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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Samedi 9 janvier 6 09 /01 /Jan 13:10

Requins Impossible de fermer l'œil. Les heures passent et j'erre dans la maison, de la terrasse au salon, du salon à la terrasse. 
Je sais que je dois dormir car je plonge demain. Très tôt pour moi, le bateau quittant le port à 7h20.
J'allume quelques cigarettes. Pas trop. Je me rationne, veille de plongée oblige. Plus tôt, dans le restau le plus chic de l'île, avec chef médaillé aux fourneaux, je n'ai bu qu'une bière. Un vrai gâchis avec le délicieux rôti d'agneau.

Autour de moi, ça picolait sec et mon regard filait souvent sur les verres de mes voisins.
Du vin blanc. Je n'en bois presque jamais, il me donne mal à la tête.

Je rentre plus tôt que les autres. Je veux me reposer pour être en forme demain.

Ethan revient, tard, s'affale sur le lit. L'écran de son ordinateur me gêne, comme le son qui sourd à travers son casque. À moins d'être épuisée, je ne peux dormir avec de la lumière et du bruit.

Et plus je sais qu'il me faut dormir, moins je dors. 
Depuis que je suis gamine c'est comme ça.
Je migre dans la petite chambre. Le lit n'est pas fait mais... trop paresseuse pour mettre des draps. Je m'allonge à même le sommier. Le ronronnement du ventilateur me dérange. Obstinément bloqué à l'opposé du lit, il pulse l'air de l'autre côté de la pièce et je crève de chaud.

De nuit la maison m'a toujours paru moins accueillante. La faute à ces ampoules trop blanches à économie d'énergie.

Sur la terrasse, sans les coussins et les cigales, on se croirait à l'hôpital.

Je veux la réaménager. Je dresse la liste de mes futurs achats en espérant qu'elle me pousse dans le sommeil. Souvent, pour m'endormir, je fais des listes.

Les gens que j'ai perdus de vue. Mes amants. Les endroits où j'ai dormi. Les livres que j'ai lus cette année. Les noms des célébrités à initiales identiques. Bercée par la litanie rassurante des noms, j'ai rarement pu dépasser Danielle Darrieu.


Requins 2Je me mets sur le dos. Je respire profondément. Mon portable indique 3h30.

Désolant.
Je me retourne, m'agite pour dissiper une petite angoisse en caillou dans la chaussure. Celle de la plongée de demain.
C'est Ethan qui l'a organisée, pour me faire plaisir, je crois.
Dans moins de cinq heures nous devons nous jeter à l'eau avec un mélange spécial dans notre bouteille : de l'air enrichi à l'oxygène ou Nitrox.
Point de vue sécurité, le Nitrox diffère de l'air normal. Il est pour chaque mélange une profondeur maximale à ne pas dépasser sous peine de rester au fond.
32% d'oxygène, 34 mètres.
Ce n'est pas ça qui me turlupine. L'ordinateur rivé à mon poignet me bipera si je flirte de trop près avec cette limite.

 

La vérité est que depuis longtemps je n'ai pas plongé si profond. Je suis portant déjà descenduebien plus bas.
La vérité est aussi que sur ce même site, il y a longtemps, j'ai eu une mini-crise de panique, probablement due à l'ivresse des profondeurs.
Elle a peu duré, une poignée de minutes à peine, mais je me souviens parfaitement de cette oppression brutale, de cette sensation de manquer d'air, de mon cœur affolé et de mes muscles tout raides.
Mon binôme, pressentant mon malaise, m'avait tapoté le bras :
- Tout va bien ?
Rassurée par sa présence, j'avais formé de mes doigts le signe convenu, le O de oui, pour m'enfoncer plus profondément dans le bleu.
Ce n'était rien. Rien qu'une micro-alerte vite dépassée mais qui, ce soir, repousse en écharde sous la peau, grossie par l'omniprésence de la nuit.

À 5h30, j'abandonne la partie.

Inutile de m'obstiner à poursuivre un sommeil qui ne cesse de se dérober.
Je me lève pour empoigner un demi-litre de lait et une ration de corn-flakes.
Une heure plus tard, c'est Ethan qui, me cherchant dans la maison en titubant de fatigue, est stupéfait de me trouver en tête-à-tête muet avec un bouquin, une assiette de pétales de maïs racornis à portée de cuillère.
- Déjà debout ?
- Dis plutôt "pas couchée et en pleine forme", ironisé-je.
J'accomplis à rebours le chemin qui mène à la grande chambre, le remorquant pour m'échouer entre ses bras, molle et moite comme un berlingot trop cuit.
- On peut annuler la plongée, propose-t-il en lissant mes cheveux emmêlés de trop de luttes.
- Mais... les bouteilles que tu as spécialement commandées ?
- Pas un problème. Elles sont remplies, elles peuvent attendre un autre jour.
- Mais...
- Non, je t'assure, on annule si tu veux.

Barbapapa-2.jpg J'écoute l'orage gronder de l'autre côté des vitres, la pluie cingler les carreaux.

Je suis déçue. Déçue de ne pas avoir trouvé le sommeil réparateur dont j'aurais eu besoin.

Déçue de repousser ce qu'Ethan, malgré ses journées chargées, a planifié pour me faire plaisir.

Déçue de ce temps qui n'est même pas de la partie.
Alors que je me débats entre la couverture et l'oreiller, Ethan me redit d'une voix apaisante :
- Restons là si tu veux. Inutile d'y aller si tu ne le sens pas.
- Mmmh.
Non, vraiment, c'est idiot.

Voilà trop longtemps que j'attends cette plongée à deux. Lui, moi, l'océan et les requins taureaux par trente mètres de fond.
Si je ne me lève pas maintenant, la journée me filera entre les doigts. Gâchée, inutile, dépensée au lit, prisonnière des rets de l'épuisement.
"Encore une journée d'foutue", serine Higelin sous mon crâne.
Non. Cette journée-là, je veux la vivre, même à moitié.
Je jaillis des draps.
- Je me prépare. On y va.

Sur la proue du bateau, dos au vent et à la pluie, j'ai froid. Un froid salutaire qui me fouette le sang, les épaules et la volonté.
- C'est magnifique... dis-je, embrassant d'un même geste le ciel et la terre, ouvrant les bras au jour nouveau.
Le paysage alentour, îlots paresseux pressés de nuages noirs et de rayons obliques, a des airs de fin d'univers ou de sublimes commencements. Une brume persistante habille d'une gaze délicate les îles perdues dans la distance alors que notre navire, tanguant et roulant sur les vagues mauvaises, cingle vers un point secret de l'océan.
Tous les matins du monde et moi au milieu, si petite et immense avec ce cœur en expansion, débordant de mes côtes pour se fondre dans le bleu, le blanc, le gris.


Les requins 3bisSerrant les coudes contre ma poitrine, je retourne à flanc du bateau, dans cette coque de bois de laquelle je m'apprête à m'arracher pour sauter dans le bleu, défiant la pesanteur pour flotter, enfin libre de toute entrave.
Pour certains la plongée est défi et découverte.

Pour moi aussi, mais si je creuse, elle est avant tout méditation, suspension dans un monde qui me lave de la terre et me liquide de moi-même.

Jamais si parfaitement moi et une autre alors que j'évolue, femme et poisson, bras et jambes repliés, à la fois fondue et étrangère à cet élément qui me constitue.
L'eau. L'eau qui coule, me ravine, me divise, me régénère.

À gestes sûrs, précis, concentrés, mille fois répétés, je prépare mon équipement. Ajuste les sangles sur la bouteille, pose mon masque sur mon gilet, mes palmes en dessous en parodie de corps que je vais bientôt remplir de ma chair.
Ethan et moi sommes les premiers à nous extraire du bateau.
Alors que nous nous enfonçons dans le bleu sombre, la fatigue dessine sur mon masque des cercles colorés, aussi verts et jaunes que des blessures encore fraîches.
Délaissant les routes des autres plongeurs, nous traçons notre chemin à la boussole. Par trente mètres nous les voyons, émergeant comme d'un rêve des particules en suspension, nous épiant pour mieux nous rattraper et tourner autour de nous en une valse lente, si gracieux que c'est à en pleurer.
Les requins taureaux.

L'échelle du bateau me cueille en plein jour les yeux saturés d'étoiles.
J'emporte sur la terre la vision d'un autre monde. Celui des grands fonds et du ciel enfin réunis dans le sommeil, tendre et opaque comme l'eau qui m'a baignée ce matin-là.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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