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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Dimanche 30 septembre 7 30 /09 /Sep 14:28

Lou2Il y a deux ans et demi que je vis Lou pour la première fois. Il rendait visite à Tim, mon instructeur de plongée également en charge du dive shop.

Lou me fut rapidement présenté. Nous nous serrâmes la main. Je fixai ses iris jais et le trouvai beau.

Lui et son mystérieux visage d'Asie, fermé et ouvert à la fois.

Lui et ses paupières en amande, son nez court et sa bouche écartée sur ses dents.

Lui et corps tout en souplesse et puissance, vigueur féline comme enroulée sur elle-même.

 

Le contact entre nos paumes fut bref. Alors que Lou retirait la sienne, je me surpris à songer à ses lèvres. À leur plein contre mon cou, leur contact tendre sur mes seins, leur lent écartement lapant la sueur perlée de ma bouche.

Lou se tourna. Je vis mes doigts se poser sur la courbe bronzée au-dessus de son tee-shirt blanc, encercler sa nuque, remonter avec lenteur sur son crâne et tirer ses cheveux.

Je ne serrai que ma cuisse sous la robe.

J'espérais que Lou resterait. J'espérais avoir l'occasion de le connaître.

Il n'était que de passage.

Le lendemain, il partit.


Voilà trois semaines que j'essayais de voir mon ancien instructeur. Chacune de mes tentatives se soldait par sa chaise vide. Aïdée, la secrétaire, me conseillait toujours de repasser.

Une après-midi, j'arrivai de bonne humeur après un cours donné à des Philippins. Une bretelle de ma robe rouge me tombait obstinément sur l'épaule, dévoilant le haut de mon maillot.

 Je poussai avec énergie la porte du dive shop.

Il y avait quelqu'un assis au bureau de Tim. Mais ce n'était pas Tim.

C'était Lou.

J'écarquillai les yeux de surprise.

Lou se leva, me salua, me tendis la main. Par dessus le comptoir vitré ses doigts se refermèrent sur les miens. Carrés, puissants à me faire mal.

Je souris. J'aimai ce contact franc, énergique. Prometteur.

Lou se présenta. Je lui glissai que nous nous étions déjà vus il y a longtemps. Que ce fut très rapide et qu'il avait sans doute oublié.

Ses yeux se perdirent sur mon visage. S'éclairèrent.

- Ah oui, je me souviens de toi !

Je m'étonnai. Relançai d'un "vraiment ?" gentiment incrédule. Lou m'assura que "oui, oui". Peut-être mentait-il, mais avec grâce, et sa confirmation eut le don de me faire très plaisir.

 

Mystere Lou 2bisNous parlâmes. Derrière le dos de Lou, un miroir me faisait face. Je m'y voyais comme lui me voyait : très bronzée, le front sillonné de boucles blondes, les lèvres rehaussées d'une mince pellicule de sueur, des yeux si clairs qu'ils en paraissaient artificiels, transparents, presque liquides.

Ce jour-là je me trouvais jolie. Lou aussi, apparemment. Souvent ses prunelles s'allumaient pour brutalement s'éteindre sur une question muette, ouverture suivie d'un déconcertant repli me faisant douter de ce que j'avais perçu.

Et nos bouches, civiles, continuaient leur inoffensive conversation : la capacité des bateaux naviguant autour de l'atoll de Tubbatahala qualité de la nourriture à bord, le nombre de plongées par jour, les espèces de poissons rares...

 

J'avais aussi besoin d'une combinaison de plongée et peut-être d'un ordinateur, mon Suunto se trouvant en Finlande pour réparation.

- Je peux te prêter le mien, tu sais...

Je me récriai. La réparation ne devrait pas prendre trop de temps. L'ordinateur serait, je l'espérais, revenu avant mon départ.

Au poignet de Lou, le même que le mien. Sur lui, il semblait parfait. Sur moi, trop gros. Trop lourd aussi. Une journée avec cet instrument à mon bras et ma peau devenait douloureuse, irritée par l'encombrant frottement du bracelet.

And a wetsuit, please ?

Lou me désigna quelques combinaisons pendues sur des cintres.

Which size you need ?

S, maybe XS.

Lou détailla mon corps sous la robe. Je souris mais nerveusement, soudain gênée par l'impression d'être passée au crible.

- Try this one !

Il déménagea les cartons qui obstruaient la cabine d'essayage.

"Elle ne doit pas servir souvent", pensai-je. Je me moquais bien, d'ailleurs, de l'utiliser. Tant de fois j'avais arpenté ce magasin en maillot que me cacher derrière un rideau me paraissait saugrenu. Et je songeai en riant à cet Indien qui un jour m'arrêta devant le dive shop.


Je rentrais de deux plongées avec des clients. Fraîchement revenue du bateau, encore en maillot de bain, je portais une lourde caisse de matériel. Butai presque contre cet homme sur le chemin de la plage.

Il me coupa la route d'un enthousiaste :

I want to dive with you !

- Bien, dis-je. Mais euh... C'est fini pour aujourd'hui.

- Demain, alors ?

Il extirpa de son portefeuille une carte de visite. Qu'il me tendit alors que mes mains étaient prises. Et qu'en simple bikini, je n'avais nulle part où la mettre. Mais lui, têtu, continuait à agiter sa carte à hauteur de mes seins.

Le ridicule de la situation me fit glousser. Encore un peu et je lui lâcherais la caisse sur les pieds.

- Revenez demain, proposai-je. Là, je suis un peu... occupée.

Il disparut pour ne jamais réapparaître.


Mystere Lou 3La cabine du dive shop était à température ambiante, minuscule et moite. La combinaison épaisse, si raide que je luttais pour m'y glisser. Trop étroits, les poignets résistaient.

Je sortis demander, non sans malice, de l'aide à Lou.

Face à face comme deux boxers entamant un round, il poussait et je tirais.

Fort, jusqu'à, dans mon élan, effleurer son épaule et toucher sa poitrine. Jusqu'à afficher un hypocrite sourire d'excuse. Jusqu'à me promettre de recommencer. Contact furtif, inattendu, à la saveur d'une impertinence déguisée en erreur, le goût intense et sauvage d'un plaisir volé.

Les iris de Lou crépitèrent.

Lui aussi, il savait. Et il ne se dérobait pas.


Le combat reprit avec la deuxième combinaison, si ajustée que je crus revenir à mes folles soirées parisiennes.

Je baissai le menton. Lou écarta mes cheveux pour fermer le zip. Brève légèreté de ses doigts imprimés sur mes omoplates.

Gainée des chevilles à la gorge, je me regardai dans le miroir.

Mmmh, it's sexy... approuva-t-il dans mon dos.

- Je la prends, répondis-je.


Le soir je parlais à Bertille de Lou. Elle s'esclaffa.

- Ah, le très craquant Lou... Toi aussi !

- Moi aussi quoi ?

Elle me parla de Katarina, une amie qui s'était enflammée pour ce bel Asiatique, de ses espoirs et tentatives de rapprochement soldées par autant d'échecs. Lou était charmant, en effet, mais plus glissant que du sable et plus impénétrable qu'une forêt. Les appels du pied de Katarina s'étaient tous heurtés à une muraille, dans une telle absence d'écho qu'elle avait fini par renoncer.

- J'ai peur que vous ne soyez pas son genre, souffla Bertille.

- Parce que son genre, c'est ?

- Les prostituées, il paraît. Mais ni les classe, ni même les mignonnes. Plutôt les plus âgées, les plus vulgaires, les plus cabossées des bas quartiers. On dit que de temps en temps, Lou se rend dans l'île voisine rien que pour ça.

Je levai un sourcil stupéfait. Si ce "il paraît" était vrai, Lou n'avait ni le physique ni l'allure de ses goûts - s'il fallait un physique et une allure pour quoi que ce soit.

Je réfléchis pour lancer un réjoui :

- Bah... Si c'est payer qu'il aime, qu'il me paye moi ! Je serais ravie de lui en donner pour son argent.

Bertille s'esclaffa.

- Il semble aussi que Lou ait une petite particularité...

La curiosité en éveil, je demandai :

- Laquelle ?

- Celle de garder, sur sa table de chevet, un pot de vaseline.

- Mais pourquoi... commençai-je pour soudain m'interrompre. Oh, j'y suis ! Si ce n'est que ça, je lui prêterais volontiers main-forte.

- N'empêche que tu n'as toujours pas le genre qu'il faut...

- Tu as raison. Et ce point-là est sans espoir, je présume.


Mystere Lou4Je revis plusieurs fois Lou pour peaufiner mon liveaboard à Tubbataha. À chaque fois il fut accueillant, cordial, efficace. Chaleureux, pas vraiment. L'évidence était cette distance qu'il maintenait entre nous, une réserve me décourageant de m'aventurer plus loin.

J'avais pensé à l'inviter à dîner, je m'abstins. Je ne le sentais pas.

Probable qu'il aurait refusé.


Un midi nous partîmes à la ville pour renouveler nos visas qui expiraient à la même date. Lou conduisait sa moto, un impressionnant engin rouge chromé. Moi, j'étais la passagère, sagement assise sur mes fesses et tenaillée par l'envie de l'enlacer, de poser mes mains sur ses épaules, de coller mes seins, mon ventre, mon sexe à son dos, ses fesses.

Je me retins en songeant, ironique, que jamais nous ne nous tiendrions plus près.

Notre plus folle intimité ? Tous deux habillés, un casque ridicule sur la tête, arrimés au plastique du siège et tressautant en choeur au gré des cahots.


Le jour de mon départ pour Puerto Princesa, Lou me texta afin de me souhaiter un bon voyage. L'attention était inattendue, et ce fut la dernière.

Je ne reçus aucun autre message. N'en envoyai pas non plus.

Comme Katarina j'avais abandonné, laissant ce bel homme à ses "il paraît". Il n'était pas tombé de la dernière pluie, mes intentions étaient claires. Son refus d'y répondre me déçut, mais ainsi va la vie. À quoi bon lutter si l'on n'est pas le genre de quelqu'un ?

À mes yeux Lou restera un mystère, un fruit dont jamais je ne percerai l'écorce, peut-être d'autant plus beau qu'il est pour toujours défendu.

 

 

Photos : Daido Moriyama,

Keizo Kitajima, Yamamoto.

(Que des Asiatiques, en somme !)

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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