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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Mercredi 29 septembre 3 29 /09 /Sep 13:54

du feu 2Il est installé à la table voisine, entre une fille et un garçon. Métis, la petite trentaine, des cheveux coupés ras et un charme qui éclabousse la terrasse.

Je bavardais avec Ethan et parfois il se retournait vers moi d'un air complice. Lorsque nous interrompîmes la conversation d'un simple clic, je me levai. Besoin de paracétamol pour effacer cette fichue migraine.


Je revins avec les cachets emballés. Il m'observait tandis que je cheminais, hésitante, sur le sable. Ses yeux sautaient de mes pieds nus à mes clavicules barrées par les bretelles de mon maillot. Trop lâche, mon tee-shirt en dévoilait les pois blancs. Je pensai que la fille à ses côtés était sa petite amie et qu'on ne regarde pas les autres femmes comme il me regardait.

Mais peut-être, après tout, ne lui était-elle qu'une étrangère et qu'il avait raison de me regarder ainsi.

 

Je tirai ma chaise. Il me lança avec un sourire radieux :

- J'ai ramassé le briquet que vous avez fait tomber.

Je me penchai stupidement sur le sable.

- Non, non, sur votre table. Il est sur votre table.

- Oh, celui-là ne marche plus, dis-je, consciente que ce n'était pas une réponse.

Depuis quand laisse-t-on les briquets, même vides, par terre ? Comme confus d'avoir accompli un geste inutile, il écarta les bras en une excuse.

- Pardon... Enfin, merci... me rattrapai-je.

Je saisis le briquet, en actionnai la mollette. Une flamme s'éleva aussitôt.

- Ca alors !

Je me rassis enveloppée de son regard éclatant. Portai une cigarette à mes lèvres en brûlant de lui demander :

- Vous avez du feu ?

Evidemment, je ne dis rien, pas même :

- J'ai mal à la tête. On va chez moi ?


 

Dans mes oreilles, Lauryn Hill murmure lors du MTV concert unplugged :

"Fantasy is what people want, but reality is what they need."

Sûrement serait-il plus juste de dire :

"Fantasy is what people want, but reality is what they get."

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
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Mardi 28 septembre 2 28 /09 /Sep 11:52

InstantsLes loupiotes ont été allumées dans les arbres. Elles pendent comme des guirlandes de fruits trop mûrs, éclairant la plage et les tables d'une lumière étale.

Je suis à la table sous l'auvent. La fille en robe bleue, assise jambes nues en tailleur, une cigarette à la main, c'est moi. Indifférente au brouhaha du bar, penchée sur l'ordinateur, j'écris. Pour compagne, la musique de Jan Garbarek et, lorsque j'aurai fini, un roman de Murakami. Ou le mien, inachevé, en attente de corrections.


Déjà le soir et je suis encore humide d'un séchage écourté. Quatre cents mètres brasse et une ondée qui m'a saisie sur le sable, me forçant à trouver un abri. Puis la pluie s'est arrêtée pour ne pas revenir, mais la mer ne me tentait plus.

Réveillée tôt et motivée, je m'étais rendue au dive shop pour une épreuve de nage. Elle manquait à ma formation de guide, mais comme pour l'heure je ne plonge plus, la hâte n'est pas de mise.


Le dive shop ouvert tous les jours était bizarrement fermé. Je suis repartie vers le bout de plage. Et dans l'autre sens avec la pluie. Et dans le sens opposé, encore, après un jus de calamansi avec Bertille.

Du lieu de mon bain à la table sous l'auvent, il n'y a que cent mètres. 

Une dentiste à deux heures de bateau m'a fixé un rendez-vous qu'il m'est impossible d'honorer. J'ai raccroché, agacée de tous ces contretemps.

J'ai pensé que cette journée serait une suite de rendez-vous manqués et de courses dans des directions contraires.

Pas exactement car à dix-huit heures, j'en savais davantage.

C'est la semaine prochaine que je quitte la maison biscornue pour la clinique au-delà de la mer.

C'est aussi Pierrig que je revois peut-être en décembre. Drôle de date pas vraiment conclue pour une journée remplie d'avortés. Peu importe. Lui et moi avons toujours privilégié le mode du voyage et de la liberté : trois retrouvailles en en trois ans, dans un pays à chaque fois différent.


C'est moi qui ai cet été refusé les quatrièmes. Non, je n'irai pas à Singapour mais, reine fantôme d'un palais de guingois, resterai aux Philippines. Parce qu'il y avait le tampon sur mon visa, son renouvellement facile, la rédaction de mon roman. Toutes ces raisons qui, bien que vraies, s'effaçaient derrière une autre.

En vérité, j'étais aussi déçue que fâchée. Un sentiment avait conduit au suivant et les deux s'étaient mutuellement confortés, ourobouros de colère tournant à vide.

Depuis mon départ de Koh Tao, Pierrig et moi n'avions échangé que peu de nouvelles. Rien d'étonnant, tel était notre fonctionnement. Le pincement désagréable provint du contenu de nos rares conversations. Tôt ou tard s'y infiltrait ce qui nous avait, lors de notre dernière rencontre, si parfaitement rassemblés.

Les fantasmes. Le sexe. L'érotisme. La cul. L'envie. La baise.


Instants 3J'avais beau ne pas dire non, je restais, fenêtre de chat fermée, sur un sentiment de malaise, d'inachevé, de simplification frustrante et triste.

Bien que distante, davantage tacite qu'explicite, notre relation jusqu'alors riche me semblait s'aplatir, comme un espace à plusieurs dimensions privé de ses reliefs.

Une fois écrasée, cette boîte serait vide. Même plus celle de notre Pandore à nous, terreau d'imaginaire duquel avaient sans entraves jailli nos désirs. Eux et tant d'échanges si beaux, joyaux que j'aime à sortir du réticule de ma mémoire en songeant, emportée, au Cendrars du Lotissement du Ciel.


Avec le temps, de ce texte partiellement effacé restent des bribes, dont celle-ci : jeune, Blaise Cendrars fut embauché par un diamantaire. Son contrat de travail lui imposait de ne pas sortir de la pièce où les diamants étaient entreposés. Alors, dans sa solitude aussi choisie que forcée, il remplissait la nuit d'étoiles artificielles, ces pierres précieuses qu'il disposait sous les éclairages pour les voir étinceler.

Avec le temps et nos échanges tronqués, les anciennes conversations avec Pierrig devenaient comme le texte de Cendrars. Partiellement effacées, sans rien pour les aviver. Et si nous volions encore, c'était comme le saint Joseph du Lotissement.

Retrorsum volantem, c'est-à-dire en marche arrière.

Sous la patine la sève coulait du fruit et, complice, hésitante, je la regardais s'épandre.

Accordais-je trop d'importance à une impression fugace, quoique de plus en plus nette ?

Ce sentiment de perte était-il légitime ? Certainement, puisqu'il était mien. Mais, peut-être à tort, je me défie de ma sensibilité.

Comment lui en parler ?

Et le fallait-il, la situation pouvant se corriger d'elle-même ?

Je craignais que mes mots ne sonnent comme une accusation ou une mise en demeure, totalement à rebours de notre relation. Pas facile d'exprimer un ressenti sans qu'il ne passe pour un reproche.

Là, de reproches, il n'y en avait pas. De signal d'alarme, si. 

Je guettai une occasion qui ne se présenta pas. Rangeai mes doutes dans ma poche et mon mouchoir par dessus.


Mon temps de réclusion dans la douleur ne fit qu'aggraver la donne. Je ne reçus alors aucune nouvelle de Pierrig. N'en envoyai pas non plus. Quelques messages allusifs lancés ça et là, bouteilles à la mer dans un espace semi-public, ne suffirent pas.

Avec le recul, je me rends compte qu'à cette époque, presque personne ne comprit. De si loin, compliqué de percevoir à quel point être malade, isolée et en proie à une douleur qui bouffe tout frôle l'insupportable.

J'agis comme souvent : me renfermer en attendant en vain.

C'est bête mais c'est moi. Dire peu pour suggérer le tout, rarement appeler au secours sous prétexte que ça passera. Sauf que ça ne passe pas toujours. Et que ce qui est bloqué doit tôt ou tard sortir.


Instants 4Avec Pierrig, ce fut par le refus de le rejoindre à Singapour. Je lui expliquai pourquoi, brièvement. Il crut qu'ayant mal interprété son offre, je plaisantais.

- Non, insistai-je, tu as très bien compris.

Et le silence se referma. Long, presque deux mois.

Et ma déception monta. La colère également.

Bon, maintenant que j'ai parlé, quoi ? Rien.

Je t'explique que j'ai manqué de soutien, et quoi ? Rien.

Message reçu.


Je sus pourtant quelle était sa chambre à Singapour.

La 73, au 71e étage de l'hôtel.

Pierrig avait photographié le ciel par ses fenêtres. Couchée le long de sa poitrine, j'aurais pu moi aussi contempler cet horizon. M'allonger à terre pour qu'il me prenne. Me pencher au-dessus du balcon, ivre de mon vertige dans les derniers spasmes du plaisir.

Prendre la bonne décision n'empêche pas la nostalgie de ce qui aurait pu être.

 

Son silence se prolongeant, je faillis le rayer de mes contacts. Me ravisai, reculant derrière un sentiment d'irréversible. Tout amochée qu'elle fût, cette relation m'importait encore.

Peut-être par fidélité à nos moments partagés, en dérisoire gardienne d'un temple apparemment déserté.

Peut-être pour le souvenir de cette discussion si particulière sur une berge du Mékong.

Pour cette photo de mes épaules nues que Pierrig prit le matin de mon départ, alors qu'il me croyait endormie.

Pour cette violente jouissance qui, dans sa chambre en haut de l'escalier en béton, jaillit en hurlements de ma gorge. Si forts qu'il dut me bâillonner de ses doigts, me précipitant au bas du septième ciel où j'étais montée.

 

Pierrig fut l'un de mes meilleurs amants. Rarement j'ai eu l'impression, non, la certitude, qu'à ses côtés je pouvais être libre, totalement. Qu'aucun de mes désirs tordus ne le choquerait.

Mieux, que les siens finiraient par précéder les miens, m'entraînant encore plus loin que je ne l'imaginerais, frissonnante de la route parcourue, me tournant pour en rire et m'abattre encore contre son flanc, marquée de ses mains et léchée de ses baisers.

Son appétit est féroce mais ma soif intense. Et je sais que dans un lit, nous sommes taillés l'un pour l'autre, nous façonnant l'un l'autre au contact de nos peaux.

Les meilleurs amants ne font pas forcément les meilleurs amis, mais chacun a le droit à l'erreur. Aujourd'hui nous avons convenu de ne plus laisser le temps couler sans nouvelles.

Alors, en décembre, peut-être...

 

 

Accrocs 4Panne de batterie s'en mêlant, ce billet fut écrit ce soir en plusieurs fois.

J'ai pensé à publier ici la dernière chanson qui accompagnerait son point final, au hasard du choix de mon IPod.

Cette chanson aurait pu être Illicite, mais le billet n'était pas terminé.

A Epaule tattoo, il ne l'était pas davantage.

 

Ce fut sur The Love Song de Marlango qu'il s'acheva. Un signe peut-être, cette relation étant aussi une forme particulière d'amour. Ou, plus justement, un amour particulier - aux deux sens de l'expression.

Le grand que nous aurions pu partager a filé entre nos doigts voilà plus de deux ans et demi.

Je venais de rencontrer Feu mon amour et avais ma route à faire avec lui, toute brisée qu'elle soit.

Puis c'est Pierrig qui tomba amoureux. Il avait aussi sa route à faire, à peine moins brisée que la mienne.


Et sur ce point vraiment final, c'est Björk, Unison, qui a pris le relais. Quand aux deux morceaux suivants, ils avaient un drôle de point commun : Christmas dans leur titre.


Douce nuit à tous et merci à mon ange sur l'épaule.


 

Peinture et dessin : Leonor Fini, Manara, Enki Bilal.

Photo de Samantha Wolov.

Par Chut ! - Publié dans : Pierrig, près de l'os
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Dimanche 26 septembre 7 26 /09 /Sep 19:39

DeuilDes flots de jazz ruissellent dans le soleil insolent du matin. Derrière les rideaux jaunes, la lumière est étincelante. Dans le miroir, mon visage paraît reposé, tendu et défripé de ses dix heures de sommeil.

J’ouvre la porte de la penderie, cherchant de quelle robe parer mon corps et mes envies. Les boucles accrochées à mes oreilles s’étirent en deux gouttes bleu océan, fragiles comme les larmes que j’ai cessé de verser.

Dans ce jour tout neuf, hésitant sur deux accords de piano entre une robe rouge et une blanche, je pense aux deuils dont ma vie, ces dernières années, a été tissée.

 

A celui de ma mère, forcément. A l’hébétude, la peine, la colère qui furent miennes, m’enveloppant de longs mois dans leur linceul. Tous les jours sans exception je pense à elle, avec émotion, chagrin ou nostalgie. Elle est morte, oui, mais ne m’a pas quittée

Accepter la mort ne signifie pas oublier.

Selon les moments, les images différent.


Ces images sont son visage ou son rire, les mots qu’elle aurait pu prononcer dans une situation donnée. Son humour qui me faisait m’esclaffer ou lever les yeux au ciel, la grondant d’un « Maman ! » faussement indigné.

Ces images sont des livres laissés dans ma bibliothèque parisienne. Ceux achetés après son décès pour tenter d’adoucir un chagrin qu’ils ne firent qu'aviver. Le deuil à vivre de Marie-Frédérique Bacqué, Comment j’ai vidé la maison de mes parents de Lydia Flem. Quelques pages et j’étais en en larmes. J’ai fini par les remiser sur une étagère, tout en haut, pour le jour où, peut-être…

Ce jour n’est jamais venu.

Ces images sont le divan de mon psy où, à peine allongée, je sanglotais. Assis dans mon dos, son bloc-notes sur ses genoux, il gardait le silence pour laisser la douleur s’échapper de tous mes pores. Je me souviens encore de sa surprise à entendre ma voix, un an après clôturé ma thérapie.

- Je n’ai plus envie de parler, j’ai envie de vivre, lui avais-je affirmé.

Il avait incliné la tête dans un demi-sourire. Au moment de le payer, je fouillais mon portefeuille en vain. Je n’avais pas d’argent. Lui interpréta cet oubli comme le désir inconscient de m’accorder une ultime séance. Moi comme un acte manqué parfaitement réussi : ma cure était terminée, si bien achevée que j’étais venue à lui les mains vides, en solde de tout compte.


Je crois, peut-être à tort, que ce redresseur d'âmes tordues m’aimait bien. C’est ce que me suggéraient ses yeux pétillants d’intelligence derrière ses lunettes. Je crois aussi qu’il était sincère lorsque, entendant ma voix blanche lui réclamer un rendez-vous, il me demanda, presque alarmé :

- Que se passe-t-il ?

- Ma mère est morte, répondis-je platement.

Dès le lendemain je me trouvai dans son cabinet en sous-sol, fleurant bon l’encens et la bougie, soulagée d’avoir quelqu’un sur qui compter. Quelqu’un qui, connaissant mon histoire, m’épargnerait la tâche de la lui raconter. Quelqu’un auprès duquel je pouvais enfin déverser mon trop plein.

 

Deuil 2Puisque ma mère n’avait laissé aucune consigne, aucun vœu, ce fut à moi de trancher.

 Pour son cercueil, choisi sur catalogue comme on choisit un meuble, à côté de la vendeuse et de ma tante qui opinaient du chef.

- Oui, celui-ci est classe. Et solide.

Classe, solide… Tout ça pour pourrir et être bouffé par les vers. J’obligeais mon esprit à ne pas réfléchir, à sortir de mon corps tant la situation m’était intolérable ou absurde.

- Le cercueil est très beau, approuva mon père venu au funérarium.

Je le remerciai alors qu’autour de mon cou la corde de l’absurde gagnait un cran. Être félicitée pour le choix d’un cercueil comme pour celui d’une jolie robe, voilà une des facettes inattendue de la mort.

 

Pour son enterrement et non son incinération, en la suppliant de me pardonner si je me trompais.

Peut-être aurait-elle souhaité être répandue à tous les vents pour flotter, libre, sur une terre aimée.

Peut-être, ainsi qu'elle l'affirmait parfois, aurait-elle préféré donner son corps à la science, mais mon égoïsme l’emporta. Lui et la douleur muette de ma grand-mère, sa mère qui n’aurait pas davantage que moi supporté de l’imaginer coupée en morceaux, livrée à un examen froid, à des mains inexpertes et des plaisanteries de carabins.

 

Pour le lieu de la cérémonie, l’église voisine de ma maison d’enfance où, petite, j’aimais à pédaler sur le parking. Dans l’arrière-cour s’étaient tenues plusieurs kermesses, lieu de souvenirs innocents où je massacrais à coups de balle des boîtes de conserve, me gavais d’orangeade et de gâteaux trop sucrés.

Cette église sans charme, simple bloc de béton percé de carrés colorés, dont on entendait les cloches sonner depuis la maison de ma grand-mère, serait l’ultime halte terrestre de sa fille. Après y avoir traîné enfant, j’en remontai, adulte, la travée, recroquevillée derrière son cercueil porté par des employés en costume. A chaque pas, l’escortant raidie dans sa boîte scellée, je crus m’évanouir. Mais tins bon pour elle, portée par son amour et mon devoir.

J’étais sa fille et telle était ma place.

Mes oncles alors compatissants eurent beau me répéter que nul n’était besoin de m’infliger cette épreuve, jusqu’au bout je la suivis. Et lorsque son corps fut déposé parmi les fleurs, je montai sur l’estrade pour me glisser derrière le pupitre. Dépliai la feuille gribouillée des phrases écrites au milieu de la nuit. Hommage mêlée de ma chair, de mon sang, discours que je balbutiai dans le micro, dos droit et poings serrés, les yeux fixés sur la foule qui emplissait la nef.

- Vous qui êtes venus pour elle, vous qui l’aimiez, soyez en remerciés.

 

Pour la musique qui soudain résonna sous les voûtes bétonnées. Exit Dies Irae (Jour de colère) du Requiem de Mozart, qu’un oncle me déconseilla. Trop empreint de ma révolte, ce morceau ne permettrait peut-être pas à ma mère de reposer en paix.

Cet après-midi-là était de deuil. De deuil et non d’étalage de sentiments privés. Ceux-là étaient mon affaire et mon travail intime, ils n’avaient pas à être en ce lieu de concorde exposés.

La voix de mon demi-frère monta sur le silence de la foule, en réponse à ma requête qu’il n’était pas certain d’honorer. La veille je lui avais demandé de chanter, chanter pour elle qui aimait tant l’écouter.

- Sœurette, je ne suis pas sûr de pouvoir…

Mais comme moi il avait rassemblé son amour et son courage. Et de sa gorge étranglée s’élevait un chant dont je ne compris pas les paroles. Elles étaient en russe, patrie de sa mère à lui dont il nous faisait cadeau.

 

Deuil 3Lorsqu’il se tut, le Stabat Mater de Pergolèse s’éleva. Morceau chéri que je fus incapable d’écouter par la suite, comme je ne supportais plus l’odeur des fleurs, leur parfum délétère de tombeau et de commémoration. La vue des lys blancs, ma fleur d’élection que j’avais déposée entre les mains de ma mère morte, me souffletait en confrontation impossible à supporter.


Un an et demi après son enterrement, un fleuriste de mon quartier m’invita à boire un café dans sa boutique. A peine avais-je franchi le seuil que le remugle sucré des pistils heurta mes narines de toute la violence d’un carambolage. Je dus ressortir en hâte, un mouchoir sur le nez.

Deux ans plus tard, en voiture avec mon petit ami, pomponnée pour un dîner, je fus secouée d’une crise nerveuse.

La radio diffusait le Stabat Mater. Un black-out submergea mon cerveau pour me propulser devant le cercueil de ma mère. Incapable d’articuler un mot, je hurlai en pointant le bouton « Stop ».

Saisi par la violence d’une réaction qu’il ne comprenait pas, mon amoureux me supplia de parler. C’était au-dessus de mes forces. Tout ce que je pouvais faire était désigner ce fichu bouton, qu’il finit par enfoncer pour me libérer.

 

Ensuite, dans l’église, j’embrassai des joues et serrai des mains. Toutes à la file, rugueuses ou douces, sèches ou moites, parfois anonymes. Qui se tenait au bout était le cadet de mes soucis. Ce qui m’importait étaient que ces joues-là, ces mains-là étaient venues pour ma mère, l’avaient connue, appréciée et l’accompagnaient, fidèle escorte, jusqu’au tombeau. Convenues, les phrases de condoléances ricochaient sur ma tête, mon cou d’automate qui à chaque syllabe s’inclinait.

Un regard bleu azur me saisit sous un chapeau. Vif, aigu, en contradiction avec les traits de vieille femme et la bouche fatiguée qui sous la voilette me glissa :

- Je suis venue… Sois courageuse, ma petite.

Sous les rides, par-delà les décennies, je reconnus le visage de Madame Rochard, la professeur français-latin de mes années de collège, le dragon qui nous effrayait tant enfants. Despote éclairé, elle régnait sur nos devoirs, notre discipline comme nos lectures, ne supportant dans sa salle aucun contredit, nous menaçant au moindre bruit « d’un contrôle si difficile que seuls les plus forts pourraient s'en tirer ».

 

Cette femme de tête, de cœur et de poigne nourrissait à mon égard une tendresse particulière. Malgré la crainte qu’elle m’inspirait, je la lui rendais bien. C’est elle qui me mit au monde des lettres, m’accouchant de moi-même contre mon gré de sauvageonne. Sans elle, même au bout du monde après avoir rompu mes amarres françaises, je ne serais jamais devenue celle que je suis aujourd’hui.

Je pressai d’abord sa main. Puis, emportée par mon élan, la pris entre mes bras. Sous la robe de crêpe noir je sentis ses os ténus. Elle devait avoir quatre-vingt quinze ans. Le masque qui recouvrait mon visage se craquela alors en rigoles.

Suffoquée, je ne pus lui dire que merci. Un simple mot en tribut de tout ce qu’elle représentait pour moi en ce jour-là.

 

 

 

Photos, respectivement : Brassaï, Molinier (coupée).

Le tableau, intitulé  Flux, est de Fabienne Verdier. 


Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Vendredi 24 septembre 5 24 /09 /Sep 20:31

Promesses d'aubeUne bière à la main, Gabriel se cale dans son fauteuil. Le rectangle vierge de la page d’accueil de Google attend ses ordres.

Il hésite.

 Fugitive vision traversant sa conscience, sa secrétaire Kim apparaît, sanglée dans son tailleur. Sans réfléchir, il tape le mot d-o-m-i-n-a-t-i-o-n. En réponse, un article dans une encyclopédie en ligne, des liens vers des forums, des écrits théoriques.

Rien de bien excitant.

 

En milieu de page, un mot éveille son attention : « maîtresses ». Le terme le hérisse. Il fait salle de classe, banc dur et vieux buvard.

« Et puis quoi encore ? , se rebelle-t-il. Je ne suis ni un gamin, ni un chien qui rentre à la niche ! »

Maîtresses… Le mot l’attire, néanmoins. Il évoque les règles, les contraintes, les punitions. L’ordre face au chaos. Ce avec quoi on ne transige pas.

« Pourquoi pas, après tout ? Voir de quoi il retourne ne coûte rien… »

Gabriel active le lien, tombe à sa grande surprise sur un annuaire. Des identités de dominatrices défilent en un vertigineux catalogue d’obligations à remplir, de sévices à venir, d’humiliations à subir.

Certains noms, originaux, se veulent lourds de promesses : Messaline, Phryné, Von Bathory.

D’autres, banals, se résument à un prénom sans rien d’évocateur : Sylvie, Elsa, Judith.

Gabriel s’esclaffe devant un « Maîtresse Chantal » incongru. La tante qu’il déteste surgit en charentaises, le cul lourd, le crâne hérissé de bigoudis.

 

Une Maîtresse Grisélidis attire son attention. Grisélidis… Cela coule en bouche comme du sang et du miel. La mention « photos exclusives ! », clignotant telle une enseigne de bordel, achève de le convaincre.

Il clique sur le lien.

Une écriture pointue agresse son regard.

« Avertissement : pour accéder à ce site, vous devez être majeur dans votre pays de résidence. »

Il sourit avant de soupirer dix lignes plus loin. Non, bien sûr qu’il ne dévoilera pas l’existence de ce site aux mineurs, qu’il n’utilise pas l’ordinateur d’une société, qu’il entre dans un espace strictement réservé aux adultes avertis…

Allez, assez de prêchi-prêcha. Grisélidis est à portée de clavier.

 La touche « Entrée » le précipite dans un boudoir fin de siècle, tendu de pourpre et surchargé de tableaux. Un miroir à dorures reflète une femme grassouillette, rencognée dans un fauteuil qui peine à contenir ses formes. De partout, elle s’étale, se répand, dégouline.

Ses cuissardes trop étroites cisaillent sa peau en y imprimant une vilaine traînée rouge. Son porte-jarretelles trop serré étrangle son ventre rebondi. Son énorme poitrine déborde d’un soutien-gorge lamé, trop petit de deux bonnets. Ses épaules et ses bras dodus, ornés de gaze vaporeuse, évoquent les jambons suspendus aux étals des boucheries.

Gabriel grimace : loin d’être la sublime créature espérée, Grisélidis ressemble à une papillote accouplée à un sapin de Noël.

 

Promesse d'aube 2Dépité, il retourne à l’annuaire. Songe à éteindre l’ordinateur pour rejoindre son lit. Ridicule d’être encore planté là, alors que demain, une rude journée l’attend. Idiot de se comporter en obsédé, alors que du sexe, il peut en avoir à la maison en s’y prenant bien. S’il avait deux grains de jugeote, il rappellerait sa femme, l’écouterait dévider l’écheveau de ses soucis, l’embrasserait tendrement, l’assurerait que les soirées sans elle perdent de leur saveur.

- Rentre vite, je suis impatient de te voir !


Il exagèrerait, et après ? Alice ne souffrirait que de la vérité, pas de ce mensonge auquel elle adhère comme à une évidence. Et lui, bon époux, se garderait de la détromper.

De toute façon, tous les maris trichent tôt ou tard avec leur femme, et toutes les femmes mentent un jour ou l’autre à leur mari. La transparence absolue, Gabriel n’y a jamais cru. Posséder l’autre jusqu’à la moelle, jusqu’au tréfonds, la belle erreur ! Personne, jamais, ne livre tous ses secrets.

L’imbrication des sexes, la fusion des corps, ça, oui, c’est la vérité. Aveuglante et fugace comme toutes les évidences.

 

En bas de page, un insert braille de toutes ses majuscules : nouvelles Dominas sur Paris !

Clic. Une certaine Alba figure en pole position.

Alba, aube… La sonorité plaît à Gabriel. Elle a des réminiscences de matins au début du monde, d’étendues désertes et de soleil dans l’eau froide.

Il effleure le prénom qui l’emmène à sa rencontre.

Avec la lenteur des rêves, Alba surgit d’une brume de pixels, simple silhouette cambrée sans visage. Un corps menu, bien proportionné. Un buste arqué pris dans un corset. Sous l’effet conjugué des liens, des attaches et des baleines, sa taille fine s'amenuise encore, ses hanches s'épanouissent. Gainée de cuir, sa colonne vertébrale s'allonge, son cou se tend et prend la pose. Hiératique, il s’orne d’une discrète chaîne en argent. Y pendent, accrochés tels des trophées, un cadenas et une clef sertis de diamants.

 

Gabriel avale une longue lampée de bière. Encore, il en veut encore. Dans les menus proposés, il choisit la galerie photos.

En plein écran, Alba à nouveau. Princesse guerrière sanglée de vinyle, le visage dissimulé derrière sa chevelure châtain tombant sur ses épaules nues. La bretelle de sa robe coupe sa peau pâle d’un trait sombre. De longs gants gainent ses bras. Rouge cocotte, plissés sur le devant et ajustés à l’arrière, ils mettent en valeur l’os à peine saillant du coude et la finesse des poignets.

Son annulaire droit est rehaussé d'une grosse bague. Or sur satin, chic absolu. Et, sur les cuisses refermées, l’essence même de la féminité : la lisière de ses bas, complexe ouvrage de dentelles entrelacées de perles multicolores.

 

Promesses d'aube 3Mais quel visage a donc cette femme ?

Il veut le voir. Tout de suite.

Le cœur battant, il fait défiler les photos de la galerie.

Alba de dos, à même le plancher. Alba lovée sur un canapé en cuir, les lanières d’un martinet ondulant sur sa chute de reins. Alba brandissant une cravache. Alba et ses mains graciles sur l’épais manche d’un fouet, ses pieds cambrés dans des escarpins surélevés, ses fesses moulées dans une gaine de laquelle émerge, triomphant, un faux phallus en érection.


Alba assise, tournée, de profil, de trois quarts…

Alba et ses boucles en cascades, Alba et sa cagoule surmontée d’oreilles de chat…

Mais quel visage a donc cette femme ?

 

Gabriel se surprend à murmurer son prénom.

- Alba…

Talisman invoqué pour la faire jaillir du néant virtuel, l’enjoindre à se montrer, se dévoiler à lui pressé de la découvrir.

Mais Alba, sourde son appel, se dérobe.

 


 Les prénoms ont été choisis au hasard. Toute coïncidence avec des personnes existant réellement serait fortuite.

Photos, respectivement : Aaron Joseph Friedlander,

Ellen Von Unwerth, Germaine Krull.

Par Chut ! - Publié dans : Classé X
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Samedi 11 septembre 6 11 /09 /Sep 21:28

 

Sous ses mainsRéveil brumeux, mal au gland, mal au crâne. Douche, petit-déjeuner, aspirine.

Vite.

Pas le temps de s'attarder sur les sensations de la veille, sur son orgasme fabuleux. Gabriel est en retard pour ses consultations. Il file.

Le flux et le reflux des giboulées de mars contre les vitres de la voiture répondent en écho à ses pensées. Pluie, éclaircie, grêle… de quoi affoler l’aiguille de ses sensations. Mais pas question de les laisser prendre le dessus. Du moins pour l’instant. Il déboîte, accélère.

 

Alors qu’il franchit la porte de son cabinet, les images se télescopent dans un carambolage assourdissant. Kim, sa jeune secrétaire d’origine chinoise, pianote comme d’habitude sur son ordinateur. Son visage absent lui évoque aussitôt celui, fermé, de l’Asiatique.

La porte d’entrée claque violemment dans son dos. Il s’arrête net. Kim aussi. Surprise, elle relève le menton et esquisse un sourire.

Les lèvres de Gabriel se retroussent en retour, mais ses yeux ne parviennent pas à donner le change. Ils l’observent, surimposant au visage disgracieux de la secrétaire les traits dédaigneux de la belle de nuit.

- Bonjour, docteur ! Comment allez-vous ?

- Pas mal, merci, grommelle-t-il. Apportez-moi le carnet de rendez-vous, s’il vous plaît.

Kim arbore l’expression déçue des gens coupés dans leur élan alors qu’ils désiraient bavarder. Gabriel passe outre pour se ruer dans son bureau. Il se sert un grand verre d’eau, n’en boit que la moitié, desserre sa cravate. Avant le premier patient, il dispose de cinq minutes pour se remettre les idées d’aplomb.

Sûrement pas cinq minutes de trop.

 

Le toc-toc énergique de Kim le fait sursauter.

- Entrez !

Elle s’approche d’un pas léger. Gabriel feint de s’absorber dans une pile de dossiers, guettant par en dessous le bout arrondi des ballerines, l’ourlet du tailleur, le va-et-vient des collants fumés. Tandis qu’elle pose le carnet sur la table, l’encolure de son chemisier bâille, dévoilant la naissance timide des seins. Il s’imagine avancer la main vers l’étoffe, la tirer brutalement. Les boutons de nacre sautent un à un. La soie malmenée cède dans un crissement, révèle les bretelles du soutien-gorge, les épaules nues parsemées de grains de beauté, le renflement contraint de la poitrine.

Kim ne se débat pas. Ne l’encourage pas non plus. Son regard placide rivé au sien, elle attend la suite.

Cette absence de réaction, loin de l’agacer, l’excite. Il se lève, passe de l’autre côté du bureau. Elle ne tourne même pas la tête. Il se poste derrière elle en silence, à l’affût d’un signe d’impatience ou de peur.

En vain. La secrétaire s’est changée en statue de sel. Brusquement, il la bascule contre la table. Elle tombe le nez dans les dossiers, sans un cri, fesses à l’aplomb de l’échine. Il agrippe le bas de sa jupe, la remonte sur les hanches. Le gousset opaque du collant masque sa culotte. Il y plaque la main. Une chaleur moite enveloppe sa paume, mais elle n’écarte pas les jambes.


sous ses mains 2Gabriel se love contre son corps plié, repousse ses cheveux, glisse ses lèvres contre son oreille pour lui assener :

 - Tu n’attends que ça, espèce de garce ! Écarte les cuisses !

Kim est comme sourde. Gabriel, satisfait, se redresse. Ses doigts se fraient un chemin le long du gousset. À travers le nylon, à travers le coton, il sent les lèvres charnues du sexe. Les caresser le lasse vite. Il préfère les pincer, les tirer de plus en plus fort, sentir les poils raides crisser sous ses phalanges.

 

L’employée ne bouge toujours pas. Encouragé par son immobilité, Gabriel l’insulte avec des mots atroces, qu’il n’a jamais dits à aucune femme :

- Salope ! Putain ! Vide-couilles ! Sac à foutre !

Il saisit le collant au niveau de la fesse, le décolle de la chair. Une déchirure se creuse sous son index. Il l’engouffre dans la crevasse qui s’agrandit, s’étend au majeur, au pouce.

Le trou devient gouffre. Gabriel tire encore, violemment. Le nylon se déchire de la taille aux chevilles.

La croupe plate de Kim luit sous la lumière crue de la lampe. Il empoigne sa culotte. La secrétaire se redresse d’un brusque coup de rein. Le verre d’eau se renverse sur la table. Les dossiers tombent avec fracas.

Gabriel, pris de court, se fige.

 

Kim pivote au ralenti. Rajuste son chemiser sur sa poitrine, sa jupe sur ses cuisses. Son visage n’a soudain plus rien de disgracieux. Il est beau. Beau et furieux.

- Qui t’a permis ?, lui crache-t-elle en pleine face.

- Je… ne… sais… balbutie Gabriel, mortifié.

- Excuse-toi. Immédiatement.

- Par… don…

- Je n’ai rien entendu. Recommence.

- Pardon, lâche-t-il dans un souffle. Je… ne voulais pas.

- Menteur, sale menteur !

La secrétaire le gifle à toute volée. Gabriel, incrédule, effleure sa joue meurtrie. Une traînée rosâtre s’étend au creux de sa paume.

- Ici, petit chien !

Elle lui désigne sa place d’un geste impérieux. Il se recule. Elle s’avance. Se dresse sur la pointe des ballerines pour le toiser. Ses yeux lui arrive à peine à l’épaule, mais leur mépris glacé est pire qu’un soufflet.

Vaincu, il baisse les yeux.


- Tourne-toi !

Gabriel obéit avec appréhension.

Dans le calme soudain oppressant de la pièce, le voici tout contre le bureau, droit comme un I. Ses mains, deux intruses accrochées à ses poignets. Qu’en faire ? Les serrer, les croiser, les laisser pendre ? Pas le temps de trancher. Kim, l’agrippant par la veste, l’oblige à se courber. Son buste est maintenant collé à la table, mais la secrétaire continue à appuyer sur ses omoplates. La boucle de sa ceinture lui compresse le ventre. Le stylo glissé dans sa poche intérieure lui érafle les côtes. De sa gorge compressée sort un gargouillis plaintif. Loin d’arrêter, Kim accentue encore sa pression. La boucle lui entre dans l’estomac. La pointe du stylo se fiche dans sa chair. Il se mord les lèvres pour ne pas crier.

- Tu aimes ça, hein ?

- N… non.

- Menteur ! On parie ?

Elle faufile une main sur sa braguette. Il bande.

Elle a un gloussement hautain.

- Fini de jouer. Passons aux choses sérieuses.

Elle se penche pour attraper la règle tombée à ses pieds, referme le carnet de rendez-vous d’un coup sec. Un coup qui en laisse présager d’autres.

 

Sous ses mains 4 - Vous vous sentez bien, docteur ?

- Euh… Oui, merci, Kim, bégaye-t-il, le front brûlant.

- Vous n’avez pas besoin du carnet de rendez-vous ?

- Si, si… Bien sûr.

Il l’ouvre à la page du jour en tremblant. Croise le regard préoccupé de sa secrétaire. Rougit.

- Vous avez l’air fiévreux… Je vais ouvrir la fenêtre, on respire mal ici. Ensuite, je vous préparerai un café.


Il acquiesce avec précipitation. Elle lui dirait qu’elle part se jeter aux lions qu’il l’encouragerait à s’y rendre en courant. Honteux du fantasme jailli de son cerveau, honteux de lui-même, il veut la voir débarrasser les lieux au galop. Et d’autant plus vite que son obligeance inquiète sature l’air, bourdonnant à ses oreilles comme un mouche importune. Une mouche qu’il rêverait d’écrabouiller pour qu’elle se taise enfin.

Arrivée à la porte, Kim exécute une volte-face dansante.


- Ah, au fait, docteur…

Il lève un sourcil contrarié.

- Mmmh ?

- Monsieur Leca patiente depuis un  moment dans la salle d’attente. Je l’introduis ?

Gabriel manque d’éclater de rire. Introduire… Il n’y a que sa secrétaire pour employer ce verbe de façon si ingénue. Quoique… Que sait-il d’elle, au juste ? Pas grand-chose, hormis qu’elle est d’une ponctualité d’horloge suisse, qu’elle travaille bien et dur, qu’elle lui prépare le café comme il aime le boire.

Mais après ? Après, rien. Vit-elle seule ou en couple, près de sa famille ou à des milliers de kilomètres ? A-t-elle une sœur, un frère, des enfants ? Probablement non, elle n’en parle jamais. Où habite-t-elle ? À une porte de Paris, de l’autre côté du périph’, lui semble-t-il. À moins que ce ne soit au pied du cabinet, dans l’immeuble voisin.

La vérité est que jamais il ne s’est intéressé à elle. Un meuble, un objet à égalité avec son stéthoscope, qu’il sort de son tiroir et range après usage, voilà ce qu’elle est. Alors, pourquoi sa naïveté ne cacherait-elle pas un double jeu pervers, ses paroles innocentes un message codé ? Incompréhensible pour les autres, mais transparent pour lui, l’initié. Et ce fil ténu qu’elle tend entre eux, il peut le saisir ou le laisser filer…

Gabriel se frotte les tempes.

« Là, je délire. »

- Alors, je l’introduis, docteur ? insiste Kim d’un ton flûté.

- C’est ça, introduisez-le.

Elle incline la tête et sort pour de bon, cette fois.

Ouf.

 

2e  et 3e photos : Frédéric Fontenoy, Helmut Newton.

Par Chut ! - Publié dans : Classé X
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