Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Il est une heure. La nuit est sûrement piquetée d'étoiles, mais je ne vois que le plafond. En montant dans le ferry après une journée de bus, j'eus un hoquet, comme
la secousse d'un cahot en enfer alors que j'étais encore embuée de paradis.
Le mien s'appelait Perhentian Kecil, une île de Malaisie vierge de
voitures et de routes.
Électricité capricieuse quelques heures par jour, sommaires bungalows avec matelas sur planche de bois, moustiquaire et ventilateur
anémique. Devant ma porte, une petite terrasse dotée d'un hamac.
Je m'y étais étendue un soir avec Apeh.
Nous avions failli tomber malgré son corps de lame puis, nous raccrochant l'un à l'autre, cherché le bon point d'équilibre. Jambes encastrées au miennes, fesses contre bassin, nous guettions ce
moment de suspension parfaite, où tout mouvement annule le mouvement.
Nous n'avions ensuite plus bougé ni parlé, comme si nos mots hésitants
pouvaient compromettre ce merveilleux équilibre, faire fondre nos ailes de cire pour nous jeter au bas de notre nacelle.
Plus tard, lorsque je poussai la porte du bungalow, Apeh me suivit.
Il partit au petit matin. Je sortis
de la chambre avec retard, la peau fragile et les yeux cachés de lunettes de soleil, le suivis sans savoir que déjà je suivais une autre route.
Celle-ci m'emmenait vers un autre homme que j'avais aussitôt baptisé "samouraï".
Ses yeux allongés d'asiatique, son bandeau de pirate, son visage fin sont dans mon esprit étroitement liés à ce lieu, à sa
magie, à ces jours de chaleur indolente coupée du froid de l'eau.
En fermant les yeux, je revois
les siens se poser sur moi à la proue du bateau. Sa main qui m'effleure le bras, me caresse l'épaule dans un geste tout naturel. Son buste courbé, accordé au mien en un parfait arc de
cercle.
Nous parlons. Non, nous chuchotons à voix basse de conspirateurs.
Notre discussion a beau n'avoir que peu d'importance, nous ne voulons pas être entendus. Lui, moi, le bateau... C'est notre bulle
interdite aux autres, si fragile qu'un rien pourrait la crever, compromettre comme la veille avec Apeh un merveilleux instant de bonheur.
Soudain nos corps se détournent à regrets. Basculent en arrière depuis la coque. Sombrent dans l'eau
translucide.
Aussitôt nos regards se cherchent et se trouvent, brusquement soulagés de ne pas s'être
perdus.
Nous descendons dans le bleu, moi renversée sous lui, sous ses lèvres qui me sourient malgré le détendeur alors que du mien
jaillissent des bulles ricochant sur son torse, se faufilant le long de ses épaules pour dessiner autour de sa tête un halo.
À ce moment je sais, sans l'ombre d'un doute, que ce soir je serai sous lui encore, mains pressées contre ma bouche à jouir de son sexe, tour à tour le provoquant et l'implorant de ne pas venir
pour faire s'étirer, longtemps, jusqu'à la rupture, les minutes de cette autre nuit suspendue.
J'aimerais que le matin n'arrive
jamais, parce qu'au matin, il s'en va.
Le ventilateur s'éteignit.
La fatigue nous renversa en lame de fond, trempés de sueur, de salive,
de cyprine et de sperme.
- Viens, dit-il en se levant et m'offrant sa
main.
Je me pelotonnai entre ses bras. L'eau glacée de la douche nous fit renaître.
Renaître avant une autre petite mort.
Il partit le matin, Ethan arriva le
soir. Trois jours plus tard, nous posions le pied sur un navire chargé jusqu'à la gueule. Les provisions en bas, les passagers en haut, entassés sur de minces matelas. Des cales montait les
vapeurs fétides des durians, le remugle trop salé des poissons séchés.
Ethan et moi nous allongeâmes, tout habillés, sur deux couches voisines. Tandis que le navire commençait sa lente traversée, je
sortis mon IPod, proposai un casque à Ethan et choisis, entre des milliers de morceaux, I fell in love with a dead boy.
La voix d'Antony s'éleva dans le noir, sublime et profonde, confondue au ressac de
l'océan.
Un jour, alors que les chansons d'Antony tournaient en boucle dans la maison, Ethan me dit :
- Pour moi, cette musique, c'est
toi : mystérieuse, profonde, mélancolique, belle et insaisissable comme ton âme fêlée.
Un peu d'Antony :
I fell in love with a dead
boy
River of Sorrow
Child of God
The Lake
Deeper than
love
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