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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Mercredi 4 janvier 3 04 /01 /Jan 13:25

Promesses...

 

 

PartageMi-décembre, Mingus a quitté la maison.

Trop de tensions, de luttes, d'incompréhensions, d'alcool... Le jour des funérailles de ma grand-mèreun sac pendu à chaque bras, j'ai couru sur la route pour le fuir. Bertille, partie en toute hâte de chez elle, est venue me chercher.

Dans le multicab, nous n'avons rien dit. Sûrement parce que, raide comme une momie, j'étais incapable d'ouvrir la bouche. Sûrement parce qu'il n'y avait plus rien à dire.


Une fois sur sa terrasse, j'ai conclu :

- Je ne veux plus, je ne peux plus vivre comme ça.

Mon amie a acquiescé. Elle avait beau apprécier Mingus, son intelligence, son entrain, son exubérance, elle savait combien vivre à ses côtés était épuisant. Combien l'addiction d'un partenaire, même aimé, vous frustre, vous ronge, vous révolte. Combien, entre espoir de le voir s'arrêter et déception de le voir recommencer, elle vous vide et vous étouffe.

Vivre avec un homme dépendant (de l'alcool, des médicaments, de la drogue, peu importe), c'est un infernal ménage à trois dont la femme légitime sort rarement vainqueur.


Le lendemain j'ai pris mon sac, mon courage à bras le corps et le chemin de la villa. Non pour m'y réinstaller mais pour préparer un ballot d'affaires. Mingus, dessoûlé, se tenait immobile sur la terrasse. Son maintien était crispé, son teint de craie, son regard incertain. Désolé, sans doute.

Il a tenté de me parler. J'étais fatiguée des mots qui ne mènent nulle part, des promesses cent fois répétées et jamais tenues, si fatiguée que je n'ai même pas répondu. Hargneuse boule de chagrin, je traversais les pièces au galop militaire. Jetais dans mon sac, pêle-mêle, au hasard, des robes, des flacons, des tee-shirts et des câbles d'ordinateur.

Il a tenté de m'enlacer. J'ai reculé en hurlant :

- Stay away ! Don't touch me !

Son visage s'est brutalement décomposé.

Il a compris. Il a pleuré. Lui si grand se tenait voûté dans mes pas, recroquevillé comme un gosse, paumes jointes sur le ventre en une inutile supplique.

Il était trop tard. Quelque chose s'était cassé sans possible retour ni espoir de réparation. Les restes de ma confiance déjà malmenée. Mes sentiments qui, de désappointement en dispute, s'étaient effilochés. Le respect qu'il n'avait pas su me témoigner surtout en un jour si particulier.

 

Partage 2bisLa semaine suivante je lui écrirais qu'il avait eu le droit à toutes les erreurs, sauf à celle-là. Parce que celle-là me condamnait pour longtemps, toujours peut-être, à me souvenir des obsèques de ma mamie comme d'une violence. Violence de ses mots ricochant sur ma peine, violence de ses cris me poursuivant sur la route.

Mes oncles m'avaient privée de la cérémonie, Mingus du recueillement. Ni hommage ni célébration, juste une fuite honteuse, infâmante, à l'aveugle dans le noir.


C'était décidé. Notre histoire s'arrêtait là. Sur une île des Philippines que Mingus n'aimait pas et n'habitait que pour moi. Dans une villa choisie ensemble un mois plus tôt, tout au bonheur et à l'excitation d'avoir enfin trouvé un vrai chez nous. Deux chambres, un grand salon, une cuisine équipée, une terrasse ombragée de rideaux que j'avais cousus. Du beau, du neuf sertis dans un jardin tropical, avec piscine partagée entre tous les résidents. Un luxe que jamais encore nous n'avions connu et dont nous aurions à peine osé rêver.

Et malgré moi, un hasard, un signe, un de plus, qui s'imposait : j'avais rencontré Mingus à la date anniversaire de la mort de la mère ; je le quittais lors des funérailles de ma grand-mère. Troublantes coïncidences auxquelles je ne pouvais assigner un sens - s'il en est un. Étrange histoire enclose entre deux décès et ne survivant à aucun.

 

Bien qu'à contrecoeur, Mingus avait respecté mon souhait : à mon retour, la maison était vide. Vide mais sale, son sol maculé, ses poubelles pleines, son odeur putride. Sur le carrelage, une coquille d'oeuf éclatée remplie de fourmis. Partout, de la vaisselle, des vêtements, des bouts d'objets désassemblés.

Je m'assis au milieu du chaos. Désespérée mais encore plus furieuse contre cet homme qui laissait un tel bordel dans son sillage. J'avais d'autres batailles à mener que celles du balai, d'autres épreuves à affronter, d'autres chagrins desquels me consoler.

Oui, lui aussi était dévasté. Oui, il avait dû errer pendant mon absence tel un fantôme en rassemblant une à une ses affaires, dérisoires bribes d'histoire éclatée sous ses doigts.

Tout cela, je pouvais le comprendre. L'accepter, non. Parce qu'une fois encore, c'est sur mes épaules que retombait l'obligation de ranger, trier, nettoyer. De mettre de l'ordre, au propre comme au figuré.

Envoyant valser une rangée de bouteilles, je l'invectivais à travers le salon :

- Ne pouvais-tu, juste une fois, me protéger ?

Ce criant chambard sonnait en raccourci beuglant de vérité : debout dans un champ de ruines, charge me revenait de déblayer la merde, de démêler la pelote pour retrouver le fil égaré du sens. Sens de ce que je vivais, mais aussi direction vers laquelle tendre, à laquelle aspirer comme une large goulée d'air, un bol de renouveau pour me régénérer moi, mes choix, ma route.

Puisque j'avais eu la force de dire non, j'aurais celle de continuer.


RetrempeeAlors quand tout s'écroule, retourner à l'essentiel.

Aux amis qui écoutent sans jugement ni reproches. À leurs visages, leurs yeux, leurs mots qui reflètent l'amour et la tendresse malgré la distance.


À cet îlot familial, mon demi-frère qui pour Noël dernier me rejoignit en Thaïlande. Fragile et fort, sans certitudes à me souffleter.

Ensemble prendre le temps. Évoquer nos chemins torses, le manque de notre père aussi tyrannique qu'absent, nos leçons-réflexions de vie, notre bonheur d'exister malgré tout et même en vain, nos solutions fabriquées, bout de ficelle-selle de cheval.

Tenir debout quand les fondations ont fait défaut, pas simple, frérot. En rire et parfois en pleurer, mais ensemble, et haut les coeurs.


Aux besoins physiques. La faim qui grandit dans le ventre et nous meut de la couenne aux tendons. Vide à remplir pour enfin s'avouer rassasié. Le sommeil. Dormir, longtemps, encrepetonnée de rêves. Oublier les mauvais pour ne garder que les bons.

Faire fonctionner le corps. Porter des caisses, des bouteilles de plongée. Gauche, droite, avec la peau qui de bleus se marque, les muscles qui tirent, les épaules qui s'endolorissent. Se lever au matin courbatue. Puis à midi, courbatue encore, mais reconnaissante de ce corps si vivant.


Au désir. La plongée d'abord. S'enfoncer portée par les couches d'eau successives, ne plus lutter mais faire corps d'une âme liquide.

Le sexe, pourquoi pas. Se coucher rompue et se lever ogresse. Contempler la poitrine nue d'un homme et, sans crier gare au détour du chagrin, le désirer violemment. Baiser peut-être, sans lui demander son nom. Peu importe, puisque demain il sera parti.

 

À la futilité. S'acheter des oreillers de plumes légères comme des baisers pour dissiper les cauchemars. Des lampes, des bougies pour illuminer la nuit, phares entêtés dans la tempête. Lentement se choisir des chaussures comme on s'élirait une âme. Jamais portée, neuve et candide, toute crissante d'un étincelant vernis blanc.


Surtout, sur tout, museler l'esprit obstinément en marche. La petite voix intérieure qui raille et empoisonne. L'intelligence qui prévoit, décompte, analyse, anticipe. Foin de demain, c'est ma pitance d'aujourd'hui que je réclame.

Se surprendre en agissant différemment de l'habitude, sortir de l'ornière de la routine et renouer avec l'envie.

L'en-vie.

 

Partage 3Proposer ce qui paraît impossible et en retour recevoir un oui, une promesse de partage apaisant la tourmente. S'en réjouir comme d'un cadeau tombé du ciel ou décroché par audace.

Ainsi, il y a trois mois, avais-je réservé un billet aller-retour pour l'Indonésie. Voyage de plongées entre Bali, Komodo et Florès. Mais fin décembre, le désir de tailler la route en solitaire m'avait quittée.


Un matin, je chancelai grandie d'une certitude : cette aventure de mers, je désirais la vivre avec une seule personne de cette terre, le Samouraï au visage d'ange rencontré dans un paradis malais.

Peut-être parce qu'en ce pays il a ses racines. Sûrement parce qu'en dépit du temps qui passe, il est toujours là. Présent et drôle, curieux et attentif, ami-amant dont la lointaine présence ne cesse de m'envelopper.

J'ai hésité, très peu. Respiré, très fort. Pensé, très vite, qu'il était temps d'ôter les paravents. D'ouvrir les écoutilles. D'accepter, comme me l'avait suggéré mon demi-frère, d'être vulnérable. De ne plus m'abriter derrière mes peurs, me retrancher derrière mes craintes brandies en autant d'excuses.

Rien, hormis moi-même, ne justifiait une telle frustration. 

Aussi avons-nous rendez-vous un petit matin de janvier à Jakarta.

Sauf vent très contraire, j'y serai.

Mon samouraï aussi.

 

Depuis son départ, Mingus m'écrit tous les mercredis.

Je ne réponds pas.

 

 

 

 

Message personnel à toi, O&C :

je sais que tu vis, as vécu des moments similaires avec ton compagnon. Si jamais tu souhaites en parler, mon mail t'est ouvert. En toute amitié et, bien sûr, sans jugement aucun.


Photos : Robert Laugier, David Salle, Bill Eppridge.

Toile de Gustav Klimt.

Par Chut ! - Publié dans : Mingus, my dutch herring
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Lundi 2 janvier 1 02 /01 /Jan 12:04

HéritageMa grand-mère est morte.

Début décembre, elle s'est éteinte comme elle a vécu : discrètement, paisiblement, presque en cachette. Révérence tirée sur la pointe des pieds, en catimini dans le sommeil d'une vie qui n'en finissait pas. Délivrée, enfin, de son corps torturé et d'un esprit qui depuis longtemps s'était éclipsé.

L'infirmière m'a dit son beau visage calme, presque soulagé. Tandis qu'elle me parlait, je l'imaginais, ma mamie si menue étendue sur un grand drap blanc, mains allumettes sur la poitrine, un crucifix sous ses paumes.


Pour elle le temps s'était arrêté mais son horloge tic-taquait toujours. Coeur mécanique et obstiné, cette pendule carrée trônait dans sa cuisine, lieu de mon enfance, de mon adolescence, de mon âge adulte. Puis elle déménagea avec ma grand-mère dans sa chambre aux rideaux à demi-tirés. Ses aiguilles me soufflaient que là-bas, les heures étaient longues et les minutes précieuses. Et pourtant, à peine étais-je arrivée que je brûlais de repartir, m'échapper de cette province grise malgré ma petite mamie qui lentement déclinait.

C'était seulement pour elle que j'avais pris le train. Pour elle et ce fragile territoire d'enfance qui, à chaque visite, se fissurait davantage. Si craquelé qu'au fil des années, de la peau n'était plus resté que le chagrin, un caillou d'épines me laissant tiraillée, ingrate, coupable.

Coupable d'être trop brusque, trop impatiente. Pas assez petite fille et beaucoup trop grande gueule.

Coupable de ne pas venir assez souvent malgré ses dénégations :

- Tu fais ce que tu peux, ma puce.

Ce que je pouvais, pas vraiment. Ou si, peut-être, incapable de trouver la bonne mesure, le juste équilibre entre ma vie et ce retour à un monde qui, bien que pétrifié, filait inexorablement vers la mort. De chaque visite je revenais titubante, désemparée, comme dépouillée de moi-même. Couche après couche dissoute pour me retrouver à nu, assommée par l'évidence de la douleur, l'inéluctable d'une autre perte.

Ma grand-mère allait mourir et je ne pouvais pas l'empêcher.

Je descendais la moitié de la France en remontant dans ma mémoire. Souvenirs d'un tout ou d'un pas grand-chose, en écho au livre de Bukowski qu'elle avait dévoré.

- Tu lis ça ? m'étais-je étonnée.

- Oui, j'aime bien. Ca me dépayse.

Et j'avais ri, follement, imaginant ma mamie si mesurée, si convenable, en goguette avec Charles dans les bouges, les bars, les ruelles et les lupanars.

 


Héritage 2Elle disait que j'avais un coeur d'or mais un caractère terrible. Une volonté trop dure, un tempérament trop bien trempé pour être vraiment femme, un esprit trop compliqué, trop insatisfait pour être vraiment heureuse.

Elle disait que j'avais au menton la fossette d'un ange. La mâchoire de mon père et les yeux de ma mère. Pâles et perçants, trop lucides peut-être.

Elle disait que je devais m'assouplir, m'attendrir - comme une pièce de viande sur l'étal du boucher, ironisais-je - pour faire avec tout.

"Faire avec tout", c'était son expression.

Toujours composer, ne jamais s'opposer. Faire des compromis au risque de se compromettre.

La paix a un prix. À ses yeux, il était inestimable.

 

Sa vie ne fut pas facile. À l'orée de l'adolescence, elle perdit sa mère puis son petit frère, devenant par la force des événements la seule femme du foyer.

Éduquée ainsi, elle avait vécu comme ça. Le bien-être des autres avant tout. Les tours de corvées dont jamais elle ne se plaignait.

Fourmi affairée en cuisine, au lavoir, au magasin familial.

Mère aimante, deux fils, une fille, trois soulagements après des années sans enfants, taraudée par la peur d'être stérile.

Grand-mère emplie de douceur, de faiblesse et d'amour pour moi, sa préférée.

Épouse effacée, tapie dans l'ombre de son Homme. Grand, droit comme un I, des yeux glaciers dans un visage sévère qui s'illuminait lorsqu'il souriait. Mon grand-père à la gaieté aussi folle que ses terribles colères, mort de mélancolie à l'hôpital. Au décès de ma mère, j'apprendrai ce que la famille m'avait jusqu'alors caché : la "maladie honteuse" parce que psychiatrique dont il souffrait, peu connue à son époque, diagnostiquée trop tard et jamais traitée.

À table, mon papy ne se levait jamais. Quand il bricolait dans le garage, deux volées d'escaliers plus bas, il descendait rarement de l'escabeau. Au lieu de prendre lui-même ses outils, il hurlait le nom de son épouse qui, séance tenante, accourait.

Je trouvais ça étrange, ce patriarche aux pieds d'argile. Je ne disais rien. J'étais trop jeune. Puis mon grand-père est mort et j'ai pleuré. Ma grand-mère aussi, sauf que son chagrin était inconsolable.

 

Elle disait "ah, les hommes !" avec une pointe de fatalisme et d'humour.

Elle disait que j'aurais du mal à en trouver un. Mon fichu caractère, encore. Je répliquais que, de toute façon, je préférais en avoir plusieurs.

- Sacré toi ! qu'elle riait.

Elle me disait de les traiter, eux les hommes, avec patience. Si leurs discours m'ennuyaient, de ne leur prêter qu'une oreille sans toutefois les interrompre. Sûrement les voyait-elle, sans vraiment en convenir, comme de grands enfants. Leurs caprices devaient être satisfaits, leurs envies comblées. Envies de tout ordre à commencer par les sexuelles. Le sexe fort ayant "davantage de besoins" que le faible, il convenait se laisser faire en pensant à autre chose si nous, nous n'en avions pas envie.

Je m'insurgeais contre cette domination consentie. Dans un filet de voix, elle me conseillait d'être plus accommodante. Je me fâchais.

La dispute tournait court.

Impossible de se chicaner avec elle. Elle avait trop de souple bonté. Et appartenait, surtout, à une autre génération, une dont j'ai tenté de gommer en moi l'héritage sans toujours y parvenir. Ne pas exister au travers d'un homme, mais avec. Ne pas me conformer, non plus, aux contraintes encore trop souvent associées à notre sexe.

 

Heritage 3Ma grand-mère tremblait devant ma vie aventureuse. Elle aurait voulu me protéger des coups du sort comme de mes "bizarres idées".

- Elle est pas fixée, ma puce, se désolait-elle.

Ma vie nomade lui donnerait raison.

Pourtant, je voulais être à l'église pour ses funérailles.

Je n'ai pas pu.

Mes oncles ne m'ont pas avertie de son décès. Les soupçonnant d'en être capables, j'avais jadis demandé au directeur de la maison de retraite de me prévenir. Ce qu'il a fait. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'était des obsèques organisées si vite que jamais, de l'Asie à la France, je n'aurais pu revenir à temps.


Rompant un silence de plusieurs années, j'ai appelé Ivan et Eliott.

Le premier a refusé de me parler. Le second, comme à son habitude, s'est noyé dans la vase de ses explications. À l'heure d'Internet, des ordinateurs et autres Iphone, il n'avait, prétendait-il, "pas d'outil informatique à disposition". Puis il fallait bien arranger Pierre, Paul et Jacques, lointains membres d'une famille éclatée. Tout le monde sauf moi, que les deux frères se sont habitués à traiter en quantité négligeable.

Plus que tout une moins que rien, avec cette rage qui m'a étouffée.

Après la colère - ou encore avec elle - est venue la détermination. Poings serrés pour la confrontation, majeur bien tendu.

Mes oncles et moi avons à présent une succession à régler. Et je prendrai face à eux, contre eux s'il le faut, la place qu'ils refusent de me donner.

 


 

Photo de Hans Bellmer et Brassaï,

toile d'Antony Micallef. 

Par Chut ! - Publié dans : Elles...
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Dimanche 1 janvier 7 01 /01 /Jan 11:26

Parce qu'il faut bien commencer quelque part...

 

 

2012 en beautéÀ mes amis de tout près ou de très loin, plus d'une moitié de terre entre nos bras tendus,


Aux hommes de ma constellation, amis-amants, amants-amis, compagnons de mes routes et de mes doutes, de mes coups de folie, d'éclat et d'emmerdes parfois,


À l'amitieux marin des tropiques qui toujours me devine entre les mots, me prolongeant alors que je m'éteins, à notre tendresse entre deux grains de sel et de sable,


À l'armée des ombres qui en silence veille sur moi... avec une pensée toute spéciale pour Ordalie et une grande Dame,


À Stan et Ombre, artistes voisins de plume entre liens croisés,


À ceux qui arrivent ici par hasard et s'attardent, curieux, entre ces pages pour parfois revenir,


À ceux qui les quittent sans avoir trouvé ce qu'ils cherchaient, peut-être déçus, peut-être choqués,


À la vie, l'indicible, l'échevelé, l'impossible,

"Imposez votre chance, serrez votre bonheur et allez vers votre risque."

Bonne année 2012 à tous !

 

 

La citation (arrangée) est de René Char,

la photo d'Ellen von Unwerth. 

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mercredi 2 novembre 3 02 /11 /Nov 16:27

 

Juste avant, il y avait ça...

 

 

 

Bondage UW 4C'est une journée magnifique. Une de bleu philippin intense, à peine rafraîchie d'un souffle de vent. Mingus et moi apportons le matériel de plongée au bord de la piscine. Trois clients de l'hôtel s'y baignent. Ils nous regardent nous préparer. Distraitement, mais avec davantage d'attention lorsque Mingus entoure mon cou d'une corde prénouée.

Combinaison contre maillot, nos tenues éveillent peut-être aussi leur curiosité.

Nous nous mettons à l'eau.

Absorbés par le bleu, nous ne verrons bientôt plus les clients, ni ne saurons s'ils restent à nous guetter.


Je descends dans la zone la plus profonde de la piscine. Le tuyau de l'octopus, quoique plus long que celui du détendeur, ne me permet pas d'atteindre le fond. Batailler contre l'embout qui se tord entre mes lèvres, nager chargée de plusieurs kilos est épuisant.

J'indique à Mingus la partie où j'aurai pied. Il me suit.


Pesant sur mes mollets, une ceinture garnie de plombs. Elle me retient agenouillée sur le carrelage de la piscine. Face à moi, les iris de Mingus pâlis de plaisir, assombris de concentration. Autour de ma poitrine, sur mes côtes, entre mes jambes, dans mon dos, la corde passe et repasse entre les noeuds. Serpents paresseux gorgés d'eau, ses deux bouts libres ondulent à nos côtés.

D'une pression, les paumes de Mingus me tournent et retournent. Il travaille vite, à gestes précis.

Pendant ce temps, je suis le trajet de nos bulles jusqu'à la surface. A la fois absente et lointaine. Ici, dans cette eau tiède et là-bas, sous la voûte du ciel. Dans mon corps et en dehors, flottant comme ces particules en suspension qui, lentement, s'en vont rejoindre le fond. 

Mingus me lie les mains. Ma respiration ne change pas. Toujours calme et profonde tandis que la corde enserre mes chevilles, puis que sa tension m'arque en demi-cercle.

Privée de mouvements, je souris. Me voilà enfermée dans un harnais dont la symétrie souligne mes courbes et déliés, me faisant paraître, comme je le découvrirai par la suite, aussi menue que vulnérable.


Mingus me désigne son octopus. J'acquiesce. D'accord pour partager la même bouteille. Maintenant.

Ôter le détendeur, le remettre, le purger afin de ne pas avaler d'eau... Geste routinier en plongée. Mais cette fois, ce n'est pas moi qui le maîtrise, et cette absence même de contrôle me le rend moins familier, presque étrange.

Mingus enlève doucement l'embout de mes lèvres pour y placer aussitôt le sien. Mon équipement rendu à sa liberté part à la dérive. Par précaution, nous le prendrons avec nous : vu sa carrure, Mingus consomme beaucoup plus d'air que moi, et il n'est pas question de nous retrouver en panne sèche.

Direction la zone profonde. Immobilisée par ma gangue de cordes, je ne peux pas nager. C'est donc Mingus qui m'emmène, me tractant à vigoureux coups de palmes sur toute la longueur de la piscine. Je me fais l'effet d'un poids mort ayant gagné un tour de manège.

Il s'arrête au bord de la haute marche séparant le petit bassin du grand. Encore quelques centimètres, un saut, et la ceinture enroulée autour de mes jambes me fera couler à pic.

Je suis prête.


Bondage UW 6La ceinture a quitté mes jambes pour reposer sur les carreaux bleus. Reliée à elle par une longue corde prise dans mon harnais, je peine à trouver un quelconque équilibre.

Chaque inspiration me projette vers la surface, chaque expiration vers le fond. Même en l'absence de courant ou de vaguelettes, mon corps ballotte de droite et de gauche, tantôt croupe, tantôt épaules en haut.

Impossible, évidemment, d'utiliser mes bras pour me stabiliser.

Concentration. Recherche de mon centre de gravité, les paupières closes pour retrouver la sensation unique de l'eau, l'abandon sans poids ni efforts.


Mingus m'aide en réajustant la corde de suspension. Plus courte, elle restreint d'autant ma liberté, mais me garantit moins de turbulences.

Enfin. Pour quelques secondes ou minutes, j'atteins le point d'équilibre parfait. Celui où toutes les forces et tensions s'annulent. Celui où, bien que captive, je me sens entièrement libre.

Une lueur traverse les yeux de Mingus.

Que lit-il dans les miens ? Sûrement le même éclat, la même satisfaction d'une petite victoire.

Complicité, partage, et une pause pour savourer l'instant.


Le repos ne dure pas, car je sais ce qui va suivre. D'un geste, Mingus me demande la permission de me priver d'air. J'accepte. L'octopus sort de ma bouche pour flotter à mes côtés, si proche et en même temps inaccessible.

Je sais que Mingus me le rendra dès que j'en aurai besoin. Dès que, gauche, droite, ma tête aura exécuté ce bref mouvement qui est notre signal. Ma raison ne connaît pas l'ombre d'un doute. Mais une part enfouie, l'instinct de survie peut-être, résiste encore.

D'ailleurs, peut-être les amateurs de baptême en parachute éprouvent-ils aussi cette forme d'angoisse, cette boule en expansion au creux de l'estomac. Se jeter dans le vide est contre nature. Se couper d'air dans l'eau également. Même assuré des meilleurs garanties, notre esprit ne se laisse ni si facilement convaincre, ni si aisément apaiser.


Voici venu le tour du masque. Bientôt le monde bleu piscine va disparaître. Je risque de perdre mes lentilles de contact. Ce qui signifierait, effarante myopie oblige, qu'avec ou sans masque, il n'y aura de toute façon aucune différence.

La bride se détache de mes cheveux. Dernier regard à Mingus avant que l'eau ne se rue sur mes yeux. Sensation désagréable d'un barrage qui se rompt en pleine face. J'ouvre les paupières. Ne vois rien, hormis une vague forme s'agitant sous mon nez. Le chlore me brûle. Je voudrais me frotter le visage mais mes mains sont attachées. Je voudrais remonter mais suis prisonnière.

Toutes les alarmes de danger cornent à mes oreilles. Une peur animale éclate dans mes tripes, au-delà de la logique et des mots. Terreur primitive déjà éprouvée à Sipadan*, lorsqu'à force de lutter contre le courant, je me suis essoufflée. Suffocation à vingt mètres, avec l'impression - non, la certitude -, que le tuyau de mon détendeur était trop étroit pour me fournir assez d'air. Geste instinctif de vouloir l'arracher pour enfin respirer à pleines goulées. Intense bataille pour forcer ma raison à reprendre le dessus.


Bondage UW 7Si mon corps exigeait de l'air, là, sur le champ, mon cerveau savait qu'en rejetant mon embout, je me noierais. Alors, aggripée à un rocher, j'ai attendu que mon coeur et ma respiration se calment, que mon esprit lentement dissolve le bloc de panique qui m'écrasait.

La lutte encore, juste après. Contre la trouille mal dissipée qui brouillait mes gestes. Contre les tremblements qui m'agitaient jusqu'aux palmes. Contre l'envie de terminer immédiatement cette épreuve. Y succomber, c'était risquer de laisser la peur gâcher ma passion. De ne plus replonger sans craintes, voire de ne plus replonger du tout.

Mon adolescence de cavalière m'insuffla la force de continuer. Sitôt tombée de cheval, sitôt remontée. Mais jamais, je crois, je n'ai été si heureuse de revenir sur le bateau. Comme jamais, pour sûr, je ne fus aussi soulagée de sentir un détendeur entre mes dents.

S'apercevant de ma confusion, Mingus me l'avait aussitôt replacé. 

 

J'étais mécontente de moi, agacée de m'être abandonnée à une panique sans objet, déçue d'avoir perdu mon sens de l'eau, la complicité qui d'habitude m'arrime à elle.

Pourtant, lors de cette session, j'ai beaucoup appris. Sur une réaction inattendue en dépit de ma confiance. Sur ma capacité à malgré tout me dominer. Sur l'importance de ce que, poussés par un excès d'optimisme, Mingus et moi avions négligé : davantage procéder par petites étapes. Être privée de mouvements, d'air et de vue dès la première fois était en effet trop ambitieux.

De fait, les séances suivantes furent plus progressives. J’y gardai par exemple les mains libres. Ma source d’air ne venait pas de Mingus mais de mon propre équipement, ce qui la rendait toujours accessible.

Une part importante de notre travail consista à résoudre mon problème de stabilité sous-marine : tâtonnements avec plusieurs ceintures, différentes répartitions de poids, réglages des longueurs de cordes. Loin de gâcher notre plaisir, ces aspects concrets nous semblèrent autant de casse-têtes ludiques.

 

Avec l’arrivée de la haute saison, la piscine sera bondée. Sans doute devrons-nous interrompre nos séances de bondage. Les clients de l’hôtel pourraient s’offusquer d’un jeu qui limite leur espace de baignade. Un jeu que de plus ils ne comprennent pas, mais dont nous avons heureusement gommé la dimension sexuelle.

- Si quelqu’un s’étonne de notre activité, prétendons un entraînement pour une évacuation par hélicoptère, a suggéré Mingus.

J’ai souri. Le jardinier qui ratissait les feuilles à côté du bassin aussi.

 


* Sipadan ou "the untouched piece of art" du commandant Cousteau : île entourée de superbes sites de plongée, située en Malaisie, côté Bornéo. L'accès y étant limité, il faut au préalable obtenir un permis. 

 

 

Dernière photo : Amano.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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Lundi 26 septembre 1 26 /09 /Sep 16:51

Projet bondage UWLa piscine de l'hôtel est déserte. Tant mieux. Mingus et moi ne souhaitons pas de spectateurs. Notre session d'aujourd'hui risquerait fort de les dérouter, voire de les déranger. Ou de leur donner une fausse idée de la plongée, ce qui n'est pas le but.

Le nôtre est purement ludique, esthétique, expérimental. Égoïste aussi, car il ne vise aucun public.

Un jour, peut-être proposerons-nous une formation, un atelier découverte. Mais ce jour semble si lointain qu'il se perd dans la brume.


Voilà quelque temps que l'idée a surgi. Qu'elle a refait surface au gré de nos échanges. D'abord comme une plaisanterie, un défi de coin de table. Ensuite comme une piste à creuser. Puis, cette semaine, la décision : trêve de discussions, place à l'action.

En l'occurrence, à la séance test de bondage sous-marin.

Depuis notre premier essai en Thaïlande, à sec dans un bungalow de Koh Tao, Mingus s'est découvert la passion du shibari. A lié un mois durant toutes sortes de corps féminins. Les gracieux aux formes esquissées d'adolescente, les plantureux de l'âge plus mûr. 

Moi qui tourne autour des jeux de cordes depuis quelques années, je brûle de découvrir sous ses doigts la sensation de ne rien peser. D'évoluer, libre et entravée, en apesanteur.

À notre connaissance, personne n'a encore jamais vraiment croisé le bondage et la plongée, ni établi de passerelle de l'un à l'autre. Sûrement parce que les adeptes de ces deux disciplines se comptant en petit nombre, leur intersection n'en est que plus limitée.

Peut-être pour des raisons de sécurité, quoique celles-ci ne soient pas si difficiles à résoudre. Chaque jour, d'ailleurs, une foule de gens tentent sans filet des expériences plus périlleuses.

Pour nous, le filet n'est pas en option, mais tant que possible solidement tressé.


Avant de nous lancer, brève recherche Internet. Tout conseil, exemple, astuce est bon à prendre. Sans surprise, les sites pornographiques tiennent le haut du pavé. La plongée s'y limite à une courte immersion, le shibari à un vague ligotage.

Ni art ni recherche, juste du cul à consommer.

Sur un site, une photo attire mon regard. Une femme blanche et nue, potelée, mains encordées dans le dos, allongée sur le ventre dans une baignoire remplie. Coupant ses cheveux, la lanière d'un masque. Entre ses lèvres invisibles, un tuba.

Vision incongrue de deux mondes qui se superposent.

Le cliché me rebute. Il m'évoque le supplice du seau, au cours duquel les bourreaux plongent le tête de leur victime dans un baquet, jusqu'à l'étouffement, la presque noyade. La photo semble d'ailleurs sorti d'un lieu du crime ou d'un rapport de police estampillé "décès loufoques". Echouée face contre la faïence, cette femme figée paraît morte. Je me demande combien de temps, prisonnière, elle est restée là, abandonnée au bon vouloir de son Maître.

Puis, comme souvent, des questions sans importance prennent le relais :

"Fut-elle directement attachée dans la baignoire ?"

"L'eau était-elle tiède ou froide ?"


 

Bondage UW 3Dans notre version achevée, les jeux de liens se dérouleront à moyenne profondeur, en pleine mer.

Mingus m'attachera d'abord le corps. Entrelacs de cordes passant et repassant entre mes seins, sur mon ventre, mes cuisses, ma colonne vertébrale, mes épaules.

Ensuite viendront les poignets et les chevilles, ensemble, dans le dos.

Pour moi, pas de combinaison de plongée mais un simple maillot de bain, sans masque ni détendeur en bouche.

Pour Mingus, un équipement complet. Avec la certitude qu'il me fournira de l'air selon mes besoins. Plus encore que les fils tressés, c'est son octopus* qui, en signe du lien, formera notre alliance.

Pour lui, un travail sur la précision, l'adresse, la rapidité.

Pour moi, sur la confiance, le souffle et l'abandon.

 

Côté poids, nous ne savons pas encore. J'en ai besoin pour me maintenir au fond, mais une ceinture de plomb est inesthétique. Il est par ailleurs exclu que les cordes la chevauchent : en cas de problème, l'un de nous doit être capable de l'ouvrir d'un geste pour me laisser remonter.

Notre préférence ira certainement à des poids fixés à mes chevilles par une boucle. Ou à une corde arrimée à un rocher.

Régler cette question n'est toutefois pas une priorité. Nous voulons d'abord nous entraîner, vérifier le comportement des cordes mouillées et explorer les sensations d'une expérience qui a tout l'air d'un défi.

Qu'est-ce que ça fait d'attacher un corps privé de poids ? De le faire tourbillonner entre ses paumes, d'une simple pression ?

Qu'est-ce que ça fait d'être attachée sous l'eau ? Et sans masque ? Puis sans air ?

 

Voilà les questions que je me pose.

Aujourd'hui elles trouveront autant de réponses.

 

 

* Octopus : source d'air dite "alternative" (ou de secours) reliée, comme le détendeur principal, à la bouteille. Le tuyau de l'octopus et l'embout lui-même sont d'une couleur différente que le détendeur - en général jaune vif - pour être identifié facilement.

 

 

Photo de bondage : Nabuyoshi Araki.

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée
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