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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Mardi 24 août 2 24 /08 /Août 19:53

Après la pluie 3 Bill BrandtCe que Stefan me voulait, je finis par le savoir au terme d’une étrange soirée.

D’abord, l’électricité capricieuse plongea une fois de plus l’île dans le noir. Ensuite, à court de batterie, mon ordinateur rendit l’âme au milieu de The Pursuit of happiness. Un titre prédestiné, que je troquai aussitôt contre un autre : La Chanson des Mal-aimants de Sylvie Germain, parcouru dans la chambre à la lueur des bougies.

 

Alors que je me préparais à dormir, Stefan m'envoya un message. Il pourrait être dans une demi-heure chez moi, « pour un dernier verre ». L’implicite du message me fit sourire tant il me semblait décalé.

Mes derniers verres avaient jusque-là été parisiens. Gardaient sur mes lèvres un goût de ville, de portes cochères, d’escaliers et d’appartements, goût qui ne se mariait ni avec la mer, ni avec le pays vert forêt, jaune sable et bleu ciel que j’habite maintenant.

Après tous ces atermoiements, quarts de tour et voltes-faces, étais-je tentée par ce dernier verre-là ? Malmenée sur trop de routes contradictoires, mon envie ne s’était-elle pas perdue en chemin ?

 

La pendule scandait qu’il était déjà horriblement tard. La raison que je ferais mieux de me coucher, seule et tranquille. Mais par dessus les couches de « il faudrait » surnageait une écume de désir. De la curiosité aussi.

Curiosité de voir ce que ce garçon si indécis tenterait, s’il tentait toutefois quelque chose. Avec lui, je m’attendais désormais à tout et ce tout m’amusait, comme un pari à l’aveugle ou un jeu dont les enchères montaient en secret, puisque chacun ignorait la mise la mise de l’autre.

Curiosité de son corps, de sa peau, de son sexe et ses baisers. L’inconnu des hommes, surtout s’ils sont beaux, me fascine. Ce qui se cache sous le tissu m’aiguillonne en surprise à déballer, mains impatientes tirant les rubans, déchirant l’enveloppe scellée de Scotch, froissant les gangues protectrices de papier.

Je décidai que ce soir, Stefan était mon cadeau. Et tapotai, prosaïque :

« Va pour le dernier verre. »

 

Il s’assit sur le canapé. Au lieu de m’installer à ses côtés, je choisis un siège bas, ni trop loin ni trop près. Nous parlâmes un peu, échange aussitôt orienté vers le contenu des placards de mon lointain appartement. Puis les questions du respect et des limites s’en mêlèrent.

- A propos des limites, justement… avança Stefan.

La discussion arrivait à un tournant. Levant mon verre pour en siroter une gorgée, je haussai un sourcil.

- J’ai beaucoup réfléchi et… et…

Il cala. Je le relançai d’un « Mmmh ? » assez neutre pour ne pas trop le presser, assez intéressé pour le pousser à continuer.

- Et… J’ai une proposition à te faire.

- Je t’écoute.

 Il grimaça, gêné. Réprimant un demi-sourire, je songeai à la prédiction de Bertille :

« Oh, avec ce garçon-là, tu n’es pas arrivée… peut-être pas partie, même ! »

 

Après la pluie 2Après un silence, il se lança :

 - Voilà… Je te propose un massage.

- Un massage ? repris-je, étonnée.

Des massages, je pouvais en avoir tant que je le voulais à la plage. Nul besoin d’être plantée dans mon salon, sur un pouf à deux heures du matin. Cependant, la dimension érotique de l’offre ne m’échappait pas, à condition que cet homme soit doué de ses mains, ce qui restait encore à démontrer.

- Oui, un massage, mais… spécial.

- Spécial ?

- Spécial, car je te voudrais… attachée.

- Attachée ?

En doublonnant ses propos, je songeais au film Un divan à New York. Juliette Binoche, parisienne, y remplace malgré elle le psy avec lequel elle a troqué son appartement foutraque. Ignorant la façon de mener un entretien convenable, elle se contente de répéter le dernier mot de « ses » patients.


Et ça marche comme ça marchait pour moi qui, à force d’échos, avait l’impression d’accoucher ce garçon de son propre désir. De le libérer d’un scénario aussi longuement mûri que réfréné. De le délivrer d’une obsession qui plusieurs jours durant l’avait tenaillée, puisqu’il m’avoua, touchant, impudique, égaré :

- Lorsque je me couche, c’est à toi que je pense, et non à ma copine. Je ne comprends pas. Je m’en veux.

Je résistai à lui poser la question qui me brûlait les lèvres :

- Et lorsque tu te réveilles ?

Pour au moins trois hommes importants de ma vie, la pensée du matin était celle qui faisait la différence, le tamis entre les femmes destinées à passer et à rester. L’un d’eux avait d’ailleurs placé ce critère en pôle position. La première pensée était son étalon d’amour, incapable qu’il était de s’avouer ses sentiments à lui-même, et davantage encore à moi.

Le jour où, lassée, je faillis partir, il me balbutia comme un enfant :

- Mais c’est… à toi que… je songe… quand je me réveille.

J'étais restée.

 

Avec Stefan, il n’était néanmoins pas question d’amour. D’emballement tout au plus, car je ne nourrissais aucune illusion : à ses yeux, je représentais autant la femme accessible qu’interdite.

Accessible parce que j’étais de toute manière d’accord. Sinon, l’accueillir chez moi, en pleine nuit, pour un « dernier verre », n’aurait eu aucun sens.

Interdite parce que me toucher représentait la transgression de l’histoire à laquelle il se destinait. Béance au contrat qu’il s’efforçait de limiter à de simples accrocs, à des entailles de canif en petits arrangements avec sa conscience.

Il ne ferait que me masser.

Il ne me pénétrerait pas.

Il m’attacherait. Clouée au lit je deviendrais sa prisonnière, incapable de renverser le cours d’un jeu qu’il dicterait en maître.

- Toi qui aimes jouer avec la frustration, c’est pour te frustrer un peu… argumenta-t-il.

Je ne le crus pas. Mes liens n’étaient pas destinés à m’ôter ma liberté pour rehausser la sienne, ils étaient là pour le protéger.

Un mensonge de plus ajouté aux autres, que je feignis de prendre pour une vérité.

 

- Le baiser appartient-il au programme ? Ou se trouve-t-il, déjà, hors des limites de Monsieur ? demandai-je dans un sourire.

- Mmmh… Le baiser est possible, oui.

- Alors je le prends en apéritif, tranchai-je en me coulant sur le canapé.

Assise sur ses cuisses, lèvres rivées aux siennes, je murmurai :

- Son massage, Monsieur veut-il me le prodiguer… Pardon, me le faire subir… nue ou habillée ?

- De jolis dessous seront parfaits...

- Objection, votre Honneur : je n’ai pas de culotte.



(A suivre)

Première photo de Bill Brandt.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Vendredi 20 août 5 20 /08 /Août 19:56

Tendresse particulièrePlus d'un an que nous nous sommes croisés et jamais revus. Rencontre de hasard dans un coin de paradis entre mer, ciel et sable. Une évidence dont j'ai parlé ici et , vidée de toute timidité comme de tout enjeu. Une trêve enchantée dans le périple qui m'emmena aux lisières de moi-même, longeant mes à-pics, plongeant dans mes torrents, me reposant sur les grèves de ma mémoire.

Plus d'un an après, je me souviens encore de ses yeux pétillants, de l'immense sourire qui éclairait son visage, de sa chevelure de jais bourrelée d'épis où j'aimais plonger les mains.

Amant samouraï et pirate, le temps d'une nuit.

Je me souviens parfaitement de la terrasse où, assis sur un siège dur, il travaillait. Puis, une fois la terrasse traversée, de sa chambre, exiguë et moins sommaire que mon bungalow. Du grand lit entouré d'une moustiquaire sous laquelle nous roulâmes enlacés. De ma soudaine hésitation, parce que je le supposais bien plus jeune que moi.

Poitrine contre son torse, bouche à son oreille, j'eus, tel un éternuement, un accès de gêne. Il s'en moqua en défaisant l'agrafe de mon maillot de bain.

- Hé, je suis plus âgé que tu ne le crois...

En effet, seule une petite poignée d'années nous séparaient. Je pus à peine le croire tant il me semblait lisse, élastique, neuf, exempt de rides, de plis et d'écorchures.

 

Je me souviens de son corps nu dressé devant le mien. De sa peau luisante, de son torse imberbe, de ses yeux d'amandes amères, de sa bouche charnue ouverte sur ses dents.

Au plafond le ventilateur brassait poussivement un air lourd. Essoufflés, en sueur, cheveux collés aux épaules, nous nous regardions. Il allait pour la première fois entrer en moi et je souhaitais fixer cette seconde fugitive après laquelle, quoi qu'il advienne, rien, entre nous, ne serait plus tout à fait pareil.

Malgré les embrassades et les caresses, nous étions encore étrangers l'un à l'autre. C'était son sexe dans le mien qui totalement nous unirait.

 

Je me souviens du repas au crépuscule. De notre envie de bonne nourriture pour que la fête soit complète. Des plats que nous picorâmes à même les assiettes et de ses gestes familiers. Etrange impression que ce dîner n’était pas le premier mais le suivant d’une longue série. Qu’avec cet homme je partageais déjà une intimité alors que nous nous connaissions à peine.

Je me souviens de ses pieds effleurant mes mollets sous la table, de son bras courant le long de mon dos. Gestes de rien qui avouaient tant. La tendresse comme la nécessité d’être proches, le désir comme les promesses d’une nuit blanche.

En sortant du restaurant, il m'enlaça. Puis, me lâchant, prit ma main. Moi, si prise j'étais, ce fut au dépourvu, poignet tout raide d’étonnement. Je faillis m'écarter de lui, repousser son étreinte, m'en débarrasser comme d'un geste incongru.

- Tu n'es pas obligé, tu sais.
Ces premiers mots qui me vinrent à l'esprit, je les ravalai avec ma salive. Il ne les aurait pas compris, ils l'auraient peut-être blessé. A l'inverse, je me comprenais très bien. Et ce qu'à cette minute je comprenais de moi me déplaisait. Me peinait, même. 

Alors, levant à mes ombres un invisible majeur en forme de doigt d'honneur, je m'accrochai à sa main et la serrai pour murmurer :

- Rentrons.



Visage ange 2Je me souviens lui avoir confessé qu’il me rappelait Feu mon amour. Sans lui préciser, bien sûr, ce que cet homme représentait à l’époque pour moi. Ni qu’il m’avait déchiré le cœur comme du papier à cigarette.

Feu mon amour était un métis indonésien, même si, en lui, l’Asie ne se devinait qu’à peine. Sur le visage de "mon" samouraï ce pays éclatait en héritage de ses ancêtres qui en étaient les fruits.

A le voir, sa filiation n’était néanmoins pas évidente. Elle pouvait aisément se confondre avec la peau blanche du Japon, son nez fin et ses hautes pommettes rondes.

Comme Feu mon amour, d’Indonésie cet homme avait au final si peu : ni vraiment le physique, ni la nationalité, ni la langue. S’il en connaissait quelques mots, ceux-ci étaient juste suffisants pour communiquer au plus simple, trop pauvres pour tenir une conversation.

 

Bien qu’ayant plusieurs fois observé ce phénomène, jamais je ne l’ai compris. Pour quelles raisons les parents issus d’ailleurs n’apprennent-ils pas leur langue maternelle à leur enfant ? Craignent-ils qu’il ne s’intègre pas, ou moins bien, dans le pays d’accueil ? Pourquoi se forcer à parler à la maison un langage mal maîtrisé, lorsqu’un autre, immédiat, dense et riche, est à disposition ?

Cette résistance coule d’elle-même si la langue est synonyme d’oppression, d’acculturation, de résistance à un pouvoir honni. Mais sinon… Pour moi, surtout à l’étranger, ma langue est ma patrie, la marque de mon identité comme l’empreinte de ce qui m’a forgée, ma nourricière et exigeante maîtresse, le sein gorgé de lait contre lequel je me blottis quand tous mes repères se sont enfuis.

Alignés, les mots sont la terre que j’habite, parfois à mon insu, définissant autant ma vision du monde que les méandres de ma psyché. Qu’on m’ôte ma langue et me voilà amputée à la fois d’un sens et de mon histoire.

Alors, pourquoi, en priver ses enfants ? Leur interdire cet accès à eux-mêmes comme à leur passé ?

Mon pirate ne paraissait pas s’en préoccuper davantage que Feu mon amour. Mais moi, mue par un élan aussi inutile que déplacé, j’en souffrais pour eux.

 

Tendresse particulière 2Je me souviens de cette douche que nous prîmes ensemble. En pleine nuit, mêlant les éclats de l'eau à ceux de nos rires. Des trombes glacées qui nous submergèrent, têtes renversées, liquidant dans leurs rigoles les traces de notre étreinte. De sa paume sur mon sein tendu, de ses doigts sur mes hanches.

J'ai oublié, en revanche, les mots chuchotés qui ravivèrent notre désir. Sous les cataractes nos lèvres se scellèrent. Baiser tendre et violent comme une source, le jet d'une cascade heurtant des rocs en contrebas pour serpenter entre les herbes.


J'enserrai sa taille entre mes cuisses. Et, appuyée contre la porte branlante, faillis tomber. Nous en pouffâmes, sortîmes de la salle de bains et nous jetâmes sur le lit.

- Partageons la serviette, proposa-t-il.

J'approuvai sans l'utiliser pour moi. C'était son corps que, de la tête aux pieds, je voulais sécher afin de mieux m'y couler.

- Mais tu es trempée !

J'éclatai d'un hoquet sonore. A réveiller nos voisins qui, à moins d'être sourds, ne dormirent de toute façon pas cette nuit-là.

 

Je me souviens aussi du lendemain. Du réveil qui, nous tirant d'un sommeil paisible, sonna trop tôt car il devait partir. De ce petit-déjeuner que nous prîmes au restaurant de ma guesthouse. Des clins d’œil égrillards que m’adressèrent le serveur et le patron en me voyant accompagnée. De la traversée de la plage, chargés de ses sacs – à lui le gros, à moi le petit -, sous un soleil déjà brûlant. De notre attente sous une pauvre cahute en bois, tournés vers la ligne d’horizon.

Ce paradis jaune et bleu ne se gagnait qu’en chaloupe à moteur. En retard ce matin-là, elle différait d’un peu le départ de mon amant tout en le plaçant dans une situation critique. Un long trajet lui restait avant l’avion qui le déposerait à Bali, où sa cousine se mariait.

Bali… Un lieu enchanteur que, fatiguée, j’avais exploré sans enthousiasme. Une autre île loin de notre enclave malaisienne et si loin de moi qui souhaitais le voir rester. Bien sûr, je me tus. Je savais les règles du voyage comme des nuits sans lendemain, aussi belles fussent-elles. Et d’autant plus belles, peut-être, qu’elles sont justement sans lendemain.

Yeux arrimés à la ligne changeante des vagues, je croyais tout savoir en ne sachant rien. Ainsi que me l'écrivit Ordalie au sujet d’un autre homme, mon samouraï ne devait être qu'une "étoile filante de plus" sur mon parcours.

Aussi fus-je surprise lorsqu’il m'envoya de ses nouvelles. Très vite, puisque de notre paradis je n’avais pas encore été chassée.

 

Visage ange 3Mon retour en France bouleversa la donne. A dix pieds sous terre après avoir tutoyé le ciel, je me fis silencieuse. Invisible. Abonnée absente d’un échange à sens unique.

Mon samouraï s’enquérait de moi. Je l’ignorai. Peut-être parce que les hommes croisés au paradis, lors de jours bénis, ne doivent pas traîner leurs pieds dans la boue.

 

Un jour, en réponse à un de ses ultimes mail, je crachai. Mon désarroi, mes interrogations, ma peine et ma rage. Même pas en forme de bouteille à la mer, puisque je n’espérais aucune retour.

Un an auparavant, Feu mon amour me l’avait bien signifié. Il ne m’aimait pas. De fascinante et admirable j’étais devenue un nid à problèmes, un encombrant ballot qu’il convenait de débarquer sur la route. Sous ses doigts, conjointement à la maladie, la Dominatrice s’était muée en fille perdue, à la recherche de son identité de femme.

Il ne désirait toutefois pas rompre. Notre histoire, nous pouvions la poursuivre si.

Si je regagnais ma légèreté. Si je n’attendais pas grand-chose de lui. Si je ne lui réclamais pas davantage, à commencer par son soutien.

 

Ce fut ma fierté qui se révolta. Bien qu’à terre, je refusai autant ses sentiments au rabais que le sacrifice de ma personne. Tel un animal sauvage se rognant une patte pour s’extraire d’un piège, je le quittai.

La liberté, son champ de bataille et ses ruines plutôt que la mort à petit feu.

La possibilité de me regarder au matin dans la glace, forte de ne transiger ni avec mon attente, ni avec mon désir d’être respectée, voire aimée pour ce que je suis, avec les paroles d’Ether volant à mon secours dans les moments de doute :

- Mieux vaut une grande douleur que mille petites au quotidien additionnées.

C’était évidemment mon amie qui avait raison. Et ces mots martelés tandis que, parfois, je flanchais furent mon phare dans la tempête.

 

Ces mois au fond du gouffre laissèrent toutefois des traces. Majorèrent encore ma peur de me livrer, appuyée un an plus tard par un mauvais bilan médical. Il me positionnait trop en avance sur le calendrier, ironie suprême pour moi toujours en retard.

Malgré mes seins, ma vulve et mes fesses, mon statut de femme encore se fissurait. Avouerais-je à un homme la vérité, alors limitée à celle de mes ovaires, que je me condamnais à l’abandon.

"Nid à problèmes", m’avait souffletée Feu mon amour.

"Infirme indigne d’être aimée", avais-je aussitôt transcrit.

Ether s’employa à briser dans mon esprit cette relation de cause à effet. Sûrement trop fort, trop vite, car il me fallait du temps. Beaucoup. Le temps de la cicatrice recouvrant la plaie et du regard bienveillant d’hommes qui de ma stérilité se fichaient.

Mon pirate de Malaisie fut un de ceux-là. A ma grande surprise, puisqu’à tort je l’avais agrégé à Feu mon amour.

 

Visage ange 4Par retour immédiat de mail il me répondit. Choqué de ce qui m’arrivait et m’offrant son aide. Si je le désirais, il jonglerait avec son travail pour attraper un train direction Paris. Passerait quelques jours à la maison pour me soutenir, sans demander quoi que ce soit en retour.

Son message me fit pleurer, telle une enfant derrière mon écran, à si gros bouillons que je finis par m’interroger :

"Mais dans quel monde m’étais-je donc emmurée ? Un qui n’accorde qu’une place aux forts et dont les faibles sont balayés ?"

Je ne vivais pas moi-même selon cette loi. Alors, au nom de quelle magie perverse supportais-je ce joug en endossant plus que ma part ? Pourquoi la simple marque d’une bienveillance masculine me faisait-elle m’effondrer, égarée et reconnaissante au point de ne savoir que balbutier, tenaillée par l'envie de m’effacer ?


Lui, l’inconnu indonésien, me témoignait davantage d’attentions que Feu mon amour. Désabusée, je conclus que la raison tenait en cinq mots : il ne me connaissait pas.

Voilà. Cet homme-là ignorait qui j’étais. Pour lui je restais la fille d’un coin de paradis, la voyageuse d’une nuit de plaisir sur fond d’air lourd brassé.

Mon passé tortueux, mes zones d’ombres comme mon pessimisme lui étaient étrangers. Les eût-il cernés qu’il se détournerait de moi qui embaumais le malheur, la maladie et la mort, suintant la merde de tous mes pores.

Inévitablement car il était trop lisse, trop beau pour une fille si cabossée. Trop optimiste et vibrant alors que j'avais élu domicile sur un autre continent. Au figuré puis au propre, des milliers de kilomètres achevant de nous séparer.

 

Je cessai du coup de lui répondre. Malgré mes efforts d'incivilité, durant des mois il s’obstina, déposa dans ma boîte des mails n’exigeant aucune réciprocité. Parfois ils étaient courts, me demandant juste de mes nouvelles. Parfois plus longs, m’informant des siennes qui ricochaient sur le vide de mon silence.

Les larmes aux yeux, je savourais pourtant chacun de ses messages. Remuée mais en apparence indifférente, comme je sais si bien le faire. Ebauchant dans ma tête des phrases d’explications et d’excuses en me sentant coupable, vilaine de penser autant à lui sans rien laisser filtrer, si lâche de laisser le temps couler, guettant le moment où il se lasserait pour me donner raison : je ne méritais pas son attention.

Je finis néanmoins par me manifester. Au compte-gouttes, selon mon humeur et mes disponibilités en m’inventant des impératifs. Ses mots avaient beau me toucher, j’avais le sentiment que nous ne parlions pas la même langue.

Ce samouraï-là n’avait jamais vraiment aimé. Ses histoires de cœur ? De simples passades sans engagement desquels il s’extrayait, tête haute et rupture propre, une fois que l’ennui le gagnait.

Jamais brisé ni secoué de fond en comble, il menait une existence apparemment tranquille. Nul événement ne le forçait à tout remettre à plat. Nulle tempête ne perturbait son ciel dégagé. Celui-ci s'encombrait-il de nuages qu’il s’employait à les amoindrir, affirmant qu'il n'y avait là aucune gravité. Des contretemps tout au plus.

Pour cette force et cette tranquillité je l’enviais, me sentant par contraste rejetée sur la lande du doute. A lui la mer d’huile, à moi l’océan démonté, à hue et dia des émotions me saisissant aux tripes, pauvre jouet de ma boussole interne affolée au moindre tremblement.

 

 

Lui et moi n’étions, ce me semble, pas constitués du même bois. Le mien était friable, le sien imputrescible, résistant aux tempêtes contre vents et marées. Il était solaire, moi lunaire, gonflée de cratères et de croûtes. Aussi, lorsqu’il me proposa de le rejoindre au Japon où il se rendait en semi-vacances, hésitai-je longuement.

Etais-je prête à le revoir ? A confronter son image d’idéal à la réalité ? A courir le risque que notre nouvelle rencontre ne se termine en désillusion ?

Et si tel n’était pas le cas, que ferais-je donc, engagée dans un nouvel amour, peut-être non partagé, à l’autre bout du monde ?

D'ailleurs, pourquoi me proposait-il de le rejoindre ? Campais-je, à ses yeux, la fille facile qui agrémenterait son voyage ou la femme qu’il désirait vraiment revoir ?

En pleine confusion, j’écrivis à Ether pour solliciter son avis. Elle me conseilla de renoncer, ce que je fis avec autant de soulagement que de regrets, cœur éparpillé, un peu amoureuse de cet homme d’Indonésie et de Hollande.

 

 

Visage ange 5Il y a quelques jours, je lui levai le voile qui me protégeait pour évoquer mes fêlures, consumant une nuit entière à mon clavier.

"La deuxième que je passe à tes côtés", tapai-je au petit matin, stupéfaite, une fois ma porte déverrouillée, de tomber sur la fille de madame Figueras balayant les feuilles mortes du jardin.

Cette rencontre d’aube fut comme le choc de deux mondes. Celui des ténèbres et de la lumière dont je sortis vaincue, apposant pour dormir un masque sur mes yeux.


Quelle que soit la réponse de ce samouraï, je suis certaine qu’elle viendra. M'agrippera peut-être par surprise, larmes aux paupières, alors que je m’y attendrais le moins.

Ne jamais sous-estimer un ange tombé du paradis.

Douce et paisible nuit à tous.

 

 

Photos, respectivement : Pierre Molinier, Brassaï, Kurt Hutton,

Jean-Claude Maillard, Cornelie Tollens.

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Lundi 16 août 1 16 /08 /Août 07:55

Apres la pluie 7Le lendemain, en journée, j'eus des nouvelles de Stefan. Il aurait souhaité me voir en soirée mais n'était pas libre.

Dès le crépuscule, des cascades d'eau s'abattirent sur la maison. Je me repliai frileusement au salon en redoutant une coupure d'électricité. Depuis une semaine, celles-ci arrivaient à la nuit tombée, rendant la terrasse impraticable et m'obligeant à allumer des bougies pour me déplacer d'une pièce à l'autre.

Souvent elles ne duraient pas, mais leur longueur était imprévisible. Elles pouvaient tout aussi bien prendre fin en dix minutes comme se prolonger jusqu'au matin, me privant d'air pulsé pour rafraîchir la nuit.


Il y eut soudain un grand clac. Les pales du ventilateur se mirent à tourner au ralenti. Les plafonniers s'éteignirent. Je tâtonnais dans le noir profond pour trouver mon portable. La mince lueur de son écran me permettrait d'arriver jusqu'aux bougies, à côté de l'évier.

Sous mes doigts l'appareil trembla.

J'avais un nouveau message. Stefan qui me parlait d'enfourcher sa moto. Qui se désolait qu'il pleuve à verse, en une désagréable réédition de la veille où il revint trempé au bercail. Avec ses amis, il logeait à quelques minutes de ma maison. Et d'ici à la ville, il y avait une demi-heure de route, largement de quoi rentrer sans une once de peau sèche. De quoi, aussi, avoir un accident sur les routes glissantes.


Le supposant loin puisqu'il avait une soirée de prévu, je lui souhaitai un bon retour. Etonnée, toutefois, qu'il m'informe de ses déplacements. Un bref instant le doute me chatouilla :n'avions-nous vraiment pas rendez-vous ? N'y aurait-il pas un malentendu ?

Ma réponse à peine envoyée, je me traitai d'imbécile.

Si Stefan me donnait toutes ces précisions, n'était-ce donc pas qu'il projetait de se rendre... chez moi ?

La lumière se fit dans ma tête comme au salon. Sans crier gare, le courant s'était en effet rétabli, m'éclaboussant d'une clarté trop franche. Téléphone en main, je papillotais des yeux perchée tel un échassier au milieu du salon.

Au message suivant, il me demanda où se situait la maison. Je proposai de l'appeler pour en parler de vive voix. Même pour qui connaît le coin, elle reste difficile à trouver.

Il accepta. Je détaillai la route à prendre, lui parlai du portail bleu, du sari-sari des Figueras et de ses bancs rouges.

- D'accord.

- Quand penses-tu arriver ? questionnai-je en glissant un regard sur la pendule.

 

Déjà onze heures et j'étais fatiguée de la veille comme de ma journée. La réponse de Stefan me stupéfia. En fait, il ne comptait pas venir.

- Quoi ?? me retins-je de crier.

Cet homme voulait savoir où j'habitais. J'avais passé dix minutes à le lui expliquer, sans qu'à aucun moment il ne m'interrompe.

Et tout ça pour quoi ? Pour qu'il me dise "non merci" !

Moi qui croyais connaître la large palette des comportements masculins, je n'avais rien deviné, rien pressenti. Je devais à présent y ajouter une couleur, mais laquelle ? Jaune tiédasse ou vert fumasse ?

Partagée entre colère et fou rire, je pensai :

- Tu devrais voir ta tête...

Ce que je fis dans un miroir, sourcils levés en virgules et bouche arrondie en point d'interrogation.

 

Après la pluie 8Une heure plus tard, je bavardais avec Ether lorsqu'un ultime texto déboula.

- Ton téléphone a sonné, me fit remarquer mon amie à dix mille kilomètres de distance.

- Mmmh. Tu as raison. Attends deux secondes.

J'ouvris le message. Stefan y évoquait mes placards parisiens. Agacée, je l'effaçai sur le champ. 

En retrouvant mon lit, je songeai qu'en matière d'hommes, on est rarement au bout de ses surprises. Et que finalement, mieux valait ça que l'inverse.

 

Le jour d'après, j'étais attablée avec Bertille à notre repaire de la plage. Elle eut droit à la primeur de l'histoire. Ouvrit de grands yeux et hoqueta de rire.

- Et tu t'es couchée... comme ça ?

- Ben oui. Que voulais-tu que je fasse ? Le traîner chez moi par la peau du dos ?

Au fil de nos papotages, nous élaborâmes un nouveau concept de séduction : l'effet d'annonce déçu, alias le "oui d'accord mais". Dire à l'autre ce que, de plein gré, on aurait pu faire, juste pour lui préciser qu'on ne le fera pas. Le tout suivi d'un merci ou d'un désolé, avec un "à la prochaine" en option.

Nous en étions là lorsque mon portable bipa.

- C'est lui. Il n'a trouvé ni portail bleu ni bancs rouges sur la route.

- Ah ah ! s'esclaffa Bertille. Monsieur honorait donc votre non rendez-vous... avec vingt heures de retard !

Et tandis que mes lèvres prononçaient "je renonce", mes doigts tapotaient : "rejoins-nous."

 

Il s'exécuta, en apparence sûr de lui avec sa haute taille, ses traits réguliers et ses iris océan. Alignées en brochettes derrière le bar, les serveuses le mangeaient des yeux. Lui ne semblait pas les voir. Debout face à nous, peut-être souriait-il un peu trop, comme pour masquer sa gêne.

Je lui proposai de s'asseoir, il ne pouvait pas rester.

- Une soirée au programme ? s'enquit ingénument Bertille.

Il ne démentit ni acquiesça. Seuls l'absorbaient le portail bleu et les bancs rouges. Je réexpliquai la route lentement.

- Mais je ne les ai pas croisés sur le chemin, s'entêta-t-il.

- Tu es en moto ?

- Oui.

- Parfait, allons-y. Ensemble.

Je me levai. Il me suivit. Assise derrière lui, je voyais sa nuque se courber et poindre les muscles de ses épaules. Brusque envie de les emprisonner sous mes paumes pour descendre jusqu'à ses cuisses serrées entre les miennes.

Me penchant, je chuchotai à son oreille en effleurant sa peau :

- Et si je te mordais maintenant ?

Il marqua un bref silence.

- Si tu me mords, nous allons tomber.

- Je m'abstiens, alors.

Tenant parole, je songeai que, décidément, ce n'était pas gagné.

Mais que me voulait donc ce garçon ?

 

 

(A suivre)

Photos, respectivement : Jeanloup Sieff et André Kertesz.

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Dimanche 15 août 7 15 /08 /Août 16:46

 

Apres la pluie 5Une table, quelques chaises serties entre des portes rouges… La cour séparant les salons ressemblait à un décor de théâtre. J’y passais le plus clair de la soirée, ne rentrant que par occasion dans la pièce que nous avions louée.

Stefan me rejoignit dehors.

L’heure se faisait tardive, nous flottions dans le bien-être de l’alcool. C’était l’heure des confidences.

Il aimait voyager, était entre deux boulots, sans problèmes d’argent. Aussi lui demandai-je :

- Puisque tu es libre de tes mouvements, pourquoi ne pas partir ?


Son visage eut une légère crispation. Libre, il ne l’était pas tant que ça. Sa petite amie l’attendait en France. Ils s’étaient séparés, rabibochés et s’installaient ensemble à la rentrée. Alors qu’il me parlait de ce projet, je ne décelais aucun élan, aucun enthousiasme particulier. Plutôt l’impression d’une mise en pratique des paroles de la chanson d’Higelin :

« Ce qui est dit doit être fait,

Ce qui est fait était écrit,

C’est comme ça, c’est la vie… »

 

Avec ma manie des questions qui fâchent, je lançai étourdiment :

- Mais tu es amoureux ?

Le silence qui précède la réponse à cette question n’est jamais de bon augure. Le sien dura deux secondes. Deux secondes en forme d’aveu qui, au fond, ne me regardait pas.

Il finit par dire « oui, bien sûr. » Et ce « bien sûr »-là sonnait comme une fausse certitude, de celles qu’on affirme pour se convaincre soi-même, d’autant plus haut et fort qu’on n’est pas convaincu.

Plus tard, il expliqua :

- Ma copine n’aime pas le sexe. Enfin… Elle n’en a pas besoin. Moi, si. Alors je m’occupe d’elle et ensuite, je m’endors.

Je hochai la tête pour signifier que je comprenais. En vérité, je comprenais de moins en moins.

Au cours de ces dernières années, j’ai croisé plusieurs hommes englués en couple avec des femmes n’ayant pas les mêmes besoins. Ne les désirant pas, ou plus. S’acquittant du devoir conjugal seulement quand il s’avérait nécessaire. Sans plaisir, sans joie, dans le noir, à la va-vite.

« Prends ça et fiche-moi la paix jusqu’au mois prochain. »

Dorian et Andrea en faisaient partie. Feu mon amour aussi, sauf que lui était célibataire. Et je savais, pour les avoir vues chez ces hommes aimés, les lézardes à l’estime de soi que trace le manque d’envie de l’autre. Les entailles que creuse son manque d’attention. Les blessures lorsqu’il ne vous regarde plus, ou plus vraiment. La cuisante brûlure d’être ravalé au rang de meuble, d’objet du quotidien dont on use avant de le remiser au placard.

Quand le mal au sexe devient mal à l’âme, les lignes de faille sont difficiles à combler. Impossibles, même, par une fille rencontrée en terre étrangère, dans un décor de comédie entre des salons de karaoké. Une fille qui, ravalant sa langue, se contentait d’approuver.

 

Plus tard encore la discussion dériva sur mes placards parisiens. Sur ce que j’y avais prélevé pour ma nouvelle vie et surtout laissé. Trop frileuse pour passer les douanes avec un sac bourré de joujoux aux formes étranges. Trop soucieuse de me fondre dans la masse des aéroports sans biper sous tous les portiques.

La seule fois où l’on m’arrêta fut à Manille. Je transportais un long couteau de plongée dont la lame fit sursauter le préposé aux rayons X.

- Are you planning to kill somebody ? m’interrogea-t-il, soupçonneux.

Je rétorquai avec mon plus beau sourire:

- Oh, no, sir… I’m planning to dive.

Signe de la main en laisser passer pour l’autre côté.

Je franchis l’obstacle en pouffant. Si vraiment j’avais prévu de tuer quelqu’un, croyait-il que je le lui avouerais comme ça, juste parce qu’il me posait la question ?

 

Lorsque je me penchai pour reprendre mon sac, il s’ornait d’un téléphone.

- Le mien, me dit Stefan. Je voudrais que tu me laisses ton numéro.

Ce que je fis, pensant peut-être n’avoir aucune nouvelle de lui.

Je me trompais.

Coincée avec Bertille sous la pluie, j’entendis mon portable sonner. Un message de lui.

Il se disait prêt à me rejoindre chez moi. Sauf que je n’y étais pas. Qu’il était abominablement tard. Que je n’avais cette soir-là aucun goût pour une étreinte vite conclue.

« Savourer… pensai-je. Voyons si ce désir dure jusqu’à demain. »

Je tapotai en retour :

« Une autre fois. Passe une bonne nuit. »

Me calant sur le siège du camion, je me retournai vers la route. Elle avait déjà disparu dans la buée.


 

(A suivre)

Tableau d'Edward Hopper.

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Samedi 14 août 6 14 /08 /Août 13:20

Après la pluieNous étions en rase campagne. Quelques mètres plus loin, un réverbère bancal volait un triangle de lumière aux ténèbres. Bertille tourna la clef de contact. Le camion eut un nouveau soubresaut, un chuintement de moteur en forme de protestation et s'immobilisa au ras du fossé. La pluie dégoulinait sur les vitres, trempant les sacs et le carton que j'avais déposés à l'arrière.

- Et merde ! s'exclama Bertille en frappant le volant.


Trois heures du matin et nous étions en panne.

La situation n'avait rien de drôle. J'éclatai pourtant de rire. Avant de partir, Bertille et moi avions plaisanté sur le contenu du camion. S'il nous arrivait le moindre souci, nous avions ses deux sièges pour dormir, un parapluie et mes courses : une poêle à frire, une casserole, une théière en fer blanc, de l'eau, du jus d'orange et de la nourriture à foison.

Peu à peu l'habitacle fut envahi de buée. Nous ne voyions même plus la route à travers les vitres.


- Ouvre la boîte à gants et passe-moi la chiffonnette, veux-tu ?

La chiffonnette... Le mot me fit sourire. Au moins quinze ans que je ne l'avais entendu. Mais avec Bertille, je n'étais jamais au bout de mes surprises. Son accent du Sud me rappelait des expressions oubliées, me chantant par sa bouche des mélodies anciennes, égarées dans une autre tranche de vie.

 

Je lui donnai la chiffonnette. Et, alors que la route réapparaissait devant nous, avec son cône de lumière artificielle, ses lances de pluie et sa rangée d'arbres noirs, je remontai le cours de la soirée.

Jamais je n'aurais dû me trouver là. Bertille non plus, à vrai dire.

Ce jour-là comme trop souvent, c'était dentiste à la ville. Un texto me cueillit tandis que, main appuyée contre ma joue douloureuse, je remontais la rue. Bertille m'invitait à la rejoindre.

Sitôt dit, sitôt fait. Je me jetai dans un tricycle qui ne connaissait pas le café du rendez-vous. A la place, il voulut me débarquer au pied d'un haut mur blanc.

- C'est ici !

Je scrutai l'enceinte d'un air dubitatif. Elle ne comportait ni fenêtre ni porte, juste un jardinet laissé à l'abandon. Le chauffeur argua que c'était l'arrière du café. Je le priai donc de me conduire à l'avant et tombai... sur une église.

 

 

Une heure plus tard, Bertille et moi dégustions un poisson en terrasse d'un restaurant. C'est alors que le message arriva : une soirée karaoké dans un bar spécialement aménagé de la ville.

- Ca te tente ? me demanda Bertille.

- Pourquoi pas ?

Aux Philippines, le karaoké est une institution. Il paraîtrait même qu'on ne puisse tout à fait s'intégrer sans la goûter de temps à autre. Puis venir ne signifiait pas forcément participer...

 

 

Après la pluie 4Si je me mettais au micro, combattant la timidité qui en ce genre d'occasions me paralyse, le ciel lourd aussitôt se crèverait, déversant sur nous des trombes vengeresses.

Trop faux, à contretemps, pas en rythme... je n'ai hélas aucun talent pour pousser la chansonnette, ce qui n'a aucune importance pour ces soirées. Le sel en est l'amusement, pas la performance. Malgré tout, je préfère regarder les autres prendre du plaisir en marmonnant dans ma barbe les paroles qui défilent sur l'écran.

 

A notre arrivée, le petit groupe qui nous avait invitées finissait de dîner. Je m'assis en bout de table à côté de Bertille. Face à moi, un bel homme aux yeux transparents, le seul que Bertille ne connaissait pas. Stefan. Français. Plongeur. Fumeur. Aussi, une fois la conversation entamée, nous nous éclipsâmes pour griller une cigarette dehors. 

Une, puis deux, puis trois. Nous prîmes nos aises avec le temps, à tel point que lorsque nous revînmes dans le restaurant, tout le groupe avait disparu. Nous le cherchâmes le long des couloirs, glissant un oeil par les vitres découpées sur les portes des salons privés. 

Ici, des formes vautrées sur les coussins se pelotaient. Là, une fille court vêtue faisait son show, explosant le micro de toute la puissance de ses cordes vocales. Là-bas, un couple enlacé se murmurait une chanson d'amour.

Moments d'intimité volés qui fit Stefan se retourner vers moi. Me regarder et me sourire, déjà complice.


Ce soir-là nous fumâmes beaucoup de cigarettes. 

 

 

(A suivre)  

Photo d'André Kertesz. 

 

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