Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Le chien blanc est maintenant attaché devant ma maison, près de la balançoire. Ses deux autres compères ont été déplacés à l’arrière, derrière les fenêtres de la petite chambre. Aucun abri ne les protège de la pluie qui tombe à verse. Lorsqu’elle cingle le toit, aussi dure que des hallebardes, ses cascades m’éveillent et je pense à eux, retenus dehors par une courte corde, prostrés à même la terre détrempée et tremblants de froid.
L’orage peut durer des heures, toute la nuit et même la journée. Leur silence de pauvres bêtes m’inspire de la pitié, mais que faire ? Dès qu’ils me voient sortir, ils hurlent pour m’arracher quelques caresses.
Hier, je leur portai une assiette de gâteaux rassis. L’arrière-cour était plongée dans le noir. Sans lampe de poche, je prenais garde où je mettais les pieds. Le sol mouillé était glissant, les flaques larges comme de petites piscines, les cailloux aussi coupants que traîtres.
Arrivée près du grand arbre, je crus distinguer une ombre. Je sursautai. Elle poussa un grondement sourd en se rejetant dans l’obscurité.
Un cochon. Bien gros et bien gras, ligoté par le cou et le ventre à un pilier.
Je me doutais de ce qui allait suivre. Lui lançai tous les gâteaux et repoussai la porte de chez moi.
A six heures et demi ce matin, ses cris me tirèrent brutalement du sommeil. Les hurlements d’un cochon qu’on égorge sont épouvantables à entendre. Ils giclent dans l’air tels des spasmes de sang chaud, saturent l’espace de leur désespoir, montent, descendent, s’arrêtent pour repartir dans les aigus et se briser dans les graves. Braillements terribles et presque humains, faiblissant à mesure que la vie s’échappe en rigoles de leur cou béant.
Je ne voulais pas les entendre. Pas imaginer la scène se déroulant à quelques mètres, la bête agonisante et les hommes aux bras éclaboussés de sang.
Je me bouchai les oreilles. En vain. Les beuglements étaient si assourdissants que j’avais l’impression d’être tout à côté. Alors, paumes pressées contre mon crâne, je me mis à chanter, de plus en plus fort.
Dix minutes et il n’y eut plus que le silence.
Je repensai au petit-déjeuner d’un dimanche. A l’aube le cochon de l’arrière-cour avait été tué. Sur ma terrasse je mangeais du bacon, avec pour vue immédiate une grande bassine en fer blanc. De ses bords dépassaient un ventre rond et des pattes roses bizarrement tordues, comme si l’animal, retourné, creusait la terre pour s’y enfouir.
Une grande fête avait suivi. Celle de ce soir se prépare. Dans le jardin fleurissent les chaises en plastique, sur les tables les bouteilles de bière. Des enfants jouent aux billes sur le gazon humide. Une petite fille étrangement chauve marche empêtrée dans sa robe rose.
Moi aussi je suis invitée, mais à vrai dire, je n’ai pas très faim.
Tableau de Francis… Bacon.
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