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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Au jour le jour

Mercredi 12 novembre 3 12 /11 /Nov 05:16

Time capsule 1En consultant les stats de mon blog, j'ai vu qu'un Internaute était arrivé ici via google avec une demande fantaisiste de plus :

"fixer un Time Capsule au mur".
Toi qui as tapé ces mots clés, sache que nous avons un tas, que dis-je, une tonne de choses passionnantes à nous raconter.

Au sujet des murs (vu la configuration de mon appart', 6 m'entourent).

Au sujet des Time Capsule (initiales TC comme Très Con Très Chiant, au cas où ce détail vous ait échappé).
Là, je n'en ai qu'un, et fort heureusement : si je possédais autant
de Time Capsule que de murs, je serais bonne à enfermer. Ou à organiser l'opération "commando-représailles" chez celui qui m'aurait conseillé de les acheter.
L'unicité a du bon, si, si. Parce que multiplier un truc non fonctionnel par un autre chiffre, ça n'a rien à voir avec la parabole des petits pains, c'est accroître exponentiellement son quota d'emmerdes.

Mais d'abord, ça ressemble à quoi, un
Time Capsule ?
À mes yeux : à un gros lego blanc livré sans Playmobil, genre degré zéro du design. Sauf que la pomme d'Apple est en imitation aluminium, alors ça fait chic.
À yeux des geeks : à une merveille de technologie enfermée dans une coque épurée, genre dernier échelon du summum du chic.
En vrai, ça ressemble à ça :


Pas de quoi se rouler sur le tapis, on est d'accord.
N'empêche que ça doit être chouette quand ça marche. À lire la notice, ce bidule est si utile qu'on se demande comment les autres "Mackeux" peuvent encore s'en passer (remarquez, vu le prix du bestiau, ça se comprend) : routeur, gestionnaire d'imprimante, disque dur externe, le
Time Capsule est censé tout faire (hormis le café, à l'étude pour le prototype 2.0).
Sauf que chez moi, il ne fait plus rien. Enfin, si, parfois, quand ça le chante. Mais que moi, ça ne me chante plus.

Parce qu'après l'avoir branché, débranché, reseté, trituré, trifouillé les configurations des ordis, bidouillé l'imprimante, rebooté la freebox, m'être pris dix fois les pieds dans les câbles et trois fois du jus dans les doigts, je n'ai plus qu'une envie : exploser ce biiiip de Time Capsule contre le mur.

Puis aller me coucher avec la satisfaction du devoir accompli.
Pourtant, celui qui m'a conseillé de l'acheter me disait que c'était simple. Si simple que ça allait même drôlement me simplifier la vie.
Simple pour lui, aucun doute :
en deux temps trois mouvements, pif paf pof, il avait relié en wifi tous mes appareils à l'engin. Ça marchait du feu de l'électricité.
Le problème étant que ça n'a pas marché longtemps.

Time capsule 3À la première alerte, quand j'ai été privée d'Internet (donc d'une grande partie de mon outil de travail), je me suis battue pour sortir seule de cette impasse.
C'était à cette époque-là et franchement, j'avais d'autres chats à fouetter. Ou pas assez de neurones connectés.
L'échec fut d'ailleurs cuisant.
À bout de patience, je finis par appeler l'assistance Apple. Tombai sur un gentil garçon auquel je parlais fort mal. Politesse parfaite oblige, i
l ne s'en offusqua pas.

Sa réaction ne vint que lorsque résonnèrent à son oreille des sons inarticulés, façon cochon qu'on égorge.
- Mademoiselle ? me dit-il.
- Ouiiiiiik ! Ouuuuiiiiiiiiiiiiik !
Ouuuuuuuiiiiiiiiiiiiiiiik !!
Les nerfs avaient lâché. Accrochée au combiné telle une noyée, je lui pleurais dans le pavillon sans retenue aucune.
- Mademoiselle ? Reprenez-vous, Mademoiselle !
- Ouiiiiiiiik... Ouuuiiiik... Mais j'en ai marreeee... Maaaarrreeeeeeeeee...
- On va trouver une solution, je vous le promets !
Il n'aurait pas dû promettre, on a abandonné avant (enfin, surtout moi).

Deux heures plus tard, j'étais calmée, ou plus justement sonnée après une bonne crise de larmes. Mon portable sonna. Appel masqué. Je décrochai.
- Mademoiselle, excusez-moi de vous déranger... C'est Alexandre.
- Alexandre ? répétai-je, stupide, n'en connaissant aucun.
- Oui, Alexandre... de la hotline d'Apple.
J'en suis restée sur les fesses. Ayant terminé son boulot, il était prêt à faire des heures supp' pour m'aider.
J'ai pas voulu abuser.
La seule idée qu'on puisse être aussi prévenant avec une totale inconnue me réconciliait pour un soir avec le genre humain. Le
Time Capsule dut en être touché aussi. Car dès le lendemain, il remarchait nickel.

Time capsule 4À la deuxième alerte, ce fut la loi de Murphy : crash de Time Machine, privation d'Internet et disparition du réseau perso qui gérait mes appareils.
La totale.
Sven vint gentiment à la maison pour remettre le tout sur les rails. Mais à ce stade-là, c'est le train qu'il fallait changer. Ce qui ne nous empêcha pas de passer une bonne soirée.
Un nouvel appel à la hotline s'imposait.

Après une coupure au plus mauvais moment, un opérateur qui, ne comprenant rien au problème, me laissa vingt minutes en compagnie d'une musique détestable, je tombai enfin sur Franck.

Dès la première phrase, je jugeai que Franck était un gars sympa. Je ne me trompais pas : on a passé plus de quatre heures ensemble sans s'ennuyer une minute.
Avant la fin du premier quart-temps, il me prévint :
- On n'est pas habilités à gérer les problèmes avec les imprimantes. Pour ça, faudrait voir avec le fabricant.
- Mais je fais quoi, moi ? chouinai-je. J'ai des tonnes de travail en retard, mes clients s'impatientent, c'est la cata !
- D'accord, je veux bien essayer de vous aider, mais rapidement.
À la mi-temps, je jugeai
que Franck était un gars archi sympa.
Au bout de quatre heures d'efforts, un gars à accrocher au panthéon des gars sympas.

On n'a réglé le problème qu'en partie. Celle-là même qui céda trois jours après notre entretien fleuve.
Il y a de quoi virer chèvre, non ?

D'où mes résolutions
pour la prochaine année :

1- N'acheter désormais que des engins que je suis capable de mater seule.

2- Envoyer un sms à Alexandre pour lui souhaiter
 un joyeux Noël.


3- Réinviter Sven à la maison, mais pour une séance photos fetish
(s'il en est d'accord, évidemment).


4- Aller à Cork (là où se trouve le centre hotline d'Apple) pour payer à Franck
dix tournées d'un excellent whisky
.

5- Arrêter ensuite de boire.

6- Pulvériser mon Time Capsule contre un de mes murs, ou le fixer au mur de celui qui s'est aventuré sur mon blog.

7- M'en acheter un nouveau, mais sans fil.
Ce sera la jolie boîte de mariage ci-contre.

Qui sait ? Elle pourrait peut-être me servir, elle...
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mercredi 29 octobre 3 29 /10 /Oct 03:46
Furtif... Depuis deux jours, ce mot m'obsède. Pourquoi ? Aucune idée.
Peut-être parce qu'il ressemble à fautif. Qu'il a comme lui le goût du mal, de l'interdit, du caché, de l'insu de la filature ou du nuitamment de l'effraction.

Peut-être parce qu'il m'évoque un mouvement, une trajectoire si rapides qu'ils ne peuvent être saisis. Un raid d'avion espion, un frémissement de course de chat ou de semelles ailées avec l'initiale de fuite.

Peut-être parce qu'il me rappelle les hommes
entrés dans ma vie sur la pointe des pieds puis ressortis sans bruit. Ou ceux que j'ai perdus en chemin, moisson de petits cailloux tombés de mes poches ou jetés derrière une épaule.

Peut-être parce qu'il m'attache à Feu mon amour, à
la brève course de comète de notre histoire et à ses empreintes volatiles.

Peut-être parce qu'il me renvoie à ma part animale, à ma manie d'effacer mes traces pour ne pas être débusquée.
Ici je suis venue mais de moi il ne reste rien.

Peut-être parce que je suis cinglée, tout simplement. Cinglée de me réveiller avec un mot en tête et de me le répéter tant de fois qu'à la fin, il ne signifie plus rien. Il n'est qu'un son vidé de chair, sonnant clair en coquille creuse.

Furtif n'est pas le premier mot qui m'obsède, loin s'en faut. Mais au moins, lui, je le tiens. Parce que voilà... J'ai passé plus de quinze ans à essayer de retrouver un mot. Un seul, dont je ne connaissais que la définition approximative.
Lâchez donc dans un dîner "D
epuis l'adolescence, je cherche désespérément un mot... Un seul qui désigne, je crois bien, un syllogisme brisé", on vous jugera bonne à enfermer en cellule capitonnée. Et on aura sûrement raison, ce qui ne me fera pas progresser d'un demi-pouce.

J'ai fouillé les dictionnaires, attendu que ce mot remonte à la surface tel un noyé.
En vain.
Il refusait de sortir de ma mémoire fermée comme une huître sur sa perle.

Je me doutais bien que s'il existait quelqu'un capable de me restituer ce mot-là, c'était Paulien.
Alors, une nuit, j'ai fini par lui demander :
-
Dis... Tu pourrais m'aider ? Depuis l'adolescence, je cherche désespérément un mot... Un seul qui désigne, je crois bien, un syllogisme brisé.
Il ne m'a pas regardée comme la première des foldingues. Il n'a même pas pensé que j'étais allumée comme un bâton de dynamite ou ronde comme une queue de pelle.
Il a réfléchi un peu, à peine. Puis, levant un sourcil, il a répondu :
- Enthymème ?
Putain, c'était ça. Enthymème. J'ai failli en dégringoler du canapé.

Enthymème
,
antimême, anti-moi-même.
Cette fois comme tant d'autres
, ce n'est plus moi qui parle grâce à la langue, mais la langue qui parle à travers moi. De son mouvement... furtif.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mercredi 22 octobre 3 22 /10 /Oct 02:53
"L'homme n'est pas prêt pour certains voyages", annonce l'affiche.
Moi qui ne l'étais pas forcément pour celui-là, j'ai été embarquée.
Transportée par une musique sublime. Happée sous la couette par une beauté froide, tout en blancs et bleus froids. Réchauffée par les rouges et jaunes incandescents d'une lointaine galaxie.

Au bout d'une heure trente, le voyage s'est achevé.
Snif. Bouleversée, je n'avais aucune envie d'atterrir.

Pourtant, la science-fiction, c'est vraiment pas mon truc. La preuve ? J'ai jamais pu dépasser le premier quart d'heure de La Guerre des étoiles (oui, oui, je sais, c'est impardonnable !).
Alors, évidemment, de là à visionner toute la saga, y a un gouffre... abyssal.

Pourtant, Clooney, c'est pas vraiment mon genre. Oui, d'accord, il est beau, il joue bien, il est pas le quart d'un imbécile, mais... What else ?

Avant ce Solaris-là, je n'ai pas lu le roman de Stanislas Lem (1961), pas vu la version de Tarkovski (1972). Tant mieux, il paraît qu'elle est chiante (oh, je vais me faire des amis, ce soir, moi !). J'ai directement plongé dans celle de Soderbergh. Serait-ce parce que je n'aime pas la science-fiction que j'ai tellement aimé ?

L'histoire : Chris Kelvin, psy de son état (shrink en argot, qui signifie rétrécir... ça m'a toujours fait rigoler), reçoit un appel de détresse de son ami Gibarian. Commandant de la station spatiale Prométhée (tout un symbole...) gravitant autour de la planète Solaris, il ne peut néanmoins rien lui dire des événements qui se déroulent à bord.
Chris fait le voyage. Arrive trop tard : Gibarian s'est déjà suicidé.
Dans le vaisseau ne restent qu'un scientifique à demi-fou et le docteur Gordon, murée dans sa cabine.

"Je pourrais vous dire ce qui se passe, ça ne vous dirait pas ce qui se passe."
Dès la première nuit, Chris comprend qu'il ne comprend rien : sa femme Rheya, qui s'est suicidée des années auparavant, s'allonge près de lui.
Vivante.


Les flash-back de leur relation défilent : première rencontre, retrouvailles inattendues lors d'une soirée, moments magiques des corps, demande en mariage plusieurs fois refusée, incompréhensions, disputes, arrivée d'une grossesse non désirée...

Mais cette Rheya est-elle vraiment sa femme ?
Ou une illusion, une création de son esprit ?
Ou un organisme mutant engendré par Solaris ?
Est-ce d'ailleurs important de le savoir, puisqu'elle est là ?

Le vide glacé de l'espace, la navette, les "cosmonautes", la mission qui a mal tourné... Tout ces éléments ne sont qu'un prétexte à un voyage intérieur. À une méditation en apesanteur sur l'amour, la mort, l'oubli, la culpabilité, le pardon, cette seconde chance qu'on croit se voir donnée et qu'on refuse de laisser filer... quitte à perdre la raison et à y laisser sa peau.

Que feriez-vous, vous, si la personne que vous avez chérie par dessus tout et tous revenait d'entre les morts ? Accepteriez-vous d'endurer une seconde fois son deuil ? La détruiriez-vous parce qu'elle n'est que fantôme
ou, au contraire, resteriez-vous à ses côtés ?
Impossible, je crois, de le savoir.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Jeudi 16 octobre 4 16 /10 /Oct 03:22

Nuit blanche... Sexe, écriture ou insomnie ?
Aucun des trois, pour une fois.
Cette Nuit Blanche-là, c'est de l'art. Et contemporain, s'il vous plaît, disséminé pendant douze heures (19h-7h) aux quatre coins de Paris.
Enfin, de l'art... C'est censé l'être, car à parcourir au hasard des bouts du programme, on pourrait en douter :

Parking de la gare de Bercy
Près de la gare se trouve le parking. Sur le parking se trouve une voiture. Dans la voiture, se trouve un couple…


Suit, in the middle of nowhere, la photo d'une guimbarde cabossée avec deux mannequins posés sur les sièges avant. L'ensemble baigné d'une lumière crue à en déchirer la rétine.
Alléchant, non ?

N'empêche que l'aventure me tente.
Parce que l'art, j'aime bien.
Que Paris la nuit, j'adore.
Que les Vélib', c'est pas fait pour les chiens.
Et que voir de l'art, en pleine nuit, monté sur un vélo, ça tente aussi Paulien.
Marché conclu. Mon chez-moi sera notre base d'envol, ou plutôt de pédalage.

Nous nous préparons à cette aventure comme pour une expédition. D'abord, attaquer un solide dîner, au cas où nous crèverions de faim sur le pavé. Puis partager un verre de vin, voire deux - mais pas davantage sous peine de ne plus rouler droit -, pour se donner du courage.
Car mine de rien, il est déjà une heure trente passée et la flemme de sortir nous guette.
À ce stade-là, la couette moelleuse paraît mille fois plus accueillante que les trottoirs parisiens. D'autant que dehors, il ne fait pas chaud. On peut même dire qu'il fait très froid.
Aléa météorologique qui justifie à lui seul une fouille approfondie de mes placards.
Pédaler, volontiers. Mais pédaler en ressemblant à une matriochka, faut pas exagérer.

Un jeans, un pull, une paire de chaussettes et de bottes plus loin, je suis prête. Manque plus que le blouson coupe-vent. Si possible d'une couleur autre que sombre : aucune envie qu'un automobiliste me confondant avec un réverbère ne m'
emboutisse les fesses.

Paulien, en bon logicien, se moque :
- A priori, les réverbères ne bougeant pas d'un pouce et toi dépassant
la vitesse du surplace, le risque est infime.
Mais moi, décidée à le battre sur son propre terrain, je rétorque :
- Infime ne signifiant pas nul, je pare à toute éventualité.

Puis je rigole sous cape de mes raisonnements qui n'ont en vérité qu'un but : mieux habiller ma coquetterie.
Parce que mon blouson, je l'avais déjà choisi. Avant même que Paulien ne pose un orteil sur mon plancher.

Il est d'un vermillon qui pète et brille, d'un incarnat à incendier la nuit. D'un rouge de la couleur de tous les stops qu'on va ignorer, de tous les feux qu'on s'apprête à griller.
À propos de griller, justement... Une dernière cigarette avant d'affronter la Sibérie s'impose. La nuit est de toute façon si avancée que l'art nous attendra bien dix minutes de plus.

À la station Vélib', y a pas foule. Mais plus trop de vélos non plus. De fait, nous nous jetons sur les deux encore en état de rouler.
Et hop !
Direction le Point Éphémère, quai de Valmy, pour s'en mettre plein les mirettes.
L'installation s'appelle Plastic paradise, ou de quoi brailler un tube franco-français :
"Le plastique, c'est fantastique !"

Heureusement pour les riverains, je sais me tenir. Surtout à vélo, avec une selle qui me fusille le coccyx.
Sur le programme, le plastique, ça avait néanmoins l'air moins fantastique que rhétorique.
Un extrait ?

Au terme d'une collecte mise en place pendant l'été, l'artiste propose son Plastic paradise. Posant la question d'une société où règnent la surproduction et la consommation, l'installation, visible après la fermeture à travers la vitrine, s'accompagne d'un projet en extérieur, nature morte poétique sur les bords du canal.

Après une description pareille, on espère un truc grandiose, une pile phénoménale, un amoncellement d'objets qui crève le plafond.
Mais que découvre-t-on une fois nos vélos attachés ?
Un pauvre tas éparpillé à même le sol d'une salle nue. Dedans, trois Barbie se battent en duel avec un Ken, un bonhomme en plastoc manchot, un poupon unijambiste
, un camion de pompiers sans échelle, un livre déchiré, une paire de savates éculées, une batterie complète de petite marchande.
Le clou du fatras étant les cannettes que les buveurs de bière y ont jetées.
Aucun doute. Ces ignorants ont confondu le chef-d'œuvre de Jeong-Hwa Choi avec la plus proche poubelle.
"Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font..."

Paulien est plié de rire. Et si plié qu'il kidnappe en se penchant la réplique d'une mitraillette. Et qu'il passe, flingue au poing, dans la partie bar du lieu.
Les videurs n'ont pas bougé une oreille.
Aucun doute. Ils ont cru à un happening organisé par un garçon à casquette et une fille en blouson rouge dynamite.

Dans la salle, la mitraillette ne fait même pas sensation. L'extraterrestre du lieu, ce n'est pas Paulien mais un gars assis seul à une table. Alors que, plongés en plein maëlstrom sonore (magnitude
10 sur l'échelle de Richter), partout les gens s'agitent et braillent, lui, impavide et penché sur son mac, décalé comme un Schtroumpf grognon au pays de Goldorak, il travaille.
On le braquerait bien pour rire, mais ça risquerait de mal finir.
Schtroumpf n'a pas la tête d'un gars qui comprend la plaisanterie.

Tant pis. On s'est vengés en se faisant tirer le portrait par une antique cabine de photomaton. À la vue du flingue, ceux qui patientaient en rangs serrés se sont écartés pour nous laisser leur place.
On est sympas, on n'a grillé personne.

Clichés en poche, vélos dételés, cap sur la gare de l'Est où, le programme annonce :

sur le thème de la photo souvenir, un artiste vidéaste incontournable invite le public à prendre la pose. Seul fait étrange dans ces photos réalistes : l'apparition systématique de l'artiste dans divers rôles (ami, amant, mari, collègue...) aux côtés du public.

Sur le parvis serpentait une queue longue comme un Plastic paradise sans paradise.
Là, j'avoue, on n'a pas attendu.
Parce que des photos, on en avait déjà. Et qu'à mieux la regarder, notre mitraillette s'est révélé n'être qu'un vulgaire pistolet karcher.
On n'était plus trop motivés pour jouer avec, d
u coup.

Alors on est rentrés sur nos destriers, qui entretemps avaient perdu pour l'un sa chaîne, pour l'autre ses freins.
Par bonheur, aucune voiture ne nous a embouti les fesses.
Moi, j'dis que c'est grâce à mon blouson rouge.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mercredi 8 octobre 3 08 /10 /Oct 02:38
La nuit dernière, j'ai à peine dormi. Coincée entre l'ordinateur et l'imprimante multifonctions, j'ai écrit et photocopié. Photocopié des bribes de mes dix dernières années de vie et résumé la mienne en deux pages.
Cet exercice s'appelle CV. Deux initiales lapidaires pour résumer la course d'une vie.


Tout a commencé la semaine dernière par un mail. Sobrement intitulé "proposition", ce mail-là était en fait une bombe. Une grenade dégoupillée qui allait, sans que je ne m'en doute, peut-être changer ma vie et contrarier mes projets.
Je l'ai lu, vite, puis rappelé Lory, l'expéditrice, davantage par politesse que par réelle envie, déjà décidée à décliner ce qu'elle comptait me proposer.
Mais au bout du fil, sa voix, charmante, parle un français parfait mâtiné d'un
irrésistible accent anglais, donnant la juste rondeur aux mots qu'elle prononce :
"Je cherche quelqu'un qui..."
S'ensuit une liste de critères qui me fait hocher une tête de plus en plus convaincue.
Oui, oui, d'accord. Mes dix doigts connectés à mon cerveau ne savent pas forcément faire grand-chose, mais ça, je sais.

"By the way, do you mind if I speak english ?"

Ah, ah, c'est un test. Et les tests, ça me stimule, même au lit en pyjama, cernée des miettes de petit-déj et attaquée par la migraine.
"No, I don't", que je lui réponds toute fiérote. Avant de lui préciser piteusement que quand même, l'anglais, je ne le parle qu'en voyage. Et que voilà un bail que je n'ai pas voyagé. Quasi un an, tiens.
Un an... Pile le temps d'oublier.

Pourtant, l'anglais de Lory, je le comprends cinq sur cinq. Si bien que je sais, avant même la fin de son speech, que je suis celle qu'elle recherche.
Rien que ça, ça me colle le tournis.
Avachie sur mes oreillers, je revois la tête de ma mère quand j'ai lâché mon exocet il y a une décennie :
- J'arrête la fac, j'arrête les cours. Je change de voie.
- Tu plaisantes, j'espère ? Ta formation, tes concours... Tu ne peux pas les balayer d'un revers de main.
-
Ben si, faut croire. Parce que là, je me casse, je me barre. Rideau.
À l'époque, étonnamment, seul mon père m'avait comprise. S'emmerder dans un milieu hostile, ça crée manifestement des liens.

Or, le boulot que me propose Lory, ça fait dix ans que je le pratique. À croire qu'il a été taillé pour moi et me rattrape pile au moment où je pensais rompre avec lui, retailler la route pour un ailleurs ou un nulle part.

La suite une autre fois. Après être tombée des nues, je tombe juste de fatigue.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Dimanche 7 septembre 7 07 /09 /Sep 18:44
J'ai jamais aimé les dimanches.
Aujourd'hui, ça tombe mal, on est justement dimanche.

Je descends faire des courses mes cabas à la main, en vieux jeans, le chignon en crotte. Je dodeline de la tête au son de CocoRosie, me demandant bien où se cachent les Beautiful Boyz
dont il est question dans la chanson.

Au coin d'une rue, je tombe sur mon ancienne voisine. Je lui ai vécu presque trois ans sur la tête, sans oublier de la saluer dans l'escalier.
Elle, son mari, sa petite fille
m'aimaient bien, comme on aime quelqu'un qui vit à vos côtés sans vous déranger. S'ils avaient été mes voisins directs, ils auraient sûrement fini par me prendre en grippe, moi et mes manies.
Celle de ne pas dormir, par exemple.
Ou d'écouter de la musique à flux continu. Ou de beugler "Merde, putain, fais chier !" dès que je heurte un meuble. Ou de faire tomber des objets lourds à toute heure de la nuit.
Bref, je suis loin, très loin, de la voisine idéale.

N'empêche qu'en pleine canicule, j'allais arroser ses pots de fleurs. Avec minutie mais pas chaque jour, car son deux-pièces me collait le bourdon.
Partout, des photos de famille dans des cadres dorés, de petits napperons et des bibelots ramasse-poussière. Sur le canapé, un plaid en chenille. Au mur, une horloge suisse qui tic-taquait les minutes.
Déprimante déco de cinquantenaire pour de jeunes trentenaires.

Je sortais de leur bonbonnière pour regrimper l'étage quatre à quatre et rejoindre mon studio foutraque. Ils n'auraient pas vécu chez moi ni moi chez eux.
C'est parfois à ce genre de détails qu'on se dit que l'existence est bien faite. Ou moins mal qu'on ne le croit.


Ma voisine, donc. On ne s'est pas vues depuis des années, mais elle me demande des nouvelles comme si on s'était croisées hier, sur le palier ou près du local poubelles.
- Alors, ton boulot ?
Vague geste de ma part.
- Euh... Je ne travaille plus trop.
- Ah...
Elle a le sourire contraint de ceux qui ne savent sur quel pied danser. De toute évidence, elle se demande si je suis au chômage, malade, devenue l'épouse d'un roi du pétrole ou une jeune rentière.

- Tu reviens de vacances, là ?
- Non... Si. Pas vraiment, en fait.
- Ah...
Je sens à sa gêne que je suis de plus en plus incompréhensible.
- Je pars bientôt... Enfin, avant l'année prochaine...
- En Inde ?
- Non, plutôt en Thaïlande... en Mongolie... au Japon...
J'énumère les pays qui me trottinent dans la tête, la voix hésitante et les mains floues.
- En vérité, je ne sais pas.
- Ah...
Une drôle de lueur passe dans ses yeux. Une lueur qui me dit que, soudain, je tiens davantage de l'extraterrestre que de l'ex-voisine.

- Et tu partirais longtemps ?
- Oui, je crois... Deux mois, trois mois, six... Je sais pas.
- Ah...
Dans ses yeux, la lueur a changé. Ce n'est plus de la surprise ou de l'apitoiement devant mes faibles réponses.
C'est autre chose, mais quoi exactement ? Je ne sais pas.
De l'envie, peut-être.
Parce que le luxe de voyager longtemps, sans savoir où à l'avance, m'est accessible.
Parce que je peux partir sur un coup de tête si ça me chante.
Ou parce que je peux
tout simplement partir.

Dit comme ça, ça fait drôlement envie, je comprends.
Mais dit autrement, ça peut être moins drôle : si je pars loin, longtemps, c'est que je n'ai ni mari, ni enfant, ni famille, ni attaches autres qu'amicales.
Que je ne dépends de personne ni personne de moi.
Que je suis libre, entièrement. Libre de voyager comme de rester, de sauter dans un avion comme de ma fenêtre.
Posé comme ça, je parie que ma voisine n'échangerait pas sa vie contre la mienne.

C'est parfois à ce genre de détails qu'on se dit que l'existence est bien faite.
Ou moins mal qu'on ne le croit.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Samedi 16 août 6 16 /08 /Août 04:30

Ce matin, je m'acquitte de ma mission "croissants pour le petit-déjeuner". Et j'en profite pour sortir Gai-Luron, le seul quadrupède de l'appartement.
Gai-Luron est le prototype du chien d'une race qui m'a toujours fait beaucoup rire : un basset Hound. Profilé comme une torpille et long comme une saucisse, rase-moquette mais massif comme taurillon, avec des pattes torses et des oreilles si lourdes et pendantes qu'elles lui tirent les yeux vers le bas.

Quand Gai-Luron vous regarde, c'est de toute son apathique intelligence canine. Celle-là même qui le ferait douter de l'existence de la poudre, de l'utilité de l'eau chaude, du fil à couper le beurre. Mais en dépit de son activité neuronale proche du zéro absolu, Gai-Luron a enregistré et reproduit des réflexes tout pavloviens.
Aussi a-t-il levé une oreille dès qu'il m'a vue glisser les pieds dans mes bottes. Et à peine en avais-je zippé la fermeture éclair qu'il s'est mis droit sur ses pattes, tournant entre la table et le canapé comme une toupie mécanique.

Enchaînés l'un à l'autre par une solide corde en guise de laisse, nous nous sommes rués d'un même mouvement vers l'ascenseur.

Dans la rue, nous offrons une image d'un dernier chic : une blonde en mini-robe style Courrèges, de larges lunettes de soleil sur le nez, traînant un chien aussi récalcitrant que crotté s'adonnant à ses passe-temps favoris. D'abord, renifler les détritus jetés dans le caniveau ; ensuite, inonder façon chutes du Niagara tout ce qui ressemble à une roue de voiture ou à un tronc d'arbre.

Dans les descentes, les hobbies de Gai-Luron ne varient guère. Mais notre rapport de forces, si. C'est à présent lui qui me hâle en zigzaguant sur le trottoir, au mépris des petits vieux qui eux, marchent tout droit. Dans ces moments-là, je me sens l'âme d'un pilote de chasse devant à tout prix éviter la collision avec un appareil ennemi.
Gai-Luron, le crash, il s'en fiche : il a repéré un truc comestible abandonné sous la savate d'une mamie. Et écoutant bien plus son estomac que mes ordres néanmoins très clairs ("Arrête, le chien ! Assis, sale bête !"), il se précipite, babines au vent, sur l'octogénaire.
L'instant était grave, très grave. Mais par une chance inouïe, on a de justesse évité la fracture du col du fémur et la volée de coups de canne.

Une vie de chien2En temps normal, notre périple aurait dû être de courte durée.

Mais en un jour férié à midi passé, dans un quartier peu commerçant, il joua les prolongations. En effet, toutes les boulangeries du quartier étaient résolument fermées.
C'est alors qu'un jeune homme fort mignon m'aborda. Il cherchait, disait-il, la même chose que moi (non, non, pas un endroit où abandonner ce basset dont il n'était pas non plus le propriétaire, juste des croissants).
Nous sillonnâmes donc le quartier ensemble. Finîmes par repérer une devanture ouverte.

Ah, une boulangerie, enfin ! Mais attention, pas une à la bonne franquette. Une très chic pour clientèle choisie, étincelante de spots et de propreté, si soignée que même les viennoiseries avaient l'air en plastique et les gâteaux sans miettes.

Aïe. Un problème de taille se posait : que faire de Gai-Luron occupé à repeindre le trottoir avec l'eau sale du caniveau ?
Je n'eus même pas à regarder le jeune homme avec des yeux neurasthéniques de basset.
Spontanément, il me proposa :
- Je vous en prie... Je vous garde le chien pendant que vous faites vos courses. Prenez votre temps.
C
haleureux remerciements de ma part.
Aboulie totale de Gai-Luron, qui changea de mains sans noter la différence.
Les rayons de la boulangerie avaient été dévalisés. Je ne pris que le strict nécessaire pour laisser le reste au jeune homme.
Avoir la politesse, fût-elle intéressée, de garder un chien ne méritait pas
l'impolitesse d'être privé de petit-déjeuner, même par une fille au bord de l'inanition.

En revenant à l'appartement, lestée du chien et d'un sac de délices comestibles, je méditais sur les deux lois suivantes :
- Ventre affamé peut avoir des oreilles (quoique, pour ce qui est de Gai-Luron, j'en nourris quelques doutes).

- La gentillesse des hommes est proportionnellement inverse à la longueur des jupes des femmes (celle-là, c'est de moi. Testée... et approuvée).


Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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