Présentation

En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

Derniers Commentaires

C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

Décembre 2024
L M M J V S D
            1
2 3 4 5 6 7 8
9 10 11 12 13 14 15
16 17 18 19 20 21 22
23 24 25 26 27 28 29
30 31          
<< < > >>

Recherche

Images Aléatoires

  • Petite-fille.png
  • Jogyakarta--Coiffeur-de-rue--reflet.jpg
  • A-l-aveugle.png
  • Homme-paon.png
  • Les-dormeurs.jpg

Syndication

  • Flux RSS des articles

Profil

  • Chut !
  • Le blog de Chut !
  • Femme
  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.

Eux

Mardi 9 octobre 2 09 /10 /Oct 20:38

Adri mailDeux petites journées et deux messages d'hommes surgis du passé, Adrien et l'amant de la chambre 12Et la même surprise, la même émotion à les lire.


La visite surprise d'Adrien m'avait laissée sur un sentiment mitigé. Je ne le reverrais ni ne l'entendrais plus, supposais-je.

Nous avions néanmoins un vague rendez-vous, le dimanche 29 juillet à Manille. Manille d'où il s'envolait pour rejoindre la Suisse, Manille où j'atterrissais au retour de Pékin, hasard de nos calendriers pour une date en chassé-croisé.

Je ne la lui rappelais pas. Lui non plus.

Y pensais pourtant, tout en pensant qu'il n'y penserait pas parce qu'il ne pensait plus à moi.

Je me trompais. 

Un soir, telle une bouteille lancée à la mer depuis l'Europe, un mail arriva dans ma boîte. L'expéditeur me fit arquer les sourcils.

"Tiens... Une voix du passé", m'étonnai-je, une que j'avais même failli supprimer de mes contacts la veille.


Adrien.

Adrien qui, en dépit de son désintérêt pour les correspondances, prenait enfin le clavier.

Adrien qui couchait mon prénom précédé d'un "ma" tendrement possessif. Qui confiait me garder toujours près, très près, souvent. À qui je manquais et qui désirait tant me serrer entre ses bras. Qui, "tombé amoureux de la sincérité et du vide total qui entourait ce soir-là", me remerciait pour les moments partagés et les souvenirs qu'il chérissait.

Qui confirmait, également, ma certitude de notre nuit fauve : quelque chose s'était passé. Une communication plus profonde que celles des corps et des mots. Un trouble qui nous avait saisis puis emportés, une communion qui se fichait bien de nos différences, à commencer par le fossé séparant nos âges respectifs.

Peu importait que les trois durent ou non, soient voués à un avenir ou un échec. Ils étaient là, aussi incontestables que mon sac posé sur le lit et impalpable que l'odeur d'Adrien qui longtemps flotta sur ma peau.

Lui évoquait une "relation belle et spéciale", impression que j'avais éprouvée, puissante, à Puerto Princesa, mais qui s'envola lors de son passage chez moi, puis de la pénible confrontation avec sa famille.

Son message me toucha beaucoup. Me chagrina aussi, car j'y lus entre les lignes - à tort ? - qu'Adrien n'allait pas bien. Peut-être même très mal.

 

Passé présent 2Pauwels, l'homme de la chambre 12, c'est différent. Lui n'a jamais entièrement disparu de ma vie, mais s'en tient tellement à la périphérie que cette distance équivaut à une absence.

Le travail, la pression, les soucis... Pauwels a ses batailles à mener, et celles-ci ne lui accordent que peu de disponibilité. Malgré tout, je sais qu'il veille sur moi à sa manière affectueuse et lointaine, amicale sans être intrusive. Que si je lui demande de l'aide, il répondra présent.


Pauwels fut toujours là dans les coups durs, me téléphonant à la clinique après l'opération, m'encourageant quand j'hésitais, me soutenant quand je flanchais, tentant d'apaiser les discordes d'un forum qui me tenait à coeur, intervenant dans une épineuse panne d'ordinateur à la garantie expirée.

Me proposant des dîners, des sorties, des week-ends.

M'écoutant et se confiant à moi.

Relation franche, ouverte, chaleureuse et distante à la fois. Toujours ce fameux temps trop compté, nos impératifs et ma bougeotte faisant ressembler l'année à un morceau de gruyère.


Pauwels et moi correspondions avant de nous rencontrer. Il était curieux, je crois, et ma tenue le fit sourire : un vrai uniforme de Domina, long manteau et courte jupe en cuir, bottes à hauts talons, collier fermé par des menottes entrecroisées.

Nous bûmes un verre là, un autre ailleurs, et Pauwels me dit ce qu'il n'aurait jamais dû savoir, puisque je ne lui en avais jamais parlé. Il me fit aussi une prédiction qui, elle, ne réalisa pas.

C'est ainsi... Des intuitions parfois le transpercent, des voix parfois lui parlent. Il en connaissait davantage sur moi qu'il ne l'aurait lui-même soupçonné.

Ce qui, tout étrange et indiscret que ce fut, ne me dérangeait pas.

À Pauwels je n'avais rien à cacher.

 

Je me souviens de ses costumes impeccables, de ses yeux translucides et de la fatigue sculptant ses traits. De confidences, de secrets et d'intimité. De caresses, de massages et d'étreintes. D'abandon, de longues discussions et de fous rires. Comme le jour où, prenant sa boîte professionnelle pour son adresse personnelle, je lui envoyai un mail très privé et plutôt salace.

Je me souviens de mes conseils qu'il n'arrivait pas à suivre, de mon irritation, parfois, à le voir s'épuiser, à se montrer si généreux sans assez recevoir en retour.

Je me souviens de petits moments, un apéro dînatoire à la maison, un verre en terrasse rue Oberkampf, le gin-tonic qui m'attendait sur la table, mon imperméable jaune ne cessant de glisser sur mon corset.

Je me souviens des friandises qu'il me ramenait de ses voyages et que je dégustais au lit, en compagnie d'un bon bouquin.


Passé présent 3Je n'avais pas compris, sans doute, à quel point Pauwels m'appréciait.

C'est son dernier message qui me le révéla.

Ricochant sur celui d'Adrien, il me fit penser qu'on se rend rarement compte de la trace qu'on laisse chez les autres, du sceau dont on les frappe. De la façon dont on habite leurs mémoires alors qu'on s'en croit délogés.

Parce que, suppose-t-on, ils sont passés à un autre chapitre, une autre ère.

La tendance - du moins la mienne - serait de sous-estimer ces empreintes, voire de les nier tellement nous n'y percevons rien d'exceptionnel.

On a juste été soi, rien de plus.

Les négliger, oui, sauf si ces autres nous le disent ou nous l'écrivent noir sur blanc.


Voilà qui me donne envie, à mon tour, de le signifier à certain(e)s qui m'ont marquée, pierres blanches ou solides rocs semés sur mon chemin.

Sans peut-être même s'en apercevoir.

 

 

Pin up de Gil Elvgren, photos de Flor Garduno.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Mercredi 3 octobre 3 03 /10 /Oct 16:26

FelixJe l'ai bien vu fixer mon dos. Mais, révélée jusqu'à la taille par une longue tunique blanche, je quittai le bar en l'abandonnant à sa chaise longue.

Je revins le lendemain alors qu'il était là, sur la même chaise, à se dorer au soleil.

Il se redressa, beau corps un peu fatigué par le tournant de la quarantaine. Des vitamines et de la gym, de la muscu peut-être, pour échapper à la fatalité de la gravité.

Un régime, sans doute, pour conjurer le lent enrobement de l'âge.

Une vie saine, en somme, à laquelle je ne peux me soumettre, mais qui lui réussissait fort bien. En attestaient ses bras musclés, ses biceps saillants, ses cuisses nerveuses, son maillot noir moulant ses fesses et sa verge.

 

Plus tard il se leva, traversa le bout de plage, régla une bière au comptoir, s'avança sur le sable. S'attarda devant ma table avec un air interrogateur.

- Puis-je ? interrogèrent ses prunelles.

Ma main désignant la chaise voisine l'y autorisa. En retour il me tendit la sienne, poigne ferme sur mes doigts, lèvres minces articulant un prénom teinté d'un fort accent germanique :

- Felix.

La politesse me poussa à la formule de rigueur :

Nice to meet you.

Nice ? Aucune idée, en fait, après une heure passée, songeuse, préoccupée et vaguement triste, à couvrir mon journal de bord de l'obsession Pierrig. Celle qu'il nourrissait pour mon corps, celle que j'alimentais pour lui.

La séance d'écriture avait avorté sur :

"Chaque jour j'ai envie de t'écrire. Peut-être est-ce ça, la définition de l'obsession : avoir chaque jour envie de t'écrire et ne pas le faire."

Autant dire que j'étais loin, très loin, de la séduction enjouée.

 

Felix parlait. Je l'observais en hésitant à le trouver beau. Cheveux poivre et sel coupés courts, iris marron chaud et traits purs, aigus, comme à plaisir sculptés au fin burin, il l'était pourtant.

Felix avait un très sérieux métier d'ingénieur en télécommunications et un anneau qu'il arborait façon voyou à l'oreille.

Les deux n'allaient pas ensemble et ce contraste m'intriguait.

Felix voyageait beaucoup sur son temps libre. La plongée aux Seychelles, le tango en Argentine, les cigares à Cuba, les vins fins en France et la bonne chère en Italie, il était gourmet, fin connaisseur et assurément jouisseur. Mais tandis que d'autres se seraient enflammés à l'évocation de choses si délicieuses, lui gardait un ton grave, presque morne.

Cela non plus n'allait pas ensemble. Cela aussi m'intriguait.

 

Felix 2La conversation n'était pas déplaisante, pas animée non plus. Des silences la coupaient sans que je ne cherche à les combler. Échos de ma vacance intérieure, de ma présence à moitié absente, ils ne me gênaient pas.

Felix, en revanche, paraissait s'en formaliser. Comme si son devoir immédiat était de me divertir, de m'arracher des gloussements et des approbations.

Il était intelligent sans éclat, spirituel sans humour, charmant sans flamboyance. Mesuré en tout, posé, "planté" aurait dit Bertille en forme de compliment, attentionné et dénué de ce petit grain de folie qui pimente les discussions les plus banales, les projette hors de l'ornière huilée du convenable pour les rendre décalées, un peu folles, très drôles et surtout inoubliables.


Je projetais de rentrer chez moi. Une pluie torrentielle m'en empêcha.

Vite, nous nous repliâmes sous l'auvent du bar. Commandâmes un jus de calamansi pour moi et une autre bière pour lui.

- La dernière pour ce soir, affirma Felix. Je surveille ma consommation.

You're right, dis-je en pensant le contraire.

J'avais presque envie de me pencher sur nos verres pour l'embrasser ou le gifler. Ça ou n'importe quoi afin de le déloger de sa réserve. Je brûlais de lui insuffler un semblant de vie, une esquille d'enthousiasme, une écharde de passion.

À lui ou à moi-même, qui sait, pourvu que je sorte de mes limbes.

Je m'abstins. Mon insolence n'allait pas jusqu'à l'incivilité.

Quoique... C'eût été cocasse.


La discussion mollissait encore et le déluge ne cessait pas. Le sable trempé voltigeait dans le vent furieux, la pluie cinglait les palmiers en hallebardes. Devant nous le front de mer s'étendait, désert et désolé. Les rares touristes prisonniers de la tourmente fuyaient à toutes jambes en direction du premier abri.

Le décor avait des allures de fin du monde. Pourtant le bar se remplissait, des rires saturaient l'air, la musique devenait assourdissante.

Je m'ennuyais. Je regrettais de m'ennuyer.

Je convoquais les pointes d'un désir qui, capricieux, se dérobait. Me battais les flancs pour l'éveiller. Songeais avec ironie à cette longue disette d'après Mongolie, ces plus de six semaines consacrées à l'écriture sans une autre peau contre la mienne.

J'avais faim, très. J'avais la disponibilité et l'occasion présentée sur un plateau d'argent, ce bel homme avec ses idées derrière la tête. Qu'il dissimulait, certes, mais je ne croyais pas à la gratuité de ce face-à-face, de ce bavardage dans la seule intention de bavarder.

L'occasion était là, frétillante d'être saisie, et moi j'atermoyai.

Mais que m'arrivait-il ?


Felix 3Était-ce notre conversation qui me refroidissait ? Paroles, oui, mais sans réel échange, tue-désir pour moi dont le cerveau ouvre sur le sexe. Les mots ne sont pas toujours anodins. Ils sont aussi aussi jeu, prélude, métaphore.

Manquait là une bonne discussion, une vraie, une déliée, une tourbillonnante, une exaltante à sauts et à gambades, effleurant nombre de sujets sans s'appesantir sur aucun, déroulant ses phrases comme autant de caresses, ondulant au-dessus du débat, pénétrant soudain dans le vif et en ressortant haletant, trempée de salive, de sueur et de foutre.

Une discussion à l'image du cul, douce et crue, sans retenue ni barrières.

Je me surpris à songer, vilaine, que si Felix faisait l'amour comme il discourait, il devait être d'un mortel ennui.


Pourtant au détour d'une inflexion, d'un sourire, le désir tant appelé parfois surgissait. Je l'accueillais avec soulagement, presque gratitude. La pénible impression d'être de bois cédait la place à l'étincelle, une flamme me poussant à m'imaginer écrasée et pantelante sous Felix, mes seins meurtris de ses paumes et mon sexe comblé du sien.

Là, je me retrouvais.

Eût-il alors esquissé un geste qu'emplie de jus et de sève je l'aurais agrippé, reconnaissante et ronronnante. Mais sa retenue ou sa timidité l'en empêchait.

Sa voix calme brisa ma rêverie :

- Je te montre mes photos de voyage ?

- D'accord.

Et les clichés se succédèrent, instantanés d'Inde, de Laos, de Cambodge, de Brésil et de Philippines.

- Mmmmh, approuvai-je distraite.

- Tu permets une minute ?

- Bien sûr.


Felix disparut à l'arrière du bar, dans la section réservée aux chambres. Il fut absent longtemps, si longtemps que je crus qu'il s'était endormi.

Mais non. Il revint douché et vêtu de frais.

- Pardon, j'ai tardé. Tu connais un bon restaurant pour dîner ?

- Tout dépend de ce que tu veux manger...

J'évoquai le Coréen sur la côte de la plage, le Français après le carrefour, l'Italien à gagner en habal-habal à cause de la distance et, surtout, de cette météo de chien. Je ne demandai pas à Felix s'il comptait m'inviter. Annonçai d'emblée que je retournais chez moi, munie de l'habituelle excuse d'un travail à finir.

- Oh ! lâcha-t-il.

Son visage trahit une déception aussitôt ravalée.

Il était, lui, trop poli pour insister.


Felix 4La tempête s'était enfin calmée. Nous longeâmes la plage et empruntâmes de concert l'allée conduisant à la route.

- Le Coréen est ici, m'arrêtai-je en désignant sa devanture.

- Continuons, me pria Felix.

Nous parvînmes au carrefour.

À gauche, le bistro français.

À droite, la station des habals-habals vers laquelle je me dirigeai.

- Je préfère l'italien.

- Dans ce cas, prenons une moto ensemble. C'est sur mon chemin, je te dépose en passant.

- Ça ne t'embête pas ?

- Du tout !

 

Je m'installai sur le siège entre le chauffeur et Felix. Qui, durant tout le trajet, garda sagement ses mains sur ses genoux et ses pieds à côté des miens, attentifs à ne pas empiéter sur un espace déjà trop compté.

La moto fit halte devant un immeuble de béton gris.

Felix descendit. Moi aussi.

Je jugeai rude de disparaître sans un adieu convenable. L'accompagnai à l'intérieur de la salle, lui recommandai un plat et plaquai deux bises sur ses joues.

- Au revoir, dis-je.

Il répondit un peu crispé, un peu déçu, un peu chagrin.

Je m'éloignai, me retournai une fois à la porte. Aperçus Felix courbé à la table de ce lieu sans clients, aux éclairages trop blancs et au fond sonore de tonitruante opérette.

L'image était triste, cruelle même.

Soudain je m'en voulus. Felix ne méritait pas cette brutale solitude, ce repas en tête-à-tête avec un verre vide et un rond de serviette.

À sa place j'aurais également été peinée. Et humiliée qu'un homme avec qui j'avais partagé quelques heures s'enfuie en me laissant.

En une seconde ma décision fut prise.

Je dis au habal-habal de m'attendre et rebroussai chemin.

 

Felix sursauta en écarquillant les paupières. Me dévisagea comme s'il me voyait pour la première fois. Il crut que j'avais oublié quelque chose et ne cacha pas son étonnement lorsque je proposai :

- Tu veux dîner à la maison ? On peut emporter une pizza.

- Ah, volontiers !

Il s'empara de la carte qu'il parcourut sans la lire. Soudain fébrile, soudain pressé, mais soucieux de n'en rien montrer. Comme si une femme qui l'abandonnait avant de brutalement réapparaître, c'était son quotidien.

- Celle-ci ? suggéra-t-il en pointant une pizza au hasard.

La Don Carmello, une de mes préférées.

- Parfait. Elle sera cuite dans un quart d'heure.

Vingt minutes plus tard, nous réenfourchions notre moto conduite par un Philippin qui, bien qu'hilare, n'avait pas tout saisi de mon revirement.

 

Felix 5- Où ranges-tu les verres ? me demanda Felix.

- Là, mais va t'asseoir. Je m'en occupe !

En vain. Mon convive-surprise avait à coeur de ne pas jouer les invités, et encore moins les pachas.

- Mais non. Va t'asseoir, toi !

Finalement nous nous retrouvâmes tous deux assis.

La conversation reprit, mais plus fluide, légère, agréable. La pizza terminée, je soupirai de bien-être en annonçant mon intention de me baigner.

- Tu m'accompagnes ?

- Avec plaisir, mais je n'ai pas de maillot. C'est gênant si je me baigne nu ?

La question me prit de court.

Je pensai aux voisins, mais ils dormaient.

À la lumière au bord de la piscine, mais elle devait être éteinte.

À Olüg, mon propriétaire qui n'apprécierait sans doute pas, mais il était enfermé dans sa villa.

- Non... Tant que tu ne cours pas déshabillé dans l'allée.

Le fou rire me prit. Imaginer Felix si raisonnable, si guindé se carapatant à poil relevait de la science-fiction.

- Marché conclu !

 

J'emportai deux grandes serviettes. Nous nous dévêtîmes dans l'ombre, à côté du bassin clapotant. J'évitai de regarder Felix, m'attardant à peine sur ses fesses alors qu'il entrait dans l'eau. Remuée par l'orage, elle semblait fraîche. Je m'y coulai avec bonheur, renversée sur le dos, visage face aux étoiles.

Nous nageâmes en silence. Après deux longueurs, j'empoignai l'échelle du grand bain. Sans un mot Felix se coula contre moi pour couvrir mon front, mes joues, mon menton, mon cou de baisers.

Ses lèvres s'emparèrent de ma bouche en une lente étreinte. Attentif à mon souffle, il m'embrassait avec science et patience, comme si nous avions tout le temps du monde, comme si la nuit jamais ne devait finir.

Je me blottis contre sa poitrine, appuyai mon ventre contre son sexe dressé. Il me pressa en une question muette, lus la réponse dans mes yeux. Dénoua le haut de mon bikini qu'il lança sur l'herbe. Caressa mes seins, titilla leurs pointes, fila de mes hanches à mes cuisses.

Le bas de maillot rejoignit sa moitié sur le gazon.

Nous nageâmes enlacés, fendant l'onde comme un corps unique. L'eau m'était soudain trop froide et la peau de Felix, brûlante.

- Rentrons... grelottai-je.

Il acquiesça, m'enveloppa d'une serviette et me suivit dans la maison.

 

Felix 6bisJ'avais eu tort. L'amour avec Felix n'était pas d'un ennui mortel, au contraire.

C'était doux et passionné, emporté et tendre, délicat et cru. Délicieux de sa langue qui lapait ma chatte à ses doigts qui s'y faufilaient, de ses yeux qui avouaient son plaisir à ses lèvres qui me suppliaient, haletantes :

- Encore !

Felix était prévenant, dur et endurant, capable de supporter des heures ma bouche glissant le long de sa hampe, mon sexe emprisonnant le sien alors que sur lui, tendue, pliée, je montais et descendais telle la houle.


Quand son plaisir menaçait d'exploser, il m'arrêtait d'un geste, me contraignant à l'immobilité avant de s'attiédir et de poursuivre, encore et encore, me renversant entre les draps, me retournant pour goûter à mon cul, me rehaussant pour m'asseoir sur son visage.

Felix était un expert, un musicien, un mélomane dont je jouais la partition. Accord parfait, staccatos de mon sang et réminiscences de jeux familiers.

Il m'incita, alors que je le chevauchais, à lui empoigner les couilles pour les tirer. Fort, vite, en les pressant comme pour leur soutirer leur jus.

Il me demanda de lui malaxer les tétons, de les tordre puis de les croquer jusqu'à la souffrance.

À en croire mon expérience, Felix était un soumis, prologue à bien d'autres nuits ludiques s'il était resté. Les quelques joujoux rescapés de mes placards parisiens, fouet, entraves et bâillon-boule, auraient enfin trouvé un destinataire en mesure de les apprécier.

Je ne lui en parlai pas.

 

Au matin il partit. En déjeunant, je trouvai sur la terrasse un petit mot :

"Best regards and kisses. Felix."

Je grimaçai surprise par la salutation formelle, en total décalage avec cette nuit intense. Best regards, c'est le "cordialement" de mise entre un patron et son employé, entre confrères ou collègues du même rang, entre gens se connaissant peu mais s'estimant, certes.

Une formule de bureau adressée à une secrétaire, en quelque sorte.

L'autre traduction, "toutes mes amitiés", convenait à peine mieux.

A-t-on idée d'envoyer ses amitiés au lendemain d'étreintes torrides ?

Voilà qui ne me traverserait pas l'esprit, mais mon esprit est peut-être tordu.

En Felix l'ingénieur guindé et l'amant passionné semblaient se livrer bataille, le premier triomphant du second une fois l'aube levée, le second muselant le premier dès minuit sonné.

Derrière cette façade lisse, ça bouillonnait d'audaces réprimées et de coups de folie contenus, de passion étouffée et d'ardeur comprimée.


L'amante et la secretaire8Nous devions nous revoir en milieu de soirée. Felix m'attendait à l'hôtel, déjà au lit avec ses chaussures devant la porte afin de m'aider, écrivit-il, à le retrouver.

Je m'attendris de ce Petit Poucet moderne abandonnant ses tongs au lieu de cailloux blancs. Mais épuisée par un interminable aller-retour sur l'île voisine et encore courbatue de la veille, j'annulai.

Felix, poli jusqu'au bout des ongles, eut la gentillesse de ne pas s'en offusquer. Il avait beau s'en désoler, il comprenait et jamais n'oublierait mon regard dans la piscine.


Deux semaines plus tard, je reçus du Vietnam un mail qu'il conclut d'un autre best regards.

Je souris.

Bizarre, cette persistante impression d'être à la fois et l'amante et la secrétaire.

Un homme surprenant, ce Felix. 

 

 

1re illustration de Grandville ; 3e photo de Horst P. Horst.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
Ecrire un commentaire - Voir les 4 commentaires
Dimanche 30 septembre 7 30 /09 /Sep 14:28

Lou2Il y a deux ans et demi que je vis Lou pour la première fois. Il rendait visite à Tim, mon instructeur de plongée également en charge du dive shop.

Lou me fut rapidement présenté. Nous nous serrâmes la main. Je fixai ses iris jais et le trouvai beau.

Lui et son mystérieux visage d'Asie, fermé et ouvert à la fois.

Lui et ses paupières en amande, son nez court et sa bouche écartée sur ses dents.

Lui et corps tout en souplesse et puissance, vigueur féline comme enroulée sur elle-même.

 

Le contact entre nos paumes fut bref. Alors que Lou retirait la sienne, je me surpris à songer à ses lèvres. À leur plein contre mon cou, leur contact tendre sur mes seins, leur lent écartement lapant la sueur perlée de ma bouche.

Lou se tourna. Je vis mes doigts se poser sur la courbe bronzée au-dessus de son tee-shirt blanc, encercler sa nuque, remonter avec lenteur sur son crâne et tirer ses cheveux.

Je ne serrai que ma cuisse sous la robe.

J'espérais que Lou resterait. J'espérais avoir l'occasion de le connaître.

Il n'était que de passage.

Le lendemain, il partit.


Voilà trois semaines que j'essayais de voir mon ancien instructeur. Chacune de mes tentatives se soldait par sa chaise vide. Aïdée, la secrétaire, me conseillait toujours de repasser.

Une après-midi, j'arrivai de bonne humeur après un cours donné à des Philippins. Une bretelle de ma robe rouge me tombait obstinément sur l'épaule, dévoilant le haut de mon maillot.

 Je poussai avec énergie la porte du dive shop.

Il y avait quelqu'un assis au bureau de Tim. Mais ce n'était pas Tim.

C'était Lou.

J'écarquillai les yeux de surprise.

Lou se leva, me salua, me tendis la main. Par dessus le comptoir vitré ses doigts se refermèrent sur les miens. Carrés, puissants à me faire mal.

Je souris. J'aimai ce contact franc, énergique. Prometteur.

Lou se présenta. Je lui glissai que nous nous étions déjà vus il y a longtemps. Que ce fut très rapide et qu'il avait sans doute oublié.

Ses yeux se perdirent sur mon visage. S'éclairèrent.

- Ah oui, je me souviens de toi !

Je m'étonnai. Relançai d'un "vraiment ?" gentiment incrédule. Lou m'assura que "oui, oui". Peut-être mentait-il, mais avec grâce, et sa confirmation eut le don de me faire très plaisir.

 

Mystere Lou 2bisNous parlâmes. Derrière le dos de Lou, un miroir me faisait face. Je m'y voyais comme lui me voyait : très bronzée, le front sillonné de boucles blondes, les lèvres rehaussées d'une mince pellicule de sueur, des yeux si clairs qu'ils en paraissaient artificiels, transparents, presque liquides.

Ce jour-là je me trouvais jolie. Lou aussi, apparemment. Souvent ses prunelles s'allumaient pour brutalement s'éteindre sur une question muette, ouverture suivie d'un déconcertant repli me faisant douter de ce que j'avais perçu.

Et nos bouches, civiles, continuaient leur inoffensive conversation : la capacité des bateaux naviguant autour de l'atoll de Tubbatahala qualité de la nourriture à bord, le nombre de plongées par jour, les espèces de poissons rares...

 

J'avais aussi besoin d'une combinaison de plongée et peut-être d'un ordinateur, mon Suunto se trouvant en Finlande pour réparation.

- Je peux te prêter le mien, tu sais...

Je me récriai. La réparation ne devrait pas prendre trop de temps. L'ordinateur serait, je l'espérais, revenu avant mon départ.

Au poignet de Lou, le même que le mien. Sur lui, il semblait parfait. Sur moi, trop gros. Trop lourd aussi. Une journée avec cet instrument à mon bras et ma peau devenait douloureuse, irritée par l'encombrant frottement du bracelet.

And a wetsuit, please ?

Lou me désigna quelques combinaisons pendues sur des cintres.

Which size you need ?

S, maybe XS.

Lou détailla mon corps sous la robe. Je souris mais nerveusement, soudain gênée par l'impression d'être passée au crible.

- Try this one !

Il déménagea les cartons qui obstruaient la cabine d'essayage.

"Elle ne doit pas servir souvent", pensai-je. Je me moquais bien, d'ailleurs, de l'utiliser. Tant de fois j'avais arpenté ce magasin en maillot que me cacher derrière un rideau me paraissait saugrenu. Et je songeai en riant à cet Indien qui un jour m'arrêta devant le dive shop.


Je rentrais de deux plongées avec des clients. Fraîchement revenue du bateau, encore en maillot de bain, je portais une lourde caisse de matériel. Butai presque contre cet homme sur le chemin de la plage.

Il me coupa la route d'un enthousiaste :

I want to dive with you !

- Bien, dis-je. Mais euh... C'est fini pour aujourd'hui.

- Demain, alors ?

Il extirpa de son portefeuille une carte de visite. Qu'il me tendit alors que mes mains étaient prises. Et qu'en simple bikini, je n'avais nulle part où la mettre. Mais lui, têtu, continuait à agiter sa carte à hauteur de mes seins.

Le ridicule de la situation me fit glousser. Encore un peu et je lui lâcherais la caisse sur les pieds.

- Revenez demain, proposai-je. Là, je suis un peu... occupée.

Il disparut pour ne jamais réapparaître.


Mystere Lou 3La cabine du dive shop était à température ambiante, minuscule et moite. La combinaison épaisse, si raide que je luttais pour m'y glisser. Trop étroits, les poignets résistaient.

Je sortis demander, non sans malice, de l'aide à Lou.

Face à face comme deux boxers entamant un round, il poussait et je tirais.

Fort, jusqu'à, dans mon élan, effleurer son épaule et toucher sa poitrine. Jusqu'à afficher un hypocrite sourire d'excuse. Jusqu'à me promettre de recommencer. Contact furtif, inattendu, à la saveur d'une impertinence déguisée en erreur, le goût intense et sauvage d'un plaisir volé.

Les iris de Lou crépitèrent.

Lui aussi, il savait. Et il ne se dérobait pas.


Le combat reprit avec la deuxième combinaison, si ajustée que je crus revenir à mes folles soirées parisiennes.

Je baissai le menton. Lou écarta mes cheveux pour fermer le zip. Brève légèreté de ses doigts imprimés sur mes omoplates.

Gainée des chevilles à la gorge, je me regardai dans le miroir.

Mmmh, it's sexy... approuva-t-il dans mon dos.

- Je la prends, répondis-je.


Le soir je parlais à Bertille de Lou. Elle s'esclaffa.

- Ah, le très craquant Lou... Toi aussi !

- Moi aussi quoi ?

Elle me parla de Katarina, une amie qui s'était enflammée pour ce bel Asiatique, de ses espoirs et tentatives de rapprochement soldées par autant d'échecs. Lou était charmant, en effet, mais plus glissant que du sable et plus impénétrable qu'une forêt. Les appels du pied de Katarina s'étaient tous heurtés à une muraille, dans une telle absence d'écho qu'elle avait fini par renoncer.

- J'ai peur que vous ne soyez pas son genre, souffla Bertille.

- Parce que son genre, c'est ?

- Les prostituées, il paraît. Mais ni les classe, ni même les mignonnes. Plutôt les plus âgées, les plus vulgaires, les plus cabossées des bas quartiers. On dit que de temps en temps, Lou se rend dans l'île voisine rien que pour ça.

Je levai un sourcil stupéfait. Si ce "il paraît" était vrai, Lou n'avait ni le physique ni l'allure de ses goûts - s'il fallait un physique et une allure pour quoi que ce soit.

Je réfléchis pour lancer un réjoui :

- Bah... Si c'est payer qu'il aime, qu'il me paye moi ! Je serais ravie de lui en donner pour son argent.

Bertille s'esclaffa.

- Il semble aussi que Lou ait une petite particularité...

La curiosité en éveil, je demandai :

- Laquelle ?

- Celle de garder, sur sa table de chevet, un pot de vaseline.

- Mais pourquoi... commençai-je pour soudain m'interrompre. Oh, j'y suis ! Si ce n'est que ça, je lui prêterais volontiers main-forte.

- N'empêche que tu n'as toujours pas le genre qu'il faut...

- Tu as raison. Et ce point-là est sans espoir, je présume.


Mystere Lou4Je revis plusieurs fois Lou pour peaufiner mon liveaboard à Tubbataha. À chaque fois il fut accueillant, cordial, efficace. Chaleureux, pas vraiment. L'évidence était cette distance qu'il maintenait entre nous, une réserve me décourageant de m'aventurer plus loin.

J'avais pensé à l'inviter à dîner, je m'abstins. Je ne le sentais pas.

Probable qu'il aurait refusé.


Un midi nous partîmes à la ville pour renouveler nos visas qui expiraient à la même date. Lou conduisait sa moto, un impressionnant engin rouge chromé. Moi, j'étais la passagère, sagement assise sur mes fesses et tenaillée par l'envie de l'enlacer, de poser mes mains sur ses épaules, de coller mes seins, mon ventre, mon sexe à son dos, ses fesses.

Je me retins en songeant, ironique, que jamais nous ne nous tiendrions plus près.

Notre plus folle intimité ? Tous deux habillés, un casque ridicule sur la tête, arrimés au plastique du siège et tressautant en choeur au gré des cahots.


Le jour de mon départ pour Puerto Princesa, Lou me texta afin de me souhaiter un bon voyage. L'attention était inattendue, et ce fut la dernière.

Je ne reçus aucun autre message. N'en envoyai pas non plus.

Comme Katarina j'avais abandonné, laissant ce bel homme à ses "il paraît". Il n'était pas tombé de la dernière pluie, mes intentions étaient claires. Son refus d'y répondre me déçut, mais ainsi va la vie. À quoi bon lutter si l'on n'est pas le genre de quelqu'un ?

À mes yeux Lou restera un mystère, un fruit dont jamais je ne percerai l'écorce, peut-être d'autant plus beau qu'il est pour toujours défendu.

 

 

Photos : Daido Moriyama,

Keizo Kitajima, Yamamoto.

(Que des Asiatiques, en somme !)

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Jeudi 27 septembre 4 27 /09 /Sep 18:36

Dilemme bisErwald est arrivé chez moi mains dans le dos. J'avais beau l'attendre, je l'ai regardé un peu surprise.

- Qu'est-ce que tu caches ? ai-je demandé.

Ses mains ont décrit un demi-cercle pour me tendre précipitamment un bouquet.

Erwald avait l'air d'un galant ravi et celui, mutin, d'un collégien me jouant un bon tour. Mes yeux se sont écarquillés, ma bouche s'est arrondie.

Des fleurs... Des années qu'un homme ne m'en avait pas offertes. J'avais même oublié comment c'était, d'en recevoir.


Matt était arrivé à la maison avec une bouteille de soda.

Noam, lui, amenait souvent des fruits que nous partagions en dessert.

Mais comme Adrien, la plupart de mes amants n'apportent qu'eux-mêmes sans que je n'y trouve à redire.

- Zut, je n'ai pas de vase ! ai-je pouffé.

Le rire puis le mouvement pour camoufler mon léger embarras. Un baiser sur sa bouche, une soudaine course vers la cuisine, Erwald sur mes talons, la fouille de tous les placards, le remue-ménage dans les assiettes, les tasses et les verres, la quête d'un récipient pouvant faire office de.

J'ai fini par le trouver. En m'excusant.

Un vieux pot de café à l'étiquette craquelée, déteinte et encore accrochée au verre.

- Pile la bonne taille, a approuvé Erwald. C'est parfait.

- Tu penses ?

Moi, je trouvais ça un peu minable. Le bouquet avait beau être modeste, c'était l'intention qui comptait, et mon pot de Nescafé ne me semblait guère à la hauteur.

Bertille s'en esclafferait plus tard :

- Bon, si jamais il en doutait, il sait maintenant que tu n'as rien d'une fée du logis. Et qu'importe le flacon, hein...

- Pourvu qu'on ait l'ivresse ?

- Bingo.

 

Bertille et moi avons plaisanté au sujet de cette histoire de vase.

- Mais tu en as un, toi ? l'ai-je questionné.

La réponse fut non, mais mon amie a des cruches.

Les cruches et l'ivresse, justement. C'est là que le bât blesse et que les Athéniens s'atteignirent. Les fleurs d'Erwald m'ont touchée. Mais tandis que, les prenant, je l'observais avec curiosité, ce que trahissait son visage m'a chagrinée.

Erwald m'aime beaucoup, je crois. Beaucoup trop, du moins davantage qu'il ne le devrait. Car moi, l'objet de son désir, je me sens gênée, presque coupable. Parce que cet homme, je l'aime bien.

Juste bien.

Me voilà du coup peinée de ne pas lui rendre la pareille, à la fois séduite et agacée par ses multiples attentions.

Un message, chaque matin vers dix heures, en guise de une bonne journée.

D'autres l'après-midi et le soir en vue de tâter le terrain. Serais-je libre ? Ai-je envie de le retrouver à la plage ? Ou qu'il passe chez moi ?

Si j'ai besoin de me rendre à la ville voisine, il peut m'y emmener en moto. Ou en voiture en cas de pluie ou de ravitaillement programmé.

Si je ne réponds pas à ses messages, Erwald s'inquiète. Me demande si je vais bien. M'appelle pour s'en assurer.

 

Dilemme 2Erwald a pour moi des égards d'amoureux, égards qui me combleraient si j'étais, moi aussi, amoureuse.

L'amour...

Précisément ce qui bouleverse la donne.

Venus d'un homme aimé, ces égards sont charmants ; d'un autre homme, agaçants.

Or là, j'ai l'impression d'être envahie. Étouffée.

Ce qui me rend triste, irritée, irritable.

Au bout de quatre petits jours, il y a souci, quand même.


Peut-être ai-je manqué de discernement. Erwald m'a trop longtemps désirée pour ne pas être enchanté de "m'avoir". Je distingue bien, dans ses prunelles, l'étincelle de fierté quand il parle de moi, l'inquiétude quand j'évoque mon prochain voyage et le soulagement devant ma réponse :

- Combien de temps ? Trois semaines.

Il faudra provoquer une discussion.

J'y répugne. Je déteste blesser, décevoir. A fortiori quelqu'un qui ne m'a causé aucun tort et pire, ne cherche que mon bien.

Mais se taire, c'est pire, non ?

Je ne veux pas forcément que cette histoire s'arrête. Mais si elle continue, que ce soit différemment. Moins de (omni)présence, plus de légèreté.

Est-ce possible ? Pas certaine.

 

Amoureuse, je suis comme Erwald. Pire sans doute, du moins à l'intérieur : la fébrilité avant un rendez-vous ; le désir d'être avec l'autre, tout le temps ; l'urgence à le voir et le manque de ne pas, ne serait-ce qu'une poignée d'heures ; le sentiment d'être habitée, emplie ; les sourires rêveurs à contretemps, les pensées qui divaguent, les images qui reviennent, embrument mon esprit et creusent mon ventre.

À l'extérieur, la réserve. Je souhaite sans montrer, ou uniquement à petites touches. Trop peur de m'imposer, d'être importune ou, horreur, rejetée.

Je comprends Erwald et cette compréhension même m'est douloureuse.

Personne n'aime à être freiné dans ses élans ni se heurter à une limite en forme de mur. Or Erwald s'en approche et, s'en approchant, devient une menace pour ma liberté, mon espace, mon bien-être.

S'il persiste, je me doute de ce qui arrivera. De l'exaspération, de la colère, une fin abrupte.

À moi de l'éviter. D'essayer, du moins.

 

Mais cette histoire, si courte soit-elle, est également un révélateur. Il y a de la douceur, oui, dans toutes ces attentions-là, dans cette présence même trop appuyée. Un soutien relevant parfois du détail, comme ces bambous supportant les rideaux de la terrasse que, las de voir branlants, Erwald m'aida à ficeler aux poteaux. Un sentiment d'apaisement, de solidarité, de solitude brisée. D'intimité cette fois partagée, de couple, d'alliance possibles si seulement je le désirais.

Grâce à Erwald j'entrevois à nouveau ce que j'ai fini par oublier : la force d'une union amoureuse. L'intense, le délicieux plaisir à être deux pour échanger, rire, manger, s'enivrer, travailler, faire l'amour... ou ne rien faire. Juste rester enlacés, repus, corps encore tremblants de l'étreinte, yeux ouverts sur un vague béat, tête nichée contre une épaule.

L'immense réconfort à parler de ses soucis - bien que je ne me sois guère épanchée sur les miens. Les partager, c'est déjà les diminuer, dit-on. C'est vrai.

Je ne mesurais pas à quel point l'ensemble m'avait manqué, surtout lors de cette année difficile marquée de décès, d'incompréhensions, de combats et de séparations.

 

Dilemme 3Je suis habituée à vivre seule, lutter et me requinquer (presque) seule.

Une femme forte, a affirmé Ayal rencontré en Mongolie. Ayal qui, m'enveloppant de son sourire radieux, me serra à me broyer en s'étonnant de la finesse de mes os, puis s'arrêta pour me souffler :

Woman... You're a tough motherfucker !

Tough, strong, peut-être, mais pas inépuisable non plus.

Avec Erwald je pourrais me reposer. Me laisser porter, un peu. Mais ce serait injuste. Mensonge, manipulation, paiement en fausse monnaie... pas capable. Comme j'échouerai à dissimuler mon énervement si Erwald continue à m'encercler.

Tout ça me flanque le cafard, je crois.

Après quatre petits jours, y a souci, quand même.

Non ?

 

 

Photos : André Kertesz et Robert Mapplethorpe.

Pin up de Gil Elvgren.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
Ecrire un commentaire - Voir les 5 commentaires
Jeudi 7 juin 4 07 /06 /Juin 14:25

ProtectionDemain j'ai prévu une troisième session d'hydrothérapie avec Noam.

La première fut intense, extraordinaire, bouleversante, érotique, débordant d'un désir que nos chairs exsudaient de tous leurs pores.

"Loaded", avait appuyé Noam.

Overloaded, plutôt. Impétueuse et chargée jusqu'à la gueule, pire qu'une mitrailleuse impatiente de griller ses cartouches.


La deuxième fut apaisée et apaisante, salutaire pour mon dos bloqué des cervicales aux reins.

Grâce aux mains expertes de Noam le reflux de la douleur.

Depuis, celle-ci s'est concentrée en bas à droite. Sourd rappel que je n'en ai pas encore terminé avec elle. Que mes mouvements - comme ma marge de manoeuvre - demeurent restreints.

Depuis cette dernière séance, plus aucune nouvelle de Noam.

Juste un grand silence blanc.


Noam s'est à dessein retranché de mon quotidien. En a disparu happé par le sable.

Finis, ses messages journaliers n'avouant pas grand-chose hormis l'essentiel : que j'appartenais à sa vie. Même à toute petite échelle, même sur la pointe des orteils.

Souvent à la lisière, certes. Mais à l'intérieur malgré tout.

Finis, nos rendez-vous conclus au crépuscule. Quand Noam timidement s'invitait chez moi, heureux de passer un moment - ou la nuit - en ma compagnie.

Pour du sexe mais pas que.

 

Ses avertissements ont pris poids et corps. Devant l'intimité comme face à une ennemie, Noam bat en retraite. S'il donne à son insu, il reprend de son plein gré.

Je sais qu'il a sa route à tracer, sa place à se tailler, ses peurs et ses démons à mater. Comme chacun ses chagrins, ses doutes, ses lignes de faille.

Vulnérabilité que personne n'aime à exposer, fût-ce à des yeux bien intentionnés.

Je l'envisage tel un fait.

Ses dérobades ne me blessent pas. Elles me collent au palais un persistant goût de "dommage", d'inachevé, de gâchis un peu triste.

L'impression d'un corset trop serré que Noam peine, engoncé, à délacer. Une ligne de conduite obligée, avec débandade programmée au bas de l'obstacle. Le contourner, l'occulter faute de pouvoir le franchir.

La démonstration de cette force qu'il revendique façon garde-fou. Quitte à se tirer une balle dans le pied.

 

Hier, Bertille résuma le tout d'un adjectif limpide : empêtré.

Noam est empêtré. Dans lui-même, ses envies et ses contradictions.

Alors, incapable de se délivrer, il m'exclut.

- Un message quotidien, mazette... Déjà trop d'implication, sans doute ! s'esclaffa mon amie.

- Tu as raison... Pire qu'une alliance ! renchéris-je.

Nous rîmes.

Oh, je m'en doutais bien. Mon amant n'a ni l'aisance désinvolte, ni la flamboyance de certains qui, se cherchant, s'adonnent tête baissée à toutes les expériences. Traversent les cerceaux de feu des remords, progressent par l'erreur en renversant tout sur leur passage, ne laissant que décombres dans leur sillage.

Noam est beaucoup plus posé. Plus mature peut-être. Ouvert et renfermé, léger et grave à la fois. États juxtaposés ou surimprimés, étrange kaléidoscope esquissant un homme en devenir.

 

Protection 2Moi, cet homme, je le laisse s'esquiver, s'effacer et s'amoindrir sans ébaucher le moindre geste pour le retenir.

Puisqu'il en a décidé ainsi, qu'ainsi ce soit.

Passive, vide de la tentation de me battre ou de m'imposer.

Parce que cette lutte réclamerait des efforts que je répugne à fournir.

Parce qu'elle est vaine.

On ne contraint personne à revenir d'une terre d'exil. Pour en quitter la grève, encore faut-il le vouloir.

Pour une relation, il faut être deux.


Mais en secret je râle un brin.

De me voir imposer des limites qui ne sont pas les miennes, mais que j'admets au nom de la tolérance.

D'être mise d'autorité à la diète, régime d'abstinence et de modération qui me dépasse. Quand c'est bon, très, pourquoi ne pas s'en délecter ? Croquer à belles dents et non du bout des lèvres ?

De devoir, aussi, marcher à rebours de moi-même. Contre cette conscience aiguë de l'extrême fragilité des choses et des êtres. Probable leçon tétée au désespoir, à l'inutile révolte face à la disparition de ma mère.

Demain Noam peut se réveiller très malade. Demain ou le mois prochain en Mongoliele fil ténu de ma vie peut également se rompre.

Une mauvaise chute de cheval, ça n'arrive pas qu'aux autres.


Jour après jour, la mort tour à tour menaçante et complice se tient à l'arrière-plan de ma vie. Présence qui me pousse à en jouir au mieux, de cette vie, d'un élan qui ne m'est cependant pas naturel.

Ma nature serait plutôt la nostalgie. L'impuissance zébrée d'actions d'éclat, le retrait sillonné de scintillantes éclipses, la raison déchirée de coups de folie.

Des années à Paris j'ai habité une prison de glace.

Une absolue constipée de l'existence.

Vous qui lisez ce blog depuis peu, cela vous étonnera peut-être. C'est pourtant vrai.

 

À une semaine de mon départ, j'aimerais savourer une (non) relation. Pleine et sans contraintes. Spontanée et dénuée de déprimants comptes d'apothicaire : mercredi et vendredi suivis une pause obligée ; lundi, mardi mais pas trois journées de suite ; samedi matin-midi, d'accord, mais pas le reste du weekend.

Noam peut baisser la garde, ôter son armure, poser ses abattis sur le tapis. Il aura plus que le temps de les numéroter une fois que je serai loin. De ranger dans les bonnes cases ces bouts de lui éparpillés. D'y coller à sa guise les étiquettes de défiance, protection, attente, recul, échec.

Mais pas maintenant.

 

Protection 3Et je m'interroge, aussi, sur l'intimité.

J'ai proposé à Noam de s'installer dans la villa en mon absence. Loyer payé, bien sûr. Maison vide ou pleine, celui-ci est dû au propriétaire.

Après son bungalow en nipa*, ce serait un fastueux changement de cadre.

Avec le confort moderne de l'air conditionné, de la chaudière pour attiédir la douche, d'une cuisine fonctionnelle, d'une chambre d'invités, d'un sommier confortable et d'une grande table pour travailler.

Avec des murs en béton qui isolent de l'humidité, du carrelage qui ne tache pas les pieds, du linge qui fleure bon la lessive et non le moisi.

Avec la piscine indispensable à son gagne-pain : les sessions d'hydrothérapie.


J'étais certaine que Noam refuserait.

Il n'a pas dit non. Ni oui, d'ailleurs.

Seulement qu'il me remerciait et se sentait, tout à coup, un enfant très gâté.

Seulement qu'après tant de luxe, le retour à son bungalow risque d'être cruel.

Seulement qu'il y réfléchirait.


Pour un homme s'effarouchant de l'intime, sa réponse me désarçonna.

Qu'y a-t-il de plus intime, justement, que d'occuper la demeure d'une amante ? 

D'y apporter ses possessions, de pousser ses affaires et d'investir ses placards ?

De voir ses produits de toilette et de beauté étalés ?

De retourner son tiroir à godemichés, de caresser et flairer ses petites culottes ?

De fouiner, peut-être, ses poubelles et sa panière à linge sale ?

D'accéder à son ordinateur que, rempli de textes et de photos, elle lui prête ?

En tout cas, de jouir pour sûr du jardin dont chaque jour elle se repaît, de sa terrasse chaque soir bercée de cigales, du matelas sur lequel chaque nuit elle repose.

Bref, de son monde dont elle a ouvert grand l'accès.

Qui ne dit mot consent. Accepter, c'est déjà partager. Et connaissant Noam, je sais qu'il ne s'y résoudra pas par pur intérêt. 

Aussi sa perception de l'intimité ne laisse-t-elle pas de m'étonner.

Décidément, ni lui ni moi n'en plaçons les contours aux mêmes endroits. 


 

 

Une chanson pour Noam (et pour moi aussi, je crois...)

 

* Nipa : grandes feuilles d'arbre assemblées sur des étais de bambou. Il s'agit d'une "native house", hutte traditionnelle qui n'isole ni de l'humidité, ni des insectes, ni du bruit (et fort peu des voisins... qui peuvent voir au travers !). 

 

Pin-up de Gil Elvgren.

Photos :  DR (portrait de Joan Crawford), Elinor Carucci.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
Ecrire un commentaire - Voir les 2 commentaires
Mardi 5 juin 2 05 /06 /Juin 18:22

Un cunni etAlister est exactement mon type d'homme : très brun, les yeux café, la peau mate, un visage régulier ombré d'une barbe discrète. Intelligent aussi. Cultivé, sensible, brillant, ambitieux, spécialiste dans un domaine de pointe.

Professeur, chercheur, dirigeant d'une entreprise qu'il vient de fonder.

Alister passe sur l'île quelques jours de vacances. En chemise et long short kaki, loin de l'image guindée du patron, il fourre ses orteils dans le sable et s'esclaffe renversé sur sa chaise.


Lorsqu'il frôla plus tôt ma table, je tressaillis. Le trouvai aussitôt attirant, cet inconnu marchant à rapides foulées. Me surpris à me sentir soudain très seule. À imaginer cet étranger serré contre moi. À deviner la forme de sa verge sous son boxer et sa façon de faire l'amour.

Énergique, certainement. Et tendre. Et passionnée.

Je m'ébrouai. Assez de divagations pour ce soir, j'avais dit.

Alors, un peu vide, un peu grise, je retournai à mon livre et mon vague à l'âme.

Plus tard la serveuse demanda :

- Are you alone, Sir ?

Un "yes" sonore me fit sursauter. Je me retournai.

Le bel étranger était assis juste derrière moi.


J'ignorais encore que bavarder avec lui serait un tel bonheur. Alister a l'esprit vif, pénétrant comme une lame. Des références qui ne me sont pas étrangères. Une habile façon d'envisager les problèmes, de les inspecter sous différentes facettes.

En lui je reconnais l'empreinte d'une formation universitaire poussée, une attention portée aux mots, une élégance et une finesse plutôt rares.

Assurément cet homme a tout pour me séduire.

Sauf qu'il a déjà une compagne.

Plus tôt nous discutions du couple. Du contrat, tacite ou non, qui lie chacun.

À ma question "quel est le vôtre, d'ailleurs ?", Alister souffla :

- Le contrat classique.

- La fidélité réciproque, tu veux dire ?

- Oui. Je crois que c'est ça.

Alister croyait sans en paraître ravi. Il évoqua le désir, cette possibilité toujours ouverte qu'une inconnue le bouleverse, lui lâche des papillons dans l'estomac, réveille l'émotion, la cuisante tentation de s'approcher plus près.

Jusqu'à ses lèvres. Jusqu'à son sexe.

- Personne n'est à l'abri. Surtout d'un coup de coeur...

La prophétie me sembla sage, conforme à la vie telle qu'elle est.

J'acquiesçai sans réserve.

 

Les heures défilent et Alister se désole ne pas m'avoir connue plus tôt. Nous aurions pu parler d'une foule de sujets, paresser à la plage et plonger ensemble.

J'aurais pu l'éclairer sur le quotidien aux Philippines, mon expatriation, les étranges signes qui parsèment ma route, ma vision de l'existence et les bizarres articulations de la mienne.

Nous aurions pu mais voilà : Alister quitte l'île au petit matin.

Encore une rencontre à peine éclose que déjà tuée dans l'oeuf.


Un cunni et 5bisCette répétition m'apparaît frustrante, lassante, épuisante. Tous ces hommes croisés, leurs espoirs, leurs croyances, leurs histoires, leurs confidences, tous ces bouts d'eux qu'ils me laissent en s'éclipsant me donnent le tournis.

Me peinent, même.

Pénible impression d'une richesse qui, bien qu'étalée, me demeure inaccessible.

D'un mets délicieux duquel je ne goûte qu'une bouchée.

D'un parfum entêtant, à peine humé mais trop vite évanoui.

L'impression, aussi, d'être la dépositaire de bribes d'hommes bruissant au fond de moi tels des murmures. Chacun unique, doté de ses inflexions propres.

Unique mais confondu à un grand choeur, la chorale de mes amants, de mes amis, de mes absents.


Moi aussi je regrette qu'Alister plie bagages. J'aurais volontiers savouré du temps en sa compagnie. Journées de concorde, désintéressées puisqu'il n'est pas libre mais tenu par un contrat qui m'exclut.

Aussi suis-je effarée lorsque, sur le chemin nous reconduisant chacun chez nous, Alister stoppe net.

- Je dois t'avouer quelque chose...

- Oh. Pas grave, j'espère ?

- Si. Je... Tu... Oh, et puis zut ! Tu me plais beaucoup. Beaucoup trop.

Le sens a beau être limpide, j'ai du mal à en croire mes oreilles.

Rien, lors de cette soirée, ne m'a laissé présager que. Ou si, peut-être.

Une lueur plusieurs fois allumée dans les prunelles d'Alister. Sa voix altérée à mesure des heures. Ses approbations tandis que nous évoquions l'abandon, le plaisir et leurs parts d'incommunicable. Les mots qui gâchent les déduits, les comptes-rendus qui ternissent les étreintes.

Point par point, Alister me confortait dans mes opinions. Les complétait, même, comme s'il avait habité mon cerveau. Connivence, complicité... Cette proximité était aussi troublante qu'un baiser désiré mais gardé pour soi, retenu ou plus justement occulté.

Sachant qu'Alister avait une femme dans sa vie et un contrat de fidélité, j'avais décidé de ne rien remarquer.

M'étais persuadée qu'il n'y avait rien à remarquer.


Stupéfaite, je ne pus bredouiller que :

- Par-don ?

J'ai craqué, voilà. Oh, je me doute que... J'ai bien conscience de... Mais c'est plus fort que moi. J'aime ce que tu penses, ce que je devine et ce que je vois. Ta robe et tes mains. Tes épaules et le sable sur tes pieds et la...

- Mais, Alister...

- Quoi ? Les papillons dans l'estomac, c'est maintenant. Quand je te regarde.

Qu'objecter à ça ?

Le silence.

- J'ai une proposition à te soumettre, poursuivit-il. Ne la rejette pas d'emblée... Écoute-moi, s'il te plaît.

- D'accord. Je t'écoute.


Un cunni et 2Alister me proposa de l'accompagner à son hôtel. Où il m'offrirait, jusqu'à l'orgasme, un des plus délicieux cunnilingus de ma vie. 

Notre rapport s'arrêterait là. Aux embrassades, aux caresses, à sa langue au creux de mon sexe.

En échange je ne ferais rien. N'aurais rien le droit de faire. Juste celui de profiter, de m'enivrer et de lui faire cadeau de ma jouissance.

Ensuite je quitterais la chambre. Rentrerais chez moi pour le laisser seul.

- Mais... C'est horriblement frustrant ! m'écriai-je.

- Pourquoi ?

- Parce que dans recevoir sans donner, il manque quelque chose... L'essentiel. Le vrai partage, peut-être.

Mais quand Alister me pressa contre sa poitrine, je sentis, fou sous ma paume, son coeur battre à l'unisson de mon sang.

 

 

Photos : Christer Stromholm,

Paul Outerbridge et Man Ray, La Prière.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
Ecrire un commentaire - Voir les 9 commentaires
Dimanche 3 juin 7 03 /06 /Juin 21:39

Un peu plus tôt...

 

Hypocrisie 2Adrien et moi fumions une cigarette sur la terrasse. Minutes de calme et de complicité après l'amour, corps rassasiés et courbatus de trop de jouissance, esprit flottants, apaisés, tout disposés à la concorde.

Le moment se prêtait à interroger mon amant sur son programme.

Depuis quand se trouvait-il sur l'île ?

Y était-il seul ?

Souhaitait-il s'installer à la maison ?

Combien de temps resterait-il ?

Comme d'habitude, tout était très flou.


Parce que pour Adrien, "un plan" est un ensemble confus de multiples projets, d'envies parfois inconciliables, de directions parfois contraires.

Un vaste fourre-tout que, façon sac besace, il trimballe en bandoulière de port en ville. Dans lequel il pioche au petit bonheur la chance, selon les événements, le hasard et l'humeur du jour.

Imprévisible et distrait, le garçon. Égarant son téléphone à Manille, s'empêchant du même coup de m'envoyer un texto. Croyant m'avoir écrit un mail que je ne reçus pas, et pour cause : celui-ci croupissait dans le dossier "brouillons" de sa messagerie.

Anticiper, s'organiser... À quoi bon ?

Tel un chat, Adrien retombe toujours sur ses pattes.


- Hé, pas si vite ! Tu m'as perdue en cours de route ! protestai-je.

Adrien tenta alors d'ordonner le chaos. Reprit son récit en commençant par son déplacement en famille. En grande famille, même.

- Mais dis-moi, vous êtes combien ? Quinze... ? lançai-je en forme de boutade.

Adrien se mit à compter sur ses doigts.

- Mon oncle, un ; sa femme, deux ; leurs enfants, trois et quatre...

- Bon... Ne me fais pas la liste ! À peu près.

- À peu près quinze, tu as raison.

Je me retins d'écarquiller les yeux. Bouger avec toute la smala est habituel aux Philippines, où la notion de famille, généralement étendue, prime sur le reste.

Tant et si bien que choisir, comme moi, de se séparer des siens sans pression économique, de vivre seule et de goûter cet isolement est de la science-fiction.

Tant et si bien que les voyageurs solitaires forment l'exception.

- Ta famille, donc...

- Oui, pardon.

Le groupe entier, Adrien compris, revenait donc d'une fiesta typique : deux jours et deux nuits passés à manger et à boire.

Je souris.


J'avais déjà plaisanté mon amant sur sa double culture. Les doutes, les tensions, la fatigue que devaient générer le choc de leurs valeurs. Le clash de ces deux mondes ayant si peu en commun, voire tout d'opposé.

Côté paternel, la Suisse et sa réputation de sérieux guère pris en défaut, d'efficacité huilée, de neutralité historique, de pointilleuse exactitude, de lisse politesse.

Côté maternel, les Philippines et leur joyeux bordel. Le culte de l'à-peu près, le manque de logique, le désopilant et désespérant "out of stock-factory defect, Mâ-âm", l'incompétence de certains médecinsla crispante lenteur et la dangerosité des transports, le rubber time, temps élastique poussant chacun à arriver en retard.

 

Hypocrisie 3Adrien avait acquiescé.

Non, cette appartenance duelle n'était pas facile. En lui leurs moitiés se hélaient, se contredisaient, se battaient.

Rarement il y avait de victoire par KO.

Le plus fréquemment la médaille d'or dépendait de la géographie : en Suisse Adrien était Suisse, et aux Philippines, Philippin.

Un vrai Pinoy dans une peau de demi-blanc.


Adrien évoqua également les travaux de sa maison qui, à Puerto Princesa, piétinaient.

Son séjour à Manille, où il devait retourner pour récupérer du matériel informatique.

Son vol qui décollait le lendemain.

- Demain ? répétai-je stupéfaite. Mais à quelle heure ?

- Tôt...

Il grimaça. J'hésitai entre l'hilarité et l'agacement.

- Je ne voulais pas repartir si vite, mais voilà... C'est mon oncle qui a réservé les billets. Et j'ai peu de chances de les changer sans les perdre.

- En effet.

Pour une visite éclair... C'en était une.


- Et tu comptes, euh, dormir chez moi ?

- J'avais pensé que...

Adrien s'interrompit en penchant comiquement la tête.

- Mais ta famille, elle est à l'hôtel ?

Oui, elle y était. Loin de la plage, dans un complexe chic et le pur style philippin : à quinze pour deux chambres.

Je gloussai. Songeai à Yann qui évitait, pour son établissement, la clientèle pinoy. Ne l'acceptait qu'après une réponse satisfaisante à la question :

- Mais par chambre, combien serez-vous ?

Les Philippins tendent à restreindre le budget "nuit" au plus étroit. Serré comme leurs corps tête-bêche sur un seul matelas, endormis à même le carrelage, exilés sur la terrasse ou entassés dans la salle de bains.

L'intimité n'a ici pas la même importance qu'en Europe. Elle n'en a même aucune.


- D'ailleurs, poursuivit Adrien, j'attends un SMS d'eux. Nous devons dîner à la plage, je les y rejoins... quand ils m'auront indiqué le restaurant.

- Je suis invitée ?

- Si tu veux. Pas de problème, ce sont des gens aussi accueillants qu'adorables. De très bonnes personnes, ma famille.

J'étais curieuse de la connaître. Curieuse, aussi, de découvrir le comportement d'Adrien en société. L'articulation, l'harmonie ou les dissensions entre ses parts suisse et philippine.

Et simplement heureuse de prolonger cette unique soirée.

Quand le texto arriva, nous étions occupés à discuter.

Et Adrien lut, bouleversé, le texte de notre nuit fauve.

Et je m'octroyai le temps de me préparer.

Une douche. Un shampooing. Une robe dos nu. Des sandales à bride. Du blush, du mascara, un trait de crayon noir sous les paupières. Quelques bijoux discrets.

Un large sourire placardé aux lèvres pour rencontrer des gens si sympathiques.

Nous quittâmes la villa à huit heures et demi.


Hypocrisie bisAdrien avait garé sa moto sur le parking de mon compoundIl l'enfourcha et démarra.

Je me lovai contre lui, coulai mes paumes sur ses hanches.

- En fait... Par rapport à ma famille...

J'ôtai aussitôt mes mains, les rangeai sur mes genoux et reculai sur le siège.

- Désolé. Je ne veux pas te vexer, mais c'est délicat...

- Message reçu, dis-je sèchement. Et en leur faussant compagnie, tu leur as raconté quoi ? Qui suis-je censée être ?

- Une excellente amie.

- Une excellente amie du mois dernier ? persiflai-je. Ou faut-il prétendre s'être rencontrés il y a un quart de siècle ?

- Non, non. Inutile d'entrer dans les détails.

- Mais enfin, les détails, tout le monde les connaît ! Ta famille n'est ni idiote, ni aveugle. Débarquer ensemble, très en retard et les cheveux encore mouillés... Plutôt clair, non ?

- Certes. Mais tant qu'ils ne nous surprennent pas...


Ah. Nous y étions enfin. À nouveau le règne de l'hypocrisie.

Ce qu'on ne voit pas n'existe pas. Refusé, nié, occulté, circulez.

Seules les apparences comptent. Même branlantes, mêmes bancales.

Ici, des nappes de gala recouvrent de misérables tables rafistolées.

Là, les beaux costumes des danseurs de parade sont reprisés au gros fil de pêche et tiennent grâce à des agrafes de bureau. Peu importe puisque, de loin, le résultat reste acceptable, voire produit son effet. Scintillant. Irréprochable. Clinquant.

Là-bas, des maris trompent leurs épouses sans vergogne ni préservatif. Mais tant que les voisins se taisent et que les infidèles reviennent au nid avec nourriture et argent, peu y trouvent à redire.


Moi, j'avais la permission de baiser plus que mon soûl avec Adrien. De le sucer jusqu'à plus soif. De me faire lécher jusqu'à plus faim. De le ligoter, l'étrangler, uriner sur lui dans la douche, jouir à en ameuter ma résidence. Ou la sienne si elle était déserte.

Tout les permissions, oui. Sauf celle de lui frôler le bras en public. Parce qu'alors, notre intimité ne pourrait plus être ignorée.

Que la famille au complet sache n'était pas la question.

La question était qu'elle ne voulait ni voir, ni entendre, ni en parler. Comme ce célèbre trio de singes qui s'obstrue en simultané les yeux, les oreilles et la bouche.

De surcroît j'étais blanche. Blanche et plus âgée qu'Adrien.

Impardonnables péchés originels.

 

Nous stoppâmes sur la route de la plage. Avec trois heures de retard, Adrien rendit la moto à son propriétaire.

- Une idée d'où se trouve le restaurant ?

- Oui, répondis-je. En bas à droite.

Je tus que je ne l'aimais pas. Que la nourriture y était mauvaise, le service calamiteux. Que le bord de mer regorgeait d'endroits plus agréables.

Le lieu était d'ailleurs presque vide, ce qui rendait la famille d'Adrien encore plus visible : une longue tablée de Pinoys et de métis. Certains à la carnation si pâle qu'on les aurait juré occidentaux.

Des enfants endormis ou vautrés sur la nappe. Certains arrimés à leur téléphone, d'autres obèses, ou les deux.

Des matrones à la mine épuisée ou revêche. Des hommes à l'air rigolard.

Tous, sans exception, avaient fini de manger.

 

Hypocrisie 4Adrien me présenta, d'une voix forte qui résonna jusqu'au bout de la table.

Quelques têtes se tournèrent rapidement vers moi. Quelques bras se levèrent en un vague salut.

Les convives semblaient contrariés. Peut-être de notre retard, probablement de ma présence.

Nul ne me sourit. Nul ne m'adressa un mot.

La réprobation, l'hostilité me semblaient palpable. Un mélange d'indifférence affectée et d'ennui affiché aussi épais qu'un mur de glace, assez solide pour décourager la moindre tentative de le fendiller.

À ce concours, les femmes étaient meilleures que les hommes. Eux, je le sentais, se seraient vite amollis.

Peut-être justement parce que j'étais blanche.


Le message aussi hurlé que parfaitement silencieux était limpide : la puti* n'avait rien à fiche là. Qu'elle dégage !

Je feignis de l'ignorer. Décidai à mon tour de jouer au singe aveugle, sourd et muet. Allai chercher une chaise qu'on ne me proposa pas et m'assis aux côtés d'Adrien.

Qui, lui, ne remarquait rien.

Enjoué il était, enjoué il restait. Agréable, aimable, ne négligeant aucune tante et causant avec chaque oncle.

Je bâillai.


Après un quart d'heure, la famille se leva comme une seule armée.

- Adrien, nous rentrons à l'hôtel.

- Déjà ? Mais pourquoi ?

- Les enfants sont crevés, nous aussi. Et n'oublie pas l'avion demain ! Envol à dix heures, ce qui signifie avant huit heures à l'enregistrement. Donc réveil à six heures, s'il te plaît.

J'étouffai un rire. Deux heures d'avance pour un vol domestique au départ d'un minuscule aéroport... Sûr qu'ils ne rateraient pas leur décollage.

Tant mieux.

Bye bye ! lançai-je à la cantonade debout.

"Et au plaisir de ne pas vous revoir...", complétai-je en secret.

J'aurais tout aussi bien pu le claironner. Mes adieux auraient été planqués sous le tapis. Sous le tapis comme ma personne trop blanche, embarrassante présence dont personne ne voulait.

 

 

* Puti : blanche en visayas.

 

Pin-up de Gil Elvgren.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
Ecrire un commentaire - Voir les 2 commentaires
Créer un blog sexy sur Erog la plateforme des blogs sexe - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés