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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

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Nouvelles et essais

Dimanche 27 janvier 7 27 /01 /Jan 16:04

Putain du seigneurElle a les bas résille, la jupe courte en cuir, le soutien-gorge qui remonte les seins, les gants en mauvaise dentelle. Elle a le parfum bon marché, les bijoux clinquants. Elle a le rouge à lèvres très rouge et le mascara très noir. Elle a les hanches et les jambes aussi, et la flamme dans l'œil.
Elle a toute la panoplie, tout l'attirail.
Elle est la putain et ce soir la putain retrouve l'homme de sa vie. Beau de l'orteil aux maxillaires, élégant de la coupe impeccable du pantalon jusqu'aux poignets de la chemise infroissable.
Trois cents euros la chemise, elle s'en souvient.

Elle marche en roulant des fesses. Les hommes la dévisagent. La plupart se retournent. Certains la sifflent. Un lui lance :
- Tu me tailles une pipe, poupée ?
Un petit garçon la contemple, émerveillé :
- Maman, regarde la dame comme elle est belle !
Sa mère le tire brusquement :
- Tais-toi ! Dépêche-toi ! La dame, c'est une méchante femme.
- C'est quoi une méchante femme, maman ?
- C'est une prostituée.
- C'est quoi une prostituée, maman ?

Elle marche
à sa rencontre. Le voit enfin. Sur son passage les femmes murmurent :
- Quel bel homme ! Quelle classe !

Et la putain, avance, avance vers ce bel homme. Ils doivent se rejoindre là où les lumières scintillent comme des phares,
juste au milieu du boulevard, sous l'affiche Cabaret.
Comme il a ralenti l'allure, elle arrive avant lui. L'attend.
Un type s'approche :
- C'est combien ?
- Tire-toi.
- Allez, c'est combien ?
- Tire-toi, je te dis.
- Eh, mais t'es une pute !
- Tire-toi.
Le type serre les poings. Elle recule. Il s'en va.

Soudain, il apparaît à ses côtés. Il rit et demande à son tour :
- C'est combien ?
- Deux cents.
- D'accord.

Il prend la putain par le bras. Ils marchent enlacés, points de mire des regards hostiles des passants.
Elle chuchote :
- La putain du seigneur.
Il répond :
- Le seigneur de la putain.

Ils arrivent au pied de l'hôtel. Cinq étoiles au fronton.
Elle siffle entre ses dents :
- Tu fais bien les choses, dis-moi...
- Oui. J'avais envie de bien les faire, pour une fois.
- C'est réussi. Enfin... ce sera réussi si on me laisse entrer.
- T'inquiète pas.

Il pénètrent dans le hall. Le portier regarde l'homme puis
dévisage la femme avant de leur barrer la route.
- Monsieur ?
L'homme a un geste de supériorité indifférente. Déjà, l'employé courbe l'échine.
- La chambre 32, s'il vous plaît.
Le réceptionniste lui tend la clef avec une répugnance affichée. L'homme la prend, la fait sauter dans sa paume et glisse dans un sourire narquois :
- Merci. Trop aimable.

Ils montent dans la chambre. Elle se jette sur le lit. Il se jette sur elle.
- Baise-moi.
- Si je veux.
Il sort les billets de son portefeuille. Les pose en évidence sur la table de chevet.
- N'oublie pas qui tu es.
Alors elle ouvre sa braguette et prend son sexe dans sa bouche.
Elle le regarde. Il la regarde. Elle s'arrête.
- Continue.
- Non.

Elle ôte ses bas, sa jupe, ses gants, le maquillage qui dessine de grandes traînées rouges et noires.
- J'en ai assez de ce jeu stupide. Je ne suis pas une putain !
Il la serre contre lui et elle supplie :
- Fais-moi l'amour comme à ce que je suis. Ta femme.

Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais - Communauté : xFantasmesx
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Vendredi 25 janvier 5 25 /01 /Jan 05:19

undefined Un homme, un petit homme qui marche dans les rues. Il avance et dans sa tête fredonne une rengaine qui parle d'un amour déçu puis retrouvé.
L'homme pense :
- Mais alors, ce n'était plus le même amour.
Et il sourit, pour lui-même et aux passants.

Il marche et regarde le visage des femmes, mais à la place de leurs yeux il voit leur sexe qui lui fait de l'œil. Leur sexe qui s'attarde, le fixe droit dans les pupilles, leur sexe doux et profond sous le coton de leurs cheveux, si proche lorsqu'il les croise et si lointain lorsqu'elles sont passées.
Autant de sexes différents que de femmes dans la rue, autant d'endroits où il souhaiterait poser une main qu'il ne posera jamais.
Femmes mûres, sexes mûrs, puis une jeune fille et un sexe tendre sur son visage, jumeau de celui qui tremble sous sa jupe qui se relève.

La jeune fille qui pleure passe tout contre le petit homme, l'évite d'un souple mouvement de hanches. Lui, il fixe sa jupe et sa main sur son sac en cuir.
Il se retourne : le sexe mouillé et caché, la jupe. Et sous la jupe les jambes qui lui adressent des signes jusqu'au coin de la rue.
La main était blanche sur le cuir du sac.
Le petit homme soupire. La jeune fille portait une alliance à l'annulaire.

Sexe promis, sexe captif, cette jeune fille c'est Marie et Marie pense à Arnaud qu'elle vient de quitter et que déjà elle a envie de rejoindre.
Elle regarde sa main : l'alliance forme un petit cercle brillant comme le cercle de son amour. Elle enlève la bague et l'enfouit dans sa poche.
Cette alliance enlevée, c'est une bague de pacotille semblable à celle que porte Arnaud.

Le petit homme continue sa route. Il a oublié les paroles de la rengaine et en invente une autre parlant de sexes qui pleurent et de jupe qui se dressent toutes seules.
Il pense à la jupe de la jeune fille, Marie pense à Arnaud et Arnaud pense qu'il est en retard.
Courir, il n'arrête pas de courir et il s'épuise à vouloir rattraper ce temps qu'il ne rejoindra jamais. Il remonte les heures jusqu'au début de la journée. Si mal commencée avec un filet de sang sur la joue.
Fichu rasoir...
Il faudrait acheter une lame neuve. Mais aujourd'hui pas plus demain il n'en aura le temps.

Fichu rasoir, fichue coupure, aujourd'hui est une journée entre parenthèses, pleine de contrariétés, de silences, de mots à éviter. Une journée qui ne compte pas, dont les moments ne comptent pas. Dans leur longue suite, quelques instants à sauver, peut-être : celui du visage de Marie appuyée contre la porte, les seins dans le noir ; celui de l'étreinte ; celui du plaisir.
Mais, déjà, ces moments s'évaporent dans la buée de la grande ville et reculent devant l'instant présent : celui de la course pour rien, si ce n'est pour arriver en retard.

Fichu temps, fichu retard, fichu rasoir, fichue journée... Et cet arrêt de bus qui s'éloigne à mesure qu'il se rapproche, comme un mirage vers lequel il tend ses jambes impuissantes.
"Distance, fichue distance, distance entre moi et cet arrêt, distance entre moi et elle, elle, elle c'est toi Marie, toi si douce et moi si dur, corps doux, corps dur, sexe dur en toi.
C'était si beau sous les draps, cette chaleur au milieu de ta poitrine, cette écorchure par ma faute, je l'ai baisée. J'ai demandé pardon, pardon pour la brûlure et pardon. Pardon pour quoi ? Pardon pour tout.
Fichue coupure, fichue brûlure, fichue absence... Et cet arrêt de bus que je n'en finis pas de rejoindre..."

Le petit homme lisse un épi dans ses cheveux, Marie s'arrête devant la glace d'une boutique pour se recoiffer, Arnaud effleure la petite cicatrice à son menton. Il grimace, le petit homme grimace de se voir si laid dans les reflets des vitres, Marie grimace en frottant la brûlure entre les deux seins.

Le petit homme chantonne à mi-voix. Il entre dans un café et commande une bière. Plongent ses lèvres dans la mousse. Marie caresse ses lèvres en pensant aux baisers d'Arnaud, Arnaud se mord les lèvres. Le bus qu'il devait prendre vient de passer devant lui.
Il s'arrête de courir pour attendre le suivant. Il peste avant de rire de sa colère. Le petit homme rit. Il a déjà fini sa bière, il en voudrait une autre, puis une autre encore, il aimerait être ivre pour ne plus songer au sexe de la femme en face de lui.
Il ne veut plus y penser mais il pense qu'il y pose sa bouche. Il pense qu'il pourrait être amoureux, amoureux comme dans la rengaine, d'un amour déçu puis retrouvé. D'un amour différent de l'amour rapide entre les portes battantes des hôtels.
Pas cette fois, l'amour des hôtels.
Aujourd'hui, il veut l'amour chez lui, avec renversée
sous lui cette femme sur les draps propres, et dans sa bouche le goût d'un sexe qui ne s'ouvrirait que pour lui.
Pas cette fois, l'amour à la va-vite, pas aujourd'hui.

"
Pas cette fois, pas aujourd'hui", se dit Marie. Et pourtant, les larmes roulent sur ses joues.
Pas cette fois, pas aujourd'hui, et pourquoi pas aujourd'hui, finalement ? Aujourd'hui est un beau jour pour s'attendrir, le ciel est bleu, bleu comme l'intérieur de ses jambes ouvertes ce matin dans la lumière des rideaux ouverts, puis dans la pénombre des rideaux fermés.
Bleue comme une orange, bleue comme cette brûlure qui la cuit sous sa chemise.
Mais quelle brûlure ? Timidement, elle ose un mot. L'amour ?

"Interdites, ces deux syllabes, interdites !", "Interdit, aujourd'hui cet amour sur les draps propres...", susurre le petit homme en regardant les jambes croisées, "Interdit, monsieur, interdit !!", lance le contrôleur à Arnaud qui, renonçant à attendre le bus, enjambe le portillon automatique du métro en brandissant sa carte orange.

Marie marche et sèche ses larmes, le petit homme boit une sixième bière, la vision des jambes est trouble et sur ce flou se détache, très net, le renflement d'un triangle imaginaire, Arnaud dans le wagon égrène sa journée, le café tiède dans le bol bleu, le café brûlant dans la tasse de Marie, puis le café renversé entre ses seins.
Et le cri de Marie, sa main sur la marque rouge.
Et le cri dans l'amour, avec la crispation des hanches.
Et l'ascenseur, cette longue descente pour s'arracher à la chambre où il aurait aimé s'engourdir, pour courir.
Et Marie sous la douche avec l'eau ruisselant sur son visage fermé.
Et le petit homme qui remet son pantalon jeté sur la chaise, sous les yeux de cette femme qui a écarté ses jambes dans la lumière crue de midi, pile au moment du baiser d'Arnaud sur le pas de la porte.
Et puis la porte la porte de la chambre crasseuse qui claque, avec la femme qui suit le petit homme pour reprendre son poste dans la rue.
Et la porte de l'appartement que ferme Marie pour laisser Arnaud seul dans la cage d'ascenseur.

"Demain, peut-être", a dit Arnaud en partant, "Demain, peut-être", a répété Marie qui demain lui ouvrira et lui dira
en se déshabillant : "Ici, maintenant" ; "Demain, peut-être, dit le petit homme qui ira dans les bars à la recherche d'une femme qui se laissera aimer, ou aimera une autre femme qui ne se laissera pas aimer.
Mais pas d'ici ni de maintenant dans les bras d'Arnaud,
pas d'ici ni de maintenant pour ce rendez-vous manqué à l'autre bout de Paris, à cause du bus, du retard et de l'amour avec Marie, pas d'ici ni de maintenant pour le sexe de cette femme qui monte avec un client.

Ici, c'est la rue dans laquelle on marche seul, le quai désert de la périphérie parisienne, le café avec la bière renversée sur la table et le verre brisé.
Et maintenant, c'est l'attente, le vide du désir et le désespoir.

Demain, peut-être, qui sait ? Qui sait ?
Ni le petit homme, ni Marie, ni Arnaud.

Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
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Vendredi 11 janvier 5 11 /01 /Jan 19:47
Triste temps,
Tristan
À ne pas mettre un chien dehors
Mes idées sombres vont dérivant
Glissant comme des plongeurs morts
Au gré du courant

Triste temps,
Tristan
De moi la rivière fait son lit
Son flot se glisse entre mes cuisses
Et son étreinte me refroidit
Sur les cailloux qui me meurtrissent

Triste temps,
Tristan
Des algues poussent sous mes paupières
Mi-minérales mi-végétales
Mes pupilles explosent en geysers
Couleur rouge pétale

Triste temps,
Tristan
Mes doigts durcis se changent en pierres
Une méduse dans mes cheveux
Ose inviter ses congénères
À se repaître de mes yeux

Triste temps,
Tristan
Corps morcelé
Sans cœur ni tête
Sans tête ni pieds
Tout en arêtes.


Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
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Jeudi 10 janvier 4 10 /01 /Jan 03:46
Voici le dénouement... Mais pour le début de l'aventure, marche arrière ! :)

3 – SUCCÉDANÉ

Presque deux semaines s'étaient écoulées sur nos (d)ébats.
Deux semaines et beaucoup de retours, déjà : celui des amis qui lui voulaient du bien ; de la bonne copine qui insistait pour le voir tous les soirs, mais nu entre ses cuisses ; des dîners en bande au restau ; des dimanches en banlieue sous la tonnelle familiale.
De la vraie vie, en somme. De celle dont il m'excluait, en fait.

Insidieusement, l'actif avait viré au passif. À force de mettre des plus partout, nous en étions arrivés aux moins.
Dermott s’était rhabillé pour un été frisquet, son café ne réveillait plus les morts, sa lampe à phallus restait éteinte sur sa commode, son broken beat n’était plus que broken à défaut de beat.
Plus de soleil la nuit, qu’une lune morne à travers les nuages. Plus de retours guillerets chez moi, m
a vue s’était brouillée d’eau.
Notre théâtre vivant s’était vidé, place aux fantômes.
Embrasée plus qu’embrassée, je me mis à l’attendre au coin du bois, plus exotique que le coin de la rue. Sacrée invitation pour se faire avoir au tournant, ça.

La chair est triste et j’ai lu tous les livres…
Je retournais à la bibliothèque.
Sage précaution. Face au téléphone,
j’eu le temps de beaucoup lire sans être interrompue. Arrivée en bas de page, j’essayais de la tourner. Mais quelque chose m'en empêchait. L’angoisse de la feuille blanche, peut-être. Celle qui est à écrire alors que l’encre fait désespérément défaut.
Aucun doute, le début rejoignait la fin.

Mon briquet rouge avait raté son allumage, notre flamme pris des allures de pétard mouillé. Seul mon deuxième cadeau, Les Racines du mal, restait d'actualité. Voilà qui n’était pas mal trouvé, même sans chercher.

Je ne pensais pas, non plus, que l’infidélité viendrait si tôt. La maîtresse de Dermott avait changé, je soupçonnais même son initiale : F. Mais de Florence, Fanny ou Françoise, point. De fatigue, beaucoup. Fatigue… Maître-mot d’un abandon qui s’accomplit en douce et vous allonge sans poser de questions.
Cette maîtresse, je l’avais souvent fréquentée jadis. Je connaissais ses pointes sèches qui creusent les contours. Ses traits cernés à coups de pinceau. Ses repentirs avant de passer à l’encrage.
Je sais que la fatigue rend la main malhabile et mène à l’épure.
Oublier les fioritures, glisser l’esquisse dans un carton, le remiser au rayon des affaires classées... J'ai pratiqué. Seul manquait au tableau le coup de gomme final.


Je suis injuste, probablement. J’exagère, sans doute. Mais mesure et modération n’ont jamais été mes forts. La preuve ? Sur les étagères de l’amour, je ne me suis jamais rangée au bon endroit. Ni rangée tout court. Il est des cases qui manquent, et pas seulement dans ma tête. Je fais partie de ces récipients estampillés « défaut de fabrication » : attrayants à première vue, mais fragiles, poreux et prêts à se casser entre les doigts en blessant.
Le rouge du sang est aussi signe de vie.
L'hématologie était la spécialité de Dermott. Aussi ne fut-il pas surpris lorsque je décidai de stopper l’hémorragie. L’heure tardive aidant, il prit
même le parti d’être franc : dévêtue sur son lit, je lui plaisais énormément. Sinon, ça se discute.
« Je t’aime beaucoup. »
« Tu me plais beaucoup. »
Dans les phrases de Dermott, il y avait toujours un mot de trop. Pas de bol, c'était toujours le mauvais.
Je claquai sa porte en doutant de la langue française. Pourquoi de savants théoriciens prétendent-ils que deux vrais synonymes n’existent pas ?
Pour Dermott, celui de « coucher » était « faire l’amour ».
Pour moi, celui de « franchise » était « cruauté ».

À y songer, tout cela était déjà plié : excitantes nos étreintes et exquise ma compagnie, cela faisait nombre d’ex. Et exquis n’est pas si loin d’exit sur la carte du Tendre, version amour vache. De détour par le lac de la Tranquillité, point. Car Dermott ne m’aimait pas, c’était un fait. Et non des moindres.
Son superflu était mon essentiel. Une vie sans superflu est assez triste. Mais une vie sans essentiel est invivable.
Bien que médecin, il ne pouvait m'anesthésier de ce mal-là. À se demander à quoi servent tant d’études, hormis à se cuirasser le cœur et à trouver charmantes des filles que l’on n’aimera jamais, même avec des louches de bonne volonté…

Certaines fractures ne se résorbent pas.
Lorsque la gangrène s'est installée, autant éviter emplâtres et attelle pour couper court.
- Je ne veux pas te faire de mal.
En guise de vœu pieux, il y a mieux. Surtout prononcé par un homme qui vous piétine le cœur. À son corps défendant, paraît-il. Mais ce n'est ni une consolation, ni un début d’excuse, ni même une vérité.

- Je ne serai jamais ton amie.
- Je sais.
Chute de rideau dans la sciure. Applaudissements du public. Claquement de talons et claquage de porte. Le troisième étage me tendait ses marches. Je n‘avais qu’à les dévaler sans me prendre les pieds dans le tapis. Trop facile avec ma jupe large et mes chaussures plates.

Je rentrai dans mon antre fêter à grandes eaux ma place de perdante. En ressortis la semaine suivante pour une tournée nocturne de cigarettes et tombai sur un copain fêtard.
Le hasard arrange parfois bien les choses.
Une fermeture de bar plus tard, nous étions deux plus un :
à mon copain s'était adjoint un garçon au physique décoratif de jeune premier, avec lequel je passai ce qu’il restait de la nuit. Ni confident ni premier rôle, il s’invita en troisième couteau. Je le reçus en figurant pour jouer le rôle de la fille qui s'allonge. Couchée, certes, mais indifférente à la lutte de nos corps sur le sommier. Si peu concentrée que je me fourvoyai sur son prénom. Tellement ailleurs que je m'en aperçus seulement lorsqu'il leva la tête, abasourdi, en glapissant sa didascalie :
- Hein ?

Le lendemain, je me ruai à la douche pour enlever le maquillage. Sous l’eau courante je n’avais plus la main baladeuse. Il me tardait d’en finir.
Post coïtum animal triste. Je l’étais au-delà de la mesure conseillée.
Nous nous embrassâmes sur le pas de la porte. Je fermai les rideaux et pris un bouquin. Il s’appelait Se perdre. Vaste programme pour un petit appartement.

Oui, sans conteste, on vit dans un monde injuste. Dermott, en me rappelant, l'apprit à ses dépens. Au lieu de me précipiter rue de la Croquette, je repoussai nos rendez-vous aux calendes grecques ;
renvoyai sa personne à tous les diables et son cœur aux filles qu'il préfère : de belles brunes dotées de longues jambes, de taches de rousseur et d'immenses yeux bleus.
Un peu salope, les brunes, si possible. Mais point trop quand même.
Parce que dans le fond, ce garçon est fragile. En creusant bien. Sur un chantier. À la pelleteuse.
Mais si je dois superviser l’avancée des travaux, par pitié, prêtez-moi un casque. Parce que la suite, je ne veux pas l’entendre. Je la connais sur le bout des doigts.

Et si mon chien laisse encore des poils sur le pantalon de qui que ce soit, ma décision est prise : je l’étrangle.
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
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Mercredi 9 janvier 3 09 /01 /Jan 03:05
Ami lecteur, le début est plus haut... up, up !

TACOTAC (suite)

Dermott respecta avec scrupule les lois de l’hospitalité : qui invite mène la visite. Après une station au salon, je fus conviée à poser mon soulier dans la chambre. Il me souleva telle une brindille pour m'y porter.
Terminus, tout le monde descend sur un lit de 2m20. Seule, j’y aurais été perdue. Avec lui, j’y étais comblée.
La réalité dépasse parfois la friction.

Jeux de jambes et appels du pied. Cris et chuchotements. Nos vêtements atterrirent en boule aux quatre coins de la pièce.
Souffles accordés, mains pressées, nos corps se cherchaient pour s’apprendre. Apprendre… je ne demandais que ça. J’écartais ses livres pour emprunter le plus court chemin entre travail et plaisir. Pratiquais le raccourci comme d’autres la brouette japonaise.
Dermott changea la musique entre deux baisers. Des myriades multicolores éclatèrent sur l’écran de son ordinateur. Ensemble de formes géométriques se cherchant, se frôlant, s’entrelaçant sous hypnose. Feu d’artifice sans fard, révélation des sens. Je perdais le nord dans ce bal magnétique qui se jouait paupières closes à guichets fermés.

Les corps ne savent pas mentir, le mien encore moins. Le désir me vrillait de sa grenaille de plomb. G
renade dégoupillée. Ravissement en bombe à neutrons. Lui et moi brûlions sans cessez-le-feu nos premières cartouches.
Entre nous cette nuit-là, seule la littérature formait écran. À l’heure encore incertaine des politesses, nous avions parlé des Liaisons dangereuses. Roman qui me concernait au premier chapitre. Dermott, ayant suivi mon discours à la lettre, me prenait pour une Merteuil croqueuse d’hommes. Mais dans son grand lit, je n’étais qu’une Tourvel répugnant à le consommer trop vite.
Le "trop" souvent écœure et nous n’en étions qu’à la mise en bouche, dans une position qui ne manquait pas de piment. Malgré mon appétit, je voulais rester sur ma faim pour remettre le couvert à une prochaine. À chacune sa petite cuisine.
La mienne me conseillait de ne pas être anthropophage.

Pourtant, j’aimais son corps délié et sa nudité sans complexe, paradant lumières allumées et rideaux ouverts. Ses mains aux ongles si rongés qu’il les cachait au creux de ses paumes. Sa lèvre supérieure plus épaisse. Son profil buté.
Selon une amie, les vraies beautés étaient celles de profil. Vu sous cet angle, Dermott décrochait la palme.
Décrochée, précisément, j’aurais voulu l’être. Décrochée plutôt qu’accrochée, toujours.

Mais voilà... J’aimais tant sa peau qu’il devait y avoir un péché là-dessous. Les vœux de modération ne servent de rien lorsqu'on a la ferme intention de recommencer. Dans les plus brefs délais si possible.
Dermott le voulait. Moi aussi.


Mes nuits n’étaient plus faites pour dormir. Couchée, cinq heures. Levée, six heures. Je menais une double vie sans tromper quiconque, don de double vue oblige : de mon lit je suivais Dermott partout, en catimini sous la douche puis à la gare, incognito dans le train et au labo.
Vivre pour soi est déjà épuisant. Vivre pour deux est tuant. Au bout de cinq jours, j’étais morte.
Il me fallait renouer avec des moyens oubliés des histoires anciennes. Je marchais des heures dans la ville. J’achetais des stylos, des cahiers remplis de pages blanches. Me réconciliais avec l’écriture. Repris la gymnastique du coude levé pour le cul sec des fonds de verre. Me poussais au point de rupture. Et quand l’épuisement ne suffisait pas, j'avalais des somnifères.
Mes nuits étaient moins belles que ses jours.

À ce train-là, notre première semaine fut brève et éblouissante. Aveuglante de soleil par des nuits sans lune. Dermott luttait contre la fatigue pour me voir, faisait du café à réveiller les morts, vidait ses placards pour mon appétit d’oiseau, puis s’endormait dans l’oreiller. Je le déshabillais et partais comme l’on s’esquive. Vite, avant que le carrosse ne se transforme en citrouille.
Car mine de rien, des grains de sable s'étaient glissées dans le conte de fées.
De tous mes parfums, Dermott préférait celui du premier soir. Je le remis donc. Mais il préférait toujours celui du premier soir. Soit sa madeleine proustienne était définitivement rassise, soit son nez vraiment bouché.

Il
me complimentait sur mon dos, ma taille, mes yeux, mes caresses. Gentillesses pour mieux me vider son sac et déballer que non, toutes les femmes offertes n'étaient pas des cadeaux. Que le droit de cuissage avait parfois des allures de devoir. Mais qu’au jeu du qui perd gagne, j'avais décroché le gros lot de la semaine.
Je comprenais que, décidément, j'avais le ticket.
Que ma voix lui parlait, surtout quand elle n’articulait pas.
Pour l’éloge de l’intelligence, prière de postuler au second tour.


Un jour, un autre, puis un autre encore. L’écheveau du temps et les lignes de son corps se dévidaient sous mes doigts. Je veillais à ne point y mettre les ongles. Patte blanche patte de velours, gare aux gestes inconsidérés. Tombé sur une faille que l’on ne soupçonnait pas, o
n écorche parfois sans vouloir blesser.
Des failles, je lui en prêtais beaucoup sans lui en connaître aucune.
J'avais beau les chercher, je repartais bredouille. À croire qu'il était l’exception qui confirme la règle, soit un garçon pas comme les autres. Par principe ou par système, Dermott parlait très peu de lui. Du coup, mes conclusions épousaient les courbes de l’encéphalogramme plat : chez lui, rien à recoudre ni à suturer. Les lèvres de ses plaies restaient obstinément closes. Pour l’opération à cœur ouvert, changez de bistouri et contactez un autre médecin.

Tempête, gros grain ou orage glissaient sur cet homme imperméable. Ouvertures à vif, déchirements, laissez ces saletés à d’autres. Lézardes, entailles, fêlures qui accrochent, écorchent ou écharpent, vous plaisantez, je suppose. Rangez donc le sparadrap et allez voir ailleurs si Dermott s’y trouve.
Avec un peu de chance, vous l’y rencontrerez.
Trente et un ans et des poussières de vie à se planquer à l’abri, à se cadenasser en jetant la clef. Et moi qui débarquais en croyant le mouiller… Quelles que soient mes questions, je me heurtais au silence en épine dans le pied, sans pince ni loupe pour l’enlever.
Il n’y avait certes pas de quoi faire un éclat. Juste matière à y laisser des plumes et trésors de patience. Lassée du courant alternatif, j’optai pour l'électrochoc. Sortis des ténèbres nantie d'une révélation qui n’endommagerait ni ma rétine ni mon cristallin. Car la réponse de Dermott fut aussi claire qu'eau de roche :
« Je suis d’humeur égale. »
Merci de la précision. L’évidence aurait crevé d’autres yeux que les miens sans rendre les borgnes aveugles.
En résumé : sa vie était aussi lisse que les tables du bar où je l'avais connu.
J’invoquais les proverbes qui parlent d’eau dormante et de feu sous la glace, en attendant qu'éclate le vernis. Celui même qu'il détestait sur les ongles des femmes, surtout s'il était rouge.
« Le rouge est vulgaire. ».
Je ne te le fais pas dire. Voir rouge face à un mur est d’un mauvais goût achevé, d’une indécence rare. Et le rouge de la passion carrément porno, surtout en levrette sur un lit de 2m20.
La vérité, c’est que je ne la trouvais pas.

Paradoxalement, si Dermott restait muet sur son compte, il était prolixe sur le nôtre. De demi-déclarations en moitié d’aveux, il m’entraînait sur un terrain si glissant qu'inévitable, le claquage de cheville se profilait.
Réflexion faite, je préférais le silence qui laisse supposer le pire comme le meilleur. Du mien il s’étonnait parfois. Surprenant ? Non. Plus tu parles, plus je suis autorisée à me taire. Ce n’est pas que je cours moins vite que toi. Pas du tout. En dépit de tes longues jambes et de mon paquet de clopes quotidien, tu me rends même deux longueurs.

« Ma chérie, caresse-moi le dos. »
Et moi de m’exécuter dans un sourire béat. Autres temps autres mœurs. Les miennes n'étaient plus guerrières. Avec d'autres, j'aurais eu en guise de douceur la main lasse et non lascive de la caresse en paire de claques. Celle qui remet les idées en place et la tête dans le traversin.

« Dis-moi quelque chose de gentil, même si ce n’est pas vrai. »
Avec d’autres, cela n’eût guère tardé, après choix de la version: brutale du coup de pied ; civile du soufflet ; impolie de la grimace. Suivie du ramassage de fringues pour fuir illico, au cas où le mal serait contagieux.

« Tu verras, tu prendras goût à moi. »
Avec d’autres, l’affaire eût été entendue : l’autocongratulation et l’assurance m’ennuient. Que les prétendants au titre de petits-maîtres s’ébattent ailleurs que dans mon jardin. Nul besoin de vanter ses entournures pour valoriser le costume, un bon tailleur suffit.
Mais le pire est que Dermott avait raison, sauf pour la conjugaison : point de futur, que du passé composé. Goût comme pli étaient déjà pris.

« Nous finirons fous amoureux, mariés avec plein d’enfants. »
Tu parles, Charles. Finir n’est pas un aboutissement, le mariage et les enfants pas une consécration. Je le plaisantais sur d'interminables week-ends à Trifouilly, avec effluves de sandwiches et de chien qui pue. Nous avions fini par en rire, ce qui n’était pas un aboutissement non plus.
Au fond, cela n’était pas drôle. À moins, bien sûr, de rire aux larmes pour s’étouffer avec.
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
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Mercredi 9 janvier 3 09 /01 /Jan 01:52
Vous tombez sur cette page avant La Caresse en paire de claques (1) et (2) ? Remontez un peu !

2 - TACOTAC

Au TacOtac de l’amour, « une chance au grattage, une chance au tirage », je croyais avoir tiré le bon numéro. Bercée par les affichettes des tabacs annonçant chaque semaine un super gagnant, j’avais cru lire mon nom en toutes lettres. La faute à cette myopie galopante que mon ophtalmologiste renonce à
opérer et s'acharne à corriger : on ne se refait pas si facilement.
Poker et psychanalyse, même combat.
Jouer franc jeu, voilà une belle phrase... sur le divan ou dans les romans. Car à l’heure des cartes sur table, croyez-moi, mieux vaut se garder une poire pour la soif, un os à ronger et un as dans le revers de sa veste.
Histoire de mieux prendre celle qui suit.
Entre le pigeon et le dindon, il y a toujours une histoire de farce. Et la différence ne tient qu’au livre de recettes. C’est trop tard qu’on s’aperçoit à quelle sauce on a été accommodée puis mangée. Alors, si un expert ès plats du jour vous invite à visiter les cuisines, refusez tout net : il s'y trouvera toujours un gâte-sauce pour vous précipiter dans la marmite, là où il vous en cuira.

Dans notre début de parcours, ma route et celle de Dermott - l’homme tronc - n’avaient rencontré ni feux rouges, ni déviations, ni sens interdits. La ligne à ne pas franchir étant encore loin, nous
convergions vers un proche embranchement.
Marche avant toute, sans ratés ni accrochages.
Le deuxième jour, après l’épisode des poils de chien, je tournai la clef de contact et lui offris mon premier cadeau : un briquet rouge. Couleur de l’amour pour allumer sa flamme et ses cigarettes.

Le troisième jour, débrayage. J’étais d’humeur mélancolique et Dermott de passage. Notre tête-à-tête prit des allures de tête-à-queue. Il partit pour l’exposition d’une obscure artiste Chinoise. Je restai face à un sombre sentiment de fête manquée, une chaise et deux tasses vides. J’aurais bien bu à la sienne dans un baiser froid, mais je m’abstins. Je me contentai de rafler les sucres de sa soucoupe et en bourrai Socrate.
Le plus content de nous deux, c’était bien lui.

Le quatrième jour, nous passâmes à la vitesse supérieure, en roue libre et au régime du tout permis. Une page arrachée à un agenda et roule ma poule : Dermott avait mon numéro, moi le sien, histoire d'enrichir mon opérateur et sa collection de coups de fils.

Au sixième jour, il était temps d’appuyer sur le champignon. Je l'appelai. Il décrocha.
Grésillements. Friture sur la ligne en guise de coup de feu inaugural. Salutations sur les starting-blocks, égrènement des « Ça va ? » pour partir du bon pied, courtes phrases dans une
rapide foulée. Nul besoin de second souffle pour connaître l’euphorie de la course de fond. J’ignorais encore que la nôtre se jouerait sur quatre cents mètres - la distance de chez lui à chez moi - et non sur un marathon.
De fait, cinq minutes suffirent. Quand le désir s'en mêle, les longs discours sont inutiles.
Fesses sur le parquet et combiné raccroché, je remerciais France Telecom qui simplifie la vie des gens (mais allait compliquer la mienne), Socrate et son incontinence capillaire. Mais ce jour-là, ma gratitude eut des limites : la tournée de vessie canine serait pour plus tard. Conviée à sabler le champagne, je refusais de trinquer dans le verre du quotidien.
Remisé dans son panier, Socrate me regarda vider les lieux les yeux humides. Eh oui, le bonheur est égoïste et les chiens fidèles, le mien est bien payé pour le savoir.

Avec Dermott, nous projetions d’aller au cinéma. Tartuferie des débuts. Au lieu de me diriger vers une salle obscure, je cinglais vers son appartement.
Deux cents mètres de piste balisée dans le tout droit-à gauche-traverser sans regarder et, déjà, la respiration me manquait. Un simple accident de parcours et j’achèverais mon tour de piste face sur le trottoir. Alors… adieu veau, vache, cochon.
Perspective aussi réjouissante que de me jeter du cinquième étage duquel j’étais descendue.
Pour une soirée placée sous auspices animaliers - Socrate exclu - c’eût été vache, voire rosse.

Six-neuf, rue de la Croquette. J’arrivai enfin, déchirant le ruban de la victoire.
Dermott m’avait indiqué les codes de ses portes d’entrée.
« Homme bien gardé en situation d’ouverture », pensais-je en pianotant sur le clavier métallique.
Mais en cette matière, nous allions nous borner au matériel. Au bois, au fer, à l’acier trempé. À un tout ce qui vous blesse, vous glace, vous brise le nez.

Trois étages, trois coups pressés. Sa porte s’ouvrit.
Aucun doute possible : nous étions seuls et Dermott toujours aussi grand. À hauteur de baiser, son sternum ou son tee-shirt, incongrus pour une première prise de contact.
Je me bornais donc à l’embrasser du regard. Il se plia en quatre pour atteindre ma joue. Principe biblique oblige, je lui tendis l’autre en un recueillement parfait.
Il ne manquait plus que les grandes orgues pour commencer la messe.
Elles se turent néanmoins. Côté musical, Dermott ne vibrait que sur la fibre païenne. J’avais choisi le vin, il avait choisi la musique. Preuve qu’il voulait accorder nos violons. Mais dès l’introït se profilait le couac : ce qui tournait en boucle sur sa platine m’était aussi étranger que la demi-mesure.
Je prêtais l’oreille, toutefois. Je n’aimais pas, pourtant. Le broken beat branché dont il faisait ses délices n’était décidément pas dans mes cordes.
Si j’avais su, je lui aurais demandé de changer de disque.

Ce soir-là, Dermott passa l’éponge sur mes débordements. Encore une histoire de maladresse, involontaire cette fois : d’un coup de talon, je renversai sans le casser mon verre en le levant.
Ce soir-là aussi, je fus présentée à ses plantes vertes, ses photos, sa lampe à cire. Une lampe qui chauffe à mesure que la tension monte, libérant des formes phalliques qui s’élèvent en apesanteur. Complices, nous commentions la levée des pénis comme d’autres les passes d’un match de foot.
Ce soir-là enfin, nous passâmes une délicieuse soirée autour de nos verres pleins. Et si j’étais ivre, ce n’était ni de musique ni de vin.
In vino veritas.
La vérité sonna à deux heures du matin, lorsqu'il m’empoigna. Je ne songeai même pas à protester. On se défend rarement de ce que l’on a longtemps attendu. On devrait peut-être, par principe de précaution. Mais, oubliant d’assurer mes arrières, je tombai en avant dans ses bras sur le carrelage froid.

La douceur de sa bouche me fit redouter le pire. Le pire, c’est que la suite allait être bien.
Mieux que bien, même.
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
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Mardi 8 janvier 2 08 /01 /Jan 02:36
Si vous arrivez directement sur cet article, remontez à La caresse en paire de claques (1).
Simple suggestion pour lire la nouvelle dans l'ordre de l'écriture... mais les fans de l'Oulipo peuvent bien sûr la lire dans le désordre !


DEUS EX CANINUS (suite)


Après quelques mois, j’eus besoin d’un voyage sous des cieux plus chaleureux. Je cassai ma tirelire, partis en Grèce trois semaines et revins bronzée, regonflée à bloc par l’amitié d’une fille proche de mon cœur, mes valises lestées d'une histoire d’amour classée sans suite.
Sous le lumière resplendissante d’Athènes, les cafés parisiens et la silhouette courbée de l’homme tronc avaient perdu de leur éclat. Mes coups de soleil avaient balayé ses T-shirts sur mesure et ses piles de paperasses.
Je n’avais nulle envie de reprendre les choses où je les avais laissées (pas très loin...), et encore moins la force de continuer l’assaut répété de mes maladresses.

Continue ta route, je vais mon chemin ; s’il me mène dans un lieu où tu te trouves, cela s’appelle monotonie.
Point à la ligne.

C’était compter sans l
es poils de chien.
Les poils de chien... Véritable calamité domestique qui tombe en rafales, s’accroche et ne se laisse pas mater à coups d’aspirateur. J’avais beau passer le mien chaque jour, j’en trouvais davantage le lendemain sur mon plancher bleu, et dans des endroits inattendus :
- entre les feuilles de mes classeurs (bien qu’intelligent car répondant au nom de Socrate, mon toutou était loin de griller l’homme tronc sur le podium de la lecture. Les trois mots jamais enregistrés par son étroite cervelle se bornaient à assis, couché et chocolat – ce dernier ayant largement contribué à lui inculquer les deux autres) ;
- sur la cuvette des toilettes (mener Socrate baptiser poteaux et roues de voiture était une corvée mais, en dépit de mes efforts, il ne savait pas se servir des sanitaires) ;
- dans mes chaussures (mon chien ne souffrant pas d’une déformation des coussinets, nous ne faisions pas la même pointure).

Les poils de chien, donc. Ce truc infâme, collant et pelucheux qui s’accroche partout, et tout spécialement sur les pantalons des hommes troncs.
Oui, le fameux mimétisme de la sagesse populaire « Tel chien, tel(le) maître(sse) » a raison. Car à peine installé sur le plancher et sous la banquette de notre habituel café, mon clébard fut la proie incontrôlée d’une transe extatique. Tirant sur sa laisse, frétillant du croupion, roucoulant du flanc, il mimait la parade du pigeon en rut. Et le destinataire de cette danse de séduction n’était ni un caniche pure race ni le morceau de sucre qui se racornissait à côté de ma tasse.
Non. Pas du tout.
L’heureux élu était le jeans de l’homme tronc. Ou ses chevilles. Ou ses chaussettes. Ou ses chaussures. Question d’odeurs o
u de lignes, peut-être. Ou d’un improbable bâtard entre effluves et esthétique. Bref. Ce qui causait un effet bœuf à mon clébard était situé en dessous de la ceinture, et tout prêt à recueillir les poils de chien.

(Il y aurait beaucoup à écrire sur la télépathie canine. Non que le bas-ventre de mon voisin m'intéresse - un homme tronc étant par définition asexué -, mais quand même : les femmes revenant du soleil athénien ont des faiblesses à ne point trop creuser, surtout par une grisâtre après-midi dans un café.)

Je m’excusais comme ceux qui ne se sentent pas vraiment coupables. M’épanchais sans demi-mesure dans le mea culpa de la demi-saison, cause certaine de chute capillaire. Me battais avec vigueur la coulpe du poil de chien.
Pour un peu, je me serais même enhardie à épousseter d’une main diligente les vestiges de mon clebs frétillant.
Pour un peu… Réfrénant des ardeurs ménagères que je n’avais pas pour mon appartement, je me contentais de sourire d’un air benêt, les yeux rivés sur la bouche de l’homme tronc. Car ce que je découvrais déclenchait une secousse maximale sur mon échelle de Richter. Un cataclysme intérieur, une onde de choc qui menaçait ma santé mentale immédiate : cette bouche parlait.
Me parlait.
À MOI.
À moi perdue quelque part entre une migraine tenace, un stylo baveux et un café allongé ; à moi égarée aux confins d’un univers anti-érotique balisé d’aspirine, de taches d’encre et de sucres emballés.
L’homme jadis tronc me parlait, donc. À
l’évidence il était urgent de se rendre, histoire d'un jour lui répondre.
Mais de quoi me parlait-il, au juste ?
De poils de chien, sans doute. De changements de saison, peut-être. De failles abyssales dans la mer des Sargasses, éventuellement. Ou de jeans tout terrain qui ne craignent ni les débordements des chiens amoureux, ni ceux du café tiède que je lui renversais sur le genou gauche.
Peu importait. Poils de chien, changements de saison, failles abyssales, genou gauche ou droit, je découvrais que l’homme tronc avait comme tout le monde un cerveau et des dents. Et un joli sourire – ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et une voix toute masculine. Et que, tout compte bien fait, je ne méritais ni le titre de plante verte, ni celui de potiche, ni celui de papier ripoliné.
Certaines montées en grade vous font chaud au cœur. Puis froid dans le dos.

Secouée de frissons, je buvais les paroles de l’homme tronc
à défaut de mon café.
Retranscrire son discours par le menu serait chose difficile. Le résumer est plus aisé, il tient en une courte phrase :
« Hommes petits, chérissez votre destinée. »

Vous qui ne dépassez le mètre 80, bras levés et talonnettes aux semelles, n’enviez pas les hommes, même troncs, qui vous dépassent de la tête et des épaules. Bénissez votre taille L et laissez le X aux salles spécialisées. N’ayez pas cette folie des grandeurs préjudiciable au système respiratoire : au-delà de deux mètres d'
altitude, l’air se raréfie, le cerveau est moins bien oxygéné.
Tout bien pesé, les avantages de la petitesse – ou de la simple normalité - sont innombrables.

Grands, vous traceriez un trait sur vos balades incognito.
À tous les feux, les passants lâcheraient la bride à leurs idées bizarres. Envieux, ils vous demanderaient le nom de votre équipe de basket ; agressifs, ils voudraient savoir si « petit vous étiez déjà grand », en déployant sans autre forme de procès leur double toise.
Si en plus vous jouissez d’une bonne vue, vous aurez plus
souvent
qu'à votre tour mal au cœur : hauteur ne signifie pas élévation, et la beauté du monde réside parfois dans le rase-mottes. Grands, vos yeux auraient pour horizon immédiat une marée de pellicules, de calvities naissantes et de cheveux gras.

Grands, vos rapports avec les autres s’en trouveraient compliqués.
Pour un peu, on vous surnommerait « monsieur Torticolis ». Certes, vous n’y pouvez rien, à l’horizontalité de l’univers urbain, ni à tous ces lieux où se soutiennent des conversations verticales. Mais ceux qui se démanchent le cou à vous regarder se lasseront. Car il est plus simple de vous vouloir à vous, grands, qu’aux entreprises de voirie.

Grands, vous seriez condamnés à la solitude des hautes sphères. Comme le dit la fable, « on a toujours besoin d’un plus petit que soi ». Vous auriez ainsi besoin de tout le monde, et personne de vous. En matière de réciprocité et partage humains, on fait mieux.

Tout ceci sans évoquer vos relations avec les femmes. Pas toujours sexuelles, surtout quand on vous accuse de lorgner dans tous les décolletés. Les grands attirent les jalousies comme les aimants la limaille de fer.

Enfin, pour clore le chapitre, votre vie serait un enfer matériel de portes pas assez hautes, de panneaux trop bas, de pantalons trop courts.
Grands, vous seriez toujours exposés au ridicule, qui ne tue pas mais fatigue.


A
lors que l’homme tronc me parlait de sa taille, mes esprits me revenaient à une allure de tortue. Heureusement pour moi, un sujet aussi vaste ne s'épuise pas en un quart d’heure - délai raisonnable pour une remise en ordre cérébrale, puisque la cloche des grandes questions avait sonné. Je me devais de résoudre le douloureux dilemme auquel l’homme tronc était chaque soir confronté : dormir les pieds ou la tête hors du lit. Ou, autrement dit, choisir entre le rhume de cerveau ou les engelures.
Après une intense réflexion, je lui suggérai de reposer en biais. Mais ma brillante suggestion ne lui servit de rien. Il avait déjà pris les devants tout seul, comme un grand qu’il est : il avait un grand lit, un très grand lit.
Je faillis m’étrangler dans ma tasse. Allez vous user les yeux sur un homme tronc, vous bâtir des châteaux sur ses articles médicaux et son silence obstiné, devenir moquette sous son regard, vous en arriverez au même point : cet homme a une vie sociale et banale, de la conversation si on le pousse un peu, et un lit.
Un lit dans lequel il s’allonge, dort la nuit et dont vous connaissez les dimensions sans les avoir demandées.
Sauf que ce lit, il ne vous invite pas dedans.

Après cinq mois de patiente observation et de renoncement patient, il y avait de quoi me renverser. Heureusement que j’étais bien assise. Sinon, je serais tombée le cul par terre.
Dans les poils de chien que Socrate avait semés sous la banquette.
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