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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

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Juke-box

Mardi 12 janvier 2 12 /01 /Jan 18:26

Antony, l'emotionIl est une heure. La nuit est sûrement piquetée d'étoiles, mais je ne vois que le plafond. En montant dans le ferry après une journée de bus, j'eus un hoquet, comme la secousse d'un cahot en enfer alors que j'étais encore embuée de paradis.
Le mien s'appelait Perhentian Kecil, une île de Malaisie vierge de voitures et de routes.
Électricité capricieuse quelques heures par jour, sommaires bungalows avec matelas sur planche de bois, moustiquaire et ventilateur anémique. Devant ma porte, une petite terrasse dotée d'un hamac.

Je m'y étais étendue un soir avec Apeh.
Nous avions failli tomber malgré son corps de lame puis, nous raccrochant l'un à l'autre, cherché le bon point d'équilibre. Jambes encastrées au miennes, fesses contre bassin, nous guettions ce moment de suspension parfaite, où tout mouvement annule le mouvement.

Nous n'avions ensuite plus bougé ni parlé, comme si nos mots hésitants pouvaient compromettre ce merveilleux équilibre, faire fondre nos ailes de cire pour nous jeter au bas de notre nacelle.

Plus tard, lorsque je poussai la porte du bungalow, Apeh me suivit.
Il partit au petit matin. Je sortis de la chambre avec retard, la peau fragile et les yeux cachés de lunettes de soleil, le suivis sans savoir que déjà je suivais une autre route.
Celle-ci m'emmenait vers un autre homme que j'avais aussitôt baptisé "samouraï".
Ses yeux allongés d'asiatique, son bandeau de pirate, son visage fin sont dans mon esprit étroitement liés à ce lieu, à sa magie, à ces jours de chaleur indolente coupée du froid de l'eau.

AntonyEn fermant les yeux, je revois les siens se poser sur moi à la proue du bateau. Sa main qui m'effleure le bras, me caresse l'épaule dans un geste tout naturel. Son buste courbé, accordé au mien en un parfait arc de cercle.
Nous parlons. Non, nous chuchotons à voix basse de conspirateurs.
Notre discussion a beau n'avoir que peu d'importance, nous ne voulons pas être entendus. Lui, moi, le bateau... C'est notre bulle interdite aux autres, si fragile qu'un rien pourrait la crever, compromettre comme la veille avec Apeh un merveilleux instant de bonheur.

Soudain nos corps se détournent à regrets. Basculent en arrière depuis la coque. Sombrent dans l'eau translucide.
Aussitôt nos regards se cherchent et se trouvent, brusquement soulagés de ne pas s'être perdus.
Nous descendons dans le bleu, moi renversée sous lui, sous ses lèvres qui me sourient malgré le détendeur alors que du mien jaillissent des bulles ricochant sur son torse, se faufilant le long de ses épaules pour dessiner autour de sa tête un halo.

À ce moment je sais, sans l'ombre d'un doute, que ce soir je serai sous lui encore, mains pressées contre ma bouche à jouir de son sexe, tour à tour le provoquant et l'implorant de ne pas venir pour faire s'étirer, longtemps, jusqu'à la rupture, les minutes de cette autre nuit suspendue.

J'aimerais que le matin n'arrive jamais, parce qu'au matin, il s'en va.

Le ventilateur s'éteignit.
La fatigue nous renversa en lame de fond, trempés de sueur, de salive, de cyprine et de sperme.
- Viens, dit-il en se levant et m'offrant sa main.
Je me pelotonnai entre ses bras. L'eau glacée de la douche nous fit renaître.
Renaître avant une autre petite mort.
Il partit le matin, Ethan arriva le soir. Trois jours plus tard, nous posions le pied sur un navire chargé jusqu'à la gueule. Les provisions en bas, les passagers en haut, entassés sur de minces matelas. Des cales montait les vapeurs fétides des durians, le remugle trop salé des poissons séchés.

antony 2Ethan et moi nous allongeâmes, tout habillés, sur deux couches voisines. Tandis que le navire commençait sa lente traversée, je sortis mon IPod, proposai un casque à Ethan et choisis, entre des milliers de morceaux, I fell in love with a dead boy.
La voix d'Antony s'éleva dans le noir, sublime et profonde, confondue au ressac de l'océan.

Un jour, alors que les chansons d'Antony tournaient en boucle dans la maison, Ethan me dit :

- Pour moi, cette musique, c'est toi : mystérieuse, profonde, mélancolique, belle et insaisissable comme ton âme fêlée.

 


Un peu d'Antony :
I fell in love with a dead boy
River of Sorrow
Child of God
The Lake
Deeper than love 

Par Chut ! - Publié dans : Juke-box
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Vendredi 14 novembre 5 14 /11 /Nov 05:06
J'ai découvert Damien Rice par hasard.
Coup de foudre immédiat.
Mais je ne me risquerais à parler
ici ni de sa musique, ni de sa voix, ni de son univers. D'autres l'évoquent, l'effleurent si bien ailleurs, avec tant de délicatesse et de poésie...
 

J'ai juste envie de parler de ça, d'une vidéo trouvée en farfouinant sur la toile.
C'est du live dans un décor aussi grandiose qu'intimiste. Sur scène, Damien Rice, Lisa Hannigan et leurs musiciens.
Au sol, des dizaines de bougies allumées.
Sur le mur du fond, l'ouverture en triptyque d'une fenêtre vitrail.
On se croirait dans une cathédrale. C'est fait exprès, bien sûr, parce que cette chanson-là, c'est un appel autant qu'une célébration.

La mélodie est d'abord égrenée au piano, relayée à la guitare. Puis la voix de Damien s'élève, douce, aigu, un peu cassée :

Cold, cold water surrounds me now,
And all I've got is your hand...
Lord, can you hear me now ?

Lord, can you hear me now ?
Lord, can you hear me now ?

Lisa est à genoux, tête baissée, comme recueillie en une prière. Elle se lève pour chanter à son tour, raide telle une communiante, les mains tendues le long du corps. Avec sa peau pâle et ses
longs cheveux dénoués, décoiffés, on dirait une madone ou une femme qui vient de jouir.

Alléluia
Hoooo, I love you
Don’t you know I love you
And I always have...
Alléluia
Will you come with me ?
Cold cold water surrounds me now...

Lisa complète et reprend les paroles en écho, les mains jointes en une prière.
Leurs voix s'appellent, se répondent, s'entrelacent. Harmonie parfaite du demi-chuchotement au plein, du plein à l'intensité mystique.
Leurs visages sont concentrés, comme fermés sur leurs os. Leurs yeux clos, comme s'ils voyaient ou cherchaient une lumière dans leurs orbites. Et bien que repliés à l'intérieur d'eux-même, transportés, ils donnent. Un souffle, une émotion, une énergie, quelque chose d'indescriptible qui me court sur l'échine, me fait dresser les cheveux, me colle la chair de poule.


Am I lost now ?
Am I lost now ??


C'est la question de toutes les angoisses, de toutes les nuits blanches et noires. De tout homme perdu dans ses ténèbres, butant contre des portes fermées.
Et ça monte, ça monte... Comme une évidence, une douleur ou une transe. Comme un appel qui traverserait un mur invisible en saturant l'espace.

Soudain, en une sorte de vrille, le chant bouddhiste
"Nam Myoho Renge Kyo" se superpose aux deux voix. D'abord doucement, comme une caresse gutturale, puis graduellement si fort qu'on ne les entend plus. On ne voit que les visages habités de Lisa et Damien, chantant toujours plus fort au cœur du tumulte.
Et l
a chanson explose en un fracas d'instruments et de voix. Éparpillées mais ensemble, soudées comme les ténèbres à la lumière, comme la pluie à la terre.
Puis tout s'éteint dans la douceur du violoncelle.
C'est magnifique. Sublime.

Plus de titres de Damien Rice... juke-box frustrant, parce qu'il fallait bien choisir !
- Delicate
- Grey room
- Rootless Tree
- Accidental babies
- Elephant
Par Chut ! - Publié dans : Juke-box
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Mardi 15 janvier 2 15 /01 /Jan 19:11

undefined
À chaque fois que j'écoute cette chanson, je retourne en Chine.
Jujube (mon i-pod) était tombé en panne à Dalat, dans le sud-ouest du pays. Impossible de le faire réparer là-bas... Je me résignais à voyager sans musique jusqu'à Kunming. Et même si la ville regorgeait de magasins informatiques, remettre Jujube d'aplomb ne fut pas une mince affaire.
Au bout d'une après-midi entière de manipulations, il ressortit de la boutique en état de marche... mais intégralement vide, à l'exception d'un titre de rock qui cartonnait dans le pays !

Le "nourrir" dépassait mes capacités (ou ma connaissance du chinois : j'ai bien expliqué ça et là que je voulais remplir
Jujube... mais avec avec mes dix pauvres mots, personne ne m'a comprise !).

Heureusement, sur l'île de Hainan, tout s'arrangea : je sympathisai avec deux Suédois munis d'un ordinateur. La totalité de leur fichier musique atterrit dans Jujube. Je découvris ainsi la production
made in Sweden, une foule de chanteurs "ados", des groupes métal... Pas fan de tout, mais c'était toujours mieux que rien.

Puis, par une journée torride sur la plage, la lecture aléatoire s'arrêta sur
Mister Jones. Coup de foudre immédiat. Je la passais et repassais sans m'arrêter. Je m'endormais avec, me levais avec. Me serais volontiers baignée avec, si Jujube avait été insubmersible.
Certaines chansons sont comme des personnes : elles vous apprivoisent, vous prennent par les sentiments, vous accompagnent partout. Vous les avez dans la peau, la tête, le cerveau.
Ce fut le cas de celle-ci. Elle m'a suivie jusqu'à la fin du voyage, bercée dans les bus et les trains, remonté parfois le moral. 

Un flash parmi d'autres : je suis à Sanya (la station balnéaire en vogue de Hainan), assise au fond d'un bus avec
Giuseppe, un Italien de Shanghaï. Nous revenons de la plage en partageant le casque de Jujube : un écouteur pour chacun. La voix chanteur des Counting Crows nous égrène ses Mister Jones à fond dans les oreilles. Giuseppe entonne le refrain à pleine voix, faisant se retourner nos voisins. Je regarde par la vitre le soleil se coucher, les couleurs pâlir lentement. Alors que le paysage défile, j'ai l'impression que la mélodie s'agrège à la route, aux arbres, aux collines. Comme si le décor lui-même devenait musique.

À Shanghai, Giuseppe m'a gravé plusieurs albums des Counting Crows. Je les ai beaucoup écoutés à mon retour en France. Mais malgré mes recherches, jamais je n'ai retrouvé la version de Mister Jones qui me plaisait tant.
Certains souvenirs sont destinés à le rester. Ce n'est peut-être pas un mal, finalement.



Pour écouter Mister Jones :
-
One of my favourite...
-
La "classique"

Par Chut ! - Publié dans : Juke-box
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Dimanche 23 décembre 7 23 /12 /Déc 15:51
J'aime Brigitte Fontaine. Brigitte Fontaine m'horripile.

Mamie déjantée, grande bringue dégingandée vêtue de fringues improbables, le visage ravagé par les abus, Brigitte Fontaine est une gueule. Mais surtout, une grande gueule.

Je détesterais l'interviewer. Coriace, la bête ne se laisse passer à la question. Elle a le sens de la formule mais pas celui des convenances. La politesse de la patience, ça la gonfle. Elle se moque des journalistes et de leurs questions idiotes. Elle esquive les autres ou répond à côté... quand elle répond. Elle soupire, éclate de rire à contretemps, s'agite sur son siège, se lève.
En un mot, elle fait son show.

Je l'imagine bien se planter devant la caméra pour jeter :
"Mais je ne suis pas folle, vous savez !"
À la voir, on pourrait en douter. À mieux l'observer, on s'interroge : quelle est la part du vrai, la part du masque ? Si Brigitte souffre de folie, c'est de folie douce. Quand Brigitte délire, elle se parodie avec un clin d'œil en coulisses, qui laisse entendre : "Ah, mes cocos, je vous ai bien eus !"
Brigitte a la clownerie juste des bouffons des rois, qui s'autorisaient à tout dire sous couvert d'étourderies et de bons mots.

Sur scène, poupée mécanique aux ressorts grippés, elle bouge moins qu'elle ne tressaute. Elle ne chante guère, elle récite, elle éructe, elle braille. Elle occupe l'espace, elle vibre, elle donne le tournis.
Un concert de Brigitte, c'est une grosse poilade assortie d'une volée de claques en pleine figure.

Certaines de ses chansons (L'Île*, La Cour*, Belle abandonnée**, Il se mêle à tout ça**...) sont de magnifiques poèmes. "Amour" peut certes y rime avec "toujours", mais sans la facilité des phrases creuses :
L'ombre énorme et brûlante tournant toujours
Était une pesante dame d'amour.


D'autres chansons (La Femme à barbe**, Le Magnum**) sont des champs (chants) magnétiques hallucinés, dignes d'un Breton sous acide, proférés d'une voix martiale. Prodiges d'écriture automatique, tranchante comme un scalpel, aussi brûlante qu'une lame chauffée à blanc. Pliés à sa fantaisie, les mots s'y appellent, s'y enchaînent, métamorphosent la nuit en femme à barbe, venue d'Ispahan ou de Tarbes ; le matin en épée de dieu, lancée pour nous crever les yeux.

La cosmogonie de Brigitte ? Le soleil, fauve en rut qui ne manque jamais son but ; la terre, os disparu dont rêvent les chiens dans les rues ; les astres, bijoux d'or, oubliés par la Castafiore.

Brigitte ou la cacophonie du chaos. J'adore.

* Album Les Palaces.
** Album Genre Humain.

Par Chut ! - Publié dans : Juke-box
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