Présentation

En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

Derniers Commentaires

C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

Décembre 2024
L M M J V S D
            1
2 3 4 5 6 7 8
9 10 11 12 13 14 15
16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29
30 31          
<< < > >>

Recherche

Images Aléatoires

  • Petite-fille.png
  • Jogyakarta--Coiffeur-de-rue--reflet.jpg
  • A-l-aveugle.png
  • Homme-paon.png
  • Les-dormeurs.jpg

Syndication

  • Flux RSS des articles

Profil

  • Chut !
  • Le blog de Chut !
  • Femme
  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.

Nouvelles et essais

Jeudi 6 août 4 06 /08 /Août 00:46
J'aimerais que tu sonnes à ma porte sans t'être annoncé. Je t'ouvrirai et tu entreras sans un mot, marcheras dans le couloir en effleurant les tranches des livres.
Tu me tendras une bouteille de vin emballée dans du papier de soie. Je la placerai entre nous, sur le mini-bar. Tu lèveras la main comme pour te recoiffer, mais la posera sur mes yeux.
D'une caresse, tu effaceras la fatigue de trop de veilles.

Tu mettras du jazz, Miles Davis ou Keith Jarrett, allumeras une cigarette, t'assoiras à mes côtés, si près que je sentirai ton parfum. Peau, pluie et cuir.
Tu ne diras rien mais moi, je te parlerai des images qui tournent, tournent.

Des nourrices noires aux seins de madones blanches.
Des pampres enroulées sur des croix.
Des corps distordus dansant dans l'espace.
Des criquets racornis sous la cendre.
Des yeux crevés à coups de fourchette.
Des bouches cousues au fil barbelé.

Tu ne chercheras ni à comprendre, ni à analyser, ni à juger. Certains diraient que ces visions sont horribles et que je suis folle.
Toi, tu t'en fiches, tu les trouves poétiques. Ou platement vraies, puisqu'elles font partie de ma tête.

Je te dirai de me trépaner pour les laisser s'enfuir. Puis de me bourrer le crâne de coton pour les empêcher de revenir. Là, tu riras. Pas de joie mais d'impuissance. Malgré ton désir de m'aider, tu t'en découvres incapable : tu n'aimes ni le sang ni le sale. Et le sang sur un tapis, c'est sale.
Puis, surtout, tu te refuseras à me faire mal. J'aurai beau te jurer que je ne crierai pas, tu sais bien que le silence n'empêche pas plus la douleur que le risque n'évite le danger.

Alors je te parlerai d'autre chose. De la bâtisse où travaillait ma mère et où, enfant, j'ai passé nombre de mercredis. Elle avait une odeur particulière de vieilles pierres, de papiers archivés et de renfermé. L'odeur surette des grands-mères qui commencent à se négliger.
Dans l'escalier était accroché un grand tableau. Composé à la main, il présentait de gauche à droite tous les cycles d'étude, de la maternelle au doctorat.
Je m'amusais à poser un doigt sur CE2 et à le faire glisser loin, toujours plus loin le long des lignes noires.
Ce jeu me grisait. Je n'imaginais pas qu'un jour, arrivée au bout de ce long chemin, je serais devenue une adulte.
Mon futur me semblait abstrait. Le temps aussi. Recroquevillée sur un autre escalier, épaules entre les genoux, je comptais les secondes une à une, pensant que le passé s'appelait deux et le futur quatre.
Mais c'était mon secret.

Soudain, je n'aurai plus rien à te dire. Ma tête se sera tari comme une source. Tu m'enlaceras et me porteras comme une petite enfant, me déposeras avec délicatesse sur le lit, rabattras la couette sur moi.
Mes cheveux formeront sur l'oreiller une tache claire.
Tu me demanderas ce que je souhaiterai savoir : ton nom, peut-être ?
- Non, juste la couleur de mes rêves.
- Cette nuit, bleu cassis.

J'esquisserai un sourire ravi par le sommeil.

Tu partiras.
Un jour, nous boirons ensemble la bouteille que tu as apportée.
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
Ecrire un commentaire - Voir les 2 commentaires
Mardi 11 novembre 2 11 /11 /Nov 03:19
Au numéro 30 de la rue, elle tire brutalement le frein à main. Le véhicule a une embardée qui le projette sur le trottoir, où il s'arrête. Elle tombe contre lui, s'abat sur ses cuisses.
Il enclenche les feux de détresse pour laisser libre cours à la lutte.

Les cheveux glissent sur son sexe tandis qu'il empoigne au hasard le volant, le cuir du fauteuil, le levier de vitesse, il ne sait plus très bien.
Devant, à côté, dessus ne sont que des mots sans importance, des configurations abstraites.
Seul en dessous compte, car en dessous les cheveux continuent leur va-et-vient le long de son ventre, ça le chatouile, c'est chaud, sucré et monotone comme le bruit des essuie-glaces.
À gauche, à droite, en avant, en arrière, à gauche puis à droite, en avant puis en arrière.

Il s'affale contre du plastique dur et une grande clameur perce la nuit.
Le klaxon...
Et ça continue, le bruit et le glissement contre sa verge, et ça se fond ensemble, sexe et klaxon, klaxon ou sexe, bruit, succions, cris...
Des volets claquent et des fenêtres s'allument. Une tête sortie du noir hurle avant de disparaître :
"Silence ! On dort, bande de cons !!"

Quelque chose lui vrille le dos. C'est inconfortable mais bon quand même. Elle tente d'arracher sa chemise alors qu'il force sur la fermeture récalcitrante de la jupe, les doigts emprisonnés dans la résille d'un bas rouge. Il tire et le bas vient. Et plus il tire, plus il semble s'allonger.
Il lève la main jusqu'au sommet de l'habitacle. Ce n'est plus un bas mais une longue coupure saignante sur son poignet. Et la femme à demi-nue rit, et sa bouche est comme emplie de sang.

Quelque part, un chien aboie.
"Ta gueule, ta gueule, couche-toi !" braille son maître, "Couche-toi, Lechat !" ordonne-t-elle en écho, mais lui ne veut pas se coucher, il ne peut d'ailleurs plus bouger et cette paralysie est délicieuse.
"Couche-toi, je te dis...", maugrée-t-elle.
"Non...", "Si !",
"Non...", "Si !", et comme il reste immobile elle le plaque contre la portière, et ses doigts commencent une course lente puis rapide.
Maintenant, ça va être maintenant, ça vient, ça monte.
Il tourne un peu la tête. Pousse un cri d'effroi.
Un visage, lèvres ouvertes en un horrible sourire, est collé à la vitre. Il entend des mots obscènes, voit des gestes orduriers, un doigt dressé tout droit en l'air. La bouche de la femme lui ferme la sienne, ça allait venir mais ça ne vient plus, c'est tout tassé dans son ventre alors que la femme adresse un clin d'œil au visage derrière la vitre et brandit le poing en signe de victoire.

Vite, partir, se dégager. Mais elle monte sur lui à quatre pattes, ôte tranquillement la clé de contact du tableau de bord et, d'un tir précis, l'envoie rouler dans le caniveau.
"Viens, chéri", l'implore-t-elle alors que le visage se penche sur eux avec des yeux exorbités, non il ne rêve pas, un filet de bave coule le long du carreau.
Affreux, horrible, ils s'enfoncent dans le creux du siège, les boutons de sa chemise cèdent, son tissu se déchire.
Affreux, horrible, ce visage blafard qui ricane, se moque de lui, "Vas-y, prends-la, vite, imbécile, idiot, vite !". Elle lui tord les tétons, "Vite, vite !" reprend-elle, "Viens vite", appuie la bouche dégoulinante, "pour danser le tango il faut être deux, et cha cha cha et cha cha cha", et leurs pieds s'emmêlent aux pédales, et les essuie-glaces marmonnent, et son poignet saigne, et la voiture redémarre toute seule, "Viens vite, vite viiite !", vite la voiture avance, "Boum boum" crie-t-elle, "Boum la belle bleue !" beugle le fou baveux, boum sa semence jaillit, boum la voitre s'enfonce dans l'arbre.


"Aaaaaah !..."
Une femme penchée sur lui, il se débat.
"Réveil, réveil !"
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
Ecrire un commentaire - Voir les 3 commentaires
Jeudi 6 novembre 4 06 /11 /Nov 05:45
1/ MA VIE, MON MANQUE D'ŒUVRE

Identité : Matthieu Lechat, alias "le fou".

Nom de code : Le Goëllec. Breton. Finistère nord, témoin du naufrage de l'Amocco-Cadiz.
Cela n'a d'ailleurs aucune importance ici, sauf pour l'anecdote, l'image commerciale du goéland englué dans un pétrole aussi liquide que mes idées.

Casier judiciaire : vierge.

Perversions : toutes.

Profession : scénariste rhétoriqueur, pseudo-littérateur, universitaire manqué recyclé dans la construction de vies en carton-pâte.

Signes particuliers :
néant hormis un, et d'importance selon les conclusions du Professeur Lumbroso. Asymétrie des index ou signe distinctif des criminels-nés, des psychopathes.
D'où, peut-être, le nom dont je me suis affublé chez Mona : "Matthieu le fou".
La première identité qui me soit venue à l'esprit.

Hobbies : mon journal, ma vie, mon manque d'œuvres et mon premier scénario "Matthieu Lechat scénariste : la preuve par l'exemple", véridique récit d'un authentique fiasco.


2/ MATTHIEU LECHAT SCÉNARISTE : LA PREUVE PAR L'EXEMPLE

Le silence puis un rire aigu coupe le bruit ronronnant de la conversation. Je regarde dans le rétroviseur.
Pas un chat.
La soirée est belle, la nuit est belle, la femme est belle.

"Vous êtes belle, chère Madame, aussi belle que vos bottes de sept lieues, mystérieuse comme la botte secrète cachée dans mon jeu. Arcane 22, ésotérique, il faut parler aux femmes du mystère des femmes les yeux dans le vague, comme en quête de mots choisis.
Ça marche à tous les coups.
Hésiter un peu, à peine, avoir l'air de ne lâcher ça qu'avec circonspection, petit à petit, en l'émaillant de pauses réfléchies.
C'est comme ça que ça fonctionne, hein petite souris, chatte bottée devant moi Raminagrobis.

Dieu que ces mots pour aplanir le silence de la rue sont bêtes !
Alors quoi ?

Dîner délicieux en votre compagnie, tout parfait parfait : majordome grand luxe, fourreau noir, brillants d'oreilles et collier de perles de fausse culture, fauteuils confortable et du pied sous la table. Serviette empesée autour du champagne :
- Comment le trouvez-vous, très chère ?
- Bon, si bon qu'il me fait tourner la tête...
Et moi de tourner casaque autour du pot. Ensuite vin un chouilla tiède, mais petits fours au saumon que n'aurait pas reniés un gros chat comme moi.
Cha cha cha, chat perché, chat qui vole, que pensez-vous du nom Au chat qui fume ? Ravissant, non ?
- Râââvissant.
- Et si je m'allumais une cigarette, là, maintenant ? Provocant comme vous le futes, avec le naturel de l'habitude mais le rouge à lèvres en moins."

La voiture s'engage rue de Turenne. Devant le n°18, elle s'empare du levier de vitesse. Le feu passe au rouge. Il pose la main sur la sienne, la serre trop fort.
"Quelle poigne... !" susurre-t-elle.
Il la regarde de biais. Un mince sourire aux lèvres, elle guette l'horloge du tableau de bord.
- Pressons-nous, voulez-vous, nous sommes déjà en retard.
- En retard ? Mais...
- Oh, ce n'est rien. L'affaire de quelques minutes, un rendez-vous sans importance à honorer. Qui vous concerne aussi, d'ailleurs.
- Moi ?? Et en quoi, donc ?
- Plus de questions, je vous prie. Plus de questions et seulement un peu de patience.
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Samedi 6 septembre 6 06 /09 /Sep 19:56
Cette nouvelle est née d'un projet d'écriture à deux.
L'idée était de relater quelques nuits entre un homme et une femme qui s'étreindraient et s'aimeraient de plus en plus fort, de plus en plus loin, emportés dans un tourbillon qui leur échappe.
Ce projet ne verra jamais le jour, car il manque désormais l'autre plume pour écrire la suite.
Voici néanmoins le premier texte de ce non-recueil.


C’est leur premier rendez-vous. Enfin, pas exactement le premier, mais les autres, pris dans des lieux publics, ne comptent pas.
Ce soir, il vient chez elle. Ce soir, il vient en elle. Du moins, elle l’espère, car au café, il lui a annoncé :
- Je ne suis pas sûr de… enfin, tu comprends…
- Pas très bien, a-t-elle rétorqué du tac au tac.
En vérité, elle comprenait parfaitement. Lorsqu’on invite chez soi un homme qui n’est pas sûr de, il n’y a qu’une interprétation possible. Et pas très agréable à entendre, mais qu’importe : son air gêné la dédommageait d’avance de ses explications peu flatteuses. Les écouter bafouillées de sa belle bouche, voir ses longs doigts égrener sur la tasse le tempo saccadé de l’embarras, ses fesses si attirantes se tortiller sur la chaise, voilà ce qu’elle souhaitait.
Son amour-propre en prendrait un coup, certes. Tant pis ou plutôt tant mieux. La chasteté du second terme l’aiderait à rayer le premier de ses pensées.

Bouche, doigts, fesses… Ils ne seraient peut-être pas à elle ce soir. Qu’à cela ne tienne. Tant qu’ils sont à elle maintenant, au milieu de la foule de l’après-midi et du ballet pressé des serveurs, elle s’en accommode, et de bon cœur.
- Donc, tu n’es pas sûr de ? le relança-t-elle pour briser le silence.
- De… faire l’amour avec toi…
Il lâcha ces derniers mots comme la dernière des obscénités. La mine contrite, les joues empourprées, le regard rivé au sol.
Elle se retint de rire.
« Tu veux être obscène, vraiment ? Dis-moi que tu bandes, que tu rêves de me lécher la chatte, de me renverser en levrette pour me bourrer, me pilonner, me faire couiner comme une chienne avec ta bite… Mais ne me dis pas que tu hésites à "faire l’amour" avec moi… »

Renversée sur sa chaise, elle se contenta de sourire et d’allumer une cigarette. Puis d’effleurer son oreille de la langue (oh, le frisson qui le parcourut à cet instant-là) avant de se reculer pour souffler entre deux bouffées :
- Je ne vois pas où est le problème.
Elle ne mentait pas. Elle aimait trop sa compagnie pour ne la désirer qu’à l’horizontale. Mais lui, sceptique, entreprit de se justifier avec l’énergie des coupables :
- Surtout, ne crois pas que tu ne me plais pas !
Elle l’écoutait en opérant in petto le décompte de ses négations. Deux au compteur. Moins par moins égalant plus, le mathématicien qu’il était venait de se trahir.
Oui, elle lui plaisait.
Oui, il avait envie d’elle.
Oui, il la baiserait ce soir… à moins que le « mais non » ne s’en mêle.
Cette marge même d’indécision, loin de la décourager, l’excitait. Dans l’acceptation, tout aussi probable que le refus, se coulait son désir. Tour à tour mouille suintant de son vagin ou sève jaillie de son ventre en une confirmation :
Oui, tu me plais.
Oui, j’ai envie de toi.
Oui, baise-moi sans attendre, comme au premier matin du monde, comme au dernier soir d’avant le cataclysme.
Baise-moi comme si tu partais à la guerre demain, comme tu allais t’évanouir, disparaître ou mourir, comme si nous ne devions jamais nous revoir.
Baise-moi avec l’empressement, avec l’urgence de tous les désespérés de la Terre, de tous les amoureux séparés de leur fiancée, de tous les soldats payant leur dernière pute.
Baise-moi tout court. Haut et court, même, comme je brûle d’être pendue ou perdue, tant le désir se joue parfois d’une lettre.

Un signe à la serveuse. Celle-ci, docile, vient ramasser les billets et ils se lèvent, engourdis d’être restés si longtemps assis. Ils sortent du café. Titubent dans la lumière trop crue de l’après-midi qu’ils n’ont pas vu passer.
Le feu rouge du boulevard signe leur séparation. Sur sa bouche, le goût de ses lèvres piquantes de barbe efface celui, amer, du café.
- À tout à l’heure, alors ?
- À tout à l’heure, alors.

En son absence, elle prépare l’appartement. Le seul endroit, peut-être, dans lequel elle le recevra. Alors, s’il doit se sentir bien quelque part, c’est ici.
Astiquer, polir, limer… Jamais les mots du ménage n’ont autant ressemblé à ceux de l’amour.
Cheveux défaits, elle astique, elle polit, elle lime. Gomme les angles aigus du désordre, range, aspire dans les coins, balaye les piles de feuilles qui s’entassent sur le bureau, les moutons de poussière qui bêlent sous les meubles. Recule au fond du couloir pour estimer l’étendue de ses efforts : les lieux du crime auquel elle espère le pousser sont-il assez nets, assez accueillants ?

Ce soir, son appartement devient le sien. Elle voudrait qu’il l’apprécie à défaut de l’aimer. Qu’il en aime les imperfections à défaut de les admirer. Qu’il s’en accommode à défaut de les repousser.
Son « chez-elle » résume si parfaitement son « elle » que l’enjeu la laisse souffle coupé.
Lui, bien sûr, ne se doute de rien. Seule elle sait le tout et en tremble : l’accueillir dans son antre, c’est déjà le laisser la pénétrer. Lui ouvrir sa porte, déjà lui ouvrir ses cuisses, tant les territoires de l’intime ne sont pas forcément ceux auxquels on pense.
Ce soir, la limite des siens dépasse à peine celle des étagères pliant sous le poids des livres.

Soudain, elle a un coup au cœur. On a sonné à l’interphone.
Ses doigts malhabiles, croisés en nique au mais-non qui précède de si peu le mais-oui, débarricadent les verrous de ses serrures blindées.
Des pas résonnent dans l’escalier.

Plus tard…
Ils sont assis face à face sur le tapis. Il parle à renfort de grands gestes. Elle sourit en posant son pied nu sur sa cuisse. Il s’interrompt à peine. Elle insiste. Il poursuit. Ses orteils glissent sur le jeans rêche, remontent jusqu’à la braguette.
Il se tait. Elle appuie sur le tissu pour sentir la forme de son sexe. Il pose sa main sur son talon.
Ses doigts disent non mais ses yeux disent oui.
Elle retire son pied en se jurant :
« Tu me le paieras, ce refus-là. »

Elle est debout et lui sur le tapis, de dos. Elle se penche, effleure son cou d’un baiser, mordille son oreille (oh, le frisson qui le parcourt de nouveau à cet instant-là) et se coule contre lui, jambes écartées par dessus les siennes, poitrine contre son torse.
Il l’enlace. Ils s’embrassent à petits baisers timides qui s’enhardissent. Elle plonge sa langue entre ses dents. Gémit de sentir la sienne répondre à son contact, s’y enrouler. Du creux de son ventre le désir monte, grandit, lui serre la poitrine, lui coupe la respiration. Tanguant entre ses bras, elle halète comme s’il allait et venait en elle.
Elle le saisit par les cheveux :
- Ferme la bouche.
Un regard surpris. Il s’exécute.

Lui maintenant la tête immobile, elle s’approche et lape les lèvres closes. Des traînées de salive en diluent la couleur pâle, s’accrochent à sa barbe, débordent sur ses joues.
Une plainte. Timide invitation à stopper ou à poursuivre ? Elle choisit de l’ignorer. Ses lèvres hérissées de petites bulles d’air sont à présent luisantes.
Un appel à les lécher encore et encore.
Un filet de salive roule lentement sur son menton. Ce n’est que de l’eau sortie de sa bouche, mais elle imagine que c’est la mouille qu’il vient boire à son sexe. Et elle écarte les jambes pour se lover davantage contre lui.

Une plainte, à nouveau, arrachée de sa gorge à elle. Incapable de résister davantage, elle faufile ses mains sous son tee-shirt, l’arrache pour dévoiler son torse. Imberbe, il apparaît, serti des aréoles plus foncés de ses tétons. Elle pourrait les malaxer sous ses paumes, les couvrir de baisers, les sentir gonfler et durcir sous ses doigts en jumeaux de sa verge.
Elle pourrait mais elle a trop envie de lui, là, tout de suite. La route sinueuse des préliminaires est trop longue à emprunter. Chauffée à blanc, elle lui réclame le raccourci pour s’éteindre dans un crépitement d’étincelles, la ligne droite de son sexe fichée dans le sien. Transpercée.
À gestes brusques, elle descend sa braguette, fait sauter le bouton de son pantalon, le tire sur ses genoux. S’il bascule à peine son bassin pour l’aider, il ne lui oppose pas non plus de résistance.
Sa passivité lui permet de supposer tous les désirs : celui qu’elle ne le force un peu, comme celui de la décourager.
Tous les désirs, oui, mais pas leur absence.
L’indifférence n’a pas l’intensité de ses prunelles.

Le jeans atterrit en tas froissé sur le coin de la table basse. Ne lui reste pour se dissimuler que le mince rempart de son caleçon. C’est déjà trop. Mais, tandis qu’elle en écarte l’élastique, il immobilise son bras.
- Non. Pas maintenant.
La rage au cœur, elle obéit. Son corps est pour l’instant un terrain de jeux assez vaste. Ce qui ne l’empêche pas de se promettre :
« Ce refus aussi, tu me le paieras. »

S’écartant d’un pas, elle se met à quatre pattes sur le tapis, bustier dégrafé sur les seins, jupe remontée sur la croupe.
Il plonge ses yeux dans le décolleté, saute de la courbe de sa poitrine à celle, étranglée, de sa taille, suit de haut en bas le triangle de dentelle qui épouse la forme de sa toison et disparaît en haut de ses cuisses.
Ils échangent un regard. Un seul. Dans le sien, elle lit comme dans un miroir la même faim, la même soif.
Ondulant des épaules et du bassin, elle rampe à lui. Se frotte à son flanc, implorante.

« Fais-moi, je t’en supplie, ce que tes yeux me disent. Délie tes mains et ta pudeur, viole la mienne de ton indécence. Façonne-moi, courbe-moi, ploie-moi, pétris-moi… À tout je t’autorise parce qu’à toi je suis livrée, rendue. Butine-moi, cueille-moi, croque-moi, mords-moi, lacère-moi… Je t’en supplie, fais-moi ce que tes yeux me disent.. »

Elle miaule sa frustration de femme-chatte lubrique mais en vain offerte, car il ne la touche pas.
« Tu me le paieras ! »

La colère lui crispe les mâchoires. Elle se retient de le pousser afin qu’il bascule à la renverse et tombe allongé, dos collé au sol, crâne cognant contre le plancher. Assommé pour qu’elle se rue enfin sur lui et se venge, profitant de sa faiblesse pour lui tirer les cheveux à pleines poignées. Pour le gifler peut-être, le chevaucher sûrement, écrasé sous son poids, coudes coincés sous ses genoux. Pour le paralyser, le réduire à sa merci et de force s’asseoir sur son visage trop beau, ses lèvres trop dédaigneuses. Prisonnier de l’étau de ses cuisses, la dentelle de son string écrasée contre le nez, la bouche comprimée par sa vulve, contraint à la sentir, à la renifler, à la suçoter, à la goûter sous peine d’étouffer.

Une fois encore, c’est elle qui s’incline. Vers le caleçon qui moule la forme de sa verge érigée. Elle y frotte ses pommettes, y presse ses joues, la mordille à travers le tissu. Ses narines s’emplissent de l’odeur musquée de son sperme, sa langue en recueille la saveur salée.
« Tu aimes, n’est-ce pas ? Tu peux me dire que non, ta bite, comme tes yeux, sont incapables de mentir. »
Et elle continue à le provoquer, agrandissant l’auréole de son désir.
Il ne la touche toujours pas.
« Tu me le paieras, tu me le paieras ! »

Elle abaisse son
caleçon d’un mouvement brusque. Son prépuce coulissé sur le gland découvert en jaillit. Alors qu’il resserre les jambes pour s'esquiver encore, elle se place en leur milieu, happe son sexe avant qu’il n’ait le temps de protester. Le fait glisser entre ses lèvres, le long de sa langue, jusqu’au fond de sa gorge.
Tout entier enclos dans sa bouche.
Elle le garde longtemps avant de remonter, moins vite, une main frôlant ses fesses, l’autre son bas-ventre, s’insinuant entre ses poils. Serpentines du désir alors qu’elle se penche à nouveau pour l’engloutir.
Il caresse ses cheveux dénoués en une confirmation.

Elle ne s’est pas trompée, c’est ce qu’il veut. Là, maintenant, être pressé par ses lèvres, accueilli, capturé, abandonné à leur chaleur et à leur humidité, dérivant sur les crêtes abruptes du plaisir, laissant échapper une liqueur qu’elle aspire avec délices.

« Oui, guide-moi à ton rythme… À ma tête imprime ta cadence pour sourdre entre mes dents… »

Agenouillée, cul en l’air, elle enfouit son visage dans la marée de ses poils sombres, lui lèche les couilles, les avale en caressant sa verge. Puis, les délaissant, lèche à nouveau sa verge, rêvant de ses ongles lui meurtrissant les mollets.

Jambes ouvertes, elle le suce en gémissant. Ses gémissements à lui la grisent. Mais non, elle ne veut pas l’entendre que gémir. Elle veut l’entendre s’abandonner, abattre ses résistances, la supplier. Alors elle continue son va-et-vient tour à tour paresseux et impérieux, appuyé et léger, accordant le tempo de sa bouche à celui de son désir tour à tour contenu et exigeant, maîtrisé et incontrôlé.

- Maintenant !
Le mot a claqué comme un ordre.
Elle s’arrête aussitôt et roule sur le côté, écartant le ruban de son string pour lui offrir sa vulve. Il vient sur elle et la prend sans attendre, sauvagement, dans un cri.
Elle crie aussi. Saturée de lui, le ventre déchiré du plaisir de le sentir totalement en elle.
Leurs souffles s’étreignent.
Il avance les mains pour les mêler aux siennes. Mais elle les lui dérobe pour agripper ses épaules et basculer leur peau à sa bouche.
Cette peau tant attendue qu’elle serre doucement entre ses dents.
Il n’a rien senti encore.

Les mouvements de son bassin lui réclament d’entrer encore plus loin en elle, de la fendre comme un fruit trop mûr, de la baiser encore plus fort jusqu’à la laisser échevelée, hurlante.
Alors qu’il lui obéit, accélérant ses coups de boutoir, elle raffermit son étreinte.
Alors qu’il son corps s’arc-boute dans un spasme, elle le mord à belles dents.
Et alors qu’il vient, ses incisives transpercent la fragile barrière de sa peau.
Là, seulement, elle s’autorise à jouir, collée à lui, mêlant sa salive au sang qui perle de la morsure.
La trace qu’il gardera à l’épaule des jours durant, c’est la marque même de ses refus.



Avec toute mon admiration à Auguste R. et Egon S., dont j'aime tant les toiles.

Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais - Communauté : xFantasmesx
Ecrire un commentaire - Voir les 5 commentaires
Vendredi 29 août 5 29 /08 /Août 00:55
Un extrait du texte mentionné dans Ivre d'hommes et d'écriture :

J’imagine cette femme guetter des nouvelles. C’est le soir, le moment habituel où elle en reçoit. Mais aujourd’hui, rien ne vient. Elle tente de l’appeler mais les sonneries s’égrènent, ricochant sur le vide d’un ailleurs dont elle ignore tout. Contrainte à patienter, elle relève mille fois ses mails, tourne autour du téléphone. N’ose pas s‘éloigner ni sortir de chez elle. Si son portable tintait au fond de son sac, elle risquerait de ne pas l’entendre.
Les heures interminables s’étirent dans le silence. Elle trépigne en regardant sa montre. Bientôt, il sera trop tard pour espérer encore.
Bientôt, il faudra attendre demain.

La nuit est tombée depuis longtemps. Elle finit par aller se coucher, déçue, agacée, le croyant lui aussi endormi, attribuant à la fatigue la cause de son silence : elle l’a cueillie en traître avant qu’il ne décroche le téléphone.
À moins qu’il ne l’ait perdu ou oublié quelque part.
À moins que le réseau n’ait été coupé sans préavis.
À moins que, à moins que…
Les raisons sont si nombreuses et banales qu’elle renonce à se les énumérer, à creuser davantage ce qui la blesse déjà : il est loin et elle n’a pas entendu sa voix aujourd’hui.
De toute façon, demain, elle saura.

Mais non. Loin d’apporter un soulagement, le lendemain est un supplice de silence. Aigu, étale, il enfle à mesure des minutes, remplit l’appartement, sature l’espace, lui broie le cœur, crève les murs, perfore ses tympans de sa déflagration muette.
Elle panique. Aurait-elle dit une chose qui lui ait déplu, prononcé une phrase malheureuse, ouvert la porte à un malentendu ? Elle cherche d
ans leurs derniers échanges les double sens, les allusions, les mises en garde. Elle dissèque ses propos, décortique ses questions, réinterprète ses réponses, fabrique du second degré là où il n’y en a pas. Elle s’acharne, s’épuise à tourner dans un cercle de mots avant de le soupçonner, de le mépriser, de le maudire.
Se défilerait-il au lieu d’avouer qu’il n’a plus rien à lui dire ou s’est lassé d’elle ?
Serait-il un lâche, un sadique s’amusant à la torturer ?
Alors qu’elle lui est attachée, ne se serait-il pas, lui, détaché ?
Si ça se trouve, il a rencontré une autre femme. Moins belle, moins disponible peut-être, mais plus près.
Loin des yeux, loin du cœur…
Le poncif des amoureux séparés la gifle de son évidente banalité. Voilà, elle a compris, il est avec une autre. L’idée la révulse, mais cette idée n’est encore rien. Juste de la rigolade comparée à celle qui suit et expliquerait tout :
S’il ne l’appelle pas, c’est qu’il en est incapable.
S’il en est incapable, c’est qu’il est blessé.
S’il est blessé, c’est qu’il est peut-être mort.

Elle prierait à genoux pour se tromper, pour qu’il l’ait dédaignée, quittée sans autre forme de procès. Prête à encaisser l’humiliation plutôt que la certitude de rester seule dans un monde où il n’est plus. Sans qu’elle connaisse les circonstances de sa mort, n’ait vu son corps une dernière fois ni ne sache où il repose.
Terrée dans ses cauchemars, la voici réduite à imaginer, encore et toujours, ce torse aimé criblé de balles, son ventre déchiqueté, ses bras sectionnés aux épaules démises, la tête éclatée par un obus en fleur écrasée sur l’ocre du sable, auréolée du rouge du sang pissant de ses veines.

(Photo : Willy Ronis)
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
Ecrire un commentaire - Voir les 2 commentaires
Jeudi 27 mars 4 27 /03 /Mars 02:36
Ma tête se hérisse de barbelés
Enclos en eux, un corps au sexe plus foncé,
La peau douce de la nuit drapée sur nos épaules
En châle de brume et de soupirs.
Baisers portés en colliers, en étoles,
Pour taire les mots qui taraudent
De la zone dangereuse du souvenir,
Ce no man’s land de la guerre qui rôde,
Qui se faufile, qui nous sépare.

Partout, ici, ailleurs, nulle part,
Une persistance de la mémoire,
Une défense d’approcher
Car il n’y a plus rien à voir.

Lentement, les fils des barbelés se tendent.
Que la douleur des pointes me fende
Une pour le manque, une pour la présence,
Une pour la sécheresse, une pour la source
Qui en serpentant m’éclabousse
Sur les cailloux d
e ton absence.

Le cœur fiché aux piquets,
Je suis ce qu’est l’estompe au dessin,
Une forme ténue, imprécise sous le fusain,
Une silhouette évanouie, piquée
De ronces et de fougères,
D’ombres et de frôlements,
D’humus, de sous-bois, de clairière,
De crépuscule et de bruissements.

Aux barbelés accrochés des moutons de poussière
Pelotes de plumes mêlées de terre
Dansent un immobile ballet,
Puis tombent sous nos semelles de vent
Nos pas pressés, perdus, enfuis,
Toujours passant et repassant
Dans l’odeur des plantes foulées,
Des souvenirs que l’on enfouit
Et des herbes couchées.

Roseaux sauvages contre le ciel dressés
Hallebardes de ton corps contre le mien pressé,
Je voudrais être rose,
Ne suis que chardon
Entre tes doigts tout petit,
Tu m’effleures, je me replie.
Tu te détournes et je me donne,
Si piquante sur tes paumes.

(Février 2008)
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Mardi 29 janvier 2 29 /01 /Jan 04:52

Image-16-copie-1.pngDehors, le monde est ordonné comme la rangée de platanes du boulevard. Long, rectiligne, fouaillé en tous sens par la foule de l’après-midi. Le remontant, affairés, des hommes au baise-en-ville pendu à leur bras, téléphone vissé à l’oreille. Le descendant, nonchalantes, des femmes qui reluquent les boutiques, en quête d’une bonne affaire. La plupart, seules, marchent droit vers la première bouche de métro. Quelques-unes tiennent un enfant d’une main, leur mari de l’autre. Elles envient celles, libres comme l’air qui fait valser leur jupe, qui guettent les regards des passants.
Rien de plus à dire. C’est la vie normale d’un beau jour de printemps qui s’écoule.
Au milieu du boulevard, un immeuble blanc. Le soleil tape pile contre les persiennes closes de l’appartement du quatrième étage.

À l’intérieur, il fait chaud, très chaud. La touffeur de la pièce l’emprisonne de son étreinte moite, oppresse sa poitrine, chauffe à blanc ses sensations. De la sueur dégouline de son front et de ses aisselles. Il la hume à petits coups, comme un chien reniflant sa propre odeur. Musquée, forte, mêlée de peur et de désir, elle le dégoûte et le rassure en même temps.
- À genoux, tout de suite.
Les yeux oblitérés par le bâillon, les poignets liés par les menottes, il se plie en deux. Sûrement pas assez vite à son goût, car elle le presse d’une claque sonore.
- Penche-toi.
Il s’exécute. Apparemment satisfaite, elle marque une pause. Trop brève pour tempérer son excitation, trop longue pour que son corps ne se rappelle pas à son souvenir : il prend soudain conscience des flèches de douleur qui traversent ses bras, transpercent ses épaules, irradient dans son dos. Il lui faudrait changer de position pour se détendre, mais elle est sûrement là, à l’épier, prête à sanctionner toute dérobade.
Silence, contrainte et discipline. Il ne peut y déroger.
- Mets-toi à quatre pattes.
Il hésite. Aussitôt, une bouffée de parfum capiteux frappe ses narines, puis ses mains le sol, amortissant sa chute. D’une poussée sèche, elle l’a fait basculer en avant.
- Écarte les jambes. Mieux que ça. Bien.
Il rougit de s’imaginer ainsi humilié, nu devant elle habillée, le sexe dressé, le cul ouvert. Va-t-elle en profiter ? Oui, bien sûr. Et cette certitude est tout à la fois son supplice et son délice.
Tremblant, il entend derrière lui le tic-tac cadencé de ses talons. Elle s’éloigne. Il s’inquiète.
Combien de temps le laissera-t-elle seul ?

Mille un, mille deux, mille trois.
Derrière le bandeau, les secondes s’égrènent, scandées par la pulsation des veines.
Dans le noir, ses sens s’affûtent. Le moindre son, amplifié, se fait indice. Il tente de les mettre bout à bout pour reconstituer la scène. Elle, actrice souveraine et chorégraphe de ses désirs, lui, acteur désarmé, ridiculement cloué au sol. Il reconnaît des bruits familiers : le martèlement étouffé de ses semelles sur le tapis, un tiroir qui s’ouvre, le cliquetis d’une chaîne. Mais sans cesse, la scène se défait, les images sautent ou s’enchaînent sans suite. Bribes informes mal ajustées dont il ne tire rien, si ce n’est la confirmation de son impuissance.

Elle prend son temps, c’est certain. Elle se joue de lui, c’est une évidence. Elle sait manier à la perfection les avant-goûts de son plaisir. Deux fois A, pour attente et appréhension.
Soudain, elle se met à chantonner. Plutôt faux, d’une voix trop aiguë, mais il n’a pas le cœur à sourire. Au contraire, la mélodie de la chanson qu’elle écorche lui scie les nerfs.
Elle se tait. Plus aucun bruit dans la pièce. Il écoute le silence. Lentement, à pas de fourmi, les minutes s’étirent et passent, tant bien que mal. Son sexe perd de sa vigueur. Ses doigts s’ankylosent. Sa sueur ruisselle en rigoles le long de son dos. Sa peur monte. Il a une envie folle de rompre son immobilité, de l’appeler, de hurler. Mais il serre les dents pour mieux prier l’absente.
Silence, contrainte et discipline. Il ne peut y déroger. Il n’y dérogera donc pas.

Image-8-copie-1.pngClic, clac. Le martèlement reprend.
Elle revient.
Une vague de gratitude déferle dans sa poitrine. Il voudrait la remercier, s’incliner plus bas que le plancher, baiser le bout de ses bottes. Lécher le cuir, enfoncer le talon dans sa bouche, se meurtrir la langue, s’écorcher les joues, si tel est son désir.
Mais non. Indifférente à sa joie, elle lui demande abruptement :
- Quelle couleur ?
Ahuri, il répond ce qui lui passe par la tête :
- Noir.
- C’est noir que tu les veux ? Parfait.
Le martinet s’abat durement sur ses fesses. Il vient de comprendre et gémit en se tortillant.
- Non, non, je me suis trompé ! Rose, rose !
- Trop tard.
- Antibiotique !
Le bras s’abaisse, brisé dans son élan. Les lanières du martinet meurent sur le bas de ses reins.
Elle le fixe déconcertée. Il a prononcé le mot, elle doit respecter ses engagements, malgré l’envie de passer outre.

La dernière et première fois qu’il était venu ici, elle lui avait expliqué :
- Tu dois choisir un mot pour m’arrêter si je vais trop loin ou si la douleur devient insupportable. Peut-être ne le prononceras-tu jamais, peut-être pas. Tu connais tes limites mieux que moi, même si je m’efforcerai de les abattre une à une. Ce mot de sauvegarde ne doit pas être « non », car derrière trop de « non » se cachent des « oui ». Choisis-le sans rapport avec le sexe, ni la domination. Et choisis-le bien, parce que tu ne pourras pas en changer.
Après une brève réflexion, il avait choisi « antibiotique ». Déformation professionnelle, sans doute, car il est médecin. Mais pas seulement : en secret, il espérait que ce mot pourrait le guérir, lutter contre l’infection qui le gagnait chaque jour davantage et le précipitait à ses pieds lorsqu’il ne tenait plus.
- Tu dois aussi choisir un geste lorsque tu es bâillonné, assez évident pour que je puisse le voir.
Il avait d’abord proposé d’agiter la main droite en signe de reddition. Elle avait refusé : impossible avec les menottes. Il avait alors décidé qu’il croiserait les doigts.
Signe de chance, paraît-il…

- Lève-toi.
La voix sèche le remet sur pied. Ses tétons enserrés dans les pinces le brûlent. Ses flancs agacés par les ongles le cuisent. Ses fesses malmenées par le martinet le poignent. Mais la douleur n’est rien à côté de la honte. Et la honte, c’est tout autant la certitude de l’avoir déçue, que son sexe qui pend ratatiné entre ses cuisses.
Elle ôte le bandeau d’un geste sec. Il la soupçonne de lui tirer exprès les cheveux en même temps, pour le plaisir de se venger. Ses yeux clairs plantés dans les siens, ébahis par la lumière, sont remplis de reproches. Il détourne le regard, gêné.
- Rhabille-toi.
Tête baissée, il se dirige vers le tas de ses affaires posées à même le sol. Elle lui tourne le dos. Alors qu’il se rhabille à la hâte, elle recompte les billets à haute voix :
- Cent, cent cinquante, deux cents, deux cent cinquante.
Il serre les dents. Sous-entendrait-elle qu’il aurait pu l’escroquer ? Qu’il n’aurait pas glissé la somme convenue dans l’enveloppe ?
Satisfaite, elle fourre l’argent dans l’échancrure de son soutien-gorge. Et tandis qu’il ouvre la porte, elle laisse tomber, un sourire narquois accroché aux lèvres :
- À la prochaine fois.

Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais - Communauté : xFantasmesx
Ecrire un commentaire - Voir les 1 commentaires
Créer un blog sexy sur Erog la plateforme des blogs sexe - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés