Vendredi 7 août
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22:08
J'ai cru que c'était la grille métallique la responsable. Celle qui empêchait les pierres du muret de tomber et sur laquelle j'étais restée trop longtemps assise.
J'avais mal mais du rosé pétillait dans mon verre. Du rosé et la pluie qui goutte à goutte me rafraîchissait.
Deux jours plus tard, je dus me rendre à l'évidence : la grille n'y était pour rien ; la boule douloureuse et
chaude roulant sous mes doigts, pour tout.
Lorsque j'étais debout, elle me gênait. Lorsque j'étais assise, elle me mettait au supplice. Il n'y avait que couchée qu'elle me fichait une paix relative.
Dans cette position, la boule et moi avions conclu un fragile pacte de non agression.
Elle me lançait, je l'ignorais. Elle lancinait, je la traitais par le mépris.
En échange, elle me laissait dormir. Longtemps. Trop peut-être.
La boule comme toute chose répondait à un nom. Je ne le connaissais pas, Ether si. C'est un nom barbare de boule bénigne mais empoisonnante, à laquelle seule la chirurgie peut
régler son compte.
Aux mots "opération" et "anesthésie générale", un blanc paralysa mon cerveau. En monta ensuite un refus buté scandé de "non, non, non, je ne veux pas y retourner, non, non, non, je n'y retournerai
pas."
Je savais surtout que si je ne repartais pas vite ailleurs, me laver le corps, les boyaux et la tête, je ne jurerais plus de rien.
La boule me conduisit chez un gentil docteur. Un remplaçant tout jeune, tout mignon, tout frais. Un praticien du mois d'août, quoi.
À sa question "qu'est-ce qui vous amène ?", j'entrepris de lui expliquer la boule. Puis m'embrouillai. Puis trébuchai sur un mot.
Ce fut le début du déraillement.
Ma voix plutôt grave, quittant les rails bien huilés des symptômes, se percha dans les aigus. Je coassai en si mineur des mots incompréhensibles. Voulant reprendre le contrôle, je forçai, forçai
pour que ça sorte intelligible et m'entendis hurler.
Je stoppai net.
- Prenez un mouchoir, dit le gentil docteur.
- D'accord. Et après, je vous montre mes fesses.
Il m'orienta sur les urgences spécialisées, aussitôt rebaptisées "celles de ceux qui en ont plein le cul". Et ouvertes que le matin, les bougresses. Encore une nuit à passer avec la peur
que ma boule ne m'emmène bientôt sur le billard.
Cette nuit-là je rêvai d'une femme qui me précédait sur un parking. Des flashes de lumières tombant soudain du ciel l'encerclaient. Je savais qu'ils étaient dangereux, mauvais, qu'il fallait les
fuir.
Trop tard. L'un d'eux fondit sur moi pour m'aveugler.
Piégée comme un animal dans le faisceau des phares, je me figeai. Mon corps ne me répondait plus. Ce qu'il sentait, c'était la douleur terrifiante d'une brûlure me calcinant de haut en bas,
grillant mes chairs, amalgamant en bouillie mon dos à mes fesses, ma poitrine à mes cuisses.
Happée par la lumière comme une poussière sanglante, je décollai d'un coup du bitume en me pissant dessus. Des rivières de pisse sorties de mes flancs m'inondaient alors que, transbahutée de haut en bas, je
passais du chaudron de l'enfer à la glace des pôles.
Après le champ de bataille de mon lit, la petite salle des urgences me sembla presque accueillante. Enfin, jusqu'au moment où une femme entra. La soixantaine dépeignée dans une robe à fleurs, elle
salua à la cantonade.
Le bonjour rendu lui servit de prétexte pour narrer en détail ses maladies, ses quarante médicaments journaliers, ses dix sauvetages in extremis par les pompiers, ses enfants ingrats, la mort de
son chat rendu à notre Dieu le sauveur.
Car elle priait tous les soirs, la bonne dame. Mais en ce matin, elle nous cassait et les bonbons et les oreilles. Juke-box suralimenté en pièces, jamais elle ne s'arrêtait. Un sujet était le
prétexte à un autre, un regard compatissant à une kyrielle de plaintes suivies de cris :
- Je suis malade ! On m'abandonne ! Je vais crever ! Dieu tout puissant !
Lentement en moi la boule grossissait.
Pas celle de mon coccyx, l'autre de mon ventre. La méchante, la teigneuse, la violente, celle de l'impuissance et de la colère.
Je m'ordonnai :
- Ne regarde pas cette femme.
Si jamais nos regards se croisaient, c'est à moi qu'elle s'adresserait. Moi qu'elle noierait sous son babil, ses jérémiades et invectives. Moi qui approcherais alors de trop près une zone trop friable.
Là, je ne répondrais plus de rien.
Quand, remarquant mon indifférence affichée, elle me lança un agressif "Oh, la blonde, vous vous en foutez de mon malheur, espèce d'égoïste ?", je ne détournai pas les yeux de la
fenêtre.
Je pris une respiration longue comme un soupir inversé, quittai mon siège et la pièce.
Plus tard, l'interne des urgences me dit :
- Ça ira mieux ou ce sera pire.
Et il me renvoya chez moi avec des antibiotiques.
La boule diminua, en effet, mais pas le mélange de trop de trucs qui ne passaient
pas.
Depuis un mois, j'ai un sacré bézoard dans l'estomac.
Comme la boule, il gonfle ou s'amenuise au gré des événements. Parfois tout petit mais souvent très gros, si gros que soit je n'arrive pas à le cracher, soit il sort en crachats.
Tout me contrarie, tout m'agresse.
Une analyse manquante pour compléter mon dossier médical et je pète un plomb.
Un appel que j'ai attendu une journée entière pour finalement le rater et je grille un court-circuit.
Une chute dans l'escalier, quinze marches dévalées sur le dos, et je coule un boulon.
Une grimace agacé de l'employée de l'agence de voyages ("Mais vous le voulez pour quand, votre billet ?") et j'explose un câble.
Ma machine poussée à bout n'a plus aucun ressort. Surtout quand je parle à mon père.
Mais demain, c'est un autre homme qui vient. Gaspard.
J'espère me débarrasser à temps du bézoard.
Bézoard : substance étrangère dans l'estomac d'un homme ou d'un animal, correspondant à
l'accumulation de substances de diverses natures. Ces substances sont non ou partiellement digérées.
Depuis des temps très anciens, il était attribué aux bézoards des propriétés médicinales, attestées par
les traces de rapage que l'on observe souvent à leur surface. La poudre obtenue était considérée comme particulièrement efficace pour traiter divers maux dont la mélancolie.
Par Chut !
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Publié dans : Au jour le jour
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a y est, je l ai crache !!!
(bon, je vais repondre aux comms depuis mon ordi, ca ne va pas du tout avec un clavier anglais, de veniens illisible !!)
Bises de tres loin, par la-bas vers la gauche. Oui, le petit point de sable perdu dans le bleu.
Des bises, Stann !!