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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Vendredi 24 septembre 5 24 /09 /Sep 20:31

Promesses d'aubeUne bière à la main, Gabriel se cale dans son fauteuil. Le rectangle vierge de la page d’accueil de Google attend ses ordres.

Il hésite.

 Fugitive vision traversant sa conscience, sa secrétaire Kim apparaît, sanglée dans son tailleur. Sans réfléchir, il tape le mot d-o-m-i-n-a-t-i-o-n. En réponse, un article dans une encyclopédie en ligne, des liens vers des forums, des écrits théoriques.

Rien de bien excitant.

 

En milieu de page, un mot éveille son attention : « maîtresses ». Le terme le hérisse. Il fait salle de classe, banc dur et vieux buvard.

« Et puis quoi encore ? , se rebelle-t-il. Je ne suis ni un gamin, ni un chien qui rentre à la niche ! »

Maîtresses… Le mot l’attire, néanmoins. Il évoque les règles, les contraintes, les punitions. L’ordre face au chaos. Ce avec quoi on ne transige pas.

« Pourquoi pas, après tout ? Voir de quoi il retourne ne coûte rien… »

Gabriel active le lien, tombe à sa grande surprise sur un annuaire. Des identités de dominatrices défilent en un vertigineux catalogue d’obligations à remplir, de sévices à venir, d’humiliations à subir.

Certains noms, originaux, se veulent lourds de promesses : Messaline, Phryné, Von Bathory.

D’autres, banals, se résument à un prénom sans rien d’évocateur : Sylvie, Elsa, Judith.

Gabriel s’esclaffe devant un « Maîtresse Chantal » incongru. La tante qu’il déteste surgit en charentaises, le cul lourd, le crâne hérissé de bigoudis.

 

Une Maîtresse Grisélidis attire son attention. Grisélidis… Cela coule en bouche comme du sang et du miel. La mention « photos exclusives ! », clignotant telle une enseigne de bordel, achève de le convaincre.

Il clique sur le lien.

Une écriture pointue agresse son regard.

« Avertissement : pour accéder à ce site, vous devez être majeur dans votre pays de résidence. »

Il sourit avant de soupirer dix lignes plus loin. Non, bien sûr qu’il ne dévoilera pas l’existence de ce site aux mineurs, qu’il n’utilise pas l’ordinateur d’une société, qu’il entre dans un espace strictement réservé aux adultes avertis…

Allez, assez de prêchi-prêcha. Grisélidis est à portée de clavier.

 La touche « Entrée » le précipite dans un boudoir fin de siècle, tendu de pourpre et surchargé de tableaux. Un miroir à dorures reflète une femme grassouillette, rencognée dans un fauteuil qui peine à contenir ses formes. De partout, elle s’étale, se répand, dégouline.

Ses cuissardes trop étroites cisaillent sa peau en y imprimant une vilaine traînée rouge. Son porte-jarretelles trop serré étrangle son ventre rebondi. Son énorme poitrine déborde d’un soutien-gorge lamé, trop petit de deux bonnets. Ses épaules et ses bras dodus, ornés de gaze vaporeuse, évoquent les jambons suspendus aux étals des boucheries.

Gabriel grimace : loin d’être la sublime créature espérée, Grisélidis ressemble à une papillote accouplée à un sapin de Noël.

 

Promesse d'aube 2Dépité, il retourne à l’annuaire. Songe à éteindre l’ordinateur pour rejoindre son lit. Ridicule d’être encore planté là, alors que demain, une rude journée l’attend. Idiot de se comporter en obsédé, alors que du sexe, il peut en avoir à la maison en s’y prenant bien. S’il avait deux grains de jugeote, il rappellerait sa femme, l’écouterait dévider l’écheveau de ses soucis, l’embrasserait tendrement, l’assurerait que les soirées sans elle perdent de leur saveur.

- Rentre vite, je suis impatient de te voir !


Il exagèrerait, et après ? Alice ne souffrirait que de la vérité, pas de ce mensonge auquel elle adhère comme à une évidence. Et lui, bon époux, se garderait de la détromper.

De toute façon, tous les maris trichent tôt ou tard avec leur femme, et toutes les femmes mentent un jour ou l’autre à leur mari. La transparence absolue, Gabriel n’y a jamais cru. Posséder l’autre jusqu’à la moelle, jusqu’au tréfonds, la belle erreur ! Personne, jamais, ne livre tous ses secrets.

L’imbrication des sexes, la fusion des corps, ça, oui, c’est la vérité. Aveuglante et fugace comme toutes les évidences.

 

En bas de page, un insert braille de toutes ses majuscules : nouvelles Dominas sur Paris !

Clic. Une certaine Alba figure en pole position.

Alba, aube… La sonorité plaît à Gabriel. Elle a des réminiscences de matins au début du monde, d’étendues désertes et de soleil dans l’eau froide.

Il effleure le prénom qui l’emmène à sa rencontre.

Avec la lenteur des rêves, Alba surgit d’une brume de pixels, simple silhouette cambrée sans visage. Un corps menu, bien proportionné. Un buste arqué pris dans un corset. Sous l’effet conjugué des liens, des attaches et des baleines, sa taille fine s'amenuise encore, ses hanches s'épanouissent. Gainée de cuir, sa colonne vertébrale s'allonge, son cou se tend et prend la pose. Hiératique, il s’orne d’une discrète chaîne en argent. Y pendent, accrochés tels des trophées, un cadenas et une clef sertis de diamants.

 

Gabriel avale une longue lampée de bière. Encore, il en veut encore. Dans les menus proposés, il choisit la galerie photos.

En plein écran, Alba à nouveau. Princesse guerrière sanglée de vinyle, le visage dissimulé derrière sa chevelure châtain tombant sur ses épaules nues. La bretelle de sa robe coupe sa peau pâle d’un trait sombre. De longs gants gainent ses bras. Rouge cocotte, plissés sur le devant et ajustés à l’arrière, ils mettent en valeur l’os à peine saillant du coude et la finesse des poignets.

Son annulaire droit est rehaussé d'une grosse bague. Or sur satin, chic absolu. Et, sur les cuisses refermées, l’essence même de la féminité : la lisière de ses bas, complexe ouvrage de dentelles entrelacées de perles multicolores.

 

Promesses d'aube 3Mais quel visage a donc cette femme ?

Il veut le voir. Tout de suite.

Le cœur battant, il fait défiler les photos de la galerie.

Alba de dos, à même le plancher. Alba lovée sur un canapé en cuir, les lanières d’un martinet ondulant sur sa chute de reins. Alba brandissant une cravache. Alba et ses mains graciles sur l’épais manche d’un fouet, ses pieds cambrés dans des escarpins surélevés, ses fesses moulées dans une gaine de laquelle émerge, triomphant, un faux phallus en érection.


Alba assise, tournée, de profil, de trois quarts…

Alba et ses boucles en cascades, Alba et sa cagoule surmontée d’oreilles de chat…

Mais quel visage a donc cette femme ?

 

Gabriel se surprend à murmurer son prénom.

- Alba…

Talisman invoqué pour la faire jaillir du néant virtuel, l’enjoindre à se montrer, se dévoiler à lui pressé de la découvrir.

Mais Alba, sourde son appel, se dérobe.

 


 Les prénoms ont été choisis au hasard. Toute coïncidence avec des personnes existant réellement serait fortuite.

Photos, respectivement : Aaron Joseph Friedlander,

Ellen Von Unwerth, Germaine Krull.

Par Chut ! - Publié dans : Classé X
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