Jeudi 6 août
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J'aimerais que tu sonnes à ma porte sans t'être annoncé. Je t'ouvrirai et tu entreras sans un mot, marcheras dans le couloir en effleurant les tranches des livres.
Tu me tendras une bouteille de vin emballée dans du papier de soie. Je la placerai entre nous, sur le mini-bar. Tu lèveras la main comme pour te recoiffer, mais la posera sur mes yeux.
D'une caresse, tu effaceras la fatigue de trop de veilles.
Tu mettras du jazz, Miles Davis ou Keith Jarrett, allumeras une cigarette, t'assoiras à mes côtés, si près que je sentirai ton parfum. Peau, pluie et cuir.
Tu ne diras rien mais moi, je te parlerai des images qui tournent, tournent.
Des nourrices noires aux seins de madones blanches.
Des pampres enroulées sur des croix.
Des corps distordus dansant dans l'espace.
Des criquets racornis sous la cendre.
Des yeux crevés à coups de fourchette.
Des bouches cousues au fil barbelé.
Tu ne chercheras ni à comprendre, ni à analyser, ni à juger. Certains diraient que ces visions sont horribles et que je suis folle.
Toi, tu t'en fiches, tu les trouves poétiques. Ou platement vraies, puisqu'elles font partie de ma tête.
Je te dirai de me trépaner pour les laisser s'enfuir. Puis de me bourrer le crâne de coton pour les empêcher de revenir. Là, tu riras. Pas de joie mais d'impuissance. Malgré ton désir de m'aider,
tu t'en découvres incapable : tu n'aimes ni le sang ni le sale. Et le sang sur un tapis, c'est sale.
Puis, surtout, tu te refuseras à me faire mal. J'aurai beau te jurer que je ne crierai pas, tu sais bien que le silence n'empêche pas plus la douleur que le risque n'évite le danger.
Alors je te parlerai d'autre chose. De la bâtisse où travaillait ma mère et où, enfant, j'ai passé nombre de mercredis. Elle avait une odeur particulière de vieilles pierres, de papiers archivés et
de renfermé. L'odeur surette des grands-mères qui commencent à se négliger.
Dans l'escalier était accroché un grand tableau. Composé à la main, il présentait de gauche à droite tous les cycles d'étude, de la maternelle au doctorat.
Je m'amusais à poser un doigt sur CE2 et à le faire glisser loin, toujours plus loin le long des lignes noires. Ce jeu me grisait. Je n'imaginais pas qu'un jour, arrivée au bout de ce long
chemin, je serais devenue une adulte.
Mon futur me semblait abstrait. Le temps aussi. Recroquevillée sur un autre escalier, épaules entre les genoux, je comptais les secondes une à une, pensant que le passé s'appelait deux et le futur
quatre.
Mais c'était mon secret.
Soudain, je n'aurai plus rien à te dire. Ma tête se sera tari comme une source. Tu m'enlaceras et me porteras comme une petite enfant, me déposeras avec délicatesse sur le lit, rabattras la couette
sur moi.
Mes cheveux formeront sur l'oreiller une tache claire.
Tu me demanderas ce que je souhaiterai savoir : ton nom, peut-être ?
- Non, juste la couleur de mes rêves.
- Cette nuit, bleu cassis.
J'esquisserai un sourire ravi par le sommeil.
Tu partiras.
Un jour, nous boirons ensemble la bouteille que tu as apportée.
Par Chut !
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Publié dans : Nouvelles et essais
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it could be so nice...
'Yes I'm Lonely
(ça marche le html en commentaire ?)
Tu sais, selon la formule consacree : toute ressemblance avec des personnes existantes blablabla. Wish you were in my head sometimes...
(Je crois que oui. Si ce message passe, on approche le 100 pour cent de certitude - punaise, ou est le pourcentage sur un qwerty ???)
oh, que voilà déjà un mot que j'aime... Il est de l'étoffe dont on tisse les rêves et duquel surgissent les fantasmagories !
Je me permets de te tutoyer pour te répondre. Pas encore eu le temps, hélas, de m'immerger dans ton jardin mais je connais cette sensation "d'alter ego". Du coup, non, tu n'es pas incohérente du tout, du moins pour moi ! Et que tu l'aies ressenti en me lisant me ravit.
Au plaisir de nous recroiser, bientôt j'espère, sur la toile... et qui sait, peut-être en Asie un jour ? ;)