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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Jeudi 7 février 4 07 /02 /Fév 17:07

Bangkok, Thaïlande, 24 janvier- ... février.

 

 

Cebu BangkokIl y a dans ma bouche ce goût de sang et, le long de mes cuisses, les mains de Joey.

La patronne du bar a abaissé le rideau de fer derrière nous. La nuit n'est pas noire mais d'un jaune malade percé de néons, d'enseignes et de lumières.

Il pleut avec une violence inouïe, un orage tropical qui vide les rues et les nettoie de leur stupre.

Plus de femmes aux sourires faux plaqués sur leurs traits trop durs, proposant leurs charmes après les avoir déjà trop vendus.

Plus de gros touristes enlaçant des Thaïes bien trop jeunes et jolies.

Plus de vieux alcoolos trop tatoués, aux faces respirant trop de solitude, de tristesse et de dérive, accrochés à leur bière toujours pleine.


Je ne suis pas censée être là. Je devrais être aux Philippines, tranquille dans mon lit, à des milliers de kilomètres. 

Mais il y a eu entretemps la douleur, les nuits d'insomnie et la résignation.

Mais il y a eu ce rendez-vous et le regard navré d'Ayleen, ma dentiste.

- Je ne peux rien pour vous... Sorry kaayo, Mââm.

Encaisser en silence. En silence retourner au temps maudit de mes trajets intérieurs et autres chroniques incisives.

J'ai voulu pleurer, bafouiller que ce n'était vraiment pas le moment. Trop dur, trop injuste. Ras-le-bol et merde quand s'arrêtera enfin ce cirque ? Ce troupeau d'éléphants qui me pulvérise le crâne et les mâchoires, droite-gauche, gauche-droite ? Cette ronde d'antidouleurs et d'antibiotiques, ces soins bâclés au départ (en France...), à refaire encore et toujours, avec moins de succès à chaque tentative ?

- Je peux vous aider ?

- Non, Ayleen, merci. Je me débrouillerai.

En moi une tempête s'est levée.

Quelques heures pour décider de la suite, prendre la bonne décision. Sans réfléchir rentrer à l'hôtel, allumer l'ordinateur et réserver un billet d'avion. Direction Bangkok, un des meilleurs hôpitaux d'Asie, à peine lestée de deux culottes parce que ce voyage-là, il n'était pas prévu.

Passeport, carte bleue et ordinateur, de quoi franchir la frontière, payer, travailler et me relier au monde, voilà l'essentiel. Le reste, vêtements, shampooing, savon, livres, stylo, papier... je le rachèterai sur place.

Hommage à la voix intérieure qui m'a soufflé de l'emporter, ce passeport. Moins par intuition que pour une raison bête : ma carte d'identité philippine périmée.

Jamais encore je ne suis partie comme on se sauve, prenant à l'arrachée un vol international au lieu du ferry voisin.

Faut un début à tout, il paraît. Mais pour le voyage de la dernière chance, il s'agit quand même de ne pas se rater.


Cebu BKKLa main de Joey s'enroule autour de ma taille.

Autour de nous la musique tonitruante s'est arrêtée. A deux heures tapantes les filles et les lady boys des clubs bondés ont fini leur service, descendant des étages en rangs pressés, babillants, compacts.

Mini-robes, strass et talons aiguilles, une armée de secrétaires et de dactylos d'un genre nouveau, discutant de leur journée de travail avant de sagement rentrer à la maison. 

Il ne reste que Joey, moi, quelques égarés et une Thaïe qui s'abrite sous un sac plastique

Seven-Eleven, bien sûr.

- One more beer ? Cigarettes ?

Je refuse d'un sourire, je ne bois plus que du Coca. Zéro, si possible.

Joey, lui, accepte.

La vieille dame part bravement sous la pluie. Nous rapporte dix minutes plus tard, moyennant commission, de quoi boire et fumer encore.

Joey s'esclaffe.

- Tu imagines ça en France ?

- Pas une seconde !

- Au Liban non plus, d'ailleurs !

Joey est comme moi un expatrié de passage à Bangkok. Sauf que lui est en vacances.

La raison de ma présence ici provoqua d'ailleurs sa stupéfaction :

- Du tourisme médical en Thaïlande ? Mais euh, il n'y a rien à changer !

Sa réponse me parut si incongrue que je pouffai. Non, je ne suis pas venue me payer une nouvelle poitrine ou un nouveau visageEt je n'ai pas envie d'entrer dans les détails, juste de m'arrimer à son cou et de me laisser porter.

Par ses paumes sur mon sexe.

Par ses prunelles qui me dévorent.

Par son rire qui m'apaise.

Par la nuit ruban jaune qui s'aplanit sous nos pas.

Par ses doigts qui soudain cherchent les miens et, en signe d'alliance, les recouvrent.

Toujours ce goût de sang dans la bouche mais, plus forte que la douleur, l'envie.



Pardon à ceux que je n'ai pas eu l'énergie de prévenir et merci à ceux qui, ayant su pour ce voyage catastrophe, m'ont soutenue et me soutiennent :

ces proches toujours présents en dépit de la distance,

ces amis virtuels aux mots rassurants,

ces belles rencontres qui me donnent l'énergie de continuer.

Bertille, Marianne, Ethan, Pauwels, Xu, Marie, Joey, Tal, Max, Nicola, Valeria...

Vous êtes mon carburant.

 

Photos : Anna Hurtig, Caryn Drexl. 

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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Mercredi 6 juin 3 06 /06 /Juin 19:32

Vous etes prevenuesSoirée avec Bertille.

Nous faisons un point sur notre très prochain départ en Mongolie. Les questions à (se) poser, les médicaments à emporter, les affaires que nous possédons déjà, celles que devons encore nous procurer...


Nous appelons Vincent qui nous attend à Ulan Bator. Il est formel : nous charger serait une erreur.

Il souligne d'ailleurs ce que nous avons déjà remarqué. Dans un pays tropical, difficile de dénicher de quoi affronter le froid. Ou à des prix si peu attrayants que le budget voyage explose.

Des sacs de couchage pour nous réchauffer par un éventuel moins cinq ?

Trouvables sur place. Au marché noir, dans les surplus des armées russes et chinoises.

Idem pour les gants, les bonnets, les capes de pluie, les polaires.

 

En revanche, shampooing et du savon bios sont obligatoires afin de ne pas polluer les rivières.

Et vu notre usage parcimonieux, de (tout) petits formats suffiront.

D'abord parce que se laver, c'est un luxe permis uniquement près d'un cours d'eau.

Ensuite parce qu'après plusieurs jours de cheval, d'efforts et de poussière, de vent et de soleil, de cuisine et de veillées collées à un poêle artisanal, notre crasse sera si épaisse que le seul produit efficace sera... le liquide vaisselle.

Également utile pour les lessives, le produit. Celles-ci aussi nécessaires que rares, malgré nos juste trois T-shirts et pantalons.

Le plus strict des minima, on est prévenues.


Dès notre arrivée, Vincent nous apprendra les gestes indispensables. Comment bâter et débâter un cheval. Aller chercher de l'eau sans gaspiller son énergie. Prendre soin de nous pour éviter minuscules et gros pépins.

Aucun rapatriement depuis notre futur nulle part. Voilà, c'est dit.

Oh, il y a bien un avion militaire russe, mais un seul pour tout le pays. Et le coût, six mille euros, est si prohibitif qu'aucune assurance ne le couvrira.

D'ailleurs, impossible de localiser trois pékins perdus dans la pampa.

Internet, le téléphone ? Ne rêvons pas.

Comme Tubbataha est le royaume du bleu, la steppe est celui de l'herbe, des montagnes, des aigles et des chevaux sauvages, pas celui des antennes-relais.

 

Bertille et moi échangeons un sourire. Un regard entendu.

L'aventure sera dure, intense. Nous le savons. Nous préparons en conséquence. Prévoyons des antidouleurs, une fatigue persistante, de sublimes paysages et du courage à revendre.

Mais ce qui nous cloua fut l'innocente phrase de Vincent :

- En Mongolie, ne pas prévoir, c'est déjà gémir.

Ah oui ? Ça promet...

 

 

Photo de René Jacques.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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Lundi 28 mai 1 28 /05 /Mai 15:47

Adri bisAdrien et moi avions prévu de nous revoir. Cette deuxième rencontre a priori très simple fut en vérité très compliquée à organiser.

Impossible, même.

Pourtant, j'étais prête à retourner à Puerto Princesa.

Pourtant, si Adrien débarquait sur mon île, je lui ouvrais toute grande ma villa.

Mais Adrien voulait d'abord se rendre à Manille. En revenir si tard que je renonçai à le rejoindre : pas question de bâcler les préparatifs de mon périple en Mongolie avec Bertille.

Il conclut mon refus d'un "en effet c'est dommage..." auquel je ne réagis pas.

Adrien et ses regrets m'agaçaient.

 

Le lendemain Adrien annula son déplacement sur Manille. Je ne lui demandai pas quelle était ma part dans cette décision. Peut-être aucune, d'ailleurs. Réjouie de la tournure des événements, je ne souhaitais pas les creuser davantage. Et m'apprêtais, sans plus de délai, à réserver mes billets d'avion et de ferry.

Une petite voix me souffla d'attendre.

Je l'écoutai. J'eus raison.

Après moult tergiversations, changements de programme et messages laconiques, Adrien séjournerait bien à Manille. Mais, promit-il, il serait chez moi le 23 ou 24 mai.

Plusieurs jours filèrent sans nouvelles.

De guerre lasse, je le textai la veille de sa possible arrivée.

Il ne répondit pas.

J'abandonnai.


Au fil des semaines j'avais découvert le fonctionnement d'Adrien. C'est le règne des coups de tête, du fil du vent, du gré des courants, l'ouverture à ce que les uns et les autres lui proposent. Le prier de fixer une date, d'établir un plan, des horaires et de s'y conformer est aussi inutile que de tamiser la plage à la cuillère.

J'avais aussi saisi qu'interpréter contre moi ses multiples hésitations, silences, annulations, était une erreur. Au début ceux-ci m'avaient peinée. Chagrinée de ne pas me sentir assez désirée. Irritée de dépendre de son bon vouloir.

Moi aussi j'avais des projets, des obligations, du travail à boucler, des gens à voir, mais les incessantes voltes-faces d'Adrien me bloquaient.

Cette façon de souffler le chaud et le froid aurait pu être délibérée, une manière tordue de prendre l'ascendant sur moi, d'étendre son emprise sur mon quotidien.

Pas du tout. Adrien est comme ça. Léger. Étourdi. Irréfléchi. Inconséquent. D'une imprévoyance qui à mes yeux frôle l'irrespect et se confond parfois à lui.

Comprendre cette donne me libéra de l'attente. Pas forcément de la déception de notre rencontre manquée, mais celle-ci s'estompa vite.

Finalement je ne voulais plus qu'Adrien vienne. Et ne voyais pas, d'ailleurs, comment il en serait capable. Il ignorait quelle route, quel bout de lande j'habitais. Il n'avait pas mon adresse. Pas mon nom de famille.

Sans lui j'avais repris le cours ma vie. Un chemin duquel il (s')était totalement exclu.

 

Adri bis 2L'après-midi d'hier fila dans l'écriture.

À peine avais-je terminé le billet sur Noam que ma voisine italienne m'appela.

- Yes, I'm here ! criai-je depuis ma terrasse masquée de rideaux blancs.

- There is someone for you, dear !

Quelqu'un pour moi ?

Étonnée je quittai ma chaise, entrebâillai les rideaux et distinguai, au bout de l'allée sombre, ma voisine escortée d'une silhouette masculine, si mangée de nuit qu'elle semblait irréelle.


Mon esprit travaillait à toute allure.

Bon sang de bonsoir, mais qui était donc ce visiteur surprise ?

Je crus deviner des cheveux longs.

Noam ?

Impossible. Il n'avait pas besoin de guide pour localiser la villa.

Ayhan, mon étudiant philippin ?

Idiot. Jamais il n'aurait osé débouler chez moi sans m'avertir.

Un ami de Bertille, peut-être ?

Mais lequel ?

Et pourquoi ?

Je n'avais rendez-vous avec personne.

Alors... QUI ?


À tout hasard je lançai :

- Hello...

Une voix que je ne reconnus pas s'exclama :

Hello ! Je suis si content de te revoir !

La silhouette marchait bras tendus vers moi. Et vers elle je marchais hypnotisée, irrésolue. Les bras serrés et les yeux écarquillés pour percer ce fichu noir.

- Mais qui est-ce ? lâchai-je brutalement, plus sèchement qu'escompté.

- Adrien !

- Adrien ??

Un bloc de stupéfaction s'abattit sur mes épaules, m'ôta la parole, m'affola le coeur, me coupa le souffle. Stupide, ballante, pétrifiée je me tenais toute droite, toute raide, toute molle.

Ma voisine s'éclipsa prudemment. Adrien me prit dans ses bras.

 

D'un coup je retrouvai sa peau. D'un coup je retrouvai son parfum.

Son odeur, la sienne si particulière, me frappa comme une gifle.

- But... Adrien... what... are you... doing here ?

Je ne m'entendis pas balbutier. Ni lui parler anglais. L'effarement avait fusillé mon cerveau.

Blocage sur la touche arrêt, bug informatique, écran noir.

Ben... Je suis là pour te voir. Tu n'as pas eu mon mail ?

- Noooon. Tu l'as envoyé quand ? Quand es-tu es arrivé ? Aujourd'hui ? Depuis longtemps ? 

Une fois le déblocage opéré, les questions se bousculaient. Les doutes aussi. La certitude de ne pas apparaître à mon avantage. Vêtue d'un tee-shirt informe, décoiffée, sans maquillage, prête pour écrire mais pas pour recevoir. Surtout un amant. Et bien plus jeune que moi.

Soudain je m'aperçus que nous étions encore dans l'allée, plantés entre les arbustes.

- Euh... Tu veux entrer ?

- Volontiers.


Adri bis 3Mon coeur s'accéléra encore.

Soudain je réalisai que j'aurais pu ne pas être seule. Que Noam aurait pu être là.

Nous dans la chambre à cette minute. Enlacés, avec nos gémissements, nos sursauts, nos cris filtrant par la fenêtre, faisant d'Adrien autant un obstacle à notre étreinte que le spectateur d'une intimité qui ne le regardait pas.

J'eus le sentiment d'avoir échappé à une catastrophe.

En effet, j'avais plus tôt hésité à inviter Noam. Finalement décidé de m'abstenir.


Une fois de plus ma petite voix m'avait protégée. Gardée d'un vaudeville tropical mettant en présence deux de mes amants.

Deux hommes qui ignoraient tout l'un de l'autre.

Deux hommes qui n'apprécieraient guère, sans doute, de tomber nez à nez.

Je ne leur avais pourtant rien promis.

Eux non plus.

Leur volonté était au contraire de rester libres. De ne nouer aucune attache solide, de ne pas entamer de relation, de ne s'engager avec personne.

N'empêche... Il est un monde entre le désir et sa réalité. L'envie d'indépendance et la réalité du corps d'un autre homme, de ses baisers, de ses coups de reins à l'amante.

On a beau supposer n'être pas l'unique, le voir de ses yeux ne fait, je crois, jamais plaisir. Au coeur comme à l'ego, à la fierté comme à l'âme.


Et il n'était pas exclu, pensai-je, que Noam me propose de le rejoindre ce soir. Ou qu'il surgisse à son tour au bout de mon allée comme un diable de sa boîte.

L'idée me chiffonna.

Puis zut. Tant pis. Ça leur apprendrait, à ces hommes, à débarquer sans crier gare. Attitude que je ne me serais jamais autorisé, tant par politesse que crainte de déranger. Et de devenir, contre mon gré, témoin de ce que je préfère occulter.

Mes hommes, vivez votre vie mais ne me l'imposez pas.

Ayez des amantes, des maîtresses, mais ne me les racontez pas.

D'elles je n'ai rien besoin de savoir. Elles sont vos jardins secrets. Gardez-les précieusement dans l'ombre des chambres closes, éloignées de moi qui ne souhaite pas les connaître.

Mais à l'unique condition, s'il vous plaît, qu'elles ne m'enlèvent rien. Ni votre désir ni votre amour, ni vos attentions ni notre partage.

Là, mes hommes, je ne serai plus d'accord.

 

 

Suite de ce billet ici.

 

Pins-up de Gil Elvgren. 

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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Jeudi 29 mars 4 29 /03 /Mars 15:27

Île de Florès, Indonésie, fin janvier 2012.

 

MongoliaLe bémo (l'équivalent du jeepney philippin) pila. Mon samouraï et moi risquâmes un regard dehors. Nous étions au milieu de nulle part, impression aggravée par la nuit confondant d'une même encre les reliefs de la route et des collines.

- Here you are ! nous avertit le conducteur.

Nous prîmes nos sacs, nous faufilâmes entre les jambes des autres passagers et descendîmes face à un panneau.

Celui-ci portait le nom d'un resort.

En effet, c'était bien là.


Au bout d'une pente rocailleuse, un lieu improbable serti entre mer et jungle. Aussitôt séduits par le grand bungalow niché dans le jardin, nous nous y installâmes.

L'heure du dîner sonna. Les quelques clients se rassemblèrent sur une large terrasse. Soudain étranges et familiers dans ce nulle part, des mots français résonnèrent dans mon dos.

Je me retournai.

Un tee-shirt rouge enserrant de solides épaules. Des cheveux poivre et sel, un visage buriné, énergique, tourné vers une jeune femme.

Je venais de rencontrer Vincent.

 

Plus tard, je pris place à sa table. Et lorsqu'il dit "Mongolie, Ulan Bator, agence de voyages", m'exclamai. Des années que je rêvais d'un périple à cheval dans la steppe. Plus particulièrement en juillet, mois du Naadam, LA fête traditionnelle mongole.

La réalité avait fini par rejoindre mon désir. Une fois encore, l'imprévu d'une rencontre m'offrait une occasion unique.    

Hors de question de la laisser s'échapper. D'autant que la façon dont travaille Vincent me ravit.

Chacune de ses randonnées compte au maximum trois cavaliers : plus il y a de participants, plus les risques de grave problème sont majorés.

Vincent ne regroupe jamais des gens qui ne se connaissent pas. Au pire, ils se rencontrent à Ulan Bator avant le départ, et décident alors de tenter l'aventure ensemble - ou non.

- Dans la steppe, toute mésentente peut tourner au drame, m'expliqua Vincent. Même pour ce qui paraît des broutilles, mais n'en sont pas : un voisin qui ronfle et t'empêche de dormir. Quelqu'un qui, à force de se plaindre, te sape le moral. Dans des conditions difficiles, il faut rester soudés...

 

Des conditions difficiles... On y était.

La Mongolie, c'est le pays à plus faible densité de population au monde.

Un climat excessivement rude sauf - a priori - en juillet.

Des étendues infinies, une horizontalité à perte de vue donnant à certains le vertige, à d'autres une paradoxale sensation d'oppression, à d'autres encore des angoisses.

Notre chevauchée, c'est, chaque jour, des heures en selle, en dépit de la douleur et des courbatures.

Pas de jeep pour nous suivre ou nous ouvrir la route. Personne pour s'occuper de nous ou nos chevaux.

Pour tous compagnons, un guide non-anglophone et un cheval de bât chargé des tentes, des provisions, des casseroles, de nos affaires réduites au strict nécessaire.

Une alimentation certainement limitée, à cuisiner au feu de camp.

Des conditions précaires d'hygiène, avec une possibilité de se laver très limitée.

Bref, une autonomie complète sans guère de filet ni de confort.

 

A travers la steppe 2

Dur, intense, mais ça m'allait.

Toute réalisation personnelle a une contrepartie, tout rêve un prix.

Je promis à Vincent de le recontacter des Philippines.


Trois semaines plus tard.

Dîner coréen avec Bertille.

Le restaurant était vide, notre table surchargée de mets. Entre deux bouchées de kimchi* et d'omelette, je parlais à mon amie de la Mongolie.

Aussitôt son visage s'éclaira.

- C'est un de mes rêves... dit-elle.

Je lançai alors comme une évidence, sans vraiment y croire :

- Allons-y ensemble !

Une foule d'émotions se bousculèrent dans les grands yeux de Bertille. J'y lus l'incrédulité, l'envie, le goût de l'aventure, la prudence, le défi, un "chiche !" final.

- D'accord.

Des larmes montèrent à ses paupières. Très émue, je la serrai dans mes bras.

 

Préparer ce périple s'avère compliqué. Nous aurons besoin de matériel qu'on trouve difficilement ici : des vêtements chauds, des polaires, des guêtres d'équitation qui ne seraient pas du luxe.

D'une remise en selle musclée, aussi. La technique ne nous effraie pas, nous avons toutes deux assez pratiqué pour vite retrouver nos marques. La résistance, en revanche...

D'un visa, bien sûr. Impossible qu'il nous soit délivré à notre arrivée en Mongolie. Depuis les Philippines, cela semble compromis.

Pour l'obtenir, une étape sur notre route s'impose. Une bonne semaine sur place également, le temps que notre demande soit traitée.

Alors, un stop en Corée du Sud, à Hong-Kong ou en Chine ?


Pour l'instant, c'est ce dernier pays qui a notre préférence. Parce que de Beijing (Pékin), nous pourrons monter à bord du Transsibérien... Deux jours dans ce train mythique pour gagner Ulan Bator.

Et forcément, je songe à Blaise Cendrars :

En ce temps-là, j'étais en mon adolescence

J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance

J'étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance

J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares

Et je n'avais pas assez de sept gares et des mille et trois tours

Car mon adolescence était si ardente et si folle

Que mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d'Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.

Et mes yeux éclairaient des voies anciennes*...

 

Jouir d'être, j'ai dit.


  

 

* Kimchi : mets traditionnel coréen à base de piments et de légumes fermentés, souvent à base de chou chinois.

La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, Blaise Cendrars, 1913.


Photo de John Gutman, toile de David Delamare..

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Lundi 26 mars 1 26 /03 /Mars 18:23

YannYann tenait avec son épouse un petit complexe hôtelier orienté vers la clientèle française. Simple d'accès, un peu bourru, il avait un contact rugueux et une poignée de main à vous écraser les doigts.

Je sentais chez lui une force tassée, des désirs comprimés, une sorte de violence qui ne trouvait pas son canal.

Yann semblait aller bien sans paraître vraiment heureux.


Je le croisais souvent au restaurant. Notre favori de la plage ou l'Italien qui sert de si bonnes pizzas. Yann ne manquait ni de me dire bonjour, ni de s'attarder pour quelques mots.

Les dernières nouvelles, son resort, les clients... Conversations de riens tissant malgré tout un lien, celui de deux Français expatriés sur le même bout de terre.


Je me souviens de la piscine de son hôtel. Du dauphin en petits carreaux sombres dessiné au fond. Des entraînements que j'y suivis pour devenir guide de palanquée. De la pente si glissante que mon instructeur et moi dérivions à genoux sur toute la longueur du bassin.

Je me souviens de l'apéro français organisé dans son restaurant. Il y avait du vin, des toasts, du fromage, du jambon fumé et, luxe inouï, du foie gras. Yann se tenait derrière le bar sans vraiment tenir en place. Bon vivant, il enfournait des canapés à gestes pressés, donnait la réplique aux uns et aux autres, plaisantait et parlait fort.

Ce soir-là, en bonne compagnie dans son domaine, il semblait joyeux.

Je me souviens, un jour, de n'avoir pas reconnu Yann. Attablées devant un carpaccio, Bertille et moi fixâmes d'un oeil surpris l'homme qui nous saluait. Yann ne portait pas ses lunettes. Il avait perdu vingt kilos. De son enveloppe d'imposant colosse était sortie une autre silhouette, méconnaissable et presque maigre.

Ainsi allégé, Yann paraissait plus jeune. Plus dynamique aussi.


Yann avait à peine plus de cinquante ans et deux grands enfants.

Yann est mort hier d'un arrêt cardiaque. 

Aussitôt j'ai pensé à sa famille. À cette atrocité du vide, cette incompréhension sidérée que laisse un départ aussi brutal.

Aux démarches à faire, probablement compliquées par les méandres des lois philippines.

À l'étourdissement hagard des obsèques à organiser, des papiers à remplir, des décisions à prendre, des affaires à trier.


Jouir d'etre 2J'ai pensé à l'infini chagrin d'après, quand il n'y a plus de dérivatif à la douleur.

Quand on se retrouve seul face à soi, ses souvenirs et ses regrets.

Quand les nuits se peuplent de cauchemars qui renaissent au matin.

Des jours, des semaines, des mois, des années à supporter une absence insupportable, à tenter de l'apprivoiser pour éviter la folie.

J'ai pensé à la terrible fragilité de cette vie qui, un jour, nous pète entre les doigts.


Entre le début du ruban et sa fin, une existence. Ce qu'on en fait, pour le pire ou le meilleur.

Les déceptions, les ratés, les obstacles, les peurs, les ruptures, les accidents, les pertes, les drames.

L'espoir, les plaisirs immenses ou minuscules, les rencontres, l'amitié, l'amour, l'échange, les découvertes, l'émerveillement, la beauté.

Ici. Maintenant.

Être.

Jouir d'être.

 

 

Photos : John Gutman, Jeanloup Sieff.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Lundi 16 janvier 1 16 /01 /Jan 15:03

EvolutionJe le disais en tête d'un billet : je ne sais pas faire court. Du coup, les articles de ce blog sont généralement longs - plusieurs pages une fois transférés sous Word.

En ce moment, le désir d'écrire est là. Il ne survivra peut-être pas à mon voyage en Indonésie, d'autant que je serai en bonne compagnie.


Parfois je recule devant l'ampleur d'un article. Écrire me réclame beaucoup de temps, de concentration, d'énergie. D'où la nécessité de me fixer quelques règles :

- rédiger d'un seul jet pour aussitôt mettre en ligne ;

- résister à la tentation de réécrire ;

- ne corriger que les maladresses les plus évidentes, les fautes et les coquilles.

Il m'arrive cependant de caler en court de route. Cimetière d'idées, mon dossier "brouillons" est rempli de billets avortés.

J'ai également mes petites manies. Sauf en voyage, faute d'accès facile au net, je ne rédige pas sous Word. Je préfère l'interface du blog pour insérer les photos. Leur choix - maniaque - est une pause dans la rédaction, parfois l'occasion de réfléchir à ce que je veux vraiment dire, au tour imprévu que prend un billet. Certains s'animent d'une vie tellement propre qu'ils m'échappent. Plus qu'auteur, je deviens trancripteur de leur volonté utilisant mon cerveau et mes doigts pour se dire.

À mes yeux, les images n'accompagnent pas seulement le texte mais font corps avec lui.


Souvent, j'ai envie de raconter de brèves histoires, de petits faits qui m'ont réjouie ou attristée, des moments décrochés du quotidien. Souvent je m'abstiens en pensant qu'ils n'auraient pas leur place ici. Ces anecdotes, je les réserve à mon journal de bord, avatar de mes carnets intimes.

Bientôt sa couverture cartonnée s'avachit aux coins, s'orne des cicatrices de bords de table trop aigus, d'empreintes de cailloux, de taches de café, de graisse et de doigts sales. 

 Ses pages noircies dans différents pays me rappellent comment c'est, le voyage. Comment c'était, cette époque. Si je l'avais oubliée, les tickets de transport ou de sites touristiques, les cartes de visite, les factures, les mots griffonnés en hâte, tous collés en un apparent désordre, m'y ramèneraient.


Ces derniers jours, j'étais à Cebu pour Sinulog. Hier, avant de quitter la ville, une de mes plus précieuses possessions manquait à l'appel : mon dernier journal de bord. J'ai dû l'oublier quelque part et quelqu'un le ramasser. Quelqu'un qui probablement n'en aura jamais l'usage et ne comprend pas le français, mais a été attiré par le défilé coloré des vignettes encollées.

Neuf mois d'écriture entre la France, la Thaïlande, Taïwan et les Philippines partis en fumée. 

J'ai fouillé de fond en comble mon étroite chambre d'hôtel. Soulevé les matelas. Refait pas à pas le chemin parcouru la veille. Stoppé dans tous les lieux où je m'étais arrêtée : une épicerie foutraque, un bar sans serveur, un petit supermarché, un restaurant indien.

Personne n'a aperçu mon cahier. Personne ne l'a trouvé.


Evolution 2Moment d'espoir lorsqu'une serveuse m'a vu le remporter à l'hôtel. Déception : elle l'a confondu avec mon Kindle flambant neuf et sa gaine fuschsia. 

La perte est irréparable. Rien ne me rendra ces souvenirs si ma mémoire vient à flancher. Et ce grand cahier presque achevé était un tel fourmillement d'anecdotes, de juxtaposition d'humeurs et de paroles collectées que j'en perdrai de toute façon la plupart.

Ainsi va la vie, main dans la main avec l'oubli...


L'idée est née de là : faire de ce blog déjà intime un substitut d'un journal de bord. Un reflet plus fidèle de mon quotidien, émaillé d'anecdotes et de faits sans importance. Préférer plus souvent des billets courts à des textes longs.

Cette évolution s'enrichit d'une nouvelle catégorie : "Une vie aux Philippines". Titre dépourvu d'originalité mais parlant de lui-même.

Un petit tournant sur la route de l'écriture.

J'espère qu'il vous plaira.

 

 

 

Photos : DR, William Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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Dimanche 15 janvier 7 15 /01 /Jan 11:00

Magnifique, évocateur, ce poème est de Slev

(un fidèle lecteur de ce blog et surtout un... homme de plume !).

 


Poeme Slev

J'ai la main nous aimant filant une rivière
de chair rose
toute vie éclose rendue à l'aurore
au poids près de la nuit

nous aimant à jamais une première fois si longtemps
de s'endormir en rêve
chaque lumière accostée
dans le tremblement frais du jour

la secrète épaisseur des flots en méandres accomplis
et tes lèvres fouilleuses
aux abords dessillés
de nos sommeils ensemble.



Photo de Wingate Paine.
Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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