Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Deux petites journées et deux messages d'hommes surgis du passé, Adrien et l'amant de la chambre 12. Et la même surprise, la même émotion à les lire.
La visite surprise d'Adrien m'avait laissée sur un sentiment mitigé. Je ne le reverrais ni ne l'entendrais plus, supposais-je.
Nous avions néanmoins un vague rendez-vous, le dimanche 29 juillet à Manille. Manille d'où il s'envolait pour rejoindre la Suisse, Manille où j'atterrissais au retour de Pékin, hasard de nos calendriers pour une date en chassé-croisé.
Je ne la lui rappelais pas. Lui non plus.
Y pensais pourtant, tout en pensant qu'il n'y penserait pas parce qu'il ne pensait plus à moi.
Je me trompais.
Un soir, telle une bouteille lancée à la mer depuis l'Europe, un mail arriva dans ma boîte. L'expéditeur me fit arquer les sourcils.
"Tiens... Une voix du passé", m'étonnai-je, une que j'avais même failli supprimer de mes contacts la veille.
Adrien.
Adrien qui, en dépit de son désintérêt pour les correspondances, prenait enfin le clavier.
Adrien qui couchait mon prénom précédé d'un "ma" tendrement possessif. Qui confiait me garder toujours près, très près, souvent. À qui je manquais et qui désirait tant me serrer entre ses bras. Qui, "tombé amoureux de la sincérité et du vide total qui entourait ce soir-là", me remerciait pour les moments partagés et les souvenirs qu'il chérissait.
Qui confirmait, également, ma certitude de notre nuit fauve : quelque chose s'était passé. Une communication plus profonde que celles des corps et des mots. Un trouble qui nous avait saisis puis emportés, une communion qui se fichait bien de nos différences, à commencer par le fossé séparant nos âges respectifs.
Peu importait que les trois durent ou non, soient voués à un avenir ou un échec. Ils étaient là, aussi incontestables que mon sac posé sur le lit et impalpable que l'odeur d'Adrien qui longtemps flotta sur ma peau.
Lui évoquait une "relation belle et spéciale", impression que j'avais éprouvée, puissante, à Puerto Princesa, mais qui s'envola lors de son passage chez moi, puis de la pénible confrontation avec sa famille.
Son message me toucha beaucoup. Me chagrina aussi, car j'y lus entre les lignes - à tort ? - qu'Adrien n'allait pas bien. Peut-être même très mal.
Pauwels, l'homme de la chambre 12, c'est différent. Lui n'a jamais entièrement disparu de ma vie, mais s'en tient tellement à la périphérie que cette distance équivaut à une absence.
Le travail, la pression, les soucis... Pauwels a ses batailles à mener, et celles-ci ne lui accordent que peu de disponibilité. Malgré tout, je sais qu'il veille sur moi à sa manière affectueuse et lointaine, amicale sans être intrusive. Que si je lui demande de l'aide, il répondra présent.
Pauwels fut toujours là dans les coups durs, me téléphonant à la clinique après l'opération, m'encourageant quand j'hésitais, me soutenant quand je flanchais, tentant d'apaiser les discordes d'un forum qui me tenait à coeur, intervenant dans une épineuse panne d'ordinateur à la garantie expirée.
Me proposant des dîners, des sorties, des week-ends.
M'écoutant et se confiant à moi.
Relation franche, ouverte, chaleureuse et distante à la fois. Toujours ce fameux temps trop compté, nos impératifs et ma bougeotte faisant ressembler l'année à un morceau de gruyère.
Pauwels et moi correspondions avant de nous rencontrer. Il était curieux, je crois, et ma tenue le fit sourire : un vrai uniforme de Domina, long manteau et courte jupe en cuir, bottes à hauts talons, collier fermé par des menottes entrecroisées.
Nous bûmes un verre là, un autre ailleurs, et Pauwels me dit ce qu'il n'aurait jamais dû savoir, puisque je ne lui en avais jamais parlé. Il me fit aussi une prédiction qui, elle, ne réalisa pas.
C'est ainsi... Des intuitions parfois le transpercent, des voix parfois lui parlent. Il en connaissait davantage sur moi qu'il ne l'aurait lui-même soupçonné.
Ce qui, tout étrange et indiscret que ce fut, ne me dérangeait pas.
À Pauwels je n'avais rien à cacher.
Je me souviens de ses costumes impeccables, de ses yeux translucides et de la fatigue sculptant ses traits. De confidences, de secrets et d'intimité. De caresses, de massages et d'étreintes. D'abandon, de longues discussions et de fous rires. Comme le jour où, prenant sa boîte professionnelle pour son adresse personnelle, je lui envoyai un mail très privé et plutôt salace.
Je me souviens de mes conseils qu'il n'arrivait pas à suivre, de mon irritation, parfois, à le voir s'épuiser, à se montrer si généreux sans assez recevoir en retour.
Je me souviens de petits moments, un apéro dînatoire à la maison, un verre en terrasse rue Oberkampf, le gin-tonic qui m'attendait sur la table, mon imperméable jaune ne cessant de glisser sur mon corset.
Je me souviens des friandises qu'il me ramenait de ses voyages et que je dégustais au lit, en compagnie d'un bon bouquin.
Je n'avais pas compris, sans doute, à quel point Pauwels m'appréciait.
C'est son dernier message qui me le révéla.
Ricochant sur celui d'Adrien, il me fit penser qu'on se rend rarement compte de la trace qu'on laisse chez les autres, du sceau dont on les frappe. De la façon dont on habite leurs mémoires alors qu'on s'en croit délogés.
Parce que, suppose-t-on, ils sont passés à un autre chapitre, une autre ère.
La tendance - du moins la mienne - serait de sous-estimer ces empreintes, voire de les nier tellement nous n'y percevons rien d'exceptionnel.
On a juste été soi, rien de plus.
Les négliger, oui, sauf si ces autres nous le disent ou nous l'écrivent noir sur blanc.
Voilà qui me donne envie, à mon tour, de le signifier à certain(e)s qui m'ont marquée, pierres blanches ou solides rocs semés sur mon chemin.
Sans peut-être même s'en apercevoir.
Pin up de Gil Elvgren, photos de Flor Garduno.
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