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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Vendredi 1 janvier 5 01 /01 /Jan 17:12
EFRLe jour dit, je me présentai au centre de plongée. Il portait un nom court et un peu pompeux, suggérant qu'en matière de pionnier, il se posait là.
Je souris. Vu l'abondance de l'offre sur l'île, trouver un label pour sa boutique
devenait difficile. La "marque de fabrique" de ce centre, c'était d'être le premier... du moins sur les sites de plongée. Ce qui signifiait, en clair, un départ dès potron-minet.
Tout le monde dans le bateau à 6h00 du mat', et vogue la galère.

Je pensai à mes difficultés chroniques de réveil,
cerveau embrumé et paupières collées, à mon estomac mal arrimé au petit matin.
Nouveau sourire.
Finalement, leurs horaires pas raccord avec les miens, je m'en fichais : la formation de secouriste, prélude à celle de Rescue diver, est surtout théorique. De fait, seule la langue du manuel de formation m'importait.
Bien que capable de le lire en anglais, je l'avais demandé en français. Par paresse, mais pas seulement : j'aime l'exactitude, surtout quand elle est technique. Vitale, même. Et je pressentais des difficultés à étudier dans une langue autre que la mienne.

Je me souvins de ce voyage au Népal où, nantie du Lonely Planet anglais, je devais relire trois fois la même page pour mémoriser une information. Les phrases passaient dans mon cerveau en courants d'air, bribes de mots limpides mais aussitôt éparpillées par un vent mauvais, feuilles mortes qu'il me fallait ratisser, encore et encore, pour obtenir un tas.
Je me souvins du geste dont j'accompagnais chaque question de mon compagnon de route : un mouvement ondulatoire du poignet arrivant à mon oreille droite pour aussitôt ressortir par la gauche. Et lui qui se marrait en résistant à l'envie de me pincer le nez comme s'il s'agissait un remède à l'oubli chronique.

Pas de bol pour moi : le manuel français n'était pas encore arrivé. Piaffant d'impatience, j'empruntai à Derek le sien dans la langue de Shakespeare et cinglai vers un coin de paradis : l'AC2C ou un restaurant en bout de plage, là où le sable s'incurve pour heurter les rochers.
L'endroit n'était pas choisi au hasard.
A
lors que je pensais ne jamais revenir sur l'île, j'y ai pris un dernier dîner. Regardé, avec l'intensité des visages aimés qu'on ne reverra pas de sitôt, la lune, ronde comme un œuf dans une poêle à frire, cuire les flots.
Lorsque je quittai la terrasse, je goûtai le bois nu sous mes pieds, en éprouvait la résistance puis la déformation que mon poids lui imposait, songeant, comme dans la fable, à ce qui plie mais ne rompt pas. Me demandant si moi, j'allais de retour en Europe plier, résister ou me rompre, avec la brise du soir tour à tour sifflant à mes oreilles en vent de panique et s'apaisant en bouffées de murmures rassurants.

Femme MuchaUn geste pour chasser les souvenirs.
Me voilà à nouveau sur la terrasse garnie de coussins et tables basses, mordant sur l'eau à marée haute.
À gauche, j'ai vue sur une balançoire bougeant mollement sous les à-coups de la brise.
À droite, sur les barques ancrées dans la baie. Spécialement la plus petite, bleue et blanche, jusqu'à laquelle je me suis obligée à nager pour décrire autour de son ancre un boucle parfaite, trichant à peine pour me reposer sur son cordage.

À part un gars qui fume des clopes en tournant les pages d'un bouquin, le lieu est désert. Ni groupe excité, ni bébé hurleur, ni couple s'étreignant dans une parodie de coït, personne pour me gâcher mon plaisir. Même le serveur au visage d'idôle de temple khmer est complice de ma tranquillité.
Vautrée sur les coussins,
enduite de crème solaire, repue de nouilles épicées et de jus de pastèque, encore mouillée de mon dernier bain, j'ouvris le livre de formation au royaume de la félicité.

Pourtant, les accidents et procédures de premiers secours inclinent peu au repos, moins encore au bonheur. Ma lecture, c'est du drame en barres, de l'horreur violemment injectée dans la croûte du quotidien, précise, froide et détaillée en autant de coups de scalpel.
Soudain, devant vous, quelqu'un s'effondre, suffoque ou pisse le sang.
Description des gestes à faire, de ceux à éviter.
En préliminaires, toujours les mêmes recommandations : museler son instinct qui nous hurle de nous précipiter pour s'arrêter, observer, réfléchir. Ne jamais, jamais se mettre en danger pour sauver quiconque.
Charité bien ordonnée commence par soi-même.

Avec le recul, je crois qu'une triple barrière
m'a protégée cet après-midi là : celle du soleil, de la langue étrangère et de l'écrit.
Le soir venu, enfermée dans la petite chambre de ma maison, je visionnai en français la cassette accompagnant le livre. À deux minutes du début, la tête déjà farcie, je sortis fumer une cigarette sur la terrasse.
Ethan et Laura, la deuxième colocataire, explosèrent de rire.
- Déjà ?
- J'en ai marre
, dis-je. J'ai bossé tout l'après-midi, je repasse au français, je suis fatiguée, je patauge.
- Déjà ?

Je retournai dans la chambre à demi-vexée. Remis le casque et appuyai sur play.
À cinq minutes, devant un Américain étendu raide par terre, une grosse boule m'obstrua la gorge. Lorsque, sur le plan suivant, une femme inconsciente prit sa place, des larmes jaillirent  mes yeux.

Des images jusqu'alors refoulées remontaient en force. Des images que je n'avais jamais vues qu'en cauchemar ou qu'imaginées, mais avec la vigueur de la raison faisant barrière. Des images qui, à force du temps et malgré le rapport de gendarmerie, étaient devenues irréelles, vidées de leur substance par les mois, les années passées à les user.
La neige en furie déferlant sur ma mère, l'emportant, la roulant, la cassant, pulvérisant sa nuque qui, dans la chambre funéraire, était un puzzle d'os sous mes doigts.
Le signal d'alerte.
L'hélicoptère.
Le guide creusant la neige avec ses gants, puis à mains nues pour l'extraire de son tombeau.
La respiration artificielle. Les compressions sternales qui ne servaient à rien puisqu'elle était déjà morte.

J'arrachai le casque, comprimai de mes paumes mes sanglots de petite fille.
Inspirer, expirer pour chasser la douleur avec mon souffle, l'expulser dans un soupir. Vider le trop plein, l'expurger comme les scories d'un mauvais texte pour mieux les réintégrer, patiemment, à cette histoire qui s'est écrite malgré moi, dans mon dos, à mon insu.
Cette histoire de béance et de blancs, de pleins et de déliés qui est la mienne.

EFR 3 Là, il me fallait suturer la plaie brutalement réouverte, poser des mots sur le vide, tisser une passerelle en échelle de corde entre le monde et moi, verbaliser pour dire la douleur qui revenait, lancinante, me fouaillait le cœur et me retournait pour me laisser à nu, fragile, alors que je ne m'y attendais pas.

Laura, délicate, s'esquiva dans le salon. Je parlai à Ethan, assez longtemps pour laisser filer le désarroi et la colère, apaiser le tourbillon de mes émotions, rassembler mes forces pour remonter sur le ring et réenfiler les gants.

Dans la petite chambre, la cassette m'attendait. Je la visionnai d'une traite.
Le lendemain je mettrais en application ce que j'avais appris. Coûte que coûte et vaille que vaille.
La solution de facilité, abandonner, n'est jamais une solution.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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