Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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La rivière sombre roule derrière la vitre. Quelques bateaux passent, formes imprécises grignotées de noir.
Ca et là, des lumières.
Phares de voitures sur les ponts reliant les deux berges. Enseignes publicitaires, fenêtres scintillant très haut sur les buildings.
Béton sans âme et lucioles électriques, nuit de grande ville vue d'une chambre d'hôtel.
Nos sacs sont sagement posés de part et d'autre du meuble télé. Celui de Pierrig est rangé, fermé, bouclé. Le mien est ouvert, en vrac, surmonté de vêtements chiffonnés.
Nous quittons les lieux demain, lui plus tôt que moi. Il prend l'avion et moi je reste, mais sûrement dans un autre hôtel. Pas envie de garder cette chambre que nous avons partagée. Si peu mais qu'importe, puisque ce n'est pas le temps qui compte.
Sur le bureau, des bouteilles de bière vides. Un cendrier improvisé rempli de mégots. Des serviettes sales. Utilisés puis jetés... La tristesse de ces objets me serre la gorge.
Nostalgique, déjà.
Mélancolie de ce qui a été, regret de ce qui ne sera pas. Pierrig s'en va et moi je reste. J'aurais souhaité partir avec lui. Avoir une place à ses côtés.
Je n'obtiendrai ni l'un ni l'autre. C'est la vie d'une fille au coeur trop près des côtes, d'une nomade éparpillée entre plusieurs pays, plusieurs hommes. Certains sont des îlots, d'autres des continents. Nul n'est ma patrie.
J'aimerais pourtant, quand la fatigue ou le trop plein me guette, me revendiquer d'un drapeau, d'une bannière, d'un étendard, les hisser dans mon ciel pour crier :
- C'est à ce sol que j'appartiens. C'est à cet homme que je suis liée.
Et me reposer, dormir contre l'humus tiède d'une épaule, me remplir de son odeur d'herbes et de terre. La sieste en plein soleil contre les galets d'une peau aimée.
Nous fumons en silence. Chacun à un bout de la longue baie vitrée, les yeux tournés vers la rivière. Pierrig voit-il le même paysage que moi, ce noir déchirée de jaune, cette encre griffée par la nuit ?
Probablement que non. Il est déjà dans le demain, l'après. Moi, je demeure prisonnière de l'instant et des pensées qui voltigent comme les cendres de ma cigarette.
Après seize heures de train, nous nous sommes présentés, fourbus, crasseux, à la réception de cet hôtel un peu chic.
L'employée a d'abord dit :
- C'est complet.
Puis elle a reconnu Pierrig, a souri et consulté encore une fois son registre.
- Il me reste une chambre avec vue sur la rivière. Vous la prenez ?
- D'accord.
La clef est une carte magnétique. La chambre, une pièce moderne, propre et claire, avec un lit immense. Côté droit ou côté gauche ? Pierrig n'a aucune préférence. Alors j'ai lancé mes affaires au hasard. Elles ont atterri à droite, près du drap de bain plié en orchidée.
Sa serviette drapée autour de la taille, Pierrig est sorti de la douche. S'est assis sur son bord de lit. A posé son ordinateur sur ses genoux. Tapé un texte à frappes nerveuses.
Immobile sur les draps, je contemplais ses vertèbres alignées en une courbe parfaite, les bosses de ses muscles et les creux de ses os. De ses cheveux glissaient des serpentins liquides.
Son téléphone avait déjà sonné trois fois. Sa messagerie devait être saturée de mails.
Oserais-je le déranger en plein travail ?
Oui. Ma paume s'est posée sur son dos pour en parcourir montagnes et vallons. Je m'attendais à ce qu'impatient, il se dérobe, me demande de cesser cette caresse inopportune. Il n'a rien dit. A continué d'écrire, plus vite. Puis ses muscles ont tressailli et, lentement, il s'est retourné.
Je suis aveugle. Je suis étranglée. Je suis entravée. Poignets liés contre les reins, écrasés par mon propre poids. Cuisses attachées, reliées à mon cou par une bride. Une ceinture. Un foulard. Quelque chose que je n'ai pas vu ou qu'il a sorti de son sac.
Je ne peux plus bouger.
Si je sursaute, je suffoque. Et fouillée par ses mains, je sursaute. Et arrosée de gouttelettes d'eau, douchée de mots en geysers crus, je suffoque, bouche ouverte aussitôt comblée par son sexe.
Je sombre. J'étouffe. D'asphyxie. De plaisir.
Je suis son jouet, sa bête à foutre, son réceptacle et son épine. Son esclave, sa complice et son adversaire.
Je ne veux pas jouir.
Ses mains me claquent les fesses. Sa bite me remplit. A l'avant, à l'arrière. Sans ménagements au rythme des gifles, de son souffle, de ses jurons.
Je défaille.
Happée par l'eau noire je vais mourir, m'évanouir mais ressusciter plus forte, plus dure, plus obstinée.
Ses doigts se referment sur mon cou.
Je dévale jusqu'à l'inconscience les spirales des courants, fétu tourbillonnant sur l'écume, jambes repliées contre ses cuisses tendues, eau salée de sa sueur contre eau douce de ma salive.
Je ne veux pas jouir.
Soudain ma gorge se libère. Mes yeux perçoivent de nouveau la lumière et, dans un spasme, son visage penché, l'éclat métallique de ses iris, les rides que creusent à son front son plaisir contenu.
Je suis la soumise rétive qui le nargue d'un sourire. Un sourire qu'il brise de son gland enfoncé entre mes lèvres.
Il jouit.
Pas moi.
De l'autre côté de la baie, la rivière roule ses flots boueux.
J'écrase ma cigarette. Demain Pierrig part et moi je reste.
Lorsque la porte a claqué, je n'étais pas sûre de le revoir.
Dessin de
Wessi.
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