Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Nous étions en rase campagne. Quelques mètres plus loin, un réverbère bancal volait un triangle de lumière aux ténèbres. Bertille tourna la clef de contact. Le camion eut un nouveau soubresaut, un chuintement de moteur en forme de protestation et s'immobilisa au ras du fossé. La pluie dégoulinait sur les vitres, trempant les sacs et le carton que j'avais déposés à l'arrière.
- Et merde ! s'exclama Bertille en frappant le volant.
Trois heures du matin et nous étions en panne.
La situation n'avait rien de drôle. J'éclatai pourtant de rire. Avant de partir, Bertille et moi avions plaisanté sur le contenu du camion. S'il nous arrivait le moindre souci, nous avions ses deux sièges pour dormir, un parapluie et mes courses : une poêle à frire, une casserole, une théière en fer blanc, de l'eau, du jus d'orange et de la nourriture à foison.
Peu à peu l'habitacle fut envahi de buée. Nous ne voyions même plus la route à travers les vitres.
- Ouvre la boîte à gants et passe-moi la chiffonnette, veux-tu ?
La chiffonnette... Le mot me fit sourire. Au moins quinze ans que je ne l'avais entendu. Mais avec Bertille, je n'étais jamais au bout de mes surprises. Son accent du Sud me rappelait des expressions oubliées, me chantant par sa bouche des mélodies anciennes, égarées dans une autre tranche de vie.
Je lui donnai la chiffonnette. Et, alors que la route réapparaissait devant nous, avec son cône de lumière artificielle, ses lances de pluie et sa rangée d'arbres noirs, je remontai le cours de la soirée.
Jamais je n'aurais dû me trouver là. Bertille non plus, à vrai dire.
Ce jour-là comme trop souvent, c'était dentiste à la ville. Un texto me cueillit tandis que, main appuyée contre ma joue douloureuse, je remontais la rue. Bertille m'invitait à la rejoindre.
Sitôt dit, sitôt fait. Je me jetai dans un tricycle qui ne connaissait pas le café du rendez-vous. A la place, il voulut me débarquer au pied d'un haut mur blanc.
- C'est ici !
Je scrutai l'enceinte d'un air dubitatif. Elle ne comportait ni fenêtre ni porte, juste un jardinet laissé à l'abandon. Le chauffeur argua que c'était l'arrière du café. Je le priai donc de me conduire à l'avant et tombai... sur une église.
Une heure plus tard, Bertille et moi dégustions un poisson en terrasse d'un restaurant. C'est alors que le message arriva : une soirée karaoké dans un bar spécialement aménagé de la ville.
- Ca te tente ? me demanda Bertille.
- Pourquoi pas ?
Aux Philippines, le karaoké est une institution. Il paraîtrait même qu'on ne puisse tout à fait s'intégrer sans la goûter de temps à autre. Puis venir ne signifiait pas forcément participer...
Si je me mettais au micro, combattant la timidité qui en ce genre d'occasions me paralyse, le ciel lourd aussitôt se crèverait, déversant sur nous des trombes vengeresses.
Trop faux, à contretemps, pas en rythme... je n'ai hélas aucun talent pour pousser la chansonnette, ce qui n'a aucune importance pour ces soirées. Le sel en est l'amusement, pas la performance. Malgré tout, je préfère regarder les autres prendre du plaisir en marmonnant dans ma barbe les paroles qui défilent sur l'écran.
A notre arrivée, le petit groupe qui nous avait invitées finissait de dîner. Je m'assis en bout de table à côté de Bertille. Face à moi, un bel homme aux yeux transparents, le seul que Bertille ne connaissait pas. Stefan. Français. Plongeur. Fumeur. Aussi, une fois la conversation entamée, nous nous éclipsâmes pour griller une cigarette dehors.
Une, puis deux, puis trois. Nous prîmes nos aises avec le temps, à tel point que lorsque nous revînmes dans le restaurant, tout le groupe avait disparu. Nous le cherchâmes le long des couloirs, glissant un oeil par les vitres découpées sur les portes des salons privés.
Ici, des formes vautrées sur les coussins se pelotaient. Là, une fille court vêtue faisait son show, explosant le micro de toute la puissance de ses cordes vocales. Là-bas, un couple enlacé se murmurait une chanson d'amour.
Moments d'intimité volés qui fit Stefan se retourner vers moi. Me regarder et me sourire, déjà complice.
Ce soir-là nous fumâmes beaucoup de cigarettes.
Photo d'André Kertesz.
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