Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Il était penché, studieux. Par la vitre je distinguais les galets parfaitement alignés de sa colonne, ses omoplates en récifs jumeaux, ses épaules en pente douce, ses bras de Vénus de Milo coupés aux coudes par la fenêtre.
Cet homme au dos de marbre avait une immobilité de statue. Je l'observais fascinée, lui prêtant des traits aussi réguliers que la géographie de son buste.
Peut-être fut-ce le poids de mon regard qui le poussa à lever la tête, pensif.
Peut-être fut-ce le hasard.
D'un mouvement coulé semblant chorégraphié à ma seule intention, il se retourna pour s'étirer de tout son long.
Il ne me vit pas figée en contrebas.
La distance rendait son visage flou. Comme si, fraîchement taillé dans le roc, il en sortait couvert de poussière.
Mais peut-être était-ce moi qui ne voulais pas le voir. Car je discernais très nettement la ligne de poils bruns fusant de son nombril à son short de bain.
Explosion d'étonnement ou de désir, un brusque hoquet me saisit. Ma gorge se contracta sous l'impact. Le "huink !" échappé de mes lèvres me parut si bruyant que cet homme, même haut perché, ne pouvait que l'entendre.
Je me trompais. Il ne baissa pas les paupières.
Alors c'est moi qui montai à lui.
Il vit d'abord mes prunelles prises dans un rayon de soleil. Puis mes fesses alors que, penchée, je feuilletais la brochure de l'hôtel. Je feignis d'ignorer son regard qui insistait sur ma croupe, ma taille sanglée par une large ceinture, mes cuisses nerveuses battant la mesure de mon pied nu.
Il avança une main vers mes hanches. En infléchit habilement la courbe pour s'emparer de ma paume.
Son contact brûlant me surprit. Des papillons tourbillonnants semblèrent ricocher contre mon épiderme. Concentrée, comme brute, l'énergie de l'homme voletait vers moi pour se diffuser dans mon sang.
Seconde d'intimité volée, comme électrique.
Gênée, je retirai ma main.
- My name is Niels. Nice to meet you.
Niels avait adopté l'accent nasal des États-Unis. D'origine danoise, il avait cet aspect robuste que, peut-être à tort, je prête aux marins de son pays. Une poitrine impressionnante, glabre, polie, taillée à la hache. Des abdominaux en plaquettes de chocolat. Une bouche si charnue qu'elle paraissait devoir s'écarter sur ses dents. De grands yeux très bruns qui contrastaient avec ses cheveux blonds.
Un bel homme, sans doute.
Niels était en vacances avec un ami. Sympathique, drôle, bavard, Benjamin cultivait un easy going nord-américain, amabilité sans chichis ponctuée de solides éclats de rire.
Le lendemain nous nous retrouvâmes sur le bateau. Niels, occupé à passer son Open Water*, resta à quai. Il s'enferma dans la salle de cours en regrettant de ne pas être du voyage.
Les plongées furent courtes. Je ne m'en plaignis pas. Dès la première le froid me saisit. Glacée, tremblante, je remontai sur le pont, me désharnachai, enlevai ma combinaison trempée, m'allongeai en plein soleil et m'assoupis.
L'ombre de Benjamin m'éveilla. Prévenant, il m'apportait un café chaud et des miettes de conversation. Qu'il m'invita, à notre retour, à prolonger au restaurant.
Notre déjeuner tardif se conclut par une proposition en points d'interrogation.
Si j'étais libre ce soir, nous pourrions dîner ensemble. En compagnie de Niels s'il souhaitait se joindre à nous. Et si lui, Benjamin, avait entre temps récupéré de ses plongées. Deux et il était déjà à demi mort de fatigue.
- Why not ? répondis-je.
Cela faisait beaucoup de conditions, autant d'inconnues qui me laissaient libre de me rétracter. Benjamin avait beau être agréable, je ne sortirais pas de chez moi si Niels déclarait forfait.
C'était aussi clair qu'inavouable.
À neuf heures arriva le message que je n'attendais plus. Benjamin, dans un lieu que je déteste. Le genre d'endroit avec une musique assourdissante et des serveuses habillées comme des putains. Je n'ai rien contre les putains. J'ai même failli en être une. Mais les Philippines grimées pour la chasse au Blanc m'agacent, ou plutôt m'attristent.
Diplomatiquement je demandai si Niels était du dîner.
Il en était.
Je mis une robe noire et du mascara. Marchai sur la route sombre en guettant un habal-habal. À cette heure-là, personne. Je me résignai à gagner le restaurant à pied quand une moto s'arrêta.
Mon soir de chance, apparemment.
Les deux garçons partageaient une table trop large. À peine assise et déjà l'impression d'être à des kilomètres. La musique nous contraignait à parler fort. Je repoussai le menu pour commander un simple Coca. Pas faim, merci. Mon dîner est déjà là, à engloutir un énorme hamburger en s'aspergeant les doigts de sauce.
De quoi vous dégoûter d'être carnassière.
Retour en moto serrés l'un contre l'autre. L'amorce du désir, en général. Sauf que là, je n'éprouvais pas grand-chose.
J'accusai le vent. La fatigue. Tout mais pas ce beau garçon blond au souffle lourd sur mes cheveux.
Ma terrasse. Un verre et une paume qui filait sur mes jambes. De baisers en caresses, je me glissai sur Niels pour l'enfourcher. Lui pétrissait ma chair telle une pâte à pain, faufilait ses doigts sous les manches de ma robe et mon soutien-gorge, puis par le bas, sous ma culotte.
L'un et l'autre me furent ôtés avant que je ne puisse souffler :
- Allons à l'intérieur...
Niels ne me laissa pas me lever. Me soulevant comme un fardeau de plumes, il décolla sans effort son bassin de la chaise, traversa la terrasse d'un pas léger et me déposa sur le lit.
Les vêtements que j'aurais bien enlevés avec lenteur fusèrent sur le plancher.
Niels m'apparut nu. Torse toujours sublime mais jambes étranges, aux cuisses surdéveloppées et plus dures que du bois.
Sur moi, leurs muscles saillants peinaient à trouver leur place. Ils se contractaient en prenant mes hanches en tenaille, pinçaient mes cuisses, heurtaient mes genoux.
Presque douloureux et fort peu érotique.
Contre mon ventre, un quintal de chair tressautante. Je me dégageai dans un petit soupir qui pouvait passer pour du ravissement. Me retournai, à genoux, paumes appuyées au mur.
Niels approuva mon initiative. Grogna, gémit, me pilonna avec énergie mais sans méthode. Le matelas trop épais protestait. Ses ressorts élastiques nous propulsaient vers le haut, mini bonds ridicules que Niels contrecarrait à la force du poignet.
Une gambade plus haute et nous faillîmes perdre l'équilibre, basculer pour nous retrouver au bas du sommier, enchevêtrés sur le carrelage froid.
Je corrigeai l'erreur de trajectoire d'un vigoureux mouvement de croupe. Croupe que Niels se mit à tapoter entre deux compliments.
Soudain l'impression d'être une jument remerciée pour son ardeur à la tâche.
Et ça durait, ça durait.
Un autre que Niels eût été ruisselant, vaincu, hors d'haleine. Pas lui. Il me l'avait confié plus tôt, la course à pieds était sa spécialité. Dix mois déjà qu'il s'entraînait, et dur, pour le marathon de New York.
Si l'un de nous devait demander grâce, ce serait moi. Sans l'ombre d'un doute.
Je cédai pour tomber sur le flanc. Épuisée, suffocante, courbatue.
Il fallait en finir. Ce qui réclama du temps, de la patience et un peu de technique.
Plus tard, Niels dit :
- C'est Benjamin qui sera jaloux.
Je levai un sourcil surpris.
"De quoi, au juste ?", manquai-je de questionner.
- Tu lui plaisais aussi beaucoup... Mais tu as bien fait de me choisir. Il est, j'en suis certain, moins bon amant que moi.
J'en restai muette.
L'assurance benoîte de certains mâles a le don de me clouer le bec.
* Open Water : premier niveau de plongée dans le système PADI. Il permet de descendre jusqu'à 18 mètres.
Photos : Horst P. Horst, Jeanloup Sieff,
Hanz Hajek Halke.
Moi aussi je reste sans voix! Seule la femme peut décerner des brevets. Une seule petite phrase et on met une croix sur l'individu.
Oui, étonnant, hein ? Et j'en ai d'autres du même tonneau... Les hommes peuvent être surprenants, certains avec une fragilité montrant à quel point ils sont perdus, obsédés par le cul(te) de la performance.
Des brevets ? Ah ah ! On commence par le brevet d'aptitude ? :)
… et pas que le bec, me dis-je sur le coup, mais me rétractai aussitôt, ça sonnerait presque comme un reproche. Car qui ne s'est pas laissé entraîner par un premier frisson prometteur, en faisant fi des quelques alertes que le cerveau enregistre par la suite mais qu'on décide de ne pas retenir ? On lui oppose l'envie d'une bonne surprise ; ok, rien au resto, rien sur la moto, mais sur la terrasse, hum … pourquoi pas ? Après tout, d'un baiser la Belle a bien transformé la Bête en prince charmant, alors à plus forte raison quand la bête est déjà charmante ! Oui, sauf que là, il lui manquait d'être Prince. Juste de l'abdominal ad libitum, du Narcisse jusqu'à plus soif qui laisse la Belle sur sa faim. Courbatue plutôt que coeur battant.
Pourtant, grand seigneur elle sera. Ou sublime vengeresse ? Car en patiente technicienne, lui faisant croire à l'échange, elle ne fera jaillir rien qui pût ébranler ses tristes illusions.
Il n'a pas fini de courir celui-là.
Courbatue plutôt que coeur battant... Jolie formule si vraie.
En effet, il faudrait se faire davantage confiance... Si le désir n'est finalement pas là où il aurait dû être, ne pas aller jusqu'au bout en espérant qu'il se manifeste. Trop d'optimisme ou de politesse de ma part ? Je trouve excessivement gênant, humiliant pour l'autre, de tout arrêter en plein élan (même s'il n'est pas partagé), a fortiori si cet autre semble apprécier le moment.
Etrange, tout de même, comme deux ressentis peuvent être opposés. Le "bon" sexe suppose une réelle connivence, un partage. C'est après tout une forme de communication passant aussi (surtout ?) le toucher, les odeurs, le goût. Or, certains croient partager alors qu'ils sont tout seuls... Voilà qui a des allures de total malentendu.
Quel beau texte, chère Chut! Je m'y suis complètement laissée prendre. La description de l'Hercule m'a fascinée, jusqu'à son déshabillage. Après, j'ai commencé à sentir qu'à la fin, il ne serait plus aussi héroïque qu'il était apparu. Et honnêtement, avant un sentiment de tristesse pour ce pauvre garçon imbu de lui même qui ne se rend même pas compte du piètre amant qu'il est... j'ai éclaté de rire.
Maintenant, je n'ai plus qu'à expliquer à Simon ce qui m'a fait rire...
Chère Constance,
oui, tu as raison : il y a bien un versant grinçant dans cette histoire, que gomme en partie l'aplomb presque hautain de cet homme. Mieux vaut se décerner des lauriers mérités sous peine de passer pour une andouille ! Tant d'aveugement, au fond, c'est triste.
D'un autre côté, je n'ai rien dit pour lever le voile : son attitude présomptueuse ne le permettait pas. Face à un homme qui se serait interrogé, aurait laissé une possible place à la discussion, peut-être aurais-je suggéré ceci ou cela... Quelques améliorations bienvenues, on dira. Desquelles je n'aurais pas directement profité, mais ses futures amantes, si. Et tant que je peux aider, c'est avec plaisir !
M'étonnerait que Simon prendra ombrage de ce rire-là : il n'est sans doute aucun pas concerné ! :)
Ta politesse t'honore, et tu as raison. Il est sans doute plus humiliant d'être "coupé court" quand l'élan est donné, que –par exemple- d'essuyer un "simple" refus le jour suivant quand le bougre y revient en croyant la chose acquise. Mais selon la manière qu'elle aura de le lui signifier, (de mettre une croix dessus comme dit Ordalie), je me demande si la belle pourrait parfois ne pas être encore plus cruelle. Se prendre une veste est certes désagréable ; se faire tailler un short le lendemain est vraiment un coup à ne plus savoir comment se rhabiller.
Encore que je suppose qu'un bon vrai macho, quoiqu'il arrive, reste droit dans ses bottes. Imperméable à toute communication, celle de la chair comme celle du verbe, le pire malentendant qui soit, puisqu'en croyant séduire, il ne fait que se plaire, et d'un va-et-vient à l'autre, ne baise que lui-même.
(En me relisant, une question me vient : y-a-t-il un féminin à macho ?)
Aïe, aïe, aïe, j'imagine en effet le coup fatal porté à l'ego en cas de refus le lendemain, accompagné d'un "débriefing sauvage". Comme tu le dis en filant la métaphore, il y a de quoi ne pas s'en remettre... Ou d'alimenter derechef la case "pauvre fille" (tu sais, celle dans laquelle certain-e-s glissent les récalcitrant-e-s à leur indéniable savoir-faire... ah ah). Faire porter le chapeau à l'autre : mesure de protection salutaire pour éviter de se regarder en face, et sous toutes les coutures.
(Et bien non, il n'y en a pas... mais on peut créer "macha" pour la cause !)
Non, Simon n'est pas concerné! Attention, je ne suis pas en train d'essayer de dire à mots couverts qu'il est une bête de sexe, je pense que toi et moi valons mieux que ça (et entre nous, qui ça intéresse à part moi). Mais il est plutôt ouvert, et il ne demande qu'à apprendre, et ça, c'est pas négligeable.Et surtout, il serait parfaitement capable de dire "mais comment tu veux que je sache si Machin est un meilleur ou moins bon coup que moi? J'ai jamais couché avec".
Je le connais comme si je l'avais tricoté.
Essentiel, l'ouverture d'esprit ! D'autant que toutes femmes - et heureusement ! - ne goûtent pas les mêmes plaisirs et/ou la même façon de les prodiguer. Et si on ajoute le facteur "période" (envie de sexe tendre ou plus cru, par ex), cela fait au final beaucoup de paramètres.
Le (bon) sexe, c'est comme le palais. Ca se travaille, ça s'affine... ou ça s'éduque, avec une bonne fessée à la clef. :)
faire du sport permet de mieux maitriser son corps, son souffle... (je cours aussi...). néanmoins être à l'écoute de l'autre, être courtois, ne s'apprend pas... on l'est ou pas.
Je me demande tout de même si une éducation n'est pas possible. Ne serait-ce que minimum. Du moins pour la courtoisie, car l'écoute, plus compliquée, suppose certaines qualités (empathie, absence de jugement...) que tout le monde ne possède pas.