Mercredi 29 octobre
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Furtif... Depuis
deux jours, ce mot m'obsède. Pourquoi ? Aucune idée.
Peut-être parce qu'il ressemble à fautif. Qu'il a
comme lui le goût du mal, de l'interdit, du caché, de l'insu de la filature ou du nuitamment de l'effraction.
Peut-être parce qu'il m'évoque un mouvement, une trajectoire si rapides qu'ils ne peuvent être saisis.
Un raid d'avion espion, un frémissement de course de chat ou de semelles ailées avec l'initiale de fuite.
Peut-être parce qu'il me rappelle les hommes entrés dans ma vie sur la pointe des pieds puis
ressortis sans bruit. Ou ceux que j'ai perdus en chemin, moisson de petits cailloux tombés de mes poches ou jetés derrière
une épaule.
Peut-être parce qu'il m'attache à Feu mon amour, à la brève course de comète de notre histoire et à ses empreintes volatiles.
Peut-être parce qu'il me renvoie à ma part animale, à ma manie d'effacer mes traces pour ne pas être débusquée.
Ici je suis venue mais de moi il ne reste rien.
Peut-être parce que je suis cinglée, tout simplement. Cinglée de me réveiller avec un mot en tête et de me le répéter tant de fois qu'à la fin, il ne signifie plus rien. Il n'est qu'un son vidé de
chair, sonnant clair en coquille creuse.
Furtif n'est pas le premier mot qui m'obsède, loin s'en faut. Mais au moins, lui, je le tiens. Parce que voilà... J'ai passé plus de quinze ans à essayer de retrouver un mot. Un seul, dont
je ne connaissais que la définition approximative.
Lâchez donc dans un dîner "Depuis l'adolescence, je cherche désespérément un mot... Un seul qui désigne, je crois bien, un syllogisme brisé", on vous
jugera bonne à enfermer en cellule capitonnée. Et on aura sûrement raison, ce qui ne me fera pas progresser d'un demi-pouce.
J'ai fouillé les dictionnaires, attendu que ce mot remonte à la surface tel un noyé.
En vain.
Il refusait de sortir de ma mémoire fermée comme une huître sur sa perle.
Je me doutais bien que s'il existait quelqu'un capable de me restituer ce mot-là, c'était Paulien.
Alors, une nuit, j'ai fini par lui demander :
- Dis... Tu pourrais m'aider ? Depuis l'adolescence, je cherche
désespérément un mot... Un seul qui désigne, je crois bien, un syllogisme
brisé.
Il ne m'a pas regardée comme la première des foldingues. Il n'a même pas pensé que j'étais allumée comme un bâton de
dynamite ou ronde comme une queue de pelle.
Il a réfléchi un peu, à peine. Puis, levant un sourcil, il a répondu :
- Enthymème ?
Putain, c'était ça. Enthymème. J'ai failli en dégringoler du canapé.
Enthymème, antimême, anti-moi-même.
Cette fois comme tant d'autres, ce n'est plus moi qui parle grâce à la langue, mais la langue qui parle à
travers moi. De son mouvement... furtif.
Par Chut !
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Publié dans : Au jour le jour
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