Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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- Quand je cesserai d'apprendre, de chercher, de découvrir, c'est que je serai morte.
J'avais vingt ans et un petit ami serbe. Forcé de fuir son pays, lui ne comprenait pas mon envie de voyage. Il la jugeait déplacée, déraisonnable, dangereuse.
J'avais l'immense chance, le privilège d'être née dans un pays riche et surtout en paix. Pourquoi désirer un ailleurs alors que la douceur de vivre se trouvait à ma porte ?
Pour lui, le voyage, c'était l'exil.
Pour moi, c'était l'évasion, une promesse, un besoin.
- Je t'admire, soeurette !
Parole de mon demi-frère depuis l'Europe. Ses mots m'étonnent. M'admirer... Mais pour quoi donc ?
Mon frère et moi menons des existences radicalement opposées. Lui est resté dans notre région d'enfance, a choisi d'habiter un quartier tranquille, investi dans un appartement, ne voyage que très peu.
Terrien, amarré, il creuse son sillon en profondeur.
Son animal ? Le boeuf pour sa force, sa patience, son obstination.
Le mien ? La chouette, cet oiseau nocturne aux grands yeux.
Mon frère habite le jour, j'habite la nuit. Un de mes plus vifs plaisirs, écrire jusqu'à l'aube sur fond de jazz dans la fumée de mes cigarettes. D'autres en vrac : plonger, prendre un train, un bateau ou un bus pour nulle part, arriver dans une ville inconnue, la sillonner nez au vent, m'ouvrir à la découverte et à l'aventure. Penser qu'aujourd'hui sera une belle journée même si elle ne tient pas ses promesses.
- M'admirer... Mais pour quoi ?
Je pense que la question mérite d'être posée. Je la pose. Mon mode de vie n'a à mes yeux rien d'admirable, mes choix rien d'exceptionnel.
Mon frère me répond que l'inconnu l'effraierait. Déménager dans un pays étranger sans en connaître la langue, sans points de repère, sans réseau, sans tissu social.
Repartir de zéro, reconstruire.
Je nuance. Un homme m'attend à mon prochain point de chute. Si je m'y installe, il sera mon passeur. Quant au reste, apprendre la langue, m'ajuster, m'insérer, nouer des amitiés - en un mot jouir de ce nouveau départ -, la responsabilité m'en revient.
Je n'ai pas une once de peur. À quoi bon ?
La peur n'est pas une aide mais un frein. J'ai confiance en moi, en mes ressources, en mon adaptabilité. Mon désir est mon guide, il m'entraîne et je le suis. Et depuis des mois, les signes auxquels je crois se multiplient. De plus en plus précis à mesure que j'avance.
Si jamais ce lieu ne me plaisait pas, j'en repartirai telle que j'y suis arrivée. Le tout est de n'avoir que peu, si possible rien, à traîner derrière soi.
Pour les âmes libres, les possessions matérielles sont des boulets. Des boulets, j'en ai déjà dans tous les coins.
- Rien d'admirable là-dedans, frérot !
En même temps je m'interroge. Cette facilité à partir serait-elle le legs inattendu de ma bougeote ?
Longtemps j'ai vécu sans avoir de chez moi. Chez moi, c'était la place occupée par mon sac dans des chambres d'hôtel, mon petit univers, ma bulle que je transportais sur mon dos.
Mon frère me parle de mes nombreux périples, moi du sentiment de ne jamais en faire assez. Dans ce "en" se tiennent mes voyages, mais surtout la cohorte toujours ouverte de mes envies, de mes projets, de mes défis. La part de moi jamais rassassiée qui vibre et s'enflamme. Qui, exigeante maîtresse, réclame son dû.
Toutes les idées qui en jaillissent sont à présent couchées dans mon petit carnet orange. Et la liste s'allonge, et je n'en viendrai jamais à bout.
Mais peut-être est-ce cela que vivre : se garder du grain à moudre pour la suite.
- J'ai surtout l'impression d'avoir un cul en plomb, frérot... Pesant et lourd à lever, tu vois ?
Il rit et je repense à mes voyages de 2013 : Bangkok, Angkor, Seoul, Singapour, Bali, Nusa Lembongan, Sulawesi, Palawan. Tout compte fait, ce cul en plomb ne doit être qu'une impression.
En septembre j'ai renoncé à Taïwan parce que je travaillais d'arrache-pied sur un livre. Pas le temps. Bien m'en a pris, sans doute : la région fut cette semaine-là traversée par un typhon.
N'empêche que ce sentiment de ne pas assez en faire perdure. J'aimerais vivre comme la femme sauvage de Clarissa Pinkola-Estes, toujours en mouvement, vibrante, créative et créatrice.
Je n'y parviens pas. Pas toujours.
La pesanteur du quotidien me rattrape, sa répétitivité m'émousse, ses contraintes me rongent. Mon humeur joue au yo-yo.
Je peine à relier le travail de fourmi à de grands projets. Tout ambitieux qu'ils soient, ils se décomposent en petites tâches rarement passionnantes, souvent ingrates, plus voisines du rase-mottes que des hauteurs.
Cette insignifiance m'ennuie. Je m'en détourne. Je m'en veux.
J'oublie aussi qu'un livre est une succession de phrases. À peine l'ai-je commencé que je le voudrais terminé. Je sue mes paragraphes jusqu'au jour où, épuisée, j'abandonne.
Mon travail suit les courbes de mon coeur : j'ai la trempe des grandes amoureuses, des amantes passionnées et non des épouses. Trop de mal à m'inscrire dans la durée, la permanence.
Si mon réveil ne sonne pas, je dors dix, douze heures de rang. À moins de huit heures par nuit, je n'ai pas ma dose et je me traîne. Tant d'heures perdues au lit... Additionnées, elles forment des jours, des semaines, des mois. Mon rêve serait de me limiter à cinq heures, pas davantage, pour attaquer fraîche une nouvelle journée.
Mon niveau d'énergie est souvent faible. Je fonctionne a minima entre fatigue et maux de crâne. Rêveuse plutôt qu'hyper-active, je marche dans ma tête. Loin, très loin. Je reviens de ces détours nostalgique ou euphorique. Je me berce de l'illusion de tout mener à bien.
Je me félicite. Je déchante.
J'ai trop d'envies et la conscience aiguë de ne pouvoir toutes les réaliser. Le temps m'est compté, et il passe vite.
Trop vite.
1re photo de Béatrice Galonnier, un souvenir de plongée en juin 2013, Barracuda Lake, Coron (Philippines) ; 2e photo perso, dans un ferry dans les Visayas ; 3e photo de Stefan (Trinidad et Shibari), Bangkok.
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