Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Noam passa ses pouces sur mes lèvres. Ce geste signifiait que notre deuxième session s'achevait. Mais il ne m'adossa pas, comme la première fois, au mur de la piscine.
Il serpenta le long de mon corps étendu, effleura mon ventre et mes hanches pour s'arrêter à mes pieds.
Lentement il les massa. Massa mes chevilles, mes mollets, mes genoux, les enserrant, les pétrissant, attisant en moi un désir prompt à s'enflammer.
Noam remonta à mes cuisses. J'aurais pu les ouvrir pour l'accueillir, mais ma béatitude était telle qu'un seul mouvement m'eût coûté.
Et je pressentais que ce n'était pas le jeu.
Abandonnée j'étais, abandonnée je devais rester. Comme frigide aux paumes de Noam qui pourtant enfonçaient des pointes dans ma chair. Aiguës, cuisantes, perçantes comme des bourgeons sous le gel. Floraison brûlante qui me vrillait tout le corps et lui ordonnait de se tourner, gorgé de sève, vers le soleil de ces mains tendues.
Mains qui dévalèrent mon dos, s'attardèrent au creux de mes reins cambrés, sinuèrent entre mes fesses, longèrent mon sexe, en écartèrent les lèvres pour les frotter l'une contre l'autre et entre elles s'immiscer.
Mes pupilles chavirèrent. Je me mordis les joues. Les muscles de mes paupières s'animaient de soubresauts, mes épaules de spasmes.
J'aurais pu me redresser. Agripper Noam par les cheveux. Le griffer, le mordiller, m'emparer de sa verge sûrement raidie sous son maillot de bain.
Oui, d'un seul geste j'aurais pu briser cette suave torture.
Mais non, je ne le fis pas.
Abandonnée je restais, comme indifférente alors que mon corps entier hurlait sa faim.
Noam me lâcha brusquement.
Brusquement privée de son contact je me sentis vulnérable, minuscule, perdue dans l'immensité de la piscine. Abandonnée encore, mais de l'abandon douloureux causé par les grandes absences.
Un manque glacé se creusa entre mes côtes.
Soudain je voulus couler de tous bords, grandir, m'étendre à l'infini. Hériter d'un corps si immense que Noam, où qu'il soit, ne pourrait que le toucher. Un corps si vaste qu'il ne lui laisserait plus la place de se mouvoir.
Un corps-pays, un corps-continent contre lequel Noam, vaincu, devrait reposer.
Un corps-patrie peut-être. Un que Noam rêverait d'habiter.
Lorsqu'enfin Noam retrouva ma peau, je souris.
Apaisée.
Noam bascula mes épaules.
Mes bras voltigèrent en arrière, paumes et doigts tendus. Sous eux crissa l'étoffe élastique d'un maillot. Puis entre l'arc de mes phalanges se logea un sexe érigé.
Je souris encore. Sentis des gouttes s'égrener une à une sur mon front, des lèvres chaudes l'effleurer.
Peut-être me murmurèrent-elles quelques mots. Peut-être pas.
J'aurais pu briser mon immobilité de statue pour les rejoindre, les dessiner de la langue pour les rendre miennes.
Je ne le fis pas.
Le moindre geste eût gâché cette intimité. Bouleversante, parfaite, liquide et fragile comme l'eau qui sous mon corps se délitait, se séparait pour mieux se rejoindre et fusionner dans une caresse.
Lorsque Noam encercla ma nuque, toute ma peau se hérissa. Non à cause de ce presque crépuscule, du vent d'orage qui s'était levé, de l'eau de la piscine qui fraîchissait. Mais bien à cause de ces mains, de leur exigeante douceur, de leur bienveillance, de leur sensualité, de leur tendresse.
Tendresse... Noam est avec moi un homme tendre, sauf lorsque je souhaite qu'il ne le soit plus. Qu'il me prenne violemment, baise ma gorge, claque mes fesses, mes seins, ma chatte.
Qu'il me possède en adjoignant à sa queue un jouet. Qu'il le mette en marche pour me pourfendre de ses vibrations, vibrations que Noam perçoit aussi à travers la membrane de mon cul.
Qu'il utilise sa ceinture qu'à quatre pattes, je déloge de son pantalon. Que, debout, je lui remets en tamisant l'éclat de mes prunelles. Cette étincelle que Noam aime autant qu'il la redoute, se demandant bien quelle nouvelle fantaisie m'a traversé la tête, quel supplice j'ai encore inventé. Sur quelle rive inconnue je vais à nouveau l'entraîner, consentant mais timide, amusé et conquis.
Troublé de me voir, à minuit, enfiler des talons vertigineux pour déambuler nue dans la maison.
Troublé de me découvrir imprévisible, avec des limites si lointaines qu'il ne peut ni les distinguer, ni en faire le tour.
Troublé de voir un si large terrain de jeux s'ouvrir à lui.
Playground insoupçonnable, affirme-t-il, pour qui me croise dans la "vie normale". M'entend m'exprimer d'un ton posé ou m'esclaffer pour un rien. Parler de films ou de poissons rouges, vêtue d'une jolie robe ou d'une simple chemise au retour d'une plongée, la ligne du masque encore imprimée sur le visage.
Noam me confirmait ce que je savais déjà : mon être social a peu en commun avec mes goûts sexuels. Femme-caméléon, certainement.
Et il l'avoue sans détours ni gêne : il est inexpérimenté en ce genre d'amour. Celui qui fait tant de bien en faisant mal. Celui qui l'autorise à prendre l'ascendant sur moi, à me dominer en m'attachant les poignets, en me courbant, en m'écartelant.
Quand nous ne sommes pas ensemble, Noam pense à moi. Me revoit gémissante et ployée. Imagine ce qu'il pourrait m'infliger mais n'a pas encore osé. Combat certaines visions en se persuadant que ça, je refuserai.
Puis doute, à son plus grand émoi, de mon refus.
Peut-être, finalement, accepterais-je.
Peut-être aimerais-je.
Peut-être même en jouirais-je.
Qui sait ?
Noam ne me dit pas tout non plus. Il préserve sa part de secret mais parfois se trahit. Comme pour cette petite image me servant de portrait sur un réseau social, vignette qu'il essaya, lança-t-il, d'agrandir en vain.
Surprise je m'exclamai :
- Oh, mais tu m'as donc cherchée ?
Noam afficha un sourire embarrassé, l'air charmant du garçon qui s'est étourdiment coupé.
- Mmmh. Oui... Mais je n'étais pas censé t'en parler. Parce que euh... il faut bien que je garde des choses pour moi.
- Bien sûr, garde-les pour toi. Mais qu'as-tu fait d'autre, sinon ?
Il gloussa. Moi aussi.
Noam me l'a pourtant signifié clairement : il ne veut pas d'une relation. Parce que pour l'heure, il n'y a pas de place à ses côtés. C'est lui-même qu'il cherche. À lui-même qu'il a besoin de se confronter.
Ce qu'il désire, c'est goûter sa liberté, éprouver ses choix, défricher seul sa route.
L'expatriation en fut le premier saut décisif. Son installation ici le second.
Vivre ici de son métier lui sera difficile. Patience, rigueur, chance, il lui en faudra beaucoup.
Parfois l'argent viendra à manquer. Parfois Noam doutera du bien-fondé de ses décisions. Questionnera cette voix intérieure qui lui a soufflé qu'il devait quitter son pays, sa famille, son travail pour se reconstruire sur une terre neuve, à peine dégagé d'un grand amour avec lequel il partagea sept ans de vie.
Sept ans. Un des caps critiques pour un couple. Une portion d'existence dont on ne se relève pas du jour au lendemain, même deux ans après la rupture.
Les mots de Noam roulaient dans l'obscurité complice. Je l'approuvais. Je comprenais son cheminement autant que la nécessité, pour moi, de conserver une distance, fût-elle minime.
La distance qu'impose une telle confession alors même que les actes sont équivoques. De plus en plus équivoques.
Comme cette brosse à dents que, le premier soir, Noam fit tant de manières pour accepter. Qu'il finit par prendre tandis que de ses hésitations je me moquais, l'invitant à la remporter chez lui s'il voyait dans ce don l'ombre d'un engagement ou d'une contrainte à revenir.
Le lendemain Noam partit en la laissant dans la salle de bains.
Les actes comme ses regards qui m'enveloppent, me susurrent qu'il me trouve belle mais pas que.
Il y a, je le sens, autre chose. La profondeur d'une émotion, d'un mouvement d'âme que Noam ne maîtrise pas.
Comme ses baisers à mon cou, à mes tempes, sur ma bouche. Avant, pendant, après l'amour, comme si de moi, il n'était jamais tout à fait rassasié.
Comme ses attentions dont, soucieux de ne pas me blesser, il m'entoure.
Comme son invitation à me nicher au creux de son giron après la jouissance. Et à m'y endormir, tendrement pressée contre sa peau.
Comme sa main qui, avant le sommeil, cherche la mienne pour l'étreindre. Et la serre, fort, au seuil des rêves.
La nuit et le partage. Flous comme cette intimité qui entre nous balbutie et esquisse, à son esprit défendant, les contours d'une relation.
Même si dans deux semaines, je m'en vais.
Photos : Heinz Hajek Halke, home made (mon dos à moi),
Weegee, Hosoe.
L'oiseau de voyage que tu es sait cela, n'est-ce pas, que les plus beaux commencements ont souvent lieu à la veille d'un départ. "Un corps-pays, un corps-continent …", l'aveu d'un pré-sentiment, tout en prudence, flou peut-être, mais clair comme une envie de vent au sortir de l'abri. Une absence se dessine, deux semaines pour achever le mélange des couleurs ?
L'intuition que rien de décisif ne se passera dans notre creuset... Système de défense bien huilé du côté de Noam, tout en valses-hésitations et absences, désir de ne rien forcer du mien.
Chacun avance à son rythme... ce qui donne souvent une foulée désassemblée.
What must be must be !