Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
L | M | M | J | V | S | D | ||||
1 | ||||||||||
2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | ||||
9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | ||||
16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | ||||
23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | ||||
30 | 31 | |||||||||
|
Erwald est arrivé chez moi mains dans le dos. J'avais beau l'attendre, je l'ai regardé un peu surprise.
- Qu'est-ce que tu caches ? ai-je demandé.
Ses mains ont décrit un demi-cercle pour me tendre précipitamment un bouquet.
Erwald avait l'air d'un galant ravi et celui, mutin, d'un collégien me jouant un bon tour. Mes yeux se sont écarquillés, ma bouche s'est arrondie.
Des fleurs... Des années qu'un homme ne m'en avait pas offertes. J'avais même oublié comment c'était, d'en recevoir.
Matt était arrivé à la maison avec une bouteille de soda.
Noam, lui, amenait souvent des fruits que nous partagions en dessert.
Mais comme Adrien, la plupart de mes amants n'apportent qu'eux-mêmes sans que je n'y trouve à redire.
- Zut, je n'ai pas de vase ! ai-je pouffé.
Le rire puis le mouvement pour camoufler mon léger embarras. Un baiser sur sa bouche, une soudaine course vers la cuisine, Erwald sur mes talons, la fouille de tous les placards, le remue-ménage dans les assiettes, les tasses et les verres, la quête d'un récipient pouvant faire office de.
J'ai fini par le trouver. En m'excusant.
Un vieux pot de café à l'étiquette craquelée, déteinte et encore accrochée au verre.
- Pile la bonne taille, a approuvé Erwald. C'est parfait.
- Tu penses ?
Moi, je trouvais ça un peu minable. Le bouquet avait beau être modeste, c'était l'intention qui comptait, et mon pot de Nescafé ne me semblait guère à la hauteur.
Bertille s'en esclafferait plus tard :
- Bon, si jamais il en doutait, il sait maintenant que tu n'as rien d'une fée du logis. Et qu'importe le flacon, hein...
- Pourvu qu'on ait l'ivresse ?
- Bingo.
Bertille et moi avons plaisanté au sujet de cette histoire de vase.
- Mais tu en as un, toi ? l'ai-je questionné.
La réponse fut non, mais mon amie a des cruches.
Les cruches et l'ivresse, justement. C'est là que le bât blesse et que les Athéniens s'atteignirent. Les fleurs d'Erwald m'ont touchée. Mais tandis que, les prenant, je l'observais avec curiosité, ce que trahissait son visage m'a chagrinée.
Erwald m'aime beaucoup, je crois. Beaucoup trop, du moins davantage qu'il ne le devrait. Car moi, l'objet de son désir, je me sens gênée, presque coupable. Parce que cet homme, je l'aime bien.
Juste bien.
Me voilà du coup peinée de ne pas lui rendre la pareille, à la fois séduite et agacée par ses multiples attentions.
Un message, chaque matin vers dix heures, en guise de une bonne journée.
D'autres l'après-midi et le soir en vue de tâter le terrain. Serais-je libre ? Ai-je envie de le retrouver à la plage ? Ou qu'il passe chez moi ?
Si j'ai besoin de me rendre à la ville voisine, il peut m'y emmener en moto. Ou en voiture en cas de pluie ou de ravitaillement programmé.
Si je ne réponds pas à ses messages, Erwald s'inquiète. Me demande si je vais bien. M'appelle pour s'en assurer.
Erwald a pour moi des égards d'amoureux, égards qui me combleraient si j'étais, moi aussi, amoureuse.
L'amour...
Précisément ce qui bouleverse la donne.
Venus d'un homme aimé, ces égards sont charmants ; d'un autre homme, agaçants.
Or là, j'ai l'impression d'être envahie. Étouffée.
Ce qui me rend triste, irritée, irritable.
Au bout de quatre petits jours, il y a souci, quand même.
Peut-être ai-je manqué de discernement. Erwald m'a trop longtemps désirée pour ne pas être enchanté de "m'avoir". Je distingue bien, dans ses prunelles, l'étincelle de fierté quand il parle de moi, l'inquiétude quand j'évoque mon prochain voyage et le soulagement devant ma réponse :
- Combien de temps ? Trois semaines.
Il faudra provoquer une discussion.
J'y répugne. Je déteste blesser, décevoir. A fortiori quelqu'un qui ne m'a causé aucun tort et pire, ne cherche que mon bien.
Mais se taire, c'est pire, non ?
Je ne veux pas forcément que cette histoire s'arrête. Mais si elle continue, que ce soit différemment. Moins de (omni)présence, plus de légèreté.
Est-ce possible ? Pas certaine.
Amoureuse, je suis comme Erwald. Pire sans doute, du moins à l'intérieur : la fébrilité avant un rendez-vous ; le désir d'être avec l'autre, tout le temps ; l'urgence à le voir et le manque de ne pas, ne serait-ce qu'une poignée d'heures ; le sentiment d'être habitée, emplie ; les sourires rêveurs à contretemps, les pensées qui divaguent, les images qui reviennent, embrument mon esprit et creusent mon ventre.
À l'extérieur, la réserve. Je souhaite sans montrer, ou uniquement à petites touches. Trop peur de m'imposer, d'être importune ou, horreur, rejetée.
Je comprends Erwald et cette compréhension même m'est douloureuse.
Personne n'aime à être freiné dans ses élans ni se heurter à une limite en forme de mur. Or Erwald s'en approche et, s'en approchant, devient une menace pour ma liberté, mon espace, mon bien-être.
S'il persiste, je me doute de ce qui arrivera. De l'exaspération, de la colère, une fin abrupte.
À moi de l'éviter. D'essayer, du moins.
Mais cette histoire, si courte soit-elle, est également un révélateur. Il y a de la douceur, oui, dans toutes ces attentions-là, dans cette présence même trop appuyée. Un soutien relevant parfois du détail, comme ces bambous supportant les rideaux de la terrasse que, las de voir branlants, Erwald m'aida à ficeler aux poteaux. Un sentiment d'apaisement, de solidarité, de solitude brisée. D'intimité cette fois partagée, de couple, d'alliance possibles si seulement je le désirais.
Grâce à Erwald j'entrevois à nouveau ce que j'ai fini par oublier : la force d'une union amoureuse. L'intense, le délicieux plaisir à être deux pour échanger, rire, manger, s'enivrer, travailler, faire l'amour... ou ne rien faire. Juste rester enlacés, repus, corps encore tremblants de l'étreinte, yeux ouverts sur un vague béat, tête nichée contre une épaule.
L'immense réconfort à parler de ses soucis - bien que je ne me sois guère épanchée sur les miens. Les partager, c'est déjà les diminuer, dit-on. C'est vrai.
Je ne mesurais pas à quel point l'ensemble m'avait manqué, surtout lors de cette année difficile marquée de décès, d'incompréhensions, de combats et de séparations.
Je suis habituée à vivre seule, lutter et me requinquer (presque) seule.
Une femme forte, a affirmé Ayal rencontré en Mongolie. Ayal qui, m'enveloppant de son sourire radieux, me serra à me broyer en s'étonnant de la finesse de mes os, puis s'arrêta pour me souffler :
- Woman... You're a tough motherfucker !
Tough, strong, peut-être, mais pas inépuisable non plus.
Avec Erwald je pourrais me reposer. Me laisser porter, un peu. Mais ce serait injuste. Mensonge, manipulation, paiement en fausse monnaie... pas capable. Comme j'échouerai à dissimuler mon énervement si Erwald continue à m'encercler.
Tout ça me flanque le cafard, je crois.
Après quatre petits jours, y a souci, quand même.
Non ?
Photos : André Kertesz et Robert Mapplethorpe.
Pin up de Gil Elvgren.
On n'est pas ouvert à la gastronomie lorsque l'on est mort de faim. Il m'est arrivé de trop aimer parce que trop plein de désir. Souvenir douloureux qui m'a beaucoup appris. A cette plume...
Oui, probable qu'en effet ce trop plein mène à la souffrance, car le déséquilibre de départ est tel que le (la) partenaire ne peut le combler. Quand il (elle) n'en est pas effrayé(e) parce que tout ça va bien trop vite pour lui (elle)... L'apprentissage par l'erreur est cruel mais aussi formateur, à condition, comme toi, d'en tirer un enseignement. Une leçon de vie, presque ?
4 jours... C'est rien, 4 jours. Pour l'un, comme pour l'autre. Tu as donc la possibilité / le droit / le devoir (hihi) de mettre les choses au clair avant qu'il ne soit "trop tard". Pour toi, comme pour lui.
Bien sûr, c'est plaisant, tout ce que tu décris (je réalise aussi que je n'ai plus, tout ça, alors que je vis "à côté" d'un homme, et ça me manque, ces "petites" choses) mais je comprends ton sentiment.
Ce n'est pas naturel, que ça aille si vite, si "fort". Enfin, moi, je me méfie de ce genre d'hommes, maintenant. J'en ai connu quelques-uns, ils sont du genre à avoir besoin de tout vivre en mode extrême, ensuite : les grands sentiments, la jalousie, ne plus laisser de libertés, vivre constamment avec des mises au point animées (qui donnent de belles réconciliations, mais qui usent).
Et parfois, on a besoin de simplicité. Puis d'espace pour soi.
S'il en est à appeler quand tu ne réponds pas à un sms... moi, je fuirais, même si l'homme en question était adorable. Ne pas répondre à un sms = besoin d'espace, besoin de MA vie, occupée aussi à autre chose. Insister (surtout si peu de temps après la rencontre) ne me parait pas super respectueux.
Bonsoir Ombre,
merci pour ton message. C'est exactement ça, de bout en bout !
J'allais suivre ton conseil mais le monsieur a pris les devants... Peut-être écrirai-je une note à ce sujet pour conclure cette relation à peine commencée, peut-être pas. Bref, après une salve de SMS alors que j'étais absente pour qqs jours - dont un en plein milieu de la nuit, sympa pour les amis qui m'hébergeaient ! -, il a décidé que c'était fini parce que je ne lui avais pas répondu (je l'ai fait pourtant, mais il a prétendu ne pas avoir reçu mes messages). Tant mieux, car tant d'insistance et d'emportement m'ont mise hors de moi.
Comme je le lui ai écrit : je ne te dois rien, et si c'est déjà le drame au bout de 4 jours, non merci. Où est le respect ? Je refuse d'être mise en cage et compte bien vivre comme je l'entends.
A voir maintenant s'il se tient à cette rupture. Je ne serais pas surprise de le retrouver à ma porte dans les jours qui viennent...
Une histoire de quatre petits jours pour toi, mais bien plus pour lui. Tu interprète ses attentions, ses regards, mais peut-être aime-t-il avant tout le désir qui continue de le brûler. Et qu'il te dit - en cherchant à sa manière à rester présent- qu'il aimerait qu'il en fût de même pour toi ... ?
Bien d'accord avec toi, je pense en effet que ma perspective (4 jours) n'est pas la sienne (plus longtemps), ce qui entraîne un décalage impossible à résorber. Mais au vu des récents événements, je soupçonne tout de même qu'Erwald souffre d'autre chose que de désir exacerbé. Fragilité psycho et relationnelle ? Intolérance absolue à la moindre frustration ? Besoin de posséder ? Autre chose ou les trois ensemble ? Je l'ignore mais ça en été devenu presque effrayant...
Lectrice silencieuse et adminrative jusque-là, je me décide à intervenir car ce texte m'évoque des souvenirs.
J'ai connu moi aussi un homme prévenant, attentif et très collant. Alors que je regrettais, jusque-là, qu'on ne m'ait pas prodigué ces petites attentions qui sont si peu de chose et tellement à la fois, j'ai été tout étonnée de, très vite, ne ressentir que de l'agacement. Dans mon cas aussi il y avait un décalage de sentiments et, du fait qu'il en faisait trop, je percevais ses agissements comme des tentatives pour grignoter mon indépendance et je me sentais agressée. Mettre aussitôt un terme à la relation est la seule solution que j'ai trouvée. Si j'en ai été soulagée, depuis je me pose beaucoup de questions sur moi-même et ce que je veux, sans trouver de réponses.
Marie, intervenir, vous faites bien ! Quel plaisir de vous accueillir ici !
C'est moi qui suis admirative devant vos critiques littéraires : cet art-là est difficile, entre objectivité et subjectivité. Il faut mettre de l'ordre dans ses ressentis puis les exprimer, parler technique mais pas trop, évoquer l'histoire sans la déflorer...
Vous y parvenez si bien que vous me frustrez souvent, limitée que je suis aux Philippines pour le choix des livres !
Vous vous posez beaucoup de questions depuis... Et si la réponse était "oui, je souhaite des attentions mais ni sous cette forme, ni avec cette intensité-là (ni de la part de cet homme-là)" ?
J'avoue m'être aussi interrogée sur fond de rengaine familiale à base de "mais tu es trop exigeante / tu ne peux pas tout avoir / tu n'es jamais contente..." Mais en fait, non, car la contradiction n'est qu'apparente : il est légitime de souhaiter qu'un homme prenne - un peu - de soin de nous, mais il est également légitime de se défaire d'un homme "très collant". Surtout lorsque son attitude menace notre vie personnelle (ie sans lui), notre équilibre, notre tranquillité.
Il est aussi légitime de souhaiter ces attentions-là, mais venues d'un autre homme. Un que l'on aime et à qui l'on est prête à rendre la pareille.
Ce n'est guère juste, certes, mais qui a jamais prétendu que la vie l'était ?
Le fait est que la répétition, l'intensité de ses attentions les rendent inopportunes, voire suspectes, comme la limite est parfois mince entre le souci portée à l'autre et son envahissement/étouffement progressif.
Un homme véritablement respectueux se doit de respecter le rythme et les besoins de son partenaire, a fortiori au début d'une relation. S'il ne le fait pas lors de cette lune de miel, qu'attendre de la suite ?
Si notre sonnette d'alarme retentit, c'est qu'il y a problème. Parfois celui-ci peut être réglé en communiquant, parfois non. Et là, il est important d'écouter ses envies : est-on prêt(e) à faire des efforts pour (tenter d')améliorer cette situation ?
Il faut, je crois, se faire confiance, s'écouter. Combien de fois, à vouloir négliger alarme et envies, je me suis embourbée dans des situations pénibles et petit à petit inextricables ?
Le Mingus du blog a été pour moi une bonne leçon. J'ai su très vite que quelque chose clochait avec/dans cet homme-là. J'ai voulu passer outre - notamment par besoin d'être soutenue et aimée, j'étais fragile lorsque je l'ai rencontré - et j'ai eu tort.
Résultat : une année à batailler pour une rupture aussi violente que catastrophique. Ce qui signifie aussi des déchirements épuisants, de l'énergie dépensée en pure perte, des phases de doute, de découragement, de ras-le-bol terribles et bien du mal à s'extraire de cette histoire qui, même après rupture, relevait du harcèlement.
Une anecdote à ce sujet : j'ai parlé à Erwald de Mingus (les deux s'étaient d'ailleurs rencontrés et aussitôt détestés... Bizarre, non ?). Lui ai expliqué qu'au vu de ce passif-là (entre autres !), je coupais maintenant court à toute histoire ressentie comme potentiellement toxique, et ce sans attendre qu'elle le devienne.
Erwald a ri et affirmé :
- Bah non, tu verras, ça t'arrivera encore. On parie ?
Cette réaction m'a fait tiquer. Impossible de me sortir de la tête qu'il faisait référence à lui-même... Peut-être avais-je tort, mais tant pis. J'ai pris ma sonnette intéreure en compte au lieu de la forcer à se taire. M'en voilà aujourd'hui soulagée... Preuve que j'avais raison ?
Effrayant, c'est ce que j'ai pensé en lisant le commentaire n° 3. Et donc à fuir!
Allez, je t'inflige une fois de plus une formule qui me vient à l'esprit: he was slobbering all over you. Comme on ne se refait pas, j'ajoute la définition et l'exemple du dictionaire:to indulge in mawkish sentimentality: My family slobbered all over me when I finally got home.
Ah ah, pour rebondir sur ton exemple, voilà bien une attitude que n'aura jamais ma famille envers moi ! :)
Nous sommes bien d'accord... et encore, je n'ai pas tout raconté, à savoir ses messages distants d'une petite demi-heure, à base de relances et de ??? lorsque ma réponse n'arrivait pas.
Si je renverse la situation, je serais plutôt inquiète pour l'autre à qui il est peut-être arrivé quelque chose au lieu de "péter un boulon" et de lui hurler dessus par texto interposé. En l'occurrence, nous avons passé la matinée à courir les cabinets d'ORL pour Bertille et de dentiste pour moi...
3 consults en 2 heures, qu dit mieux ?
Etant, hum, passablement énervée par le réveil à 3h40 (am) après deux nuits trop courtes, j'avais pris la précaution d'éteindre mon portable. Lorsque je l'ai rallumé, Bertille était là et nous avons découvert ensemble les SMS d'Erwald. Elle était très inquiète, prévoyant des complications à mon retour : Erwald ne désarmant pas, faisant le siège de mon téléphone et de ma maison, devenant vraiment harceleur et surtout agressif.
J'avoue que son silence depuis ne me convainc qu'à demi. Cette acceptation de la rupture me semble louche, trop facile et rapide après tous les châteaux de sable qu'il a dû se construire. Je m'attends à une rechute - en espérant me tromper, bien sûr. M'en fiche de jouer le mauvais rôle et de ce qu'il racontera éventuellement sur moi. Je veux juste être tranquille ! Mais parfois, c'est semble-t-il trop demander...