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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Nouvelles et essais

Mardi 8 janvier 2 08 /01 /Jan 02:14
J'ai écrit ce texte - autobiographique - il y a maintenant sept ans (de réflexion :) ).
J'avais envie de vous le livrer, à peine corrigé. Preuve que l'on peut rire de tout, y compris de soi et de ce (celui ou celle, ne soyons pas sexiste !) qui nous a aplati le cœur, à l'époque...


1 - DEUS EX CANINUS


La première fois que j’ai vu Dermott, j’étais loin de me douter qu’il mesurait 2m02. Il faut dire qu’il était assis - ou plutôt recroquevillé - sur la banquette de moleskine rouge d’un café très parisien, qu’une large allée, deux serveuses et quatre tables nous séparaient et que j’ai une très mauvaise vue. Et les bouffées de fumée que s’obstinait à me souffler mon voisin n’arrangeaient rien à ma conjonctivite chronique.

Ce jour-là, donc, en un novembre pluvieux de l’année 2000, je larmoyais des yeux et Dermott était encore pour moi un homme tronc. Solidement arrimé à un livre épais où il était question de froggies.
Ce jour-là aussi, j’avais un rendez-vous qui m’avait fait louper le clou du spectacle : le dépliage de l’homme tronc. Car, bien que doté de longs bras, de longues mains et d’un buste fort attrayant, l’homme tronc était loin d’être cul-de-jatte. Sans mentir, ses fesses devaient bien culminer à 1m40 du plancher des vaches. De toute évidence, je lui arrivais à peine à la ceinture.

En quittant le café, je me surpris à penser au genre de filles que devait aimer l’homme tronc.
Grandes et maigres sûrement, pour faire pendant à son buste qui annonçait des proportions plus que respectables.
Silencieuses et cultivées, sans doute, pour ne pas déparer le coin lecture qu’il instaurait avec lui-même et sa table. Lire Paris Match en face d’un type qui se délecte d’un bouquin étranger sur les froggies, c’est se condamner à une honte sans faille. Or moi, j’aime bien papoter de la pluie et du beau temps, faire la conversation aux murs si besoin est, Gala en semaine, Voici le lundi, Marie Claire vers le quinze du moins, et malgré mes talons échasses de huit centimètres, le haut de mon crâne atteint à peine 1m70.
Bref, à première vue brouillée, l’homme tronc était destiné à user le fond de son jeans trop large sur sa banquette rouge, à distance très respectable de ma compagnie dont, de toute façon, il n’aurait su que faire.

La vie se résume souvent à une sombre répétition. Surtout pour moi, femme de (mauvaises) habitudes. Couchée bien après l’heure des poules, rarement d'attaque avant midi, j’explore, exploite et épuise toutes les situations du quotidien. C’est ainsi que chaque jour, après une douche brûlante et une large ration de caféine, je prenais, un tantinet fébrile, le trottoir rectiligne qui menait à ce café parisien.
Invariablement, j’y retrouvais l’homme tronc.
Le seul changement notable dans ce décor figé était le titre de son livre. Car il ne faisait pas semblant de lire, le bougre. Il prenait même une sérieuse option sur la Formule 1 du livre de poche. Après les froggies, ce furent Les Particules élémentaires (excellent bouquin, j’approuvais in petto dans mon coin), puis un roman américain format Bible.
Enfin, ayant écumé les rayonnages de sa bibliothèque comme d’autres raclent les fonds de tiroir, l’homme tronc passa à des lectures plus absconses (profanes s’abstenir) : des articles de médecine anglais aux titres incompréhensibles, qui se mirent bientôt à encombrer son maigre champ d’horizon. Son baise-en-ville débordait de feuilles bardées de pattes de mouche et il n’était pas rare qu’il s’étale sur la table voisine, m’invitant ainsi à jouer mon rôle favori : celui de la casse-pieds.

Je survolais de mes yeux embrumés la salle du café et finissais par fondre sur la table surchargée de papiers, l’obligeant à opérer de fatigantes translations spatiales. À mes protestations polies de ne pas vouloir le déranger, il répondait par un sourire tendu, avant de repiquer du nez sur ses feuilles.
Au bout d’un mois de patiente observation à m’en user les cils, mes convictions étaient faites :
1) L’homme tronc était médecin, austère et grand lecteur.

2) L’homme tronc ne se séparait jamais d’un compagnon bruyant, qui se manifestait à tout bout de champ. Se trouver à côté de lui équivalait à superviser le standard d’une entreprise spécialisée en téléphonie mobile – ce qui démontrait que la vie sociale agitée d’un homme tronc est paradoxalement proportionnelle à sa capacité mutique.

3) L’homme tronc avait, malgré son téléphone portable et ses nombreux amis invisibles, un net penchant autiste. Sous ses rares coups d’œil alentour, les gens se métamorphosaient en plantes vertes et moi en potiche. Les autres semblaient lui faire autant d’effet que des bandes de papier peint fraîchement ripolinées et lorsque - une fois n’est point coutume - il se mettait à parler (« Un café s’il vous plaît », « L’addition »), ses yeux prenaient une tangente pressée vers le plancher.

4 ) L’homme tronc collectionnait les T-shirts formatés pour remonter lorsqu’il tendait les bras et bâillait, découvrant une peau brune et soyeuse.

5 ) L’homme tronc et ma petite personne n’étaient pas du tout destinés à nous parler, moins encore à nous connaître, et moins encore à rouler emmêlés sur un quelconque tapis.

Et pourtant… Dans mon enfer personnel et privé je lui tissais déjà une place de choix. Le tout était de l’y mettre, et je ne savais pas comment.

Nul besoin d’une longue-vue pour remarquer que l’affaire était fort mal engagée. Dans l’aquarium de ce café aux vitres embuées de perles d’eau, aux plantes croissant comme des algues sous-marines, aux serveuses gaulées comme des sirènes des Trois Suisses, mes pensées s’engluaient dans un mazout aussi liquide que mon café.
L’homme tronc, lui, prenait des airs de méduse. Un seul regard de ses yeux pétrole et je me changeais en statue tétanisée, cigarette en l’air, sourire imbécile greffé sur le visage. Vus la contraction spasmodique de mes maxillaires, mon manque total d’à-propos et son imperméabilité congénitale, toute ébauche de conversation promettait d’être périlleuse. Ce qui ne m’empêchait pas de me draguer les neurones à la recherche d’une entrée en matière adéquate :
- Vous venez souvent par ici ?
Idiot, j’avais déjà la réponse.
- Alors, comme ça, vous êtes médecin ?
Super. Avec un peu de malchance, il embraierait sur l’épidémie de grippe hivernale.
- Vous avez du feu, par hasard ?
Génial. Une fois son briquet tendu et ma clope allumée, il me resterait à lui demander si sa grand-mère fait du tricycle dans les allées du Père-Lachaise.

Le terrain avait toutes les apparences du glissant. Il fallait donc se rabattre sur du concret. Sur les lois de la physique élémentaire, à défaut du physique engageant. Sur une loi de la gravité terrestre mâtinée de ma gaucherie naturelle : tout objet délogé de sa place finit par toucher le sol.
Je me métamorphosais donc en tombeuse toute catégorie. Devant moi s’ouvrait une radieuse perspective de femme à laquelle rien ne résiste, et surtout pas les affaires d’un homme tronc.
Un simple appel du pied sous la table et tout se ruait à mes pieds : le cendrier, son baise-en-ville, ses feuilles et ses articles.
Il se bornait à ramasser le corps du délit d’une main lasse.
Chaque chute scellait ma victoire et son exaspération.
Au bout de quelques séances de travaux appliqués, la tiédeur de nos rapports avait viré au polaire, avec option sur igloo clef en main.
Voilà qui tombait bien : tant d’indifférence m’ayant habillée pour l’hiver, je ne sortais plus sans mon manteau pure laine.
Par Chut ! - Publié dans : Nouvelles et essais
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