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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Vendredi 13 décembre 5 13 /12 /Déc 16:31

Créatures 1- Tout ce que les Philippines sont capables de produire, ce sont des filles de bar !

Interloquée j'ai fixé Olüg, mon propriétaire. D'autant plus choquée qu'il parlait devant Regina, son épouse philippine.

Elle m'a gratifiée d'un sourire gêné.

C'était il y a deux ans.

Depuis la vie a passé cahin-caha, et surtout caha en cette fin d'année catastrophique.

Un tremblement de terre de magnitude 7,2 mi-octobre, Yolanda le super-typhon début novembre, trois semaines plongées dans l'obscurité d'un black-out total, ni électricité ni eau courante, avec au coeur l'immense gratitude d'avoir été épargnés.

Encore vivants.


Le père de Regina n'a pas eu cette chance, lui, mais la nature n'y est pour rien.

La mort lui est venue alors qu'il regardait tranquillement la télévision assis dans son canapé.

Une rafale de Kalasch' en plein visage, aucune chance d'en réchapper.

Je n'ose pas imaginer le sang sur les murs, le choc, la sidération de la famille, l'horreur absolue faite chair devant un poste qui continue de cracher ses pubs pour une vie meilleure.

Le tueur à gages s'est enfui.

- Raisons politiques, a lâché Olüg.

Ah oui, ces fameuses raisons qui font que la vie ne vaut plus rien dans un pays où elle ne vaut déjà pas très cher.

Le commanditaire de ce meurtre ? Sans doute l'opposant politique de la victime, mais encore faut-il le prouver. Plus que probable que l'affaire en reste là mais en attendant, Regina connaît le prix de la vie de son père.

50 000 pesos. Moins de mille euros.

En début de mois c'est un Blanc qui a été abattu. Trois balles dans la tête sur le pont qui mène à la ville voisine, à cent mètres du poste de police. C'est dire si elle fait peur. Lui, c'était pour "raisons de business". De l'argent pas très propre, probablement. Des traficotages avec les mauvaises personnes, certainement.

Mieux vaut mener ici une petite vie pépère sans faire d'ombre à personne. Et comme partout, ne jamais s'embrouiller avec les locaux.

 

Créatures2

Regina et Olüg organisèrent les funérailles au village du père : Inabanga, une zone frappée ou plutôt renversée de plein fouet par le tremblement de terre, maisons écroulées et désolation à tous les étages.

Le lendemain ils sont de retour. Regina dans la cuisine et Olüg à sa place favorite, le fauteuil en rotin de sa terrasse. Je répugne à le déranger mais mon loyer est en retard. 

- Tu es déja à allée à Inabanga ? me questionne Olüg avec son accent germano-turc à couper au hachoir.

- Une fois, il y a longtemps.

Mon propriétaire affiche la mine de ceux qui brûlent de vider leur sac. Furieuse et complice, dominée par l'urgence et le besoin de se confier, de saturer l'oreille de la Française de paroles qu'elle comprendra puisqu'elle sort de la même matrice.

La matrice des Blancs.


- Non mais tu as vu les gens à Inabanga ?

- Euh...

- Ce ne sont pas des gens ! Ce sont des... des...

Souffle coupé, Olüg cherche ses mots, hésite, réfléchit et en crache un dans un glaviot.

- Des créatures ! Plantées toute la sainte journée sur leurs culs bouches ouvertes ! Des singes ! Des singes qui survivent comme à l'âge des cavernes !

Il frappe la table comme s'il venait de résoudre l'énigme du chaînon manquant entre le primate et l'homme.

- Des créatures, des inutiles, des rebuts de l'humanité croupissant dans leurs déchets, leur ignorance, leur merde !

Saisie, je me tais. Le brasier d'Olüg enfle jusqu'à s'éteindre sur un définitif "les touristes qui s'imaginent qu'ici est un paradis devraient aller à Inabanga".

Ensevelie sous sa violence, son aigreur, son amertume, je regagne ma terrasse à petits pas et songe à d'autres flots de tourbe.

Autres visages, mêmes propos sortis de bouches de Blancs. Des bouches qui disaient "avoir fait l'Afrique", fièrement, comme on brandit un étendard. Comme si habiter en Afrique, c'était y faire la guerre. Comme si l'Afrique était une décoration militaire à accrocher à sa boutonnière. Comme si on "faisait l'Afrique" au lieu de se laisser prendre, emporter, submerger par elle.

Ces bouches déversaient la même rage, le même rancoeur, le même mépris qu'Olüg. Et moi, en face, qui ne comprenais pas.

Comment tant détester un pays qu'on a tant aimé ?

Comment professer un tel dégoût, un tel irrespect envers ses habitants ?

 

Créatures3 terMaintenant je crois pouvoir comprendre. Ce qui ne signifie pas approuver, bien sûr.

Mais je ne veux pas, jamais, ressembler à ces vieux revenus de tout, à commencer de leurs rêves.

À ces conquérants blasés qui s'imaginaient trouver l'El Dorado pour finir à Déprim' Land.

À ces expats qui dégueulent sur le pays qui les héberge sous prétexte qu'ils y dépensent leur argent.

Je ne veux pas, jamais, faire miens cette arrogance et ce mépris.

Je ne veux pas non plus baigner chaque jour dans la colère. Pour l'avoir beaucoup fréquentée, je sais qu'elle n'est pas un joli endroit à habiter.

Arrogance, mépris, colère... Rien qu'en sentir les embryons est un signe, l'évidence qu'il est temps de partir.

 

Il y aurait des pages à écrire pour combler les blancs de ce blog longtemps muet. Des pages d'essentiel mais aussi de futilement quotidien, ce quotidien qui semble dérisoire sans l'être.

C'est lui, au fond, qui finit par nous user.

Une fois dépassée la vision de carte postale, ce pays n'est pas de tout repos. Vivre à l'étranger implique s'habituer, s'ajuster, user de respect, de souplesse, de patience, de recul, et surtout se débarrasser d'une l'illusion : les Philippines en apparence proches sont totalement, irréductiblement lointaines.

Parler la même langue que les habitants ne signifie pas se comprendre.

Loin de là.


Vivre ici suppose s'enrichir d'un ailleurs mais aussi renoncer. Renoncer à nos exigences, à nos standards, à certains de nos besoins, voire à notre sécurité sanitaire. Sur mon île-gommette il n'y a qu'une ambulance, sûrement en panne. Puis encore faut-il trouver le chauffeur... Et je ne parle même pas du niveau de soins.

Ici il faut accepter que rien - ou presque - ne soit fait dans le dû et un délai convenable. Improvisation et approximation règnent en maîtresses. Peu d'architectes dessinent des plans pour les maisons. Sur un chantier qui ressemble à une décharge, les bateaux sont construits au petit bonheur la chance. Non pas une partie après l'autre mais plusieurs à la fois, commencées puis abandonnées selon des critères obscurs (s'ils existent).

Avant de demander quelque chose mieux vaut y réfléchir à deux fois. Déjà prévoir de retourner au magasin, d'expliquer à nouveau, de faire reprendre ou refaire. Si possible sans s'énerver, avec la diplomatie qu'il nous reste, opération coûteuse en temps et en énergie.

Abandonner tout simplement si l'on ne s'en sent pas capable. Mais lorsque notre santé est en jeu, on ne peut pas abandonner.


Créatures3Un "tout bien du premier coup" est aux Philippines une trop rare surprise. La balance penche hélas en faveur des out of stock ou factory defect.

Un exemple futile, deux trois, dix...

Un sac de jolies robes données à laver. Après vérification, certaines manquent, perdues (volées ?) à jamais. D'autres se retrouvent massacrées à l'eau de Javel. Parmi elles, un adorable kimono, sauvable à condition d'en couper les manches.

La couturière n'en raccourcira qu'une, erreur qu'elle juge follement drôle. Pas moi, forcée de parcourir trente kilomètres pour lui rapporter mon vêtement.


Une table immense commandée afin de convertir ma terrasse en atelier. Pour la soulever, cinq hommes sont nécessaires.

Délai de livraison explosé, peu importe si le travail est bon.

Il ne l'est pas : le meuble est trop haut, les ouvriers ont "oublié" de couper ses pieds, pourtant marqués de quatre traits.

Le vernis n'est pas sec, le moindre objet y laisse une trace indélébile.

Quant aux vapeurs chimiques encore fraîches, elles causent des crises d'éternuement et d'insupportables migraines.

Contacté dix fois, quinze fois, le magasin mettra un mois à reprendre la table. Le moteur du camion est paraît-il cassé... Trois mois d'efforts pour un résultat toujours nul : stockée dans un vague hangar, ma table n'a à ce jour pas reparu.


Mon ordinateur de plongée que je renvoie au fabricant, en Finlande. Enfin, c'est bien "Finlande" que j'ai lisiblement écrit en majuscules sur le formulaire de la poste.

Il arrivera à deux mille kilomètres de là, en Hollande.

Ah oui, Finlande et Hollande se terminent par les mêmes lettres... Rappel de ce jour où, à la pharmacie, l'employée me vendit un autre médicament que celui que je demandais. Ah oui, ils avaient la même initiale...

Avant j'aurais ri, même jaune. Aujourd'hui je n'ai plus envie de rire. Un signe de plus me confirmant qu'il est temps de partir.

Je passe sous silence l'après-typhon. Son atmosphère à couper au couteau. L'impression de ne plus être les bienvenus, voire des craintes pour notre sécurité.


J'ai aimé les Philippines.

Je les aime toujours mais d'un attachement amputé de candeur et d'illusions.

Je les aimerai encore plus, je crois, en les quittant. Pour des mois ou pour toujours ? Bien malin qui saurait le dire.

La semaine prochaine je pars en vacances dans un autre pays d'Asie. Sans doute ma prochaine étape.

On the road again.

 


Montage de Thomas Allen ; 2e photo d'Arnold Odermatt ; toile de Léonor Fini.

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
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