'il me taira peut-être à jamais car de nuits, nous n'en avions qu'une.


Par dessus son épaule je distinguais mes yeux. Bleu liquide malgré la demi obscurité, ils coulaient sur le visage de mon amant, ses souples boucles jais, ses grands yeux si peu asiatiques et sa large bouche métisse.

Qui dans le miroir me sourit pour réaffirmer notre alliance.

Je lui rendis un sourire qu'il ne put voir.

Mes paumes remontèrent contre son coeur. Et restèrent là, agrippées à sa peau si merveilleusement, incroyablement douce qu'on jurerait de la soie.

Jamais je n'en avais caressé une plus onctueuse que de la crème fouettée, plus soyeuse que les narines d'un poulain.

Giuseppe avait raison. Les peaux asiatiques possèdent ce je-ne-sais-quoi qui affole les sens, totalement.

 

Je nous regardais dans le miroir qui me montrait ce que déjà, je savais.

Adrien est beau. Et jeune, très. De cette jeunesse qui d'abord l'écarta de mon champ des possibles. Jusqu'à ce qu'il me fixe avec cette intensité qui brutalement me révéla sa beauté. Et une attirance que j'osais à peine m'avouer.

J'en eus un choc intérieur. Un que je masquai en saisissant mon verre.

Adrien se pencha vers mon oreille. Y fit rouler quelques phrases sans importance. Je souris à travers le rideau de mes cheveux, mince protection que je devinais inutile.

Il était si près de mon épaule, le cou si incliné, qu'une de ses mèches se mêla aux miennes. Du blond serti de brun, mariage de France et d'Asie mêlée d'Europe.

Et le ballet de notre conversation courbée reprit, bouche contre oreille, oreille contre bouche, doigts, genoux et mollets nonchalamment heurtés au gré des mots.

Adrien désirait cette nuit avec moi.

Moi aussi.

C'était aussi simple que ça.


Ma nuit fauve 2Par dessus une autre table, la musique trop forte, le tumulte des corps enchaînés à la danse, Adrien me regardait.

Sans ciller.

Tout entier absorbé par la mèche qui barrait ma pommette brune, mon nez froncé et mes lèvres entrouvertes.

Fichées dans ses prunelles, les miennes lui parlaient.

Lui, muré dans un égal silence, me répondait.

Dialogue muet éclatant du désir de nous toucher. De renverser cette stupide table pour nous ruer l'un sur l'autre. De nous débarrasser, sauvages, affamés, ivres, de nos vêtements.


Tracey, ma voisine australienne, gloussa. S'exclama que le fil tendu de notre regard était obscène. Qu'elle se sentait de trop, forcément. Qu'elle aimerait qu'un homme la contemple aussi de cette façon. Magnétique, bouleversée, effrontée, si explicite que la suite ne laissait planer aucun doute.

Nous l'ignorâmes.

Tracey se leva et partit.


Plus tôt, c'est elle qui enveloppait Adrien d'un regard suintant le désir, tout en détaillant une histoire de tuba prenant l'eau. Adrien étant en passe de devenir instructeur de plongée, son avis lui apparut soudain essentiel.

Ne sachant que répondre, celui-ci questionna :

- Mais de quel côté du masque mets-tu ton tuba ? À gauche ou à droite ?

Tracey écarta alors ses lèvres pour y enfourner ses doigts. Doigts qu'elle lécha avec application avant de minauder :

- Dans ma bouche... Je me le mets... dans la bouche...

Une offre si directe, grossière, m'effara. Je partis d'un rire immense. Adrien m'imita.

Tracey se rembrunit et insista :

- Then what ? My snorkel ? In my fucking mouth... !

Respiration coupée par nos hoquets, Adrien et moi nous tenions les côtes, incapables d'articuler la moindre syllabe.

Lorsque je retrouvai ma voix, elle se cassa légèrement, filet peinant à se frayer une voie au travers du chaos :

- Tu viens avec moi, Adrien ?

- Bien sûr que je viens.

Dehors, il ajouta que si je n'avais pas franchi ce premier pas, il l'aurait fait, lui.

Sans hésiter.


Dans la voiture je jouais avec ses cheveux, m'attardais sur sa nuque et paressais sur son dos. Si heureuse que j'en ratais par deux fois l'embranchement de l'hôtel. Qu'Adrien, amusé par ma distraction, dut opérer une marche avant puis arrière.

J'avais la sérénité de ce qui doit arriver, la tranquille assurance de ce qui doit être.

Cette nuit était certainement écrite quelque part. Dans le livre de mon (bon) plaisir. Dans un tome de mes mille et une nuits pour un chapitre de celles qui comptent.

De cela je ne me doutais pas encore. Tout au plus en eus-je l'intuition lorsque, sur le chemin de terre qui menait à l'hôtel, Adrien m'embrassa.

Baiser-oiseau léger comme un châle puis plus appuyé, dents mordillant mes lèvres, langue faufilée entre mes dents.

Je l'enlaçai pour un court instant de tendresse.

- Je regrette que tu partes demain... dit-il. J'aurais aimé...

- Me connaître mieux ?

- Oui.

Je n'eus pas le temps de penser "moi aussi" que déjà, notre étreinte s'était brisée.

 

Ma nuit fauve 4Une haute grille bloquait l'entrée de l'hôtel. Autour de ses barreaux, un cadenas impossible à crocheter. Vautré face à la télévision allumée, le veilleur de nuit dormait.

Nous l'appelâmes.

Il n'eut pas un mouvement.

Nous réessayâmes plus fort.

Aucun résultat.

L'homme semblait hors d'atteinte, évanoui au pays des songes.

- Euh... Tu crois qu'il est sourd ? Ou mort ? m'étonnai-je.

En réponse, Adrien pesa de tout son poids contre la grille et cria :

- Até ! Até !! ATÉ* !!!

À ce régime-là, c'était tout la maisonnée que nous allions tirer du sommeil.

L'employé enfin sursauta. S'éveilla. S'étira. Couva d'une mine ahurie la clé que j'agitais entre les barreaux. Nous souhaita bien le bonsoir, discuta avec Adrien en tagalog* et... se recoucha.

Nous éclatâmes de rire.

Dérangé en plein rêve, le brave homme avait juste oublié un détail : nous ouvrir la porte.

 

Le reflet d'Adrien plaça ses paumes sur mes mains, puis les écarta pour pivoter contre ma poitrine.

Sur sa joue gauche, deux grains de beauté dupliqués par le violet de sa boucle d'oreille.

Sur la droite, deux griffures, cicatrices en souvenir d'une mauvaise chute.

Et toujours ses paupières immenses et sa bouche bombée, charnue, découvrant un sourire blanc qui murmura :

- Jamais je n'aurais deviné... Tes baisers sont si tendres...

Non, jamais il n'aurait soupçonné le fauve en moi. Ni mes goûts particuliers si j'avais décidé de les lui cacher.

Mais à quoi bon ? Dans quel but ?

Plus les années défilent et plus je m'approche de moi-même. Plus je deviens, ou plutôt m'autorise à devenir celle que je suis. Dans mes joies si pleines qu'elles me perforent les os, mes tristesses si profondes qu'elles me crucifient.

Dans le voyagela plongéela steppe.

Dans la découverte ou la routine, la solitude ou l'échange.

Dans un lit osous la douche.


Cataractes qui ruisselaient sur nos corps nus, auxquelles Adrien tenta brusquement de se soustraire.

- Désolé... pipi.

- Sur moi, chuchotai-je.

- Pardon ?

Il avait parfaitement compris. Mais sûrement en est-il ainsi des propositions aussi inattendues que perturbantes : le besoin de se les faire répéter, différemment sans doute, pour s'assurer qu'aucun malentendu ne s'y est glissé. Pour s'accorder le temps de la réflexion, d'y adhérer ou de les refuser.

Adrien ne déclina pas mon offre. Peut-être pour vivre une expérience nouvelle. Peut-être pour m'accorder ce plaisir. Peut-être pour se l'accorder à lui-même.

Ne rien rejeter a priori, cette philosophie-là me séduit.

Mon amant eut au contraire ce crépitement d'iris que j'aimais tant, union de malice, de ravissement et d'impudeur.

- D'accord.

Sans effort ni gêne il inonda mes cuisses tandis que je l'embrassais. Passionnément de la langue, des lèvres et des dents.

Chaud, froid, brûlant, tiède, l'arc-en-ciel des températures scella notre partage.

- C'est la première fois qu'une femme me demande de...

Mais des partages, Adrien en avait connu d'autres. Bien d'autres et bien plus que ne le laissait supposer sa jeunesse.

 

Ma nuit fauve 5Avant la douche, j'avais ôté sa ceinture. Laissé son short filer au bas de ses jambes. Caressé son sexe raide à travers le fin tissu de son caleçon. Enlevé ce dernier rempart qui nous séparait.

Puis, levant le menton, plongé dans ses iris avec insolence.

L'ampoule du couloir projetait sa lumière crue sur mon front.

Adrien ne pouvait ignorer ni ma provocation ni mon désir. Ni ma hâte que j'essayais pourtant de dissimuler.

Je brûlais qu'avec violence il s'empare de ma bouche. Qu'il me la baise. Qu'il me force à suffoquer, appuie sur mon crâne, m'empoigne les cheveux, me les tire à les arracher.

Je brûlais qu'Adrien me change en poupée docile, m'utilise au gré de sa fantaisie.


Prête à me couler, ductile, dans les méandres de son plaisir pour entièrement en occuper l'espace. En révéler les replis insoupçonnés. Emplir sa tête, vider son cerveau et le mien de tout ce qui, à cette minute, n'était pas nous. N'était pas nos chairs ni nos halètements ni nos sueurs mélangés.

Et je le suçai. Longtemps. Très longtemps. À genoux contre le mur. À quatre pattes sur le sommier. Allongée en virgule sur son torse. Couchée toute droite sur le dos.

Tour à tour l'éloignant et l'attirant, me livrant et me dérobant.

Mais en l'intimant, toujours, de ne pas jouir. Pas encore. Pour que cette nuit n'en finisse pas. Comme si notre étreinte avait le pouvoir de repousser l'aube qui bientôt s'inviterait entre les persiennes.

 

Je le suçai si longtemps que mes muscles s'endolorirent.

Si longtemps que, lorsque résonna un nouvel "attends", Adrien protesta :

- Mais je n'en peux plus d'attendre !

Je devais prendre conscience, grimaça-t-il, de la torture que je lui infligeais. Odieusement douce et cruellement interminable, supplice qui le contraignait à puiser au tréfonds de sa volonté et de son self-control, à masquer son visage de ses poings, à presser les oreillers, à peut-être les mordre pour ne pas exploser contre mon palais.

Finalement je cédai. L'habillai d'un préservatif, rampai sur lui et, adorant ses traits parfaits, ses boucles trempées collées à ses tempes moites, ses longues paupières à demi closes, lentement guidait son sexe dans le mien, lentement me penchait sur son corps jusqu'à le recouvrir.

- Oui... soupirai-je de bonheur.

 

Par Adrien je fus surprise. Comblée lorsque, lui réclamant une fessée, il s'exécuta.

- Plus fort ! suppliai-je.

Au bout de trois prières, Adrien comprit. Que ce n'était pas pour de faux. Que j'implorais vraiment sa sécheresse sur ma croupe, non l'hésitation d'un geste retenu. Une force de frappe qui m'obligerait à me raidir et me tortiller.

À tenter de lui échapper, même.

Une claque à l'exacte mesure de ma faim s'abattit sur mes reins. Je gémis de saisissement et de gratitude.

C'était fort, c'était délicieux et trop court.

Nous basculâmes en roulé-boulé sur les draps.


Ma nuit fauve 6Lèvres, langue, jambes, seins, chatte enchâssés à Adrien, je me redressais, me rehaussais, m'abaissais, me déhanchais.

Possédée et me repaissant de l'accueillir si profondément en moi.

Prisonnière et jouissant de ses mains qui, fouaillant mon ventre, me repoussaient sur ses cuisses, loin, jusqu'à ce que je sente sa queue heurter, au moindre de ses soubresauts, les parois de mon sexe.

En sueur, pantelants, épuisés, nous nous épousions à bout de souffle.

- Viens... dis-je simplement.

À bout de souffle je le pris à fond de gorge.

Et Adrien vint dans un cri.

 

Étendus sur la pelouse de l'hôtel, lui paré d'une serviette, moi d'un ample tee-shirt, nous parlâmes. Retournâmes au lit afin de parler encore. Bulle de confiance et d'apaisement entrecoupée de silences et emplie de mots choisis.

Réflexions partagées, éclairages croisés, échange d'opinions, de ressentis, de sentiments.

Partage.

Adrien me livra des bouts de son histoire. Évoqua sa double culture, ses héritages, ses choix, ses blessures. Lignes d'espoirs et de failles entre ses mots tracées, cadeau qui n'eut hélas pas le pouvoir de différer l'aurore.

Adrien a la gravité des enfants grandis par force trop vite et trop jeunes livrés à eux-mêmes.

La maturité d'un homme, l'intelligence et la finesse d'une âme sensible.

La franchise de ceux qui ne s'embarrassent plus de mensonges.

La candeur, parfois, qui perce l'écorce.


Vaincus par l'épuisement, nous sombrâmes enlacés.

Quelques heures de sommeil et il quitterait la chambre.

Quelques heures après son départ, je quitterais la ville. Plus riche d'une nuit et détrompée d'une erreur.

Avant Adrien je prêtais aux très jeunes hommes inexpérience et immaturité. Un manque de profondeur souvent constaté, faute d'assez d'années de vie. Je me les représentais comme des esquisses, des êtres en devenir que le temps ne pourrait que bonifier. Des vins encore trop verts en somme, même si sous l'âpreté de la robe affleurait déjà le grand cru.

Mon amant me délogea de mes certitudes. Et, comme à chaque fois que mes convictions se trouvent bousculées, j'eus l'impression de grandir un peu. Pour une fois sans chagrin ni souffrance, mais dans la violente tendresse de ses bras qui, une poignée d'heures, m'aimèrent.

 

Adrien est une très belle personne.

Je souhaiterais vraiment le revoir.

J'espère que lui aussi.


 

* Mot utilisé pour s'adresser à une personne plus âgée.

* Une des langues officielles des Philippines (la plus largement parlée hormis l'anglais).


Le titre de ce billet est un hommage à ma lecture du moment :

 Les Nuits fauves de Cyril Collard.

1re photo : Daido Moriyama ; 2e et 3e : Hosoe ;

4e : Jacob Aue Sobol ; 5e : Reinhard Scheibner.

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Mardi 17 avril 2 17 /04 /Avr 16:51

Le début ici.


Trampling a domicile 3bisMatt souriait encore lorsqu'à la fin du cours, il dit :

- Il faudrait que quelqu'un me marche dessus. Pour débloquer mon dos, c'est hélas la seule solution.

- Mmmh... quelqu'un...

Je feignis de réfléchir pour suggérer avec malice :

- Une femme, par exemple ?

- Ce serait mieux, en effet.

- Avec ou sans talons aiguille ?

Matt parut interloqué.

- Pardon ?

- Avec... ou sans... talons... aiguilles ? répétai-je lentement. Ce n'est pas pareil. Enfin, le but est différent. Mais j'aime bien les deux.

- Mais ça doit faire mal ! s'exclama-t-il.

- Oui. Mais la douleur, c'est aussi le jeu.

Matt dut croire que je plaisantais. Mi incrédule mi intrigué, il partit d'un bref éclat de rire qui n'engageait à rien, et surtout pas à se faire piétiner.

Puis, comme une ultime fin de non-recevoir, il enfila son tee-shirt.

 

Je me tenais derrière Matt dans ma cuisine. Proche de lui jusqu'à presque le toucher, presque jusqu'à épouser, frémissante, la virgule de son dos. Entre ses doigts charpentés, un paquet de spaghettis qu'il versait dans l'eau bouillante.

Il avait très faim. Moi aussi, mais d'autres nourritures.

J'avais pourtant résolu de ne rien brusquer. De museler la bête qui en moi rugissait. De la plier, même, à se contenter d'un dénouement platonique. Le plus important était le partage de ces moments de tropiques, jazz en sourdine et cigales crissant sur la pelouse, obscurité moite rafraîchie des pales du ventilateur.

Pas une idée fixe qui, tout autour du sexe enroulée, gauchirait et gâcherait la soirée. Quelle qu'en soit l'issue, je décidai qu'elle serait belle. Et me promis d'en savourer chaque instant au lieu de me jeter sur le plat de résistance.

Plat qui résistait d'ailleurs avec mollesse, m'effleurant dès qu'il le pouvait les flancs, posant sa main sur mon épaule d'un mouvement naturel.

Si naturel que j'en conçus un doute : ce grand garçon comptait-il vraiment coucher avec moi ?


Je repensai à Yaelle qui, chez Matt, ne sentait pas grand-chose.

Peut-être était-ce l'explication : des ondes trop faibles pour qu'elles m'atteignent, trop ambiguës pour me permettre de trancher.

Peut-être ignorait-il lui-même ce qu'il désirait.

Peut-être, timide, me laissait-le le soin d'ouvrir les hostilités. Chaussée de talons aiguille s'il m'en prenait la fantaisie.

Je repensai à un film, comédie de fin de nuit blanche dont j'avais oublié le titre.

Une femme y affirmait à une amie :

- Enfin, à nos âges, une invitation après 19h00, this is a date !

Sceptique, l'amie posait la question à un homme. Et lui de répondre :

- Évidemment ! Après 19h00, à nos âges, une invitation is bound to be a date !


Trampling a domicile 4Un rendez-vous amoureux, d'accord... Mais les signes restaient obstinément confus.

En témoignaient nos chaises rapprochées sur la terrasse en un intime tête-à-tête, comme la soudaine distance que Matt prit en secouant le fond du paquet de pâtes au-dessus de la casserole.

Une nuée d'insectes noirs, morts depuis longtemps dans la Sibérie du frigo, se noyait dans l'eau trouble.

- Beurk ! fit-il.

- Beurk ! repris-je en écho. Et si euh... nous allions acheter une pizza ?

Raté pour le dîner. Encore une fois mes vélléités de cuisinière se fracassaient contre le rempart de mon incompétence.


Après le cours de yoga, Matt, vêtu de frais, boucla la lanière de son casque.

- Ca t'ennuierait de me reconduire ? demandai-je. J'habite plus haut sur la route. Un petit trajet en moto, beaucoup plus long à pied.

- Sans problème. Monte !

J'obéis prestement. Nous parlâmes de son dive master, de l'affluence des touristes, de la difficulté grandissante de trouver un toit à un prix raisonnable. Dès qu'ils avaient à faire un étranger, nombre de Philippins doublaient les prix du loyer.

- À propos de toit... Veux-tu visiter ma villa ?

Matt accepta sur le champ. Bifurqua sur le chemin de terre, gara sa moto sur le parking et entra, mal assuré, dans le jardin.

- La piscine est au bout, dis-je.

Il opina de la tête, impressionné. Aima l'allée ornée de plantes vertes, la maison, sa déco et sa grande terrasse.

- J'aurais rêvé d'un lieu comme celui-ci... Trop tard. Je quitte l'île dans deux semaines.

"Deux semaines...", songeai-je. Le temps d'une longue histoire sous ces latitudes où les gens ne font que passer. Touristes ou plongeurs, leur séjour dure à peine la parenthèse d'une découverte.

Cette longue bande de jours, d'heures et de minutes me mit en joie.

Extrêmement.

 

 

À suivre. 

 

Photos : William Wegman, Constant Puyo.

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Dimanche 15 avril 7 15 /04 /Avr 14:57

Lembongan chienImpossible de dormir... Mon samouraï, lui, plongeait déjà dans le sommeil.

Dérangé par mes sauts de carpe, il lança :

- Que se passe-t-il ?

Je lui dis que j'étais stressée. Que le silence obstiné de mon notaire m'angoissait encore davantage, surtout sans accès facile à Internet, surtout à dix mille kilomètres.

Déjà cinq mails de ma part et aucun de la sienne. À croire qu'il ne relevait jamais sa boîte ou manquait de la politesse la plus élémentaire.


Je lui dis que je me sentais impuissante. Désemparée et frustrée, avec une colère qui couvait en dedans.

Colère d'être ignorée par ce notaire censé m'aider.

Colère contre mes oncles, contre la vie et ses injustices.

Colère blanche menaçant de devenir noire, accompagnée de tous les excès auxquels me pousse la rage.


Je lui dis que j'en avais plus qu'assez. Marre, ras-le-bol, plein les bottes, saturée.

Fatiguée de cette famille qui n'avait de "famille" que le nom et que j'aurais volontiers troquée contre une autre.

Difficile, pensai-je, de perdre au change.

Épuisée de devoir me battre encore, d'être projetée d'un décès à un autre, sans cesse ramenée en arrière contre mon gré.

 

Je lui dis que je me sentais seule. Terriblement, sans possible partage.

Des amis, oui, mais loin. Et tous absorbés, à des degrés divers, dans leurs propres luttes et leurs quotidiens. Manque de soutien, peut-être indifférence, c'est ainsi que je le percevais. Comme soudain redevenue fillette, trop petite pour affronter par moi-même les peurs de l'enfance.

Personne, hélas, ne pourrait régler cette succession à ma place. À moi de fourrer les mains dans le cambouis et la crasse. D'en sortir éclaboussée, sûrement.


Dans la nuit de Nusa Lembongan, ma voix grimpait dans les aigus. Je m'agitais sur le sommier, tordais les draps, écrasais les oreillers. M'énervais toute seule, hamster pédalant en vain dans sa révolte, d'autant plus agacée que mon samouraï n'avait guère plus de réaction qu'une bûche.

Ne comprenait-il pas ?

Je lui parlais de ma mère, de l'absence et du chagrin. Me tus tout à coup. Moitié à bout de mots, moitié pour le laisser s'exprimer à son tour.

Silence.

Enfin sa voix lente, mal assurée, hésitante tentative pour rassembler des phrases qui, têtues, le fuyaient.

- J'ai vu à la télé un documentaire sur les chiens...

Mes yeux s'agrandirent de stupéfaction. La surprise m'arracha un hoquet.

Un documentaire sur les chiens ??

Mais de quoi parlait-il donc ?

"Ne le coupe pas, m'ordonnai-je. L'amorce est étrange, bizarrement décalée, ironiquement loufoque, mais fais-lui confiance. Le fil de sa pensée aboutira bien quelque part..."


Lembongan chien3- Alors, dans ce documentaire sur les chiens... Un dresseur expliquait que, contrairement à la croyance populaire, ceux-ci ne se laissent pas mourir au décès de leur maître... À peine dépérir, en fait.

Ma perplexité gagnait du terrain.

Nom d'un teckel à poils durs, que voulait dire mon samouraï...  ?!

Dans sa parabole, campais-je donc la chienne et mes chères disparues mes propriétaires ?

Les chemins de sa réflexion me semblaient tortueux. Dédale embrouillé à plaisir, si complexe et absurde qu'il m'avait totalement égarée.

- Or, il est évident que les hommes sont plus intelligents que chiens. Du coup, puisque ces derniers sont capables de surmonter un décès, les hommes le peuvent aussi. Et même plus rapidement ! conclut mon samouraï d'une voix dentelée de triomphe.


J'ouvris une bouche digne du grand canyon. Abasourdie et doutant d'avoir vraiment bien entendu, bien traduit, bien interprété.

- Et... ? fis-je d'un ton voilé d'une sourde réprobation.

- Et... C'est tout.

- Ah. OK. Génial.

- T'en penses quoi ?

- J'en pense que je vais fumer une cigarette.

Je bondis, propulsée hors du lit par l'envie de hurler de frustration et celle, déchirante, de rire aux éclats.

La même qui vous agrippe, effarés, en butte à une blague idiote.

- Oh non, please, pas encore une ! se plaignit-il. Tu fumes trop, c'est mauvais.

Je faillis lui demander si, dans son fameux documentaire, les caniches s'intoxiquaient eux aussi aux mentholées. À moins que les bouledogues n'y fumassent le cigare ?

Je rétorquai qu'à la minute, ma petite santé m'importait peu. Dernière place dans ma liste de priorités, la première étant de me décharger du trop plein qui m'étouffait.

Mon samouraï se renfrogna sous les draps, vaincu.


Face à la mer remonta le sentiment familier de me sentir à part. Non pas exceptionnelle mais exclue, séparée des autres par une vitre aussi glacée qu'infranchissable.

Comment dire l'innommable ?

Au passé comme au présent, j'échouais à cet impossible partage. Première de mon cercle d'amis à perdre un parent, qui plus est de façon tragique. Je n'y étais pas préparée. Eux non plus. N'osant même pas imaginer que cela leur arrive, beaucoup ne surent quelle attitude adopter, quels mots de consolation prononcer.

Et en société, tenace impression d'être la maudite ou la Cosette à plaindre, la fille qu'on montre en cachette du doigt sur l'air de :

- Hé, c'est elle qui... C'est sa mère qui...


J'ai vu un docu 3bisLa réaction de mon samouraï me renvoyait à cette époque. Et à son histoire à lui.

À sa vie ultra protégée, si étonnamment gardée de cahots, de peines, de choix difficiles, d'épreuves qu'elle m'en paraissait irréelle, publicité Ricoré affichée sous mon nez incrédule.

Jamais de réelle relation amoureuse, aucun vrai chagrin ne lui trempant les oreillers et le caractère.

Un travail à mi-temps dont il se contentait, sans stimulation intellectuelle ni perspectives d'évolution.

Des plans flous pour le futur, directions à peine esquissées et sans cesse repoussées. 

Occupant encore sa chambre d'enfant chez ses parents, sans saisir que ce séjour prolongé au nid repoussait les femmes qui, depuis longtemps, volaient de leurs propres ailes.

À l'âge d'homme - presque 35 ans -, mon samouraï était toujours adolescent.


Jusqu'alors j'avais répugné à le voir. Négligé les signes annonciateurs. Gommé les alarmes qui s'obstinaient à tinter. Mais ce soir-là, impossible de faire la sourde oreille. Et l'immense décalage entre nous m'avait ahurie.

Décalage quand, à l'évocation de Platon, de Dali, de Fellini, des tests HIV, des OGM... je ne croisais que son regard blanc.

Décalage dû à toute conversation qui, un peu sérieuse, languissait, tournait court et s'achevait sur une esquive, le silence ou son brusque départ.

Décalage alors qu'allongés côte à côte, nous regardions des films. LolitaFenêtre sur courThe Heart is deceitful above all things*. Moi absorbé par l'histoire ; lui qui, incapable de se concentrer plus d'un quart d'heure, chassait les moustiques ou se tournait, dos à l'écran, prétendant que les dialogues suffiraient.

Décalage dans nos façons de voyager. Lui soucieux de confort, voire de luxe, pointilleux sur des détails m'apparaissant parfois farfelus : prendre quatre douches par jour, se laver les pieds avant de se coucher, ne pas toucher les claviers des distributeurs d'argent, trop sales, ne pas grignoter au lit, appeler le vieux patron de l'hôtel pour déloger un cafard de la salle de bains.

Décalage de mode de vie, d'expériences.

Décalage de vie tout court.

Mais sinon, j'aime beaucoup les chiens.

 

 

* Ou, titre original plus parlant : The Heart is deceitful above all things. Film de et avec Asia Argento. Très bon à condition d'avoir le coeur bien accroché...

Fiche technique et scénario ici.


 

1re et 3e photos : William Wegman.

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Dimanche 8 avril 7 08 /04 /Avr 17:25

MattUne heure et demi de yoga intensif, une heure d'équitation, une douleur sourde dans les cuisses et Matt chez moi.

Matt arrivé en avance alors qu'à peine sortie de la douche, je croyais avoir le temps de me préparer.

En France, le léger retard des invités s'appelle joliment "le quart d'heure de politesse". Mais nous sommes aux Philippines, Matt est anglais et a très envie de cette soirée. Plus tôt dans l'après-midi, il m'a sur le champ dit oui.

Oui pour venir chez moi.

Oui pour dîner en tête-à-tête.

Oui pour un film sur la grande télé que je n'ai jamais allumée.

 

Entre deux étirements et trois postures, la première à me parler de Matt fut Yaelle.

- J'ai un autre élève pour le yoga, me dit-elle. Matt... Très sympa et très souple, ce qui est plutôt rare pour un homme. 

J'acquiesçai en songeant à Ethan qui, jambes tendues, ne touchait que ses genoux.

- Matt est là depuis deux mois pour son dive master, poursuivit-elle. Vous pourriez pratiquer ensemble, non ?

Mon air intéressé lui dessina deux fossettes.

- Et il est euh... comment ?

L'hésitation de Yaelle me fit craindre le pire.

- Pas mal, je crois... De toute façon, je suis tellement difficile pour les hommes que je leur trouve toujours un truc qui cloche.

- Et chez Matt alors, qu'est-ce qui cloche ?

Yaelle réfléchit, passant sous ses paupières demi-closes son élève en détail.

- Voyons... Il est grand, athlétique... Blond. La bonne trentaine, mais paraissant moins. Musclé aussi. Très.

Ce portrait me semblait fort encourageant. Jusque-là, rien à redire.

- Mais ? hasardai-je.

- Mais...

Yaelle eut un sourire malicieux.

- Mais je crois que son énergie sexuelle n'est pas très développée.

- Oh... fis-je. Et comment le sais-tu ?

- Une impression... Difficile à expliquer. Quand je me connecte à son énergie, je ne sens... pas grand-chose, en fait. Ca ne vibre pas. C'est plutôt mou, comme tassé. Tu vois ?


Hum. Je ne voyais pas vraiment. Je songeai à Bertille qui, à la simple vue d'un homme, était capable de prédire et son comportement et ses aptitudes au lit. Afin de confronter ses intuitions à la (ma) réalité, je l'avais interrogée sur mes quelques amants qu'elle connaissait aussi.

Après coup, bien sûr, pour ne pas fausser mes perceptions.

Jamais mon amie ne s'était trompée.

Impressionnée, presque incrédule, j'avais rugi :

- Mais comment fais-tu ??

Comme Yaelle, Bertille évoqua une question d'énergie, de vibrations, d'aura.

Sinon, elle ne savait pas. Ou plutôt savait, sans l'ombre d'un doute.

Je soupirai, infichue que j'étais, moi, d'une telle clairvoyance. Aveuglement m'ayant coûté quelques risibles déconvenues, mais également gratifiée de belles surprises.

- Pfff... Je vous envie, les filles.

Yaelle eut le même sourire que Bertille. Amusé, sibyllin, refermé sur sa part de secrets.

Avant d'entamer un périlleux grand écart, je lançai étourdiment :

- Ah, oh ! Peut-être, un jour, aurai-je l'occasion de vérifier ton impression. Compte sur moi pour t'en donner des nouvelles !


Matt 2bisHier je ne vis pas la silhouette de Matt remonter la courte allée de ma villa, ni se pencher sur ses chaussures pour les délacer.

Sa voix me cueillit face au miroir, une noisette de crème sur le nez.

Je criai à travers la maison vide :

- Yes, I'm coming ! Get in !

Comme il n'entrait pas, je sortis.


Matt se tenait sur le bord de la terrasse, une bouteille de soda orange contre la poitrine. Les tatouages ornant ses avant-bras se fondaient à la nuit. Flottant blanches sur le noir, ses mains paraissaient détachées de son buste, pressées autour d'une offrande qu'il me tendit.

Je l'acceptai de bon coeur. Lui proposai d'acheter du rhum au sari-sari voisin. J'avais du Coca, du jus d'orange, mais rien pour des cocktails.

- Ne te donne pas cette peine. Je bois très rarement, à peine une fois tous les six mois.

Avec malice je demandai si un semestre s'était écoulé depuis la dernière fois.

- Pas encore !

Sa réponse me soulagea. Hors de question de laisser un nouveau Mingus entrer dans ma vie, dût-il y passer en coup de vent.

Matt se pencha vers moi. Je déposai un baiser sur ses joues. Heureuse qu'il soit là et déjà tellement à l'aise avec lui.

Yaelle avait dit "sympa, grand, blond et musclé, très".

Elle avait raison.

 

La première fois que j'aperçus Matt, sa démarche confiante me poussa à tourner la tête. Et ses épaules carrées à me retourner, fascinée par le soleil noir incendiant l'une d'elle.

Je pensai qu'il s'agissait peut-être de l'autre élève de Yaelle. L'espérai, car cet inconnu était fort à mon goût.

Un visage ouvert, régulier, harmonieux, avenant. Un nez court, légèrement en trompette, surmonté d'yeux marine.

Et ce corps, surtout, long, ramassé, puissant.

Puis j'avais faim. Voilà des semaines que personne n'avait touché ma peau. Qu'elle se creusait, impatiente, à l'affût d'une caresse.

Un soir en compagnie d'Emmanuel me revint en mémoire. À l'évocation de changements intervenus dans ma vie, il m'avait coupée d'un ton dramatique :

- Dis... Tu ne serais pas amoureuse, par hasard ? Ou enceinte ? Ou, horreur... sexuellement abstinente ?

J'avais ri aux éclats.

- Non, non, rassure-toi. Rien de tout ça !


Lorsque je m'allongeai sur mon tapis violet, Matt était déjà sur le sien. Torse nu, une pyramide chair et noire gravée sur le coeur, genoux pliés, bras étendus jusqu'à presque toucher mes mains.

Les exercices se succédaient. Je l'observais à la dérobée, me repaissant de son profil pur, des collines de ses muscles s'élevant et s'abaissant sous sa peau hâlée.

J'imaginais le poids de son corps sur le mien. Ses doigts fouaillant ma chair. Ses ongles imprimés sur mes fesses. Ses coudes serrés contre mes côtes. Ses jambes m'emprisonnant à me briser.

Cet homme et moi dans un lit. Enlacés, accouplés, roulés dans les flots furieux du douloureux désir monté des cuisses à mon ventre, déroulé à longues spirales sous mon sternum.

En sueur et en rythme, haletant sous l'effort, imposant à mes tendons un nouveau tour de vis, une ouverture supplémentaire à mes articulations, je serrai les dents pour ne pas hurler.

Une énergie brûlante dévalait sur ma chair, m'enveloppait, me pénétrait, me cuisait tout entière de sa lumière blanche, jaune, pourpre.

- Respirez, soufflez !

J'entendis à peine la voix de Yaelle.

Nos postures disloquées avaient lâché la bête.

Et Matt, front contre terre, souriait.

 

 

À suivre ici.


Photos : Jean-François Jonvelle, Horst P. Horst. 

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Mercredi 21 mars 3 21 /03 /Mars 14:02

NielsIl était penché, studieux. Par la vitre je distinguais les galets parfaitement alignés de sa colonne, ses omoplates en récifs jumeaux, ses épaules en pente douce, ses bras de Vénus de Milo coupés aux coudes par la fenêtre.

Cet homme au dos de marbre avait une immobilité de statue. Je l'observais fascinée, lui prêtant des traits aussi réguliers que la géographie de son buste.

Peut-être fut-ce le poids de mon regard qui le poussa à lever la tête, pensif.

Peut-être fut-ce le hasard.


D'un mouvement coulé semblant chorégraphié à ma seule intention, il se retourna pour s'étirer de tout son long.

Il ne me vit pas figée en contrebas.

La distance rendait son visage flou. Comme si, fraîchement taillé dans le roc, il en sortait couvert de poussière.

Mais peut-être était-ce moi qui ne voulais pas le voir. Car je discernais très nettement la ligne de poils bruns fusant de son nombril à son short de bain.

Explosion d'étonnement ou de désir, un brusque hoquet me saisit. Ma gorge se contracta sous l'impact. Le "huink !" échappé de mes lèvres me parut si bruyant que cet homme, même haut perché, ne pouvait que l'entendre.

Je me trompais. Il ne baissa pas les paupières.

Alors c'est moi qui montai à lui.

 

Il vit d'abord mes prunelles prises dans un rayon de soleil. Puis mes fesses alors que, penchée, je feuilletais la brochure de l'hôtel. Je feignis d'ignorer son regard qui insistait sur ma croupe, ma taille sanglée par une large ceinture, mes cuisses nerveuses battant la mesure de mon pied nu.

Il avança une main vers mes hanches. En infléchit habilement la courbe pour s'emparer de ma paume.

Son contact brûlant me surprit. Des papillons tourbillonnants semblèrent ricocher contre mon épiderme. Concentrée, comme brute, l'énergie de l'homme voletait vers moi pour se diffuser dans mon sang.

Seconde d'intimité volée, comme électrique.

Gênée, je retirai ma main.

- My name is Niels. Nice to meet you.

Niels avait adopté l'accent nasal des États-Unis. D'origine danoise, il avait cet aspect robuste que, peut-être à tort, je prête aux marins de son pays. Une poitrine impressionnante, glabre, polie, taillée à la hache. Des abdominaux en plaquettes de chocolat. Une bouche si charnue qu'elle paraissait devoir s'écarter sur ses dents. De grands yeux très bruns qui contrastaient avec ses cheveux blonds.

Un bel homme, sans doute.


Niels 2Niels était en vacances avec un ami. Sympathique, drôle, bavard, Benjamin cultivait un easy going nord-américain, amabilité sans chichis ponctuée de solides éclats de rire.

Le lendemain nous nous retrouvâmes sur le bateau. Niels, occupé à passer son Open Water*, resta à quai. Il s'enferma dans la salle de cours en regrettant de ne pas être du voyage.

Les plongées furent courtes. Je ne m'en plaignis pas. Dès la première le froid me saisit. Glacée, tremblante, je remontai sur le pont, me désharnachai, enlevai ma combinaison trempée, m'allongeai en plein soleil et m'assoupis.


L'ombre de Benjamin m'éveilla. Prévenant, il m'apportait un café chaud et des miettes de conversation. Qu'il m'invita, à notre retour, à prolonger au restaurant.

Notre déjeuner tardif se conclut par une proposition en points d'interrogation.

Si j'étais libre ce soir, nous pourrions dîner ensemble. En compagnie de Niels s'il souhaitait se joindre à nous. Et si lui, Benjamin, avait entre temps récupéré de ses plongées. Deux et il était déjà à demi mort de fatigue.

- Why not ? répondis-je.

Cela faisait beaucoup de conditions, autant d'inconnues qui me laissaient libre de me rétracter. Benjamin avait beau être agréable, je ne sortirais pas de chez moi si Niels déclarait forfait.

C'était aussi clair qu'inavouable.


À neuf heures arriva le message que je n'attendais plus. Benjamin, dans un lieu que je déteste. Le genre d'endroit avec une musique assourdissante et des serveuses habillées comme des putains. Je n'ai rien contre les putains. J'ai même failli en être une. Mais les Philippines grimées pour la chasse au Blanc m'agacent, ou plutôt m'attristent.

Diplomatiquement je demandai si Niels était du dîner.

Il en était.

Je mis une robe noire et du mascara. Marchai sur la route sombre en guettant un habal-habal. À cette heure-là, personne. Je me résignai à gagner le restaurant à pied quand une moto s'arrêta.

Mon soir de chance, apparemment.

Les deux garçons partageaient une table trop large. À peine assise et déjà l'impression d'être à des kilomètres. La musique nous contraignait à parler fort. Je repoussai le menu pour commander un simple Coca. Pas faim, merci. Mon dîner est déjà là, à engloutir un énorme hamburger en s'aspergeant les doigts de sauce.

De quoi vous dégoûter d'être carnassière.


Marathon man3Retour en moto serrés l'un contre l'autre. L'amorce du désir, en général. Sauf que là, je n'éprouvais pas grand-chose.

J'accusai le vent. La fatigue. Tout mais pas ce beau garçon blond au souffle lourd sur mes cheveux.

Ma terrasse. Un verre et une paume qui filait sur mes jambes. De baisers en caresses, je me glissai sur Niels pour l'enfourcher. Lui pétrissait ma chair telle une pâte à pain, faufilait ses doigts sous les manches de ma robe et mon soutien-gorge, puis par le bas, sous ma culotte.

L'un et l'autre me furent ôtés avant que je ne puisse souffler :

- Allons à l'intérieur...


Niels ne me laissa pas me lever. Me soulevant comme un fardeau de plumes, il décolla sans effort son bassin de la chaise, traversa la terrasse d'un pas léger et me déposa sur le lit.

Les vêtements que j'aurais bien enlevés avec lenteur fusèrent sur le plancher.

Niels m'apparut nu. Torse toujours sublime mais jambes étranges, aux cuisses surdéveloppées et plus dures que du bois.

Sur moi, leurs muscles saillants peinaient à trouver leur place. Ils se contractaient en prenant mes hanches en tenaille, pinçaient mes cuisses, heurtaient mes genoux.

Presque douloureux et fort peu érotique.


Contre mon ventre, un quintal de chair tressautante. Je me dégageai dans un petit soupir qui pouvait passer pour du ravissement. Me retournai, à genoux, paumes appuyées au mur.

Niels approuva mon initiative. Grogna, gémit, me pilonna avec énergie mais sans méthode. Le matelas trop épais protestait. Ses ressorts élastiques nous propulsaient vers le haut, mini bonds ridicules que Niels contrecarrait à la force du poignet.

Une gambade plus haute et nous faillîmes perdre l'équilibre, basculer pour nous retrouver au bas du sommier, enchevêtrés sur le carrelage froid.

Je corrigeai l'erreur de trajectoire d'un vigoureux mouvement de croupe. Croupe que Niels se mit à tapoter entre deux compliments.

Soudain l'impression d'être une jument remerciée pour son ardeur à la tâche.

Et ça durait, ça durait.

Un autre que Niels eût été ruisselant, vaincu, hors d'haleine. Pas lui. Il me l'avait confié plus tôt, la course à pieds était sa spécialité. Dix mois déjà qu'il s'entraînait, et dur, pour le marathon de New York.

Si l'un de nous devait demander grâce, ce serait moi. Sans l'ombre d'un doute.

Je cédai pour tomber sur le flanc. Épuisée, suffocante, courbatue.

Il fallait en finir. Ce qui réclama du temps, de la patience et un peu de technique.


Plus tard, Niels dit :

- C'est Benjamin qui sera jaloux.

Je levai un sourcil surpris.

"De quoi, au juste ?", manquai-je de questionner.

- Tu lui plaisais aussi beaucoup... Mais tu as bien fait de me choisir. Il est, j'en suis certain, moins bon amant que moi.

J'en restai muette.

L'assurance benoîte de certains mâles a le don de me clouer le bec.


 

Open Water : premier niveau de plongée dans le système PADI. Il permet de descendre jusqu'à 18 mètres.


Photos : Horst P. Horst, Jeanloup Sieff,

Hanz Hajek Halke.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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