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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Samedi 11 septembre 6 11 /09 /Sep 19:34

(Attention, texte très explicite)


 

SoumisGabriel sort un plat cuisiné du frigo. Délicate attention de sa femme, qui sait que ses compétences culinaires s’arrêtent aux œufs au plat carbonisés. Il prend une assiette, un verre, des couverts, les dispose sur la table du salon. Les regarde. Se ravise.

Pourquoi s’embêter avec la corvée de vaisselle ? Puisqu’Alice n’est pas là, il peut se laisser pendre la bride sur le cou, rompre avec le protocole un peu guindé de leurs dîners.

Pour une fois, pour deux jours, ne plus rien préparer, ne plus rien prévoir, ne plus mettre les petits plats dans les grands. Aux orties, les cuillères en argent ouvragé, aux chiottes, le service en porcelaine de mémé.

 

Ce soir, Gabriel veut manger avec les doigts, parce que ça lui chante. Enlever ses chaussures, dénouer sa cravate, se débarrasser de son costume. Enfiler un caleçon trop large pour s’aérer les couilles, en voilà une bonne idée. Ou ne pas mettre de caleçon du tout, en voilà une meilleure.

Et quitte à glisser sur la pente de la révolte, autant reprendre à Alice l’espace qu’il lui cède au quotidien, déranger ses livres, pousser ses dossiers, investir son bureau, réquisitionner son ordinateur ; enlever ses produits de la salle de bains, décrocher sa nuisette en coton, la fourrer dans le panier à linge sale, renifler ses collants, lécher ses petites culottes.

Oui, ce soir, Gabriel est décidé à profiter d’une des rares choses qui ne s’use pas à mesure que l’on s’en sert : sa liberté.

 

Vautré sur le tapis, la télé réglée à plein volume, il engloutit le gratin à même la barquette. La repose rassasié sur le plancher en chêne massif, sans se soucier des traces de graisse. Enfin un peu de travail pour Lucia, leur femme de ménage… Ça la changera.

Il zappe d’une chaîne à l’autre. Devant ses yeux coule un flot ininterrompu de publicités, d’images bariolées, de répliques sans suite. Il s’arrête sur une émission plus idiote que les autres. Sur un plateau en forme de navet géant, un présentateur cuisine une brochette de stars sur le retour. Ses blagues éculées, saluées par les hurlements du public, leur arrachent de pauvres sourires. On dirait que, victimes de ce guet-apens audiovisuel, elles s’excusent d’être là, forcées d’acquiescer au tir d’imbécillités qui les bombarde. Gabriel, lui, rit à gorge déployée en imaginant la moue de sa femme. Elle ne goûterait ni ces grasses plaisanteries ni cette humiliation publique, c’est certain.

 

Il tend la main pour éteindre la télé, mais suspend son geste. Une invitée traverse le plateau à pas menus. Starlette en perte de vitesse, chanteuse en disette de tubes, actrice en manque de séries B ? Aucune idée, il ne l’a jamais vue. Mieux, il s’en fout. C’est à ses vêtements qu’il s’intéresse, ou plutôt à sa minijupe noire qui réverbère l’éclat des spots.

Sans crier gare, des sensations d’enfance resurgissent.

La matière de ses bottes d’enfant, d’abord. Le contact chaud, vivant du plastique quand il tirait dessus pour les enfiler ; leur caresse sensuelle contre ses mollets nus ; leur chuintement lorsqu’en marchant, elles frottaient l’une contre l’autre.

La cape de pluie que portait Marion, la petite voisine qu’il adorait en secret. Une fois, une seule, il avait osé en effleurer la capuche. La fillette ne s’était aperçue de rien, mais Gabriel avait rétracté ses doigts, comme brûlé.

 

Soumis 2Cette brûlure l’avait poursuivi des mois entiers. Il y pensait le jour, s’étonnant de ressentir une chaleur au bas-ventre. Il y repensait le soir, recroquevillé sous la couette. Il en rêvait la nuit pour se réveiller en sursaut, le pyjama mouillé.

Après Marion était venue Margaux, puis Cécile, puis Sophie, puis d’autres, puis Alice. Mais jamais Gabriel n’avait oublié cette sensation-là. C’était son intensité perdue qu’il recherchait en se frottant à leur corps, en empoignant leurs cheveux, en mordillant leur peau. Douce, soyeuse, satinée, parfumée, leur chair emplissait sa bouche, mais laissait sur sa langue un arrière-goût amer.

Aucune, jamais, n’avait eu la saveur fulgurante de cet instant volé, de cette matière brillante dont la couleur sombre illumine ses souvenirs.

 

- Chers spectateurs, applaudissez !

Sur le plateau, le tapage continue. Gabriel ne l’entend plus, il contemple la femme, ses chevilles enserrées par la bride des escarpins, ses cuisses blanches coupées en biais par le bord de la jupe. Le présentateur lui désigne une chaise haute. Trop petite, elle est obligée de se hausser sur la pointe des pieds pour s’y asseoir. Les muscles de ses mollets saillent sous la peau. Sa jambe droite s’écarte pour se poser sur le cuir de la chaise. Gabriel, fasciné, voit apparaître le renflement du sexe moulé par la culotte.

Brusquement, une matrone brandissant un baril de lessive s’encadre sur l’écran. Gabriel, ahuri, se frotte les yeux. Que s’est-il passé ? Il saisit la télécommande, enfonce tous les boutons, revient à la chaîne de l’émission.

- Vous souffrez de troubles de l’érection ? Parlez-en à votre médecin ! l’enjoint une voix féminine.

- Va te faire foutre ! rugit Gabriel en écho.

Un homme entre deux âges le regarde d’un air attristé.

- Avant, j’étais moche. Ma vie était un enfer…

Gabriel assène un coup de poing sur la télé.

- Vos gueules ! Bande de cons !

Mais le défilé des publicités se moque bien de ses insultes. Sur une musique enjouée, un gamin en couche-culotte prend la place du vieil homme, puis un berger allemand celle du gamin.

C’en est trop. Ivre de rage, Gabriel lance la télécommande contre le mur. Le berger allemand, fauché en plein bond, se désagrège à mesure que le noir envahit l’écran.

- Merde !

Il se rue dans le bureau d’Alice, allume l’ordinateur. Son cerveau surchauffé réclame des images, beaucoup d’images.

Fébrilement, il tape « jupe+cul » dans Google.

 

Une heure est passée.

Affalé sur sa chaise, une canette de bière à la main, Gabriel grille cigarette sur cigarette. La tête lui tourne. Ses yeux le brûlent. Son poignet droit le gêne. Ses testicules le picotent. Son gland rougi se flétrit entre ses cuisses. Il n’en a cure. Il lui faut davantage de nichons refaits, de croupes tendues, de vulves offertes.

Un doigt sur les lèvres en signe de silence, une blonde plantureuse ouvre les cuisses. Sans l’ornement de la toison, son sexe rappelle à la fois un pubis de jeune adolescente et un croupion de poulet.

Très peu pour lui.

Il clique sur le pop-up qui surgit derrière son épaule. Une métisse lui sourit en gros plan. Les doigts luisants de mouille, elle s’enfonce un godemiché dans le vagin. L’instrument, fiché à mi-longueur, sort en oblique de sa chatte aux poils courts et frisés. Virgules sombres sur son entrejambe, que Gabriel agacerait bien de la langue, avant de remonter au creux du nombril et aux tétons, pépites de chocolat sur les seins caramel.

 

Soumis 3Sa verge reprend de la vigueur. Se durcit encore tandis qu’une belle rousse succède à la métisse. Renversée sur le dos, elle écarte pour lui ses jambes résillées de vermeil.

L’intérieur de sa chatte, couleur coquillage, tranche sur celle des ongles laqués de rouge. Le clitoris aussi gros qu’une une fève titille sa gourmandise. Mais c’est son anus qui éveille son appétit : marron clair, dilaté, il est serti d’un plug d’une taille à couper le souffle.

En pensée, Gabriel y introduit un doigt, puis deux, les retire avec lenteur, renifle et savoure l’odeur de son intimité volée.

Un plaisir qu’Alice ne lui autoriserait jamais.

 

À droite de l’écran, une fenêtre clignotante attire son attention. Gabriel s’arrache à la contemplation du petit trou de la rousse pour reluquer une jeune Asiatique. Accroupie sur une bite dressée, elle courbe l’échine dans un gracieux mouvement de tête. Le rideau de sa chevelure de jais masque sa poitrine menue, tout en dévoilant l’oblique de son regard : des yeux en amandes parfaites, énigmatiques, insondables. Son visage lunaire, plus fermé qu’un poing, ne révèle rien de son plaisir.

Gabriel sourit. Cet abandon mâtiné d’indifférence le touche. Non, il l’excite. Même empalée jusqu’à la garde, cette femme frêle a la fierté d’une Amazone. Prisonnier de ses cuisses, son partenaire n’est plus le mâle triomphant, fier de sa virilité, mais un jouet dont elle use à sa guise.

- Remplis-moi plus loin, plus fort, plus profond, mais ne t’avise pas de jouir sans me le demander. Sinon, je te jette.

 

Tout à coup, l’Asiatique disparaît dans un évanouissement de pixels, laissant Gabriel déconfit. Une beurette prise par un mec en rut, un ravissement feint collé sur le visage, la remplace. Frustré, il ferme la fenêtre. La brune potelée qui attendait son tour entre alors en scène. À genoux devant un camionneur, elle le branle en lui léchant les testicules. Au moment où il va éjaculer sur son visage, elle le prend en bouche. Le sperme déborde de ses lèvres entrouvertes, dégouline sur son menton. En extase, elle le suce de plus belle en se tortillant.

Un Black entre dans le champ de la caméra, juste derrière elle. Grand, bâti en athlète, il pousse son énorme sexe en direction de son cul. Elle a un mouvement de recul, qu’il brise d’une claque avant de repartir à l’assaut. Elle se dérobe dans une plainte. Contrarié, il l’attrape par les poignets, les ramène de force dans son dos, les maintient d’une main de fer. Le camionneur, excité de la voir à leur merci, l’empoigne par les cheveux. Il lui enfonce sa bite encore molle au fond de la gorge.

 

Le Black la pénètre d’un grand coup de rein. Mus par le même élan, ses doigts prennent brutalement possession de son vagin. La fille lâche un long râle de douleur et de plaisir. Gabriel, lui, peine à se retenir. Mais dans la scène qui se déroule sous ses yeux, il n’est ni le Black ni le camionneur. Il est la femme soumise et baisée par tous les orifices. Ouvert à l’arrière, défloré par un chibre bien plus gros que le sien ; ouvert à l’avant, forcé de pomper un dard qui bute contre ses amygdales, le contraignant à ouvrir plus grand les mâchoires, à réfréner son envie de vomir. Alors qu’il se caresse, le trio fornique sans retenue.

Il jouit en même temps que la femme.

 

 

Photos : André Kertesz, Jeanloup Sieff, David Sims.

Par Chut ! - Publié dans : Classé X
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Vendredi 10 septembre 5 10 /09 /Sep 20:22

StupreJe ne sais pas comment c’est arrivé. Juste que ce fut sans prévenir. Feu mon amour dut effleurer une seconde ma main et moi sa bouche. La seconde d’après, son doigt était dans ma bouche. Celle d’après encore, sa bouche sur la mienne.


Notre premier baiser fut un vol, le second un rêve. Chaste d’abord, tout en pudeur et retenue, en caresses de lèvres closes, en frôlements piquetés de sourires et de souffles réprimés. Puis le serpent de ma langue se faufila entre ses dents, là où la sienne l’accueillit et l’enveloppa, enroulée à elle comme le lierre au tronc, attachée comme la licorne à sa pâture, coulée en elle comme l’épée dans son fourreau.

 

- Je voulais te dire…

- Chut…

Mon pouce scella sa bouche.

« Tais-toi, s’il te plaît… Dire serait déjà retrancher…  La vérité est en creux, mais il ne faut pas creuser. »

Le tango de notre baiser brûlant, syncopé, animal, reprit en une fièvre. Pelotonnés l’un contre l’autre, tanguant, basculant cuisses collées et doigts mêlés, nous chavirâmes dans une danse muette. Abolis, le monde alentour, les cliquètements des couverts, le raffut des klaxons, les regards des clients et des passants posé sur nous.

Une voix désagréable nous interrompit soudain :

- Hot-dog !

Boum. La serveuse posa sèchement un plat sur la table. Délogés de notre bulle, nous regardâmes, stupides, une saucisse rosâtre coincée entre deux tranches de pain. Sa croûte se décorait de larges giclées de sauce grumeleuse.

De quoi nous couper et le désir et l’appétit.

 

Comment le programme de la soirée fut-il fixé ? Le plus naturellement du monde, sans doute. Nous étions si bien, son départ si proche, nos baisers de si bouleversants avant-goûts du plaisir, que nous séparer eût été absurde. Je proposai donc à Feu mon amour de venir chez moi.

Son visage tour à tour s’éclaira et se renfrogna.

- Volontiers, mais je ne suis pas sûr de… Enfin, tu comprends…

Oui, je comprenais parfaitement. Lorsqu’un homme avoue à une femme qu’il n’est « pas sûr de », il n’y a qu’une interprétation possible, et rarement agréable.

J’allumai une cigarette. Effleurai son oreille et soufflai entre deux bouffées :

- Aucun problème.

Je ne mentais pas. J’aimais trop sa compagnie pour ne la désirer qu’à l’horizontale.

Un signe à la serveuse. Docile, elle vint ramasser addition et billets et nous nous levâmes, engourdis d’être restés si longtemps assis. Nous quittâmes la terrasse en titubant dans la lumière déclinante de l’après-midi.

Le feu rouge du boulevard signa notre séparation. Sur ma bouche, le goût de ses lèvres piquantes de barbe effaça celui, amer, du café.

- À tout à l’heure, alors ?

- À tout à l’heure, alors.

 

Stupre 2Tapie derrière la porte, je l’attendais. Cambrioleuse dans ma propre maison, forcée à me cacher et à ne point faire de bruit. Précautions ridicules de ceux qui n’ont pas l’esprit tranquille, je le savais. Soucieux de préserver mon espace, jamais Martin ne s’invitait chez moi à l’improviste. Ce qui ne signifiait pas qu’il n’oserait jamais…


Feu mon amour n’arriva pas les mains vides, mais avec une bouteille de vin et un ramequin de foie gras dans un joli sac rouge. Je préparai le repas. Oubliai une foule de choses que je rapportai au fur et à mesure, m’emmêlant dans le sel, le poivre et les épices.

Le tout atterrit sur la table basse. Nous dînerions sur le tapis, je n’avais pas de sièges.

M’agenouillant à ses côtés, je l’enlaçai pour manger son cou de baisers. Puis, brusquement, m’arrêtai.

- Euh… Je crois que le pain brûle.

- Ne laissons pas la réalité gâcher les bons moments.

Une fumée noire envahit la pièce, nous piqua le nez. Suffoqués par l’odeur âcre, nous nous ruâmes sur le grille-pain,.

- A propos de la réalité… tu disais ?

 

Alignées en rangs d’oignon sur le meuble japonais, ma collection de chouettes nous observait. Les plus sages avaient gagné leur place au premier rang. Leurs yeux indiscrets, ouverts sur l’obscurité, dardés sur le lit, ne cillaient pas.

Dans mes bras, Feu mon amour n’était pas beau mais plus que ça : nu. Les formes pâles de nos corps composaient un tableau d’ombres mouvantes.

Pressée contre ma poitrine, sa peau douce et dense n’était plus un continent inconnu, mais la côte familière que j’abordais pour l’enserrer à la corde de mon ancre, ivre des vagues qui nous roulaient sur le sommier.

Ce soir, c’était le dernier soir, c’était la tempête.

Mon nez se nicha dans son cou. Son parfum me grisait. Je le respirais à petites bouffées teintées de son odeur irremplaçable et si particulière. Cheveux tirés par ses mains, tête renversée sur les oreillers, lèvres lapées par les siennes, je tanguais en haletant. Plus fort, plus vite, il m’emportait. A lui je me rendais puis me libérais, répondant à l’appel de son sexe dressé entre ses cuisses.

 

Stupre 3Le lendemain il récupéra son passeport. Son avion décollait le soir même.

Nous avions rendez-vous au fond d’une impasse que je cherchais en vain. Le temps filait en autant de minutes volées. Celui que je mettrais à arriver était autant qui nous serait retranché.

L’impasse, enfin.

Immeuble délabré, cage d’escalier étroite. Appartement en chantier. Pots de peinture. Fenêtres ouvertes pour fumer une cigarette.

Nous explorâmes le chantier pour trouver de quoi boire un dernier verre. Feu mon amour retourna les caisses d’alcool, déchiffra les étiquettes russes des bouteilles.

Musique. De peur que je ne les oublie, il me murmura les paroles de la chanson :

« Faire puis refaire ses bagages… ».

Son sourire me ravagea.


Sa bouche une dernière fois.

Le taxi démarra. Je crus voir son bras s’agiter derrière la vitre, levai le mien à tout hasard. Titubai en égarée le long des pavés, mains recroquevillées dans les poches. Les lumières diffuses des réverbères se teintaient d’eau. Plus j’avançais, plus elles se brouillaient en un kaléidoscope de teintes mêlées.

J’avais besoin de voix chaudes et lentes qui me susurreraient des mots doux, d’accords de piano qui m’emmèneraient ailleurs, loin de cette ville froide et triste. Sur les trottoirs ne régnait que le silence. Je lui avais laissé mon casque de baladeur.

Mes talons égrenaient sur le bitume la mélodie saccadée de l’absence. Obstinée, têtue, je marchais en suppliant qu’il se passe quelque chose. N’importe quoi, un signe venu d’en haut ou d’en bas, un tremblement de terre ou un ouragan qui courberait les arbres, fendrait le trottoir, distordrait la route pour m’arracher aux lignes trop droites de l’horizon.

 

- Hé, mademoiselle !

Le cri avait jailli de la chaussée. Je refusai d’y prêter attention. La voix insista :

- Youhou, Mademoiselle, bonsoir !

De guerre lasse, je m’arrêtai et découvris, monté sur son vélo stoppé au feu rouge, Maktan, mon ancien voisin. Son sourire chaleureux sur ses dents blanches, son visage aussi noir que la nuit, ses longues mains battant l’air pour me demander de m’approcher.

- Hé, voilà des mois qu’on ne s’est pas vus ! stridula-t-il, guilleret. Je croyais que tu avais déménagé ! Tu vas bien ?

Fixant bêtement le feu qui passait au vert, je ne lui répondis pas.

Interloqué par mon silence, Maktan m’enveloppa de ses prunelles charbon. Je n’y étais pas préparée. Des larmes débordèrent de mes paupières. Je tapai du pied en les essuyant d’un geste rageur.

- Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Rien.

 

L'antre du stupre 3Sans crier gare, les vannes lâchèrent. Je bredouillai des mots sans suite : rencontre, nuit, magie, folie, culpabilité, aéroport.

Perplexe, Maktan les mit bout à bout pour faire sens. Me gratifia du regard consterné de celui qui n’a aucune solution à proposer.

- Tu vas faire quoi, là ?

- Rentrer chez moi.

Dans l’appartement, le désordre du matin m’attendait. Amer et doux à la fois, comme un lendemain de gueuleton dont il ne restait que les miettes. Les grives, c’était hier ; les chiures de merle, aujourd’hui.

Assiettes du petit-déjeuner, couverts en vrac sur les plateaux, draps en désordre, oreillers encore gorgés de nos odeurs… Tous ces objets désincarnés me narguaient.

 

A dix heures et demi, mon téléphone sonna.

« À l’embarquement. Tu vas me manquer. Je t’embrasse, ma demoiselle. »

« Moi aussi. Tu vas me manquer... » pensai-je.

C'était la première fois que nous nous séparions.

Là se trouve la dernière.

 


 Photos : 1re et dernière Brassaï, (L'Extase pour la 1re),

Frédéric Fontenoy, Willy Ronis.

Par Chut ! - Publié dans : Feu mon amour
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Vendredi 10 septembre 5 10 /09 /Sep 11:51

AntichambreJe me réveille. Martin est en costume de travail et en retard, comme toujours. Mais au lieu de se dépêcher, accroupi sur le plancher, il me regarde. Dans ses yeux brille tout l’amour qu’il me porte. L’amour et le regret de ne pouvoir me rejoindre pour m’étreindre une dernière fois.

Il soulève tendrement la mèche qui barre mon front.

Je lui souris avant de replonger dans le sommeil.

 

La porte de l’appartement claque. Je me redresse d’un bond.

Dix heures. Je sais que je vais appeler Feu mon amour. Je sais aussi que c’est une erreur. Je relis nos messages de la veille. Tente de me persuader que lui parler n’aura aucune importance, aucune conséquence.

Après un triple café, j’en doute encore.

Mes réticences s’évanouissent sous une douche glacée.

J’ai la trentaine passée, un homme dans ma vie et la tête arrimée aux épaules. Ce n’est pas un simple coup de fil qui changera la donne.

Onze heures. Je compose le numéro de Feu mon amour.

Mon cœur bat la chamade mais ma voix ne tremble pas. Nous convenons de boire un verre dans l’heure qui suit. Je le laisse décider du lieu de rendez-vous.

 

Je vérifie mon maquillage devant le miroir du couloir. Rectifie ma coiffure, lisse ma jupe et enfile mon manteau. Fais une dernière fois le tour de l’appartement vide. Tout est en ordre à l’exception de mes affaires. Mes magazines traînent sur la table. Mes chemises godaillent sur une chaise. Mon gros sac de soirée bâille à côté du canapé. Le paddle en dépasse. Abandonné parmi mes accessoires, fiché droit entre ma robe et mes cuissardes, il a des airs de reproche muet.

Le claquement sec de la porte résonne dans le couloir comme un avertissement.

Je donne un tour de clef, gorge serrée par l’impression tenace de perdre quelque chose.

Remontant la rue au pas de course, je m’engouffre dans le métro. Mince, huit stations. Jamais je ne serai à l‘heure.

 

Montgallet, Reuilly-Diderot, Ledru-Rollin.

Mes nerfs se tendent en cordes de violons. Des doigts invisibles les pincent pour me forcer à jouer une partition en aveugle. Tempo, mélodie ne sont qu’un brouhaha confus au-dessus duquel s’élève, seule, obstinée, pure, la note aiguë de mon désir.

Revoir Feu mon amour une dernière fois.

D’ici à son départ, il doit avoir une foule de démarches administratives à boucler, de courses à faire, de gens à saluer.

Tant pis si le temps nous est compté. Tant pis s’il a un autre rendez-vous dans l’après-midi.

Je veux revoir Feu mon amour une dernière fois.

 

Anrichambre 3Bastille, Chemin Vert, Saint-Sébastien Froissart.

La musique de mon pouls s’accélère. Staccato, fortissimo. Un café, deux cafés et viendra l’heure de nous séparer.

Que nous dirons-nous avant « au revoir » ? Aucune idée.

Parlerons-nous de nous ? Le sujet est presque clos.

Tu m’as plu, je t’ai plu ; tu es en couple, moi aussi. Le moment qui nous aurait rassemblés nous a échappé. Une occasion manquée à ajouter à la longue liste des autres, sans possible retour de manivelle.

Qu’est-ce que je fiche là, alors ? J’espère rattraper l’insaisissable ou n’avoir rien sur quoi me désoler. Ne pas venir aurait été me défiler, nier l’élan qui me porte, troquer le regret contre le remords. Pourtant, je le sais, les adieux non consommés sont les plus tristes, parce qu’on ignorera toujours ce qu’on a raté.

Tant pis. Je veux revoir Feu mon amour une dernière fois.

 

Filles du Calvaire, République.

Les doigts invisibles s’emballent en une mélodie désaccordée. Un air lancinant brisé d’harmoniques plaquées à pleine paume, martelant mes tempes du battement de mon sang.

Si je l’écoute, je me rue tête haute sur la place. Si je pense à Martin, je repars échine basse dans l’autre sens.

Tant pis. Je veux revoir Feu mon amour une dernière fois.

 

La terrasse du café-restaurant mord largement sur le trottoir. Je tente de le repérer parmi les nombreux clients. Femmes, couples, familles, groupes… mon regard les traverse comme s’ils étaient transparents. C’est un homme seul et brun que je cherche. Là, justement, il y en a un, qui sirote un thé en feuilletant un journal. Il lève la tête pour héler la serveuse.

Ce n’est pas lui.

Mais où est-il donc ? Nulle part. Soit il est davantage en retard que moi, soit il a changé d’avis, troquant le déraisonnable pour la sagesse qui me fait défaut.

 

Une main s’agite à l’autre bout de la terrasse. Mon cœur exécute une triple cabriole piquée.

C’est lui.

Je louvoie entre les chaises et lui souris. Enfin, je crois.

Son visage n’est pas tout à fait conforme à mon souvenir. L’éclat de sa peau, plus mat ou plus velouté, a changé. Lentement, son image diurne se dépose sur son image nocturne. Lentement, les deux s’agrègent pour se confondre en une seule : Feu mon amour devant moi.

 

- Désolée de t’avoir fait attendre.

- Mais non.

La vérité est de mon côté, la politesse du sien.

Un temps d’arrêt. Depuis le début, notre rencontre s’est tellement déroulée à l’envers que le dépourvu me rattrape. Comment dire bonjour à cet homme qui m’a embrassée puis entendue jouir ? Dois-je attendre qu’il se lève ou m’asseoir sans attendre ? Lui faire la bise ou ne pas faire un geste ?

Par chance, il prend l’initiative de se déplier et, une fois à la verticale, de baisser la tête. Ah oui… J’ai oublié à quel point il était grand.

Je lui présente ma joue. Il préfère le coin de ma bouche.

Installés côte à côte, nous nous regardons en face à face. Il prononce une phrase que je n’entends pas, ravie d’avoir trouvé la couleur exacte de ses yeux : ébène-chocolat. Un nom rêvé pour un sorbet, couronné d’une pépite en grain de beauté à l’intérieur de sa paupière gauche.

 

Antichambre 4Un café brûlant plus loin, la glace est rompue. Nous avons plongé dans les eaux bouillonnantes de discussions à tiroirs, sautant d’un superflu à l’autre en laissant l’essentiel de côté.

Mais non. L’essentiel est que je me sens bien, follement bien en sa compagnie. Et que la réciproque a l’air vraie.


Peu à peu, l’univers ordonné de la terrasse se referme sur nous. Isolé de l’agitation extérieure, calfeutré de la bise d’hiver, le périmètre étroit de notre table, de ses soucoupes et de son cendrier enclot le petit monde de notre intimité. Une bulle parfois percée de la voix aigrelette d’un troisième larron s’interposant sans crier gare : le téléphone de Feu mon amour.

Celui-ci parle en anglais et je l’écoute, captivée par ses inflexions pour ignorer les mille détails qui règlent son départ.


Asie, Europe, Amérique… Cet homme est plusieurs à lui seul. Un métis, ou plutôt une mosaïque. Ce que j’ignore encore, c’est que ses pièces ne sont pas assemblées mais disjointes, éclatées comme son identité plurielle.

 

Il ôte une bague en or de son annulaire pour la déposer dans ma paume.

- La chevalière dont j’ai héritée, frappée aux armes de ma famille.

Je creuse la main et la bague exécute un lent demi-tour. Une silhouette de cheval apparaît. Non, pas un cheval, une licorne fougueuse et chimérique.

 

Mon envie de le retenir bute contre la nécessité de le libérer. On n’entrave pas une licorne, on se résigne à la laisser s’échapper. Avec, en prime, le sourire hypocrite de la désinvolture quand on est malhonnête.

- Tu m’as dit que tu avais rendez-vous. À quelle heure ?

- Aucune importance, il a été annulé.

Une note bizarre dans sa voix me pousse à poser la question que je devrais taire :

- Rien de grave, j’espère ?

- Laura m’a quitté. Ce matin, juste après ton appel.

 

 

Photos, respectivement : John Carroll Doyle,

Richard Avedon, Jeanloup Sieff.

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Jeudi 9 septembre 4 09 /09 /Sep 13:00

 

PurgatoireFendant l’air glacé de la nuit, nous regagnons la voiture. Ophélie installée derrière moi, Feu mon amour en diagonale, Martin au volant.

Je scrute mon reflet dans le rétroviseur. L’obscurité me maquille de ses ombres, mes traits tirés et mes cernes se devinent à peine. Je suis pourtant épuisée, vidée, repue de ces chairs frottées à la mienne, du désir de ces hommes vissés à mes bottes. Aussi comblée de leur adoration qu’insatisfaite de ce qu’aucun n’est en mesure de me donner.

L’addition de leurs hommages n’égalera jamais la soustraction de l’esquisse me brûlant encore les lèvres.

Le baiser inachevé de Feu mon amour.

 

Martin tourne la clef de contact. Place au silence des gens fatigués, mais pas seulement. Entre nous flotte un voile de tristesse ou un avant-goût de nostalgie.

Je pivote vers la banquette arrière.

Feu mon amour regarde par la vitre. La lumière d’une enseigne tombant à pic sur son visage durcit ses traits. Leur expression fermée, absente, le place à des milliers de kilomètres d’Ophélie.

Alanguie contre son épaule, elle ressemble à une fleur courbée. Une fleur qui, corolle renversée, lourde tige de son buste ployée, caresse des pétales de sa chevelure le blouson de Feu mon amour.

Je me détourne.

 

L’embardée d’un scooter nous frôle de près. Martin râle contre l’imprudence des chauffards du samedi soir, relançant du même coup la conversation enlisée dans un cul-de-sac. D’abord laborieuse, elle rattrape son allure de croisière au premier carrefour, s’emballe à la faveur d’une pointe de vitesse.

Feu mon amour et moi sommes cependant les seuls à nous en griser.

Martin, concentré sur la route, n’intervient qu’en pointillés.

Ophélie, elle, se tait.

Moins polie qu’égoïste, poussée par l’urgence des rues qui défilent, je veux profiter de cet homme avant qu’il ne parte, me soûler de ses mots, le pousser à parler encore et encore. De sa future mission qui m’intrigue, des précédentes qui m’intéressent, de son goût pour la photographie. Un sujet qui me passionne autant qu’il avive mes regrets. Partir en nomade, sac au dos, appareil en bandoulière, j’en rêve.

Ce rêve, Feu mon amour l’a réalisé.

Rien que pour cela, je l’envie.

Rien que pour cela, je l’admire.

 

Sans crier gare, nos échanges à sauts et à gambades se cabrent. D’un ton qui se veut détaché, Feu mon amour explique :

- Si je disparaissais en mission, rares sont mes proches qui le sauraient. Depuis l’étranger, je ne leur donne quasi aucune nouvelle. Éparpillés aux quatre coins du globe, ils ne se connaissent d’ailleurs pas. Mon décès passerait donc inaperçu… jusqu’au jour où, peut-être, ils l'apprendraient.

Les yeux happés par la route, j’approuve dans un vertige.

Drôle de vie qu’a choisie cet homme…  Partir, vivre loin, soit.

Mais pourquoi se couper de ses proches ? Les priver de le pleurer ?

Et comment l’aimer autrement que dans la peur infinie de le perdre ?

Sous le régime du manque et de l’angoisse, les sentiments sont une douleur chaque jour recommencée.

 

Purgatoire 2- Je tourne à droite à la prochaine ?

Mes réflexions éclatent contre le pare-brise. Je reprends pied dans la réalité rassurante de la voiture, de Paris et de ses boulevards tissés d’électricité, une sensation de chaleur sur la cuisse. La main de Martin. Carrée, épaisse, apaisante. M’invitant à lui répondre d’une pression que j’ignore pour me tourner vers Feu mon amour.

Les réverbères projettent leur damier mouvant sur son visage. Immobile, morcelé entre lumières et ombres, il a le mystère d’une statue.

- Tu pars mercredi, n’est-ce pas ?

Il acquiesce. Son front se retranche dans l’obscurité.

 

Terminus, tout le monde descend. Sur un trottoir place de la République. J’effleure les joues de Feu mon amour en songeant à ses lèvres.

Rêche de sa barbe contre douceur de sa bouche, je perds au change.

Pas en arrière sur le bitume, phrases de circonstance alignées à la place des regrets :

« Au revoir » pour « Dommage de t’avoir connu si tard », « A bientôt, peut-être » pour « Adieu ».

Les portières de la voiture claquent.

Dernier salut. Feu mon amour ferme son blouson. Sa haute silhouette se détache sur un panneau publicitaire. Manquerait plus qu’il appartienne à une agence de voyages.

Il part à gauche, Ophélie à droite.

À l’horizon, un jour blafard se lève à peine. J’ai envie de dormir. Ou de vomir.

 

- La soirée était réussie, hein ?

- Oui.

- Je crois qu’ils n’ont pas été choqués.

- Non.

Prisonnière du dédale de mes pensées, emmurée dans une anfractuosité inaccessible, j’oppose Martin la rocaille de mon mutisme.

- Si j’étais une femme, Altho me plairait. Alors en tant qu’homme, je suis jaloux, forcément.

Cette remarque me frappe en sèche volée de cailloux.

De profil, sourcils froncés, mon compagnon n’a pas l’air de s’adresser à moi, plutôt celui de réfléchir tout haut à un problème compliqué. Un qui n’attend ni délai pour être examiné, ni réponse pour être résolu.

- Jaloux de quoi, au juste ?

- Mais de sa personne ! Beau, intelligent, drôle, cultivé… Il a tout, non ?

- Hum… Des défauts aussi, sûrement. Va savoir… Il est peut-être chiant, susceptible, égoïste, râleur, invivable. Au choix ou à la fois, même.

- N’empêche qu’il a du charisme. Qu’il aime les voyages, la photo, l’aventure, le danger… Qu’il a vécu dans plusieurs pays, exercé plusieurs métiers…

 

Purgatoire 3Martin aligne ses arguments comme il énumèrerait les symptômes d’une maladie : de la voix neutre du médecin en charge d’un cas difficile à traiter. Et à mesure des pièces versées au dossier, il se rembrunit.

Son insistance m’agace. Que cherche-t-il ?

Je n’ai envie ni de le savoir, ni d’en discuter.

- S’installer à l’étranger ? Facile pour lui. Libre de toute attache, le voilà prêt à construire une relation avec une femme…

- Exact. Il est d’ailleurs avec une certaine Laura. Tu l’ignorais ?

C’est ma remarque que Martin ignore. Dans son raisonnement, Laura n’est qu’une fioriture, un détail qu’il chasse d’une pichenette du décor.

Mais qui voit-il en plein milieu ? Son air malheureux parle à sa place.

 

« Arrête maintenant ! Tais-toi, s’il te plaît ! Cesse de te torturer, je t’en prie ! »

Aucune de mes suppliques entrechoquées ne franchit la barrière de mes lèvres. Tétanisée sur le siège, j’écoute tomber le diagnostic :

- Ouvre les yeux… L’homme idéal pour toi, ce n’est pas moi, c’est lui. Lui le compagnon qu’il te faut. Tu ne comprends donc pas ? Dans le fond, vous êtes pareils, et vous allez ensemble à merveille.

Accablée, j’ai l’impression qu’un terrible accident s'est produit. Qu’un poids lourd nous a percutés de plein fouet et que les voitures me roulent dessus.

Depuis le début de notre histoire, Martin et moi avons toujours pensé les mêmes choses au même moment. Sauf cette nuit-là où, loin de répondre en échos aux miennes, ses réflexions les ont précédées.

En parler était toutefois une grossière erreur.

Ce faisant, Martin a énoncé ce que, jamais, je n’aurais osé m’avouer. En l’énonçant, il m’a autorisé à le désirer. Pire, poussée à le vouloir, tout en m’accordant sa tacite permission.

 

Je me défends avec l’énergie des coupables, moins contre lui que contre moi-même :

- N’importe quoi ! Cet homme est amoureux d’une fille et pour finir, il s’en va. Qu’ai-je à faire dans sa vie ? Qu’a-t-il à faire dans la mienne ? Rien ! Je ne le reverrai jamais !

Martin insiste. Je le contredis. Il épilogue. Je l’interromps. Il me coupe :

- Tu lui plais.

- Je ne suis pas la seule. Laura aussi doit lui plaire.

- Bon, je peux te le dire maintenant. Je lui ai proposé de finir la nuit avec nous.

- Pardon ??

- Oui, tu as bien entendu. J’étais sûr que tu aurais aimé. Moi, je n’étais pas contre.

L’effarement me rend muette.

- Il a refusé, croit-il utile de préciser.

 

Assise en canard au fond de la baignoire, tapie derrière le rideau, épaules courbées contre genoux pliés, alourdie de ma tête lestée de trop d'émotions et d'alcool, je m’enveloppe de vapeurs d’eau, me love dans leurs volutes pour m’y dissoudre. La faïence du carrelage palpite des contractions douloureuses de mes tempes.

Dans cette salle de bains violemment éclairée, dans cet appartement aux recoins de mystère aplanis par les halogènes, mon cœur, lui, s’est arrêté de battre. Pétrifié sur un trottoir d’aube grise place de la République.

 

Purgatoire 4

La voix inquiète de Martin me débusque dans mon repli :

- Tout va bien ?

- Oui… Une minute, j’arrive…

J’ouvre le robinet à fond, en fais jaillir des cataractes d’eau grondante. Le jet de la douche m’incendie de traînées de lave. Le gant rêche ôte de mon corps les scories de Feu mon amour. Le savon dilue son baiser de mes lèvres et l’emporte, mêlé de sueur, en traînées mousseuses spiralant jusqu’au siphon.

Purifiée par le feu et par l’eau, je peux retourner à ma vie.

 

Je sors de la baignoire dans un bouillonnement de cascade tarie. Me frictionne à m’en décoller la peau, me tire les cheveux à grands coups de brosse. Me parfume et me glisse entre les draps, morte de fatigue et récurée jusqu’à l’os.

Martin m’attire contre lui, enfouit son visage au creux de ma nuque.

Je bascule entre ses bras pour le tromper avec passion.

 

À la faveur de l’obscurité un troc des corps s’est opéré. Bouche, poitrine, ventre, fesses, sexe… Ce n’est plus Martin que je respire, effleure, pétris.

C’est Feu mon amour que j’étreins, mordille, lèche.

Feu mon amour que je saisis aux épaules et plaque contre le mur.

Feu mon amour sur lequel je m’empale en gémissant.

Feu mon amour que je baise avec la crudité féroce de mon désir, mue par une folie qui lui arrache des cris alors que mes dents lui balafrent la peau.

 

Ma sauvagerie laisse Martin pantois.

Mon plaisir est si fulgurant que j’en ai honte.

 


Photos : Cindy Sherman, Brassaï, Jim Fiscus.

Tableau de Hans Ruedi Giger.

Par Chut ! - Publié dans : Feu mon amour
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Mercredi 8 septembre 3 08 /09 /Sep 18:41

Prémisses de l'enferD’abord, c’est un choc.

Malgré l’heure tardive, une foule compacte se bouscule dans la rue étroite. Si Ophélie et Feu mon amour ne semblent pas surpris, Martin et moi sommes stupéfaits. Depuis que nous fréquentons les Nuits Elastiques, jamais nous n’avons connu une telle affluence.

Gainée d’une minirobe en latex, une Domina perchée sur des talons compensés assure l’ordre en pointant sa cravache.

- Décalez-vous ! Avancez ! Stop !

Et l’attroupement de se mouvoir comme un seul homme.

 

Transbahuté de gauche et de droite, collé à l’avant et à l’arrière par nos voisins immédiats, notre petit groupe resserre ses rangs.

Je peste qu’on se croirait à l’école tout en affichant une obéissance de bonne élève. Surtout donner l’exemple pour peut-être progresser plus vite. Ma crainte est que nos invités regrettent de s’être aventurés dans cette galère où une Domina, elle-même soumise aux ordres stricts des organisateurs, vérifie à même le trottoir l’éligibilité des aspirants fêtards.

- Vous avez une tenue répondant au dress code ? Montrez-la moi.

Ça et là, des plaisanteries fusent :

- Je vous ouvre mon pantalon sur mon slip en vinyle… Là, tout de suite ?

- D’accord pour vous exhiber ma robe, mais sa quantité de tissu étant inversement proportionnelle au froid de canard, je vais m'enrhumer

 

Ignorant ces remarques sarcastiques, notre garde-chiourme marche emmitouflé dans sa superbe pour piler devant nous.

- Et vous, vos habits ?

Disciplinés, les garçons présentent leur sac. Celui, énorme, de Martin s’ouvre sur sa combinaison en latex, mon paddle et mes cuissardes. Celui, modeste, de Feu mon amour révèle la jupe d’Ophélie et son pantalon de cuir rouge, couleur d’enfer et de délices.

Un bouton, deux boutons de mon manteau sautent. Ma robe apparaît sous mon pull retroussé.

Non, la Domina n’aura pas droit à la face impudique. Peu lui importe, puisque de mon dos découvert, elle s’en cogne comme de sa première chambrière.

- Parfait, entrez !

 Nous court-circuitons la queue escortés d’un murmure de protestation.

« Pourquoi eux et pas nous ? » semblent mugir les refoulés.

« Parce qu’Altho a un sourire renversant, Ophélie une chevelure de sirène, Martin une stature qui en impose et moi de beaux yeux. Que l’injustice fait partie du monde en général et de notre petit monde en particulier.

Notre petit monde, vous vous rappelez ?

Celui où dix soumis se disputent l’intérêt d’une Maîtresse, s’affrontant à qui rampera le plus bas et s’affichera carpette le plus haut… »

 

Prémisses enfer 2 Une fois de plus, je me tais et j’ai raison. Ce qu’on nous envie dehors n’est pas si enviable dedans.

La porte voûtée à peine franchie, une chaleur d’étuve nous prend à la gorge. Âcre remugle sur fond d’exhalaisons de pieds sucés et d’aisselles transpirantes, de sexes raidis et de chattes ouvertes.

Odeur objective de sexe en relents de tabac froid qui agresse nos narines congelées. Sans compter que le monde battant le pavé n’est rien à côté du troupeau massé dans l’escalier.

 

Poussés par un flot de nouveaux admis, déportés par la marée inverse des gens sortant fumer une cigarette, nous nous heurtons les uns aux autres, rentrons dans des dos inconnus, butons contre des côtes anonymes dans un brouhaha de volière.

Une voix outrée hurle soudain par dessus le tumulte :

- Mais arrêtez de piétiner mon soumis !

 

Nous nous frayons un chemin vers le vestiaire. Vestiaire est d’ailleurs un grand mot pour ce réduit où se mélangent les participants. Pudiques s’abstenir : ici, ni paravent ni rideaux, tout le monde jouit de vues imprenables. Celle du tatouage zébrant les reins d’une jeune beauté. Des mamelles d’une femme mûre et des fesses flétries de son compagnon. Des couilles d’un soumis s’escrimant à les loger dans un micro slip. D’un soutien-gorge de travesti rembourré de coton.

Ophélie, occupée à se battre avec son corset, n’a pas un regard pour cette exhibition des chairs. Feu mon amour, en revanche, n’en perd pas une miette. Moi, c’est son déshabillage à lui qui m‘intéresse. Mais, pudique, je garde le menton baissé sur Martin qui, à genoux, lace mes cuissardes.

Du noir sur mes cils, du rouge sur mes lèvres. Je suis prête. Prête à fermer collier et cadenas autour du cou de Martin. Prête, laisse et paddle en main, à guider nos invités entre béton et vieilles pierres. Un décor bien minimaliste pour les cercles de l’enfer.

 

D’abord, le bar.

En face, une première cave tendue en son milieu d’un rideau pourpre.

Derrière, la backroom pour les scènes les plus chaudes, quoique le spectacle se tienne aussi dans la salle. Ici, le séant d’un gringalet à quatre pattes rougit sous les coups de battoir d’une Maîtresse charpentée. Là, les mamelons d’une docile dépoitraillée se distordent sous les pinces de son Maître.

Ce ne sont toutefois pas ces instantanés de soumission qui frappent Ophélie et Feu mon amour, mais l’excentricité débridée des guêpières, jarretières, perruques, paillettes, loups vénitiens, masques et cornettes portés par des écolières, des gendarmes, des ecclésiastiques et des soubrettes.

 

Prémisses d'enfer 3Près de nous piaffe un homme-cheval prisonnier d’une combinaison noire et feu, le visage dissimulé par une cagoule opaque.

Trois trous - deux pour les yeux, un pour la bouche - lui assurent un contact avec l’extérieur. Minimum, cependant, car il ne peut ni voir sur les côtés, ni prononcer un mot : ses œillères et son mors l’en empêchent.

Le sommet de son crâne s’orne d’un plumet de parade, son anus d’un godemiché serti d’une gerbe de crins. Ses jambes harnachées de chaînes peinent à se mouvoir dans ses bottes surélevées.

Lorsqu’enfin il esquisse quelques pas, la terre battue se grave de l’empreinte de ses sabots.

« Impressionnant… », murmure Feu mon amour.


Oui, impressionnant. Cette cave hors monde est un appendice du vice, transgressif comme cette robe cardinalice de laquelle émergent deux solides mains. La droite, ornée de l’anneau pastoral, s’abat avec une régulière vigueur sur la croupe d’une fille en extase.

 

Saisissant Feu mon amour par la taille, hâlant Ophélie et Martin, je me dirige vers une ouverture percée à même la roche. De l’autre côté, la deuxième cave aménagée en piste de danse. Ses parois tremblent d’une musique assourdissante : des tubes des années quatre-vingt mixés par un DJ à la crête d’Iroquois. Aussitôt une marée de corps en transes nous encercle bras levés, nous ordonnant de l’imiter, de nous étourdir, de nous fondre dans la folie qui l’emporte.

Et nous dansons, fous, insouciants, accordés au sein même du chaos de sons et de lumières.

 

 

"Viens, ma lionne, viens te faire les griffes sur ma peau.,

 Ployer ta nuque tendre, offrande au bourreau,

Sous l'orage anthropophage de mes crocs..."

(J. Higelin)

 

Photos, respectivement : Gilles Berquet, Dan Witz,

Ellen Von Unwerth.

 

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