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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Au jour le jour

Jeudi 8 octobre 4 08 /10 /Oct 20:17
Il avait la quarantaine, un calot et une parka aussi noire que sa peau. Pas de panier, juste ses bras pour empiler ses achats. Il ne sentait pas très bon, même très mauvais.
Je reconnus aussitôt l'odeur d'un corps abîmé, fourbu par un travail de force, épuisant, aliénant, sous-payé.

Nous contemplions tous deux le rayon "hygiène" d'un hard discounter de quartier. Depuis la crise et la fonte de mes revenus, faut dire que Monsieur P, c'est terminé.
Comme toujours, j'écoutais de la musique
, sourde au brouhaha du monde alentour. Mon isolement voulu ne le dissuada pas de me tapoter l'épaule. J'ôtai les écouteurs pour l'entendre me demander, brandissant une bouteille :
- Ce produit sert-il à se laver sous la douche ?
L'étiquette indiquait en gros "liquide vaisselle".
- Non. Le gel douche, c'est ici.

Je désignai une rangée de flacons. Son regard ne fila pas sur leur alignement coloré mais sur leurs prix. Une crispation vite réprimée tordit sa bouche.
- Et les grandes bouteilles, là ? questionna-t-il, doigt tendu vers le bas.
En bas, c'était les tout premiers prix, les imbattables au format familial. Je m'accroupis. Il m'imita. Tournant les bouteilles mal disposées, je commentai au fur et à mesure :
- Du shampooing... Du bain moussant... Pas de gel douche, désolée.
- Pas grave, fit-il du ton de ceux pour qui, en fait, ça l'est. Ils ont du savon de Marseille, vous croyez ?
- Oui, mais pas dans ce rayon.


Il se releva et fronça les sourcils. Je compris aussitôt : pile face à lui s'étalait une ribambelle de savons sous cellophane.
- Ceux-ci ne sont pas de Marseille. Suivez-moi.
Je le guidai au rayon ménager. Puis, devançant sa question, précisai :
- Les violets sont parfumés à la lavande, les verts à l'huile d'olive. Les blancs, ben... à rien.
Évidemment, c'était les blancs les moins chers. Il en prit deux paquets et me remercia trois fois.
- Vous êtes tellement aimable.
- Oh, de rien. Je vous en prie.
Je souris en le regardant s'éloigner, très digne, le cœur pincé du regret de n'avoir pu faire davantage.

Les étiquettes des produits, les panneaux des rues, les noms des stations de bus, nous les déchiffrons à longueur de journée sans même y penser.
Mais quand tout cela nous est fermé, qu'on ignore où et quoi acheter, comment se diriger, à quel arrêt descendre,
quand le monde n'est qu'un ramassis de hyéroglyphes, une cacophonie grinçante nous renvoyant à notre impuissance, comment fait-on ?
La réponse est simple. D
ésemparé, perdu, exclu, on ne fait pas.
La seule ressource sur laquelle s'appuyer, c'est l'autre. L'autre qui, par solidarité, gentillesse ou compassion, consacrera deux minutes de son temps à nous éclairer. Sans inflexion de jugement dans la voix ni mépris aux paupières, parce que ne pouvoir lire ne signifie pas être idiot.

Cette exclusion du monde, je l'ai connue en Chine.
Là-bas, le moindre déplacement se changeait en jeu de pistes ou pire, en parcours du combattant. Progressant au ralenti, je m'usais les pupilles à comparer les idéogrammes de mon plan à ceux des panneaux. Passais dix fois, épuisée, devant un hôtel en le prenant pour une maison de thé. Ratais mon arrêt parce le chauffeur conduisait trop vite. Descendais trop loin et marchais dans l'autre sens en m'égarant.
Je me souviens d'une errance de deux heures, sac au dos, à la recherche d'un bus. Je sollicitais l'aide des passants. Certains refusaient de me parler p
arce que j'étais étrangère. D'un geste méprisant, ils me renvoyaient au trottoir. D'autres, ne comprenant pas ce que je voulais, m'aiguillaient sur une fausse route.
Je me souviens de cette rage qui finit par m'étreindre. De cette impression d'être inutile, déracinée, stupide. D'autant plus stupide lorsqu'un Chinois, martelant d'énervement un panneau, me cria aux oreilles :
- Cannott iou riiiid ??!!
Ben non, je ne pouvais pas.
Mais moi, j'étais en vacances.
Alors, quand on est étranger à son propre pays,
comment fait-on ?
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Samedi 3 octobre 6 03 /10 /Oct 03:33
J'étais en retard de cinq minutes, elle de plus d'une heure.
À un moment, elle traversa la petite salle d'attente et me sourit. Je pensai qu'elle m'avait reconnue. Alors je lui souris, espérant que mon tour allait enfin venir.

De la musique trop forte sortait des enceintes fixées au mur. Du rock, des groupés indés à flux continu. J'ai pensé que ça faisait bizarre, cette musique pas raccord avec le maintien supposé, un peu rigide, d'un cabinet de médecins.
Puis j'ai pensé que je tournais vieille bique d'avoir de tels préjugés. Quà sa place, j'aurais probablement voulu dépoussiérer la raideur des conventions.
Recevoir des malades n'empêche ni d'aimer le rock, ni de le faire savoir.

J'ai pensé ensuite que cette musique jouait peut-être un rôle dans celle, répétitive et lassante, qui s'égrenait à l'intérieur du cabinet.
"Docteur, j'ai le nez bouché."
"Docteur, j'ai mal au ventre."
"Docteur, j'ai des insomnies."
Difficultés à respirer, à digérer, à dormir.
Difficultés à vivre, tout simplement.
Une musique couvre l'autre et empêche les oreilles indiscrètes d'entendre ce qui ne les concerne pas. À moins que la finesse des cloisons n'en soit la raison : sans même vouloir les écouter, les malheurs des autres nous prennent à témoin. Noyés sous une bonne couche de musique, on n'est plus témoin de rien.
Pratique.

Une femme très jeune sortit du cabinet, louvoya dans la salle d'attente. Je crus qu'il s'agissait d'une patiente, que mon tour était enfin venu.
"Impossible, rectifiai-je aussitôt, elle n'a pas de manteau."
En effet,
documents calés sous un bras, elle fit route dans l'autre sens. La porte se referma derrière elle.
J'avais déjà inspecté de haut en bas la pile de magazines, feuilleté les plus intéressants, lu les affiches placardées dans un joyeux désordre, refait mentalement la déco. La pièce triste, à la limite du miteux, en aurait eu bien besoin.

Le temps commençait à me sembler long. Très long.

J'ai pensé que si j'avais été médecin, j'aurais eu une jolie salle d'attente. Une accueillante qui met à l'aise comme du baume sur une plaie. Une dont on n'a pas envie de sortir à peine y est-on entré. Une de bon goût mais sans ostentation, histoire de ne pas effaroucher la clientèle.
Chez certains médecins, on flaire déjà que la plus douloureuse
partie de la visite sera la fin, ce moment où vous serez gratifiés, sans même un sourire, d'une facture à trois chiffres.

Au bout de trois quarts d'heure, j'ai pensé qu'elle m'avait oubliée, peut-être parce que mon nom ne figurait pas dans son carnet. J'avais appelé en début d'après-midi sans conviction : obtenir un rendez-vous pour le jour même, je n'y croyais pas. Et que j'en aie besoin ne changeait rien à l'affaire.
Aussi fus-je agréablement surprise lorsque la secrétaire me demanda :
- 15h45, cela vous convient ?

Au bout d'une heure, ma patience se réduisait à peau de chagrin. Quand la porte s'ouvrit à nouveau, j'étais résolue à réclamer un brin d'attention. Gentiment et sans râler, renfonçant dans ma gorge l'irritation qui y couvait.
Elle me coupa l'herbe sous le talon :
- Vous êtes... ? Vous avez rendez-vous à... ? Avec mon collègue ?
Au temps pour moi. Fichue prétention de croire qu'elle m'avait reconnue. Son sourire n'était que de politesse, un truc creux adressé en passant à quelqu'un qui visiblement s'emmerde.
Je décline mon nom. Précise que j'attends depuis une heure. Elle ne s'excuse ni ne me propose d'entrer. Non. À la place, elle s'esclaffe. Me tourne le dos et s'adresse, toujours hilare, à quelqu'un. Sûrement la jeune femme aux documents, qui rigole aussi.
Deux minutes et dix blagues plus tard, elles n'ont toujours pas éclairci le mystère de qui est passé à ma place. En revanche, elles se sont bien marré.
Moi pas du tout. N'ayant pas été invitée à me lever, j'attends encore agrégée à ma chaise.

Ce rendez-vous part vraiment mal. D'autant plus mal que ce n'est pas elle qui s'installe derrière le bureau, mais la jeune femme. Qui ne se présente pas.
Comme je garde aussi le silence, une gêne s'installe.
Un "Mademoiselle Cortez, interne" vient la rompre. C'est la généraliste qui a parlé et non Mademoiselle Cortez, trop occupée à bidouiller l'ordinateur.
Je n'avais rien contre elle mais là, ça commence.

Aucune envie de m'adresser à cette interne, de lui expliquer ce qui m'amène ici, de lui dérouler le fil de mes problèmes alors que je ne l'ai jamais vue.
Ce que j'ai à dire est trop intime pour sortir facilement devant une personne. Alors devant deux...
Je suis agacée qu'on m'impose sa présence sans me demander mon avis. Je juge ça incorrect, déplacé, non professionnel.

Ah oui, j'oubliais.
Moi, je suis la patiente. Celle qu'on oublie en salle d'attente, qui paye et qui, en prime, doit fermer sa gueule.
Ma gueule, il vaut
en l'occurrence mieux que je la ferme, car je suis venue demander un service. Pas grand chose en soi, mais je me doute que ça risque de coincer.
Mon bon sens me souffle que si je commence par "j'aimerais que Mademoiselle Cortez sorte", je n'obtiendrai jamais ce dont j'ai besoin.

- Qu'est-ce qui vous amène ?
me questionne la généraliste.
Je commence à réexpliquer ce que je lui ai confié il y a des mois. Qui figure déjà dans mon dossier. Mon dossier qu'elle ne voit pas puisque l'interne monopolise l'ordinateur. Qu'elle se fiche d'ailleurs de voir, puisqu'elle n'a pas un geste pour accéder aux données.
Je mentionne que je reviens d'une consultation spécialisée en Espagne.
- En
Espagne ? Et pourquoi ?
L'inflexion n'est pas cordiale, elle est suspicieuse. Je serre les poings. Dans mon dos, pour que ce geste lui échappe.
Je brûle de lui rétorquer que
pourquoi, elle devrait s'en douter. Qu'en tant que médecin, elle est censée connaître les lois médicales de notre pays. Mais peut-être est-ce moi qui suis trop exigeante, puisqu'être médecin ne signifie pas tout savoir.
Ma réponse tombe, laconique :
- Parce que je n'ai pas le droit en France.
Moue dubitative et ennuyée, genre "à d'autres".
"Me crois pas, t'as raison. Se taper 2500 bornes pour atterrir dans une clinique, tout le monde en rêve. Trop nul
d'être pris en charge à côté de chez soi. Et être exclue de toute couverture sociale, c'est le pied intégral. Bientôt tu vas m'accuser de faire du tourisme sous prétexte que Barcelone est une belle ville, pas vrai ?"

Je respire un bon coup. Sors mes dernières analyses et les papiers fournis par la spécialiste d'Espagne, qui n'est d'ailleurs pas espagnole mais française. Clair que sur ce créneau-là, y a des sous à se faire à l'expatriation.
- Mes analyses sont anormales, j'aurais besoin d'un traitement. Ou plutôt de deux.
Elle prend la feuille que je lui tends, la parcourt d'un air vaguement dégoûté, lève les yeux au ciel et les rabaisse sur un classeur. Classeur qu'elle prend et feuillette en marmonnant "mais où est donc ce papier de formation ?".
Enfin... Feuilleter est un grand mot, puisque ledit classeur est bourré de papiers volants, de demi-pages griffonnées et de post-it.
Moins une que le contenu ne finisse sur la moquette.

Ce que j'ai est clair, les traitements simples. Je les connais pour les avoir déjà pris et même conseillé à d'autres femmes dans mon cas.
D'accord, je ne suis pas médecin, mais le sujet m'intéresse depuis longtemps. Partant de là, je me suis bien documentée. Et d'autant mieux que me voilà touchée.
Elle,
façon cochon truffier, fourrage encore dans son classeur. Me débite un truc sans intérêt et se contredit aussitôt.
Une vague de découragement me submerge. Elle n'y connaît rien.
J'avance un éclaircissement. Elle me foudroie du regard.
Vrai, j'oubliais. Chacune à sa place.
Moi, je suis la patiente, l'imbécile, l'ignorante qui ne doit pas se mêler de savoir. Et si je sais et que par malheur j'ose le dire, je suis une chieuse.


- Je ne vous prescrirai pas ça, tonne-t-elle. Hors de question !
J'essaie d'argumenter. Elle me coupe. J'argumente plus fort mais je n'ai plus la patience, juste une énorme boule de colère qui fait dérailler ma voix.
Je suis épuisée de ce cirque.
Je veux m'en aller mais... Ces
antibiotiques, il me les faut.
Alors je me dis qu'à défaut du premier, je pourrais peut-être obtenir le second.

C'était compter sans Mademoiselle Cortez. Après avoir entré le nom dudit
antibiotique dans l'ordinateur, elle lâche un triomphal :
- Celui-là, il n'est pas pour ce que vous avez. Enfin, pas pour un de vos problèmes immédiats, hein.
- Tiens donc... Pourquoi un spécialiste me l'aurait-il prescrit, alors ?
Silence embarrassé.
Mademoiselle Cortez feint de n'en avoir aucune idée. Si elle lisait la notice en entier, elle en trouverait peut-être une.

Sentant la situation lui échapper, la généraliste
s'empare de la feuille oubliée sur le bureau. Pointe un à un les médicaments de la liste en les ponctuant d'un rageur :
- Et ça, ça, ça, à quoi ça sert, d'abord ?
J'hallucine. Moi à qui elle n'accordait
plus tôt aucun crédit, elle me somme à présent de lui fournir des explications techniques.
Je grille de lui balancer de retourner à son classeur. D'ouvrir son Vidal. De me rendre cette putain de feuille qui ne la concerne pas, puisque destinée à un autre spécialiste.

Mais non. Lorsque j'ouvre la bouche, c'est pour lui expliquer mon futur traitement. Dans lequel elle ne sera pas impliquée, qu'elle se rassure.
Plus j'explique, plus ma voix s'emballe, plus mon ton monte. Je suis à bout d'avoir à me justifier, d'être malade et de quémander deux - pardon, trois - médocs. Qui ne figurent d'ailleurs pas sur cette liste qu'elle s'acharne à secouer comme un prunier.
D'accord, j'ai sûrement mal présenté les choses.
D'accord, aucun médecin n'apprécie d'être guidé dans ses prescriptions.
D'accord, la doctoresse espagnole aurait dû écrire une lettre.
Tout cela, je l'admets volontiers. Mais ce que je n'admets pas, c'est l'
incompréhension, l'incompétence et le mépris.
- Ça suffit, maintenant !
Oui, madame la généraliste. Ça suffit bien.
- Si ça ne vous convient pas, allez ailleurs ! Ou retournez en Espagne !

Là, j'ai craqué, attrapé un mouchoir dans mon sac, l'ai serré contre ma bouche et hurlé dedans. En silence, parce qu'aucun son ne voulait sortir.
Le silence a dû durer cinq minutes. Après autant de cris, c'est interminable.
Les deux femmes ont dû me regarder interloquées. M'en foutais. J'avais tellement d'eau dans les yeux que j'étais aveugle. F
ixant le mur, j'ai balbutié :
-
J'ai des problèmes de santé, je viens ici parce que j'ai besoin d'aide, et voilà... Tout ça, c'est double peine. Double peine.

Fin de la consultation.
Mademoiselle Cortez a tapé une ordonnance incomplète. La généraliste me l'a remise.
J'ai quitté le cabinet.
Je n'y reviendrai plus jamais.
- Bon courage, qu'elles m'ont dit.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mercredi 12 août 3 12 /08 /Août 03:28
Couteau ?
Affirmatif.
Kit de survie ?
Affirmatif.
Médicaments, compresses, seringues ?
Affirmatif.
Robe de plage et maillots de bain, chaussures de marche et espadrilles, chemises et débardeurs ?
Affirmatif.

Mon sac est à nouveau dans le couloir, rempli d'affaires indispensables ou futiles. Pour le charger à demi-bloc, une heure me suffit.
L'autre heure fut consacrée à un minutieux travail de photocopies : cette foule de papiers à transporter pour m'envoler, passer les frontières, me faire soigner, fouler à nouveau les mêmes sols, en aborder d'autres, plonger, conduire peut-être.

Le plus long fut de choisir les livres. Je rampai le long de mes longues bibliothèques, stoppant devant des romans, les feuilletant, les reposant.
Lors de mon dernier voyage, j'eus une intuition : Femmes qui courent avec les loups. Je l'emportai et j'eus raison.

Pour ce voyage-là, je donnerai dans la psychologie : Victime des autres, bourreau de soi-même et Le Courage d'être soi.
Tout un programme d'être de la Thaïlande à Bornéo, en passant probablement par les Philippines.
Oui, je sais... Là-bas, il y a des typhons.

Voilà. L'appartement est en ordre, la vaisselle lavée, les factures payées, je suis prête.
Prête à me glisser sous les draps et, après une trop courte nuit, sous ma maison-sac. À la larguer dans la première chambre d'hôtel. À la porter
en autarcie sur les chemins.
Elle est d'ailleurs si grande que, pliée en deux, je pourrais me réfugier dedans.

Cinq semaines à retailler la route. À repartir vers moi après ce si dur juillet qui me vit larve et amazone.
Dans un lieu, la maison d'Ethan, je suis attendue. Dans d'autres, je surgirai à l'improviste. Par exemple, le Gecko Bar ignore encore notre rendez-vous pour le petit-déjeuner.
Cinq semaines à vivre plus, mieux. À vivre, tout simplement, loin de ce Paris que j'adorais mais qui à présent m'étouffe.
Cinq semaines, cest long pour beaucoup,
rien pour moi. Et ce n'est surtout pas ce que j'avais prévu.
Malgré le destin qui s'est mêlé de changer mes plans, la direction est toujours : droit devant.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Vendredi 7 août 5 07 /08 /Août 22:08
J'ai cru que c'était la grille métallique la responsable. Celle qui empêchait les pierres du muret de tomber et sur laquelle j'étais restée trop longtemps assise.
J'avais mal mais du rosé pétillait dans mon verre. Du rosé et la pluie qui goutte à goutte me rafraîchissait.

Deux jours plus tard, je dus me rendre à l'évidence : la grille n'y était pour rien ; la boule
douloureuse et chaude roulant sous mes doigts, pour tout.
L
orsque j'étais debout, elle me gênait. Lorsque j'étais assise, elle me mettait au supplice. Il n'y avait que couchée qu'elle me fichait une paix relative.
Dans cette position, la boule et moi avions conclu un fragile pacte de non agression.
Elle me lançait, je l'ignorais. Elle lancinait, je la traitais par le mépris.
En échange, elle me laissait dormir. Longtemps. Trop peut-être.

La boule comme toute chose répondait à un nom. Je ne le connaissais pas, Ether si. C'est un nom barbare de boule bénigne mais empoisonnante, à laquelle seule la chirurgie peut
régler son compte.
Aux mots "opération" et "anesthésie générale", un blanc paralysa mon cerveau. En monta ensuite un refus buté scandé de "non, non, non, j
e ne veux pas y retourner, non, non, non, je n'y retournerai pas."
Je savais surtout que si je ne repartais pas vite ailleurs, me laver le corps, les boyaux et la tête, je ne jurerais plus de rien.

La boule me conduisit chez un gentil docteur. Un remplaçant tout jeune, tout mignon, tout frais. Un praticien du mois d'août, quoi.
À sa question "qu'est-ce qui vous amène ?", j'entrepris de lui expliquer la boule. Puis m'embrouillai. Puis trébuchai sur un mot.
Ce fut le début du déraillement.
Ma voix plutôt grave, quittant les rails bien huilés des symptômes, se percha dans les aigus. Je coassai en si mineur des mots incompréhensibles. Voulant reprendre le contrôle, je forçai, forçai pour que ça sorte intelligible et m'entendis hurler.
Je stoppai net.
- Prenez un mouchoir, dit le gentil docteur.
- D'accord. Et après, je vous montre mes fesses.

Il m'orienta sur les urgences spécialisées,
aussitôt rebaptisées "celles de ceux qui en ont plein le cul". Et ouvertes que le matin, les bougresses. Encore une nuit à passer avec la peur que ma boule ne m'emmène bientôt sur le billard.
Cette nuit-là je rêvai d'une femme qui me précédait sur un parking. Des flashes de lumières tombant soudain du ciel l'encerclaient. Je savais qu'ils étaient dangereux, mauvais, qu'il fallait les fuir.
Trop tard. L'un d'eux fondit sur moi pour m'aveugler.
Piégée comme un animal dans le faisceau des phares, je me figeai. Mon corps ne me répondait plus. Ce qu'il sentait, c'était la douleur terrifiante d'une brûlure me calcinant de haut en bas, grillant mes chairs, amalgamant en bouillie mon dos à mes fesses, ma poitrine à mes cuisses.
Happée par la lumière comme une poussière sanglante, je décollai
d'un coup du bitume en me pissant dessus. Des rivières de pisse sorties de mes flancs m'inondaient alors que, transbahutée de haut en bas, je passais du chaudron de l'enfer à la glace des pôles.

Après le champ de bataille de mon lit, la petite salle des urgences me sembla presque accueillante. Enfin, jusqu'au moment où une femme entra. La soixantaine dépeignée dans une robe à fleurs, elle salua à la cantonade.
Le bonjour rendu lui servit de prétexte pour narrer en détail ses maladies, ses quarante médicaments journaliers, ses dix sauvetages in extremis par les pompiers, ses enfants ingrats, la mort de son chat rendu à notre Dieu le sauveur.
Car elle priait tous les soirs, la bonne dame. Mais en ce matin, elle nous cassait et les bonbons et les oreilles. Juke-box suralimenté en pièces, jamais elle ne s'arrêtait. Un sujet était le prétexte à un autre, un regard compatissant à une kyrielle de plaintes suivies de cris :
- Je suis malade ! On m'abandonne ! Je vais crever ! Dieu tout puissant !

Lentement en moi la boule grossissait.
Pas celle de mon coccyx, l'autre de mon ventre. La méchante, la teigneuse, la violente, celle de l'impuissance et de la colère.
Je m'ordonnai :
- Ne regarde pas cette femme.

Si jamais nos regards se croisaient, c'est à moi qu'elle s'adresserait. Moi qu'elle noierait sous son babil, ses jérémiades et invectives. Moi qui approcherais alors de trop près une zone trop friable.
Là, je ne répondrais plus de rien.

Quand, remarquant mon indifférence affichée, elle me lança un agressif "Oh, la blonde, vous vous en foutez de mon malheur, espèce d'égoïste ?", je ne détournai pas les yeux de la fenêtre.
Je pris une respiration
longue comme un soupir inversé, quittai mon siège et la pièce.

Plus tard, l'interne des urgences me dit :
- Ça ira mieux ou ce sera pire.
Et il me renvoya chez moi avec des antibiotiques.
La boule diminua, en effet, mais pas le
mélange de trop de trucs qui ne passaient pas.
Depuis un mois, j'ai un sacré bézoard dans l'estomac.
Comme la boule, il
gonfle ou s'amenuise au gré des événements. Parfois tout petit mais souvent très gros, si gros que soit je n'arrive pas à le cracher, soit il sort en crachats.

Tout me contrarie, tout m'agresse.
Une analyse manquante pour compléter mon dossier médical et je pète un plomb.
Un appel que j'ai attendu une journée entière pour finalement le rater et je grille un court-circuit.
Une chute dans l'escalier, quinze marches dévalées sur le dos, et je
coule un boulon.
Une grimace agacé de l'employée de l'agence de voyages ("Mais vous le voulez pour quand, votre billet ?") et j'explose un câble.
Ma machine poussée à bout n'a plus aucun ressort. Surtout quand je parle à mon père.


Mais demain, c'est un autre homme qui vient. Gaspard.
J'espère me débarrasser
à temps du bézoard.


Bézoard : substance étrangère dans l'estomac d'un homme ou d'un animal, correspondant à l'accumulation de substances de diverses natures. Ces substances sont non ou partiellement digérées.

Depuis des temps très anciens, il était attribué aux bézoards des propriétés médicinales, attestées par les traces de rapage que l'on observe souvent à leur surface. La poudre obtenue était considérée comme particulièrement efficace pour traiter divers maux dont la mélancolie.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Dimanche 26 avril 7 26 /04 /Avr 17:41
J'ai une piètre opinion de moi en tant que photographe. Plus que la pro du cadrage, je suis la championne du doigt devant l'objectif. Du flou pas très artistique. Du scalpage de tête, du contrejour et de la surexposition.

Pourtant, mon oeil voit le parti à tirer d'une scène, d'un visage, d'un détail. Mais une fois dans la boîte, la photo me déçoit. Elle me paraît sans reliefs, sans saveur ni odeur.
Un cliché de vacances insipide de plus à verser au dossier des photos ratées.

Je sais pourtant que des photos, il faut en prendre cinquante pour n'en garder qu'une, se désespérer d'être mauvais pour se surprendre d'être bon.
Il faut travailler la technique, aussi. Jusqu'alors, la sensibilité ISO m'évoquait une avancée psychanalytique, la balance des blancs une pesée réservée aux Caucasiens, et l'ouverture du diaphragme, un truc carrément salace.

Il était donc grand temps que je m'y mette, et surtout que j'acquière de quoi m'y mettre.
Keith Jarrett sans son piano ? Il n'est rien.
Picasso sans ses pinceaux ? Il n'est rien non plus.
Moi sans un appareil digne de ce nom ? Idem.
Aussi ai-je arpenté aujourd'hui Sim Lin Square, le shopping center singapourien de l'électronique. Et de pied ferme, encore, car hors de question que je repasse les portes bredouille. A mon retour, mon sac serait lesté du prolongement de mon index connecté à mon oeil droit (celui qui voit le mieux).
Quelques heures et centaines d'euros plus tard, je sortais triomphante d'avoir accompli un nouveau bond technologique.
Après ma bécane, tombée en rade moins d'un an après achat, et mon Time Capsule asthmatique, j'aurais dû me méfier.

La pluie avait entretemps séché sur les trottoirs. Tant mieux. Cela m'éviterait de me gaufrer comme à l'aller à cause de mes sandales dotée de l'éjection automatique. Sûr que mon reflex tout beau tout neuf n'aurait pas plus apprécié que mon genou la rencontre avec le pavé.
Une fois à l'hôtel, j'avoue avoir capitulé à la page 4 de la notice en anglais.
- On va y aller au feeling, je me suis dit. Ca avait l'air drôlement simple dans le magasin.
Sitôt pensé, je suis debout, nez au vent, prête à m'aligner pour le prix Albert Londres.

Ici commencent les stupides aventures d'une fille qui aurait dû dépasser la page 4 de la notice.

La mosquée près de mon hôtel est vraiment belle. Je décide donc de la transformer en cliché inaugaural. J'allume l'appareil, le lève à la rencontre du dôme doré.
Rien.
Ah si, là, en petit dans le coin, un message tout en chiffres qui clignote.
Une nouvelle langue, peut-être ? Du martien ? La voix de Dieu ? Bad news from the stars ?
Je peste, j'insiste.
Pas de bol. La connexion avec l'au-delà est brutalement interrompue par un gros trou noir.
Je peste, agite les bras, insulte in petto le vendeur qui m'a refourgué de la camelote.
Furieuse, je retourne l'appareil pour le ranger. Eclate de rire.
J'avais oublié d'enlever l'obturateur.
(Ben quoi ?)

L'hôtel Raffles* est vraiment splendide. L'enfilade des arcades avec les lampes suspendues et la silhouette du portier à l'horizon, je les veux. Sauf que j'ai dû trop trifouiller les boutons entretemps. L'appareil s'insurge, zoome, dézoome, n'en finit plus de me promener en avant, en arrière.
Je tangue comme une vieille chaloupe, j'ai le tournis, je perds pied, je sombre, je renonce.
(Pas encore trouvé la solution.)

Les petits pavés devant l'hôtel Raffles sont vraiment jolis. Parfaits pour une photo abstraite, genre extérieur nuit en énigme. Je les veux aussi mais là encore, autant négocier une demi-jambe avec un crocodile affamé.
L'appareil, lui, ne veut pas.
Je m'acharne, je m'escrime, je m'évertue. Au beau milieu de mes efforts, on me tapote sur l'épaule.
Le portier.
- Excusez-moi, Mademoiselle. Vous êtes au beau milieu de la file des taxis et s'il en arrive un, il va vous écraser.
Oui, bon, d'accord. C'est si gentiment dit que je m'en vais.
(Et tant pis pour les pavés.)

Je passe vite sur la suite, qui pourrait s'intituler :
- hallus auditives ou Comment traiter son engin de moulinette en confondant son bruit avec un skate-board ;
- grand moment de solitude ou Comment shooter au flash un prêtre en plein sermon.
Pour me venger de ces avanies, j'ai rebaptisé mon appareil Gogol, sans me faire d'illusion sur lequel de nous deux l'est plus que l'autre.

Ici s'interrompt le combat pour cause de batterie vide.

Verdict : Keith Jarret sans son piano, Picasso sans ses pinceaux, moi sans appareil photo, on n'est peut-être rien. Mais moi avec, je ne suis pas toujours grand-chose.
Pas grave. J'ai toujours pensé que les plus belles photos étaient dans ma tête.


* L'hôtel Raffles est LE palace historique de Singapour, un lieu mythique fréquenté en son temps par des écrivains et artistes (Rudyard Kipling, Joseph Conrad, Somerset Maugham, Charlie Chaplin...).
Le comble du chic est bien sûr d'y loger dans une suite (gloups). Sinon, à défaut d'être milliardaire, on s'y rend pour déguster un Singapour Sling : ce célèbre cocktail a été créé là, derrière le bar en bois.

J'ai adoré siroter ma boisson dans ce cadre magique, dans les coques de cacahuètes qui traînaient partout. Ca, c'est drôle : le lieu a beau être très chic, on jette sans complexes ses pelures par terre. Inutile de chercher une poubelle de table, il n'y en a pas.
Détonant mélange !
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Lundi 23 mars 1 23 /03 /Mars 13:49

Yogjakarta, île de Java.


Depuis plus d'un mois que je chemine en solitaire, sac au dos, je me nourris de nouilles, de riz et de moi-même, entre irrésolution des jours de fatigue, énergie de journées pleines, contrariétés et joies minuscules, grosses galères et grandes découvertes.


Dans un taxi-moto, le vent dans mes cheveux suffit à me ravir. Il a le goût de la liberté comme la saveur des brochettes aux étals des marchands, le relâchement de mes épaules alors que mon sac trop lourd atterrit sur le lit d'une chambre d'hôtel, le bruit ininterrompu de la pluie sur un toit en zinc ou son ruissellement sur mon visage brûlant.

Lavée de la chaleur et de la poussière, trempée et heureuse, je peux alors m'abriter et pester :

- Mais qu'est-ce qu'il pleut !


Je le savais en partant, ce voyage serait différent des autres.

Avant, j'avais une idée de ce que je cherchais, même si je ne le trouvais pas ou que mes plans changeaient en chemin.

Cette fois-ci, je l'ignorais. Enfin, pas tout à fait.

J'avais au fond des tripes le besoin vital de me décrasser, de me confronter à moi-même, d'accomplir un voyage dedans.

Une ascèse plutôt qu'un amusement, une plongée vive à mes sources, une remontée de mon propre courant desquelles je sortirais vivifiée, baignée, épurée après l'épreuve du feu.


J'ai bien pensé à me créer ma propre épreuve : prendre pendant dix heures un bus pour nulle part. Pour qui voyage en routard, elle semble ridicule. Pour moi qui déteste encore plus les bus que la voiture, elle ne l'est pas.

A peine me suis-je installée sur mon siège que, souvenir d'enfance, j'ai déjà la nausée.

De plus, petits garnements, ma vessie et mon estomac supportent mal les longs trajets. Périodiquement, j'ai besoin de vider l'une et de remplir l'autre. Sans compter que ma claustrophobie s'accommode mal d'une prison de métal, de voisins qui se retournent et me dévisagent en bête curieuse, grignotent mon siège, s'effondrent sur mes genoux au premier cahot.

Ici comme ailleurs, la proximité forcée des peaux, des odeurs, des conversations me hérisse.

Enfin, en Indonésie comme en Inde, les chauffeurs conduisent comme des furieux, au klaxon, doublant à tort et à travers dans les virages ou sur les routes à deux voies.

Mille fois par le pare-brise, je vois, impuissante, la mort me faucher en pleine face.


Si j'ai renoncé à cette épreuve gratuite, c'est que je l'ai vécue contrainte et forcée de Parapat à Medan. Le trajet qui devait durer quatre heures. Il prit le double.

Dès le départ j'eus l'horrible vision d'une chute fatale. Un camion ayant sûrement pris à trop vive allure la petite route en lacets gisait écrasé au fond d'un ravin. Comme dans les crashes d'avion, aucun passager ne devait survivre.

La différence avec les crashes ? Ils se produisent plus rarement : l'avion reste le moyen de transport le plus sûr, le bus le plus risqué.

 

A mi-course s'abattit un déluge tropical. Le ruban d'asphalte, les champs alentour, le ciel se confondaient en un seul gris intense. Des trombes d'eau obscurcissaient les vitres. Une giclée de boue jaillie des roues d'un véhicule nous plongea dans la nuit noire.

Lueurs fantomatiques des phares exceptée, on n'y voyait pas davantage qu'au fond d'un trou.

La carlingue fatiguée du minibus tremblait comme un hélicoptère au décollage.

A l'intérieur régnait un profond silence d'église. Les passagers s'en remettaient à Dieu ou plutôt au chauffeur devenu Dieu. Un Dieu aux yeux étonnamment clairs et au visage crispé dans le rétroviseur.

Un Dieu qui tenait leur vie – nos vies – entre ses mains.


A la fin du trajet survint un immense embouteillage. Une file de camions, de bus, de voitures inextricablement mêlée convergeait dans la même direction, sans autre échappatoire que la ligne droite.

Fenêtres entrebâillées, nous suffoquions dans les vapeurs d'essence et de gaz d'échappement.

Inspiration, expiration.

Bouche ouverte tel un poisson sorti de son bocal, je me forçais à respirer calmement, réprimant la panique qui gagnait et mon ventre et ma gorge, me bénissant de n'être point asthmatique.

Sinon j'aurais crevé là, terminus plein champ.


Notre chauffeur prit le parti du bas-côté par une brusque oblique à gauche. Vaille que vaille à un demi-mètre du fossé, il remonta cran après cran le serpent de véhicules, tantôt s'immisçant telle une couleuvre entre un pare-chocs et un garde-boue, tantôt glissant sur le ventre, patinant, dérapant sur la terre meuble.


Mille fois je nous vis verser dans l'eau. Non plus celle qui lave et purifie, mais celle qui tue et détruit.

Mille et une fois je soupirai de soulagement.

A la fin du périple j'étais moulue. Corps en écorce malmenée, sentant dans ses flancs la flamme du désir de la route proche de s'éteindre.


Je soufflai sur ses braises pour m'arracher de la ville hostile de Medan, fuyant Jakarta, une ville encore plus grande, pour atterrir ici. Un vol retardé plus tard, je m'échouai à l'hôtel, une bâtisse sans âme, pour dormir et me laver.

Sous l'eau froide de la douche les scories se détachaient. Peur, stress, énervement, colère glissaient sur mes écailles, emportés par le siphon.

Reposée, purifiée, je pouvais à nouveau brûler.

Le feu me saisit presque par hasard. Presque, tant un de mes livres de route, Femmes qui courent avec les loups, allume en moi un brasier. Il a la profondeur des sésames difficiles d'accès, la forme complexe des clés durement gagnées.

Un chapitre, une enjambée.
Un pas imprimé sur la cendre morte de ma vie ancienne de laquelle jaillira, je l'espère, une récolte fertile.


Aujourd'hui, assise sur un tabouret par trente-cinq degrés à l'ombre, j'entendis un furieux martèlement de sabots. Des chevaux cabrés, libres d'entraves, cinglés par le vent, toutes dents dehors, roulant des yeux furieux dans une caracole d'enfer.

Le mince batik avait l'épaisseur des révélations.

Je demandai à faire déplacer la toile.

Chamarrée à la lumière du jour, la horde avait la sauvagerie effrayante, somptueuse des appels à l'âme.


J'ai acheté la peinture.




Mon livre de route est de Clarissa Pinkola-Estés.

Son titre complet : Femmes qui courent avec les loups,
Histoires et mythes de l'archétype de la femme sauvage.


Le batik sort des mains de l'artiste et professeur indonésien Harri Agung.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mardi 10 février 2 10 /02 /Fév 02:54

Je suis dans la chambre prêtée par Maéline, une amie d'enfance. Lorsque je vais dans mon là-bas, c'est toujours ici que je loge.
La chambre, petite, encombrée de valises, de sacs, de vêtements, de livres et de poussettes a des airs de joyeux désordre. Un de ceux qui me plaît parce que, dans aucun espace trop bien rangé, je ne me sens pas chez moi.

Mes affaires sont toutes étalées autour du canapé déplié, comme un rempart contre le sommeil ou les mauvais rêves.

Cette nuit comme souvent, le désordre m'apaise. Peut-être parce qu'il est le reflet de ce qui m'encombre la tête : un beau fouillis, un vrai sac de noeuds et de pelotes emmêlées.

Derrière la fenêtre ouverte, c'est la tempête. Le vent furieux s'engouffrant entre les volets fait tintinnabuler les tubes chromés d'un mobile.
Si je ferme les yeux, ce son cristallin me replonge sur les ports de mon enfance, là où je dormais, insouciante, sur des bateaux, bercée par la houle et le claquement sec des cordes heurtant les mâts.
Mais il n'y a pas ni iode ni douceur dans ce vent de là-bas. Juste le froid agressif, coupant, des montagnes toutes proches.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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