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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Dimanche 13 mars 7 13 /03 /Mars 22:33

L'année en plusUn mouton, deux moutons...

Un troupeau, deux troupeaux...

Les chiffres se perdent entre les draps.

Les milieux de nuit sont lents parmi les objets pétrifiés. Sur la table basse, l'ordinateur ronronne en sourdine. Dans le couloir, des cartons de plus en plus nombreux s'empilent. Vestiges d'une vie emplie de souvenirs un à un trié, emballé, rangé, patient travail accompli seule au cours de trop nombreux après-midis.


Trois heures du matin.

Impossible de dormir malgré la fatigue, et cette évidence qui revient en boucle comme le décompte des moutons : il n'y a plus rien pour moi ici. Juste quelques voix amies qui me soufflent que ça va aller, tel un entraîneur qui regarderait depuis la berge un nageur s'épuiser.

J'ai hâte de prendre mon envol. Mais pour l'instant, j'ai les ailes sciées sous une migraine de plomb. Et il faut, encore, traverser la nuit, la tuer en repoussant les idées sombres, celles qui ne mènent nulle part hormis dans les impasses.

Et se lever le lendemain.

Et recommencer le défilé des tâches ingrates, des coups de fil ennuyeux, des démarches fastidieuses, des listes qui jamais ne se ferment. Y barrer deux lignes, c'est trop souvent en ajouter trois.


A distance, tout avait l'air facile. Rapide. Sur place, ça ne l'est pas. Du tout.

La rigueur d'un hiver trop long m'accable. Je grelotte. Tout le temps, malgré les couches de vêtements. Mes mains, mes pieds sont gelés, et lentement, le froid gagne mon cerveau.

La torpeur m'envahit. L'ennui me dévore. La pesanteur me rattrape, bouillie gluante dans laquelle je piétine, vautrée, inefficace, épuisée par ces heures insipides.

Il n'y a plus rien pour moi ici.

J'appartiens au sable, à la mer, pas à cette étendue de bitume ni à ce ciel vitrifié.

J'appartiens au voyage, pas à cette étouffante vie sédentaire.

Les yeux au plafond, je rêve de soleil sur ma peau nue, de plats-bords de bateaux baignés d'écume, d'horizons lumineux et d'immersions en apesanteur.

En quittant la France, je ne nourrissais déjà aucun doute. Mais si jamais il m'en était resté quelques-uns, ce séjour parisien les aurait balayés.

Ici je suis une étrangère. Au paysage, au climat, au mode de vie. A moi-même aussi. Coupée de ce qui me nourrit, séparée du suc, du sel, de la sève de ma vie, je m'étiole. Semaine après semaine, Ether s'en est aperçue. De l'effervescence joyeuse des premiers jours ne restent que de rares éclaircies, trouées lumineuses perforant le brouillard.

Mon retour s'est écrit sous le signe de la rupture. Avec un homme aimé sous le soleil. Avec mon père. Avec une amie d'adolescence. Eloignements nécessaires, cassures annoncées en germe depuis des mois.

"Nettoyages salutaires", dirait Bertille.

Au passé tourner le dos pour mieux profiter du futur. Alors, en transit à Paris, je dépoussière et je liquide. Mes histoires en branches mortes. Mes affaires. Mon appartement. Partie jadis avec vingt kilos, je partirai cette fois à vide, laissant quarante cartons dans mon sillage.

 

EclairciesPuis, de temps à autre, la légèreté qui s'invite.

Cette nuit-là, je ne dormais pas. Pierrig non plus, car c'était pour lui le milieu de l'après-midi. Douze heures de décalage sur le point le plus éloigné du globe et son visage sur mon écran. Encore plus bronzé qu'à Chiang Mai, avec deux taches encore plus azurées à la place des iris. Souriant, lumineux, solaire, une vraie publicité pour papier glacé européen.

Pierrig était en tee-shirt sur la terrasse d'une grande maison. Moi, en pull sous la couette. Nous parlions de notre future rencontre dans un nouveau pays.

Laos, Malaisie, deux fois de suite la Thaïlande... Après mes refus pour Singapour et les Philippines, nous avions enfreint la règle fantaisiste de nos retrouvailles nomades : un rendez-vous, un pays.

 Du fond de mon lit parisien, j'étais heureuse de me projeter loin, après, sur une plage, avec cet homme entre mes bras, cet homme qui me reprenait tandis que ma main s'égarait sous mon pull pour dévoiler mon cou, qui riait à la vue de quelques joujoux très privés à glisser dans mon sac.


Peu importait que ce projet de voyage aboutisse ou non. Il était à ce moment-là ma fenêtre ouverte sur un ailleurs, une promesse de plaisir et de découverte.

Dissoute,  la tristesse de Bangkok.

 Evaporées, les questions qui embrumaient alors ma tête.

Du lien avec Pierrig ne subsistait de mon côté que le meilleur : une attirance réciproque, une connivence sincère et amusée, une amitié franche à la lisière d'autres sentiments plus troubles, mais que ces sentiments ne troublaient plus.

Dans la constellation de mes hommes, celui-ci avait trouvé sa place, telle une pièce de puzzle parfaitement emboîtée.

Nous raccrochâmes. Je dormis d'une traite jusqu'au matin.

 

Ce soir-là avait pour cadre le bar d'un grand hôtel. Une tablée réunissant des personnes que j'apprécie. Une réception encombrée avec un homme d'affaires enregistrant ses bagages. Américain à l'accent. La quarantaine élégante en costume, les cheveux poivre et sel, un regard qui s'attacha à mes bottes et le sourire qu'il me destina.

Il s'installa à quelque distance. Notre ballet silencieux se poursuivit alors même qu'une femme le rejoignit. La sienne ? Probablement pas. C'eût été manquer de classe et cet inconnu n'en était pas dépourvu.

J'enfilai mon blouson pour fumer une cigarette. Me voyant m'habiller, il me jeta un coup d'oeil interrogateur. Je répondis en levant la main qui tenait mon paquet. Il comprit que j'allais revenir. Que le jeu pourrait continuer. Que j'étais d'accord pour le mener plus loin.

Quant à la bannière qu'il me prêtait, je l'ignore. Ce lieu chic doit attirer des escortes en quête de clients désoeuvrés pour la nuit. Avec ma robe et mes hauts talons, j'aurais bien pu en être.

Lorsque nous partîmes, je m'absentai un instant. Et, par hasard, le croisai à nouveau devant la réception. Seul.

Sans hésiter je dis :

- Sorry, we're leaving.

Il me demanda si je logeais à l'hôtel. Ca et rien d'autre, pas même mon nom.

Le sien, je ne le connais pas. Ce qu'il m'a donné, c'est son numéro de chambre.

281, jusqu'à mardi.


 

 

Photos : Jerry Uelsman, Grey Villet.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Lundi 7 mars 1 07 /03 /Mars 23:39

Chambre.pngLa rivière sombre roule derrière la vitre. Quelques bateaux passent, formes imprécises grignotées de noir.

Ca et là, des lumières.

Phares de voitures sur les ponts reliant les deux berges. Enseignes publicitaires, fenêtres scintillant très haut sur les buildings.

Béton sans âme et lucioles électriques, nuit de grande ville vue d'une chambre d'hôtel.


Nos sacs sont sagement posés de part et d'autre du meuble télé. Celui de Pierrig est rangé, fermé, bouclé. Le mien est ouvert, en vrac, surmonté de vêtements chiffonnés.

Nous quittons les lieux demain, lui plus tôt que moi. Il prend l'avion et moi je reste, mais sûrement dans un autre hôtel. Pas envie de garder cette chambre que nous avons partagée. Si peu mais qu'importe, puisque ce n'est pas le temps qui compte.

Sur le bureau, des bouteilles de bière vides. Un cendrier improvisé rempli de mégots. Des serviettes sales. Utilisés puis jetés... La tristesse de ces objets  me serre la gorge.


Nostalgique, déjà.

Mélancolie de ce qui a été, regret de ce qui ne sera pas. Pierrig s'en va et moi je reste. J'aurais souhaité partir avec lui. Avoir une place à ses côtés.

Je n'obtiendrai ni l'un ni l'autre. C'est la vie d'une fille au coeur trop près des côtes, d'une nomade éparpillée entre plusieurs pays, plusieurs hommes. Certains sont des îlots, d'autres des continents. Nul n'est ma patrie.

J'aimerais pourtant, quand la fatigue ou le trop plein me guette, me revendiquer d'un drapeau, d'une bannière, d'un étendard, les hisser dans mon ciel pour crier :

- C'est à ce sol que j'appartiens. C'est à cet homme que je suis liée.

Et me reposer, dormir contre l'humus tiède d'une épaule, me remplir de son odeur d'herbes et de terre. La sieste en plein soleil contre les galets d'une peau aimée.


Nous fumons en silence. Chacun à un bout de la longue baie vitrée, les yeux tournés vers la rivière. Pierrig voit-il le même paysage que moi, ce noir déchirée de jaune, cette encre griffée par la nuit ?

 Probablement que non. Il est déjà dans le demain, l'après. Moi, je demeure prisonnière de l'instant et des pensées qui voltigent comme les cendres de ma cigarette.

 Après seize heures de train, nous nous sommes présentés, fourbus, crasseux, à la réception de cet hôtel un peu chic.

L'employée a d'abord dit :

- C'est complet.

Puis elle a reconnu Pierrig, a souri et consulté encore une fois son registre.

- Il me reste une chambre avec vue sur la rivière. Vous la prenez ?

- D'accord.

La clef est une carte magnétique. La chambre, une pièce moderne, propre et claire, avec un lit immense. Côté droit ou côté gauche ? Pierrig n'a aucune préférence. Alors j'ai lancé mes affaires au hasard. Elles ont atterri à droite, près du drap de bain plié en orchidée.


Sa serviette drapée autour de la taille, Pierrig est sorti de la douche. S'est assis sur son bord de lit. A posé son ordinateur sur ses genoux. Tapé un texte à frappes nerveuses.

Immobile sur les draps, je contemplais ses vertèbres alignées en une courbe parfaite, les bosses de ses muscles et les creux de ses os. De ses cheveux glissaient des serpentins liquides.

Son téléphone avait déjà sonné trois fois. Sa messagerie devait être saturée de mails.

Oserais-je le déranger en plein travail ?

Oui. Ma paume s'est posée sur son dos pour en parcourir montagnes et vallons. Je m'attendais à ce qu'impatient, il se dérobe, me demande de cesser cette caresse inopportune. Il n'a rien dit. A continué d'écrire, plus vite. Puis ses muscles ont tressailli et, lentement, il s'est retourné.

 

Chambre avec vue 2Je suis aveugle. Je suis étranglée. Je suis entravée. Poignets liés contre les reins, écrasés par mon propre poids. Cuisses attachées, reliées à mon cou par une bride. Une ceinture. Un foulard. Quelque chose que je n'ai pas vu ou qu'il a sorti de son sac.

Je ne peux plus bouger.

 Si je sursaute, je suffoque. Et fouillée par ses mains, je sursaute. Et arrosée de gouttelettes d'eau, douchée de mots en geysers crus, je suffoque, bouche ouverte aussitôt comblée par son sexe.

Je sombre. J'étouffe. D'asphyxie. De plaisir.

Je suis son jouet, sa bête à foutre, son réceptacle et son épine. Son esclave, sa complice et son adversaire.

Je ne veux pas jouir.

 

Ses mains me claquent les fesses. Sa bite me remplit. A l'avant, à l'arrière. Sans ménagements au rythme des gifles, de son souffle, de ses jurons.

Je défaille.

Happée par l'eau noire je vais mourir, m'évanouir mais ressusciter plus forte, plus dure, plus obstinée.

Ses doigts se referment sur mon cou.

Je dévale jusqu'à l'inconscience les spirales des courants, fétu tourbillonnant sur l'écume, jambes repliées contre ses cuisses tendues, eau salée de sa sueur contre eau douce de ma salive.

Je ne veux pas jouir.


Soudain ma gorge se libère. Mes yeux perçoivent de nouveau la lumière et, dans un spasme, son visage penché, l'éclat métallique de ses iris, les rides que creusent à son front son plaisir contenu.

Je suis la soumise rétive qui le nargue d'un sourire. Un sourire qu'il brise de son gland enfoncé entre mes lèvres.

Il jouit.

Pas moi.

 

De l'autre côté de la baie, la rivière roule ses flots boueux. 

J'écrase ma cigarette. Demain Pierrig part et moi je reste.

Lorsque la porte a claqué, je n'étais pas sûre de le revoir.

 

 

 

Dessin de Wessi.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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Samedi 5 mars 6 05 /03 /Mars 21:20

Viktor Butra4Je dis "Rijj-kss-miou-zé-om" en détachant bien les syllabes, rien que pour l'asticoter.

- Rèèèksmuseum, sweety.

Mingus me reprend, encore et encore, et je ris.

Je connais la bonne prononciation depuis la veille, depuis que j'ai pris un livre qui traînait et que Mingus m'a demandé :

- Lis pour moi, s'il te plaît.

J'ai écorché le néerlandais mot après mot, butant sur les trop longs, avalant les trop courts. Attentif, attendri, Mingus me corrigeait.

- J'aime cette langue dans ta bouche.

- Moi, je préfère ta langue dans la mienne.

Il interrompt ma lecture pour me donner un baiser. Long et langoureux, très différent du premier.


Adossé à son siège côté hublot, Mingus était alors un peu raide, comme sur la défensive. Pas mal à l'aise, non. Timide, peut-être, ou embarrassé. Retenu et presque maladroit, en tout cas.

- Un baiser d'homme qui n'embrasse guère, pensai-je.

Je ne me trompai pas de beaucoup. Sauf lorsqu'il leur fait l'amour, Mingus embrasse rarement les femmes qui passent, voire restent dans sa vie.

- Je ne sais pas pourquoi, sweety... C'est comme ça. Mais avec toi, c'est autrement.

Et je souris en pensant au soir où, après le plaisir, nous nous assoupîmes l'un contre l'autre, bras, jambes et bouches mêlés. Ni le sommeil ni les rêves n'avaient eu le pouvoir de nous séparer. Quand j'ouvris les yeux, les lèvres de Mingus se pressaient toujours contre les miennes.

Abandon, intimité.

Nous étions encore plus proches endormis qu'éveillés.

Je bougeai à peine, tendis la main pour éteindre la lampe. Mingus sursauta.

Le moment était brisé.


Rijj-kss-miou-zé-om. C'est donc là que nous allons.

Mingus porte mon écharpe. Rouge, elle s'épand de son cou en une large tache de sang. Celle-ci a coulé de la blessure de mon épée car moi, je m'appelle d'Artagnan. La faute à mes longues bottes noires, souples comme une deuxième peau.

- D'Artagnan, tu es prête ?

- Affirmatif. A l'assaut.

Nous traversons un parc. Le lieu doit être agréable en été mais, en ce dimanche d'hiver, il est presque désert. Un homme promène son chien. Une femme passe en bicyclette. A l'avant, une carriole dans laquelle se tiennent deux enfants. Seules leurs têtes et leurs mains en dépassent. Je songe, bizarrement, aux animaux encagés en Asie à l'arrière des motos, poulets comprimés croupions contre gésiers, plumes ébouriffées et ergots sectionnés, cochons renversés aux pattes tendues, crevant l'osier de leurs pieds.

Mingus suit mon regard et me glisse :

- C'est très à la mode ici.

- Oh ? dis-je, chassant les images parasites d'un revers de manteau.

 

Rijj-kss-miou-ze-um 2A la sortie du parc, nous longeons des façades écrasées de nuages. Puis, soudain, le ciel s'éclaircit. Nos pas résonnent sur de petits pavés disjoints. Le blanc tranchant sur la terre de Sienne m'aveugle. Je cligne les paupières, très vite.

Les portes des maisons sont ouvertes, certains de leurs volets clos. Derrière les croisées noires, pas un curieux pour nous épier, lui, l'homme à la gorge ouverte et moi, la fille aux bottes de d'Artagnan.

Des femmes d'un autre temps vaquent aux tâches quotidiennes. Rapetasser un bas, remplir un seau dans l'arrière-cour... La journée maussade est longue, l'eau du tonneau bien froide, l'aiguille bien fine entre les doigts gourds. Ca ira mieux ce soir, à l'heure de la veillée. En attendant, il y a ces heures à tuer et ces travaux à accomplir tête baissée.

Nous passons sans un mot. Les ménagères nous ignorent. Le molosse couché près du banc aussi. Il ne nous a pas vus.

Normal. Mingus et moi sommes des ombres entrées dans un tableau. Par effraction.

 

- C'est le paysage de mon enfance, dit Mingus.

Sa phrase bute avec force contre les façades. Et avec une force égale, comme expulsés par un ricochet, nous sortons de la toile sous le soleil tamisé des lampes, chancelants sur le parquet ciré.

- Rijj-kss-miou-zé-om.

- Non, sweety. Rèèèk. Rèèèksmuseum.

M'en fiche.

J'ai acheté la carte de notre voyage immobile.

 

 

 

 

Photo : Viktor Butra.

Tableau de Vermeer, La Petite Rue,

exposé au Rijj-kss-miou-zé-om. Na.

Par Chut ! - Publié dans : Mingus, my dutch herring
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Jeudi 3 mars 4 03 /03 /Mars 19:48


Elmer-BATTERSIl se déshabille et je la vois. Là, sur sa cuisse gauche, la virgule ensanglantée. La demi-lune apposée par un talon ferré. La moitié de couronne qu'une autre reine lui a offerte.

J'ai beau me douter comment elle a été forgée, cette empreinte, je questionne :

- What is it ?

Mingus se redresse. Corps fatigué de boxeur au sexe tranquille. Epis blonds et argent sur un bleu d'iris Javel.

Sweety... Ask me no questions, I will tell you no lies. (Ma douce... Ne me pose pas de questions, je ne te raconterai pas de mensonges.)

Je m'esclaffe. J'acquiesce. Depuis le début, je sais que dans la vie de Mingus nous sommes deux. Qu'elle, l'autre, vient de repartir et moi d'arriver. Qu'elle se prénomme Clarisse. Que comme moi elle a des airs de Polonaise, qu'elle est française, désordonnée, dominatrice par occasions et que la comparaison s'arrête là.


Clarisse ne porte ni jupe ni maquillage. Des chaussures à talons hauts parfois, lorsque Mingus paresse entre ses cuisses.

Clarisse est grande, charpentée, solide. Ses épaules sont carrées, son assise généreuse. Rien à voir avec ce que Mingus appelle ma "maigreur", les formes, l'abondance, les seins, les culs, les ventres qui l'attirent. Pour lui mes hanches sont trop graciles, mes fesses trop diaphanes.

- Tu m'aurais préférée avant. Avec cinq kilos de plus.

- Pas sûr. Tu es si mince que, dans la rue, j'ai envie de t'attraper par le bras, la taille. De te serrer, fort, pour te protéger, pour empêcher quiconque de te faire du mal. Tu sembles si fragile que j'ai peur qu'on ne te brise. C'est con, hein ?

Et Mingus rit, de lui-même d'abord, dans un sourire d'excuse.

Mes chevilles, il les admire parce que l'anneau de ses doigts en dessine aisément le tour.

Mes mains, il les adore parce qu'elles sont petites. Des miniatures de paumes et de doigts qu'il aime à sentir, légères, sur son visage. Larges, épaisses, celles de Clarisse sont puissantes à lui casser les os.

 

Cette femme, je sais qu'elle existe. Que la réciproque n'est pas vraie. Que ce n'est pas important.

Elle et moi ne sommes pas rivales mais attachées au même homme.

Aucune de nous ne le possède. Il ne possède aucune de nous. Clarisse habite en France, parfois en Asie. Elle voit Mingus au gré de leurs déplacements, en pointillés. Le retrouve sans questions, comme ils s'étaient quittés. Moi, Mingus me verra en Asie, en France bientôt, sans toutes les questions qui entraînent tous les mensonges.

Avec ou sans lui, nous sommes toutes deux libres. Libres de parcourir cette planète et de prendre des amants. De nous fixer quelque part et de choisir un autre compagnon. Sans drame ni larmes ni reproches parce que la vie, c'est comme ça.

On aime. Beaucoup. Trop. Mal. Pas assez. Plus. Ailleurs.

Un jour le visage adoré n'est qu'un visage. La voix, qu'une voix. Les petits gestes si attendrissants - une façon particulière de relever une mèche de cheveu, de mordiller un ongle, d'agiter les orteils sous une couverture -, que des tics sans saveur, odeur, couleur. Agaçants, même.

Avec le temps, va, tout s'en va...

Vidé de son suc, de son jus, de sa sève, le plein.

Délavé jusqu'à la transparence, l'exceptionnel.

"Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables", disait l'autre. L'indifférence, c'est le cimetière des amants.


L'empire du sens 2

A moi Mingus envoie de longs messages. Certains commencent par un titre tronqué, pirouette rebondissant sur mes mots pour en changer le sens.

So lost in Paris...

So lost.

De perdue dans un lieu à perdu tout court. Solitude en miroir de la désorientation, essencecontre matériel, être contre fait.

Mingus me devine sensible à ces nuances. Sa prévenance me le rend plus proche, plus complice. Et tant pis s'il n'y a pas pensé, si la coupe du titre n'est qu'un hasard.

Ma vérité lui suppose une intention, et je la préfère à l'autre, la plate, la triste, l'incontestable : Paris ne lui sert à rien puisqu'il habite Amsterdam.

 

A moi Mingus envoie de la musique home made. Sa voix, ses silences, sa guitare, ses vibratos. Une chanson de Paul Simon, une suite de Bach pour violoncelle. Il sait que je les aime. C'est pour cette raison même qu'il les a choisies. 

A Clarisse, qu'envoie-t-il ? Je l'ignore. Rien, peut-être.

Est-ce important, au fond ? Non.


- Tu connais ce jeu idiot ? dis-je. Deux affirmations. L'une est un mensonge, l'autre une vérité. A toi de les démêler : je t'aime ; je ne t'ai jamais trompé(e).

Mingus rit.

- Yes, c'est vraiment un jeu idiot.

Mais dans le salon-chambre d'Amsterdam, la virgule ensanglantée de sa cuisse me chiffonne, m'égratigne comme un aveu arraché, m'écorche presque comme elle l'a écorché. Entre savoir et voir, la différence n'est que d'une petite syllabe. Ou d'une trop grande, dont l'amputation incarne soudain le corps de Clarisse. Palpable en creux, l'irruption de cette femme me heurte comme un manque de style, une erreur de frappe, une faute d'accord.

Cynique, je pourrais arguer qu'elle a abîmé mon terrain de jeu.

Efficace, enfiler mes escarpins de Cendrillon pour y imprimer mon sceau.

Brutale, le labourer à mon tour de profonds sillons.

Mauvaise, déchirer son écorce pour en faire jaillir le jus.

Impitoyable, écrabouiller sa pulpe sous mes semelles.

La douleur de Mingus serait ma récompense, ma couronne chancelante rajustée sur ma tête, mon empire raffermi sans partage. Correctrice de ses fautes, maîtresse de ses repentirs, reine le blessant pour mieux le toucher, divisant pour mieux régner.

Sous mes pieds. Par mes pieds. 

A mes pieds.


L'empire du sens 3Non.

C'est avec précautions que je me lève. Avec douceur que je l'enlace. Avec tendresse que je le couche.

Sa tête s'est nichée au creux d'un oreiller. La couette rabattue devient notre maison de duvet.Blottie dans l'ombre contre sa poitrine, j'embrasse la veine qui bat à sa tempe.

Ma chevelure l'effleure sur la lente cadence de notre accord retrouvé, alliance de peaux brunies sur draps bleus de mer.


Après la jouissance, Mingus murmurera :

- C'était faire l'amour, vraiment l'amour, comme la première fois. Comme à l'adolescence. Comme un souvenir perdu dans la poussière des années.

Il ne demandera pas :

- Are you in love me, sweety ?

Ask me no questions, I will tell you no lies.


 

 

Photos : Elmer Batters.

Playlist : Jacques Loussier Trio, Gymnopédies, Gnossiennes d'Erik Satie.

Un cadeau de Mingus.

Par Chut ! - Publié dans : Mingus, my dutch herring
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Mardi 1 mars 2 01 /03 /Mars 21:12

      Hier, Annie Girardot est morte. Elle portait le même prénom que ma mère,

écho presque parfait de celui de ma grand-mère, dont c'est aujourd'hui l'anniversaire.

Atteinte comme Annie G. d'une maladie dégénérative, elle l'a toutefois oublié.

Moi, je perpétue cette tradition familiale (inconsciente), mais de manière tronquée :

mes deux prénoms furent séparés sans trait d'union. L'usuel et l'autre, hérité, qui ne sert jamais.

Divisée dès l'origine et, malgré tout, sous le signe du lien placée.

Ce soir sera placé, lui, du côté de la vie. Face à Pierrig avec la nuit derrière la vitre.

 

 


newton cigareLa nuit a dévoré les champs et les rizières. Le wagon-restaurant fermera dès que les employés auront chassé le dernier trio de touristes. Ceux-ci ne veulent pas partir. Ils veulent boire, boire encore pour être plus ivres, plus bruyants, plus grossiers.

L'un d'eux tente de négocier une heure d'ouverture supplémentaire ou, à défaut, le temps d'une autre bière. Il est prêt à payer et la bière et le temps, mais les billets tendus se heurtent à la poitrine hostile de la matrone thaïe.

Pierrig et moi n'avons plus de cigarettes.

La matrone refuse de lui en vendre. Sans même lever le menton, d'un geste impatient de mépris.

- Laisse, dis-je.


C'est au collègue de la maritorne que je m'adresse. Sanglé dans son uniforme crasseux, il nous a tour à tour apporté des bières, des Coca et des soupes à la citronnelle. Avec lenteur et mauvaise grâce pour nous décourager, tout à son zèle de nous faire comprendre qu'ici, nous sommes de trop.

Je lui parle et, surprise, il m'écoute. S'incline, fouille le contenu d'un vieux carton, me tend un paquet et m'annonce le triple du prix normal dans un sourire en coin. Petit homme fier d'arnaquer la farang* qui, d'ailleurs, ne proteste pas.

Nos regards se croisent.

Il sait que je sais, et aussi que je m'en fiche. Ce qui m'importe est de rejoindre Pierrig, son dos qui sous l'orange de son pull se balance, ses mains qui m'ouvrent une à une les portes.

Clac, clac.

Elles se referment derrière moi dans un bruit de mâchoires métalliques, forceps du piège vers lequel j'avance, toujours plus près à petits pas têtus, le coeur en bascule, les bras tendus et les yeux grand ouverts.

Ma paume se pose un instant contre la vitre. Son contact froid m'apaise comme il calme mon front brûlant.

Je pourrais encore prétendre que je ne sais pas. Ce serait mentir. Je sais très bien, de toute l'acuité de mon désir, que cette nuit sera sans sommeil.

Pierrig se retourne. Nos regards se confondent.

Il sait que je sais, et aussi que je ne m'en fiche pas.


Nous continuons à marcher. A la queue-leu-leu, sans un mot. Le train est une enfilade de sas déserts et de compartiments silencieux. Tous les rideaux des couchettes sont tirés, signe que les autres voyageurs ont, eux, trouvé le repos.

Au bout d'un corridor, une porte ouverte. Elle donne sur un réduit lavabo-toilettes. Lino noirâtre et faïence craquelée, du robuste jauni sous le harnais de vessies pleines et de culs vite torchés. Le lieu est propre, cependant. Tristement banal ou banalement triste. Fonctionnel, javellisé et sans miroir. Après tout, on n'y vient pas pour une retouche de maquillage.

Je pourrais penser à Dame et ses Interme*des. A Eleni, l'amie grecque qui consomma un contrôleur SNCF entre Paris et Bordeaux. A cette situation qui a pour moi tout de nouveau.

Je pourrais mais ne pense à rien car Pierrig s'est arrêté.

Je balbutie :

- Non. Oui.

Il me pousse dans la pièce. Rabat le loquet sur sa charnière de métal.

Clac.

Derrière lui le piège s'est refermé.

Mon coeur s'emballe sous mes côtes. Mes bras se tendent vers son cou. Je ferme les yeux.

 

OndesLe lavabo est aussi froid que la vitre du couloir, mais sa fraîcheur n'attiédit pas mes joues brûlantes. Mon ventre, mes cuisses, mes genoux sont nus, mes chevilles parées d'une mince étoffe de coton. Mon sarouël qui s'avachit sur mes sandales, masquant mon tatouage et entravant la brusque rotation de mes jambes.

Pressés entre elles, il y a Pierrig et son demi visage fondu à ma peau brune. Je défaille agrippée à ses cheveux, enfonce tour à tour sa langue dans mon sexe et l'en éloigne, le souffle court.

La jouissance monte comme une sève.

Pas si vite, pas déjà.

Un mouvement brusque et le robinet s'ouvre en m'éclaboussant.

 

Des voyageurs sont venus puis, lassés d'attendre, repartis. Intrigués ou impatients, se doutant peut-être de ce qui se joue de l'autre côté de la cloison.

Aucun n'a vu la tache blanche s'arrondir sur le pull de Pierrig, sa brève grimace de déception d'un "si vite, déjà" effacé quelques minutes plus tard, lorsque je me suis agenouillée.

 Aucun ne m'a vue à terre, sa verge au fond de la gorge. Sexe à nouveau tendu puis soudain fléchi sous son ventre qui tressaille et ses lèvres qui me glissent :

- Il faut vraiment que nous partions.

Son coude plaqué contre la porte en contient à grand-peine les soubresauts. Derrière, quelqu'un s'énerve. Un quelqu'un bien décidé à nous déloger, quitte à forcer le verrou.

Le contrôleur, peut-être, alerté par nos gémissements ou un autre passager.


D'un bloc je me lève. Rajuste à la hâte mes vêtements, lisse mes boucles emmêlées. Mon mascara a dû couler dans la bataille. Mes joues sont cramoisies, ma peau râpée. L'évidence du plaisir éclate avec tant de force sur mon visage que j'en ai honte. Honte de le montrer à un étranger. Honte qu'il nous gronde comme deux contrevenants à la bienséance. Ce que nous sommes, en effet.

Monsieur, madame, dégagez. Les toilettes ne sont pas faites pour les jeux très privés.

Ahurie, tremblante, je fixe Pierrig.

- Mais comment allons-nous sortir ?

A son tour d'être désemparé :

- Eh bien... par la porte.

Je manque d'éclater de rire. Il n'a pas compris. La gêne lui est aussi étrangère que les interdictions placardées en thaï le long des wagons. La honte qui me cuit n'appartient qu'à moi. A moi donc de m'en débrouiller.

Lorsque Pierrig déverrouille la serrure, je me tiens dans son ombre, digne et droite, tee-shirt rabattu sur le pantalon, petit sac collé au giron.

Me voilà prête à sourire. A soutenir qu'il s'agit d'un malentendu. A m'indigner, même. Vraie menteuse, fausse jusqu'au bout alors que tout la trahit.

 

La porte s'ouvre.

Il n'y a personne dans le couloir.



*farang - ou falang - signifie "occidental" en thaï. Le mot serait forgé sur "farangset", autrement dit... français.

 

Photos : Helmut Newton, Peter Franck.

Et merci à Slev pour le R du titre !. 

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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