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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Dimanche 11 mars 7 11 /03 /Mars 14:55

La musique du texte.

 

 

Attente bisCouchée seule sous la moustiquaire, j'attendais Justin.

Il partait le soir même.

Au crépuscule, un taxi le prendrait devant le dive shop. C'était peut-être celui qu'il avait pensé réserver pour toute l'après-midi. Pour son dernier jour de voyage, Justin comptait sillonner les routes de l'île, voir les rizières en terrasses et faire halte à Ubud.

Notre nuit avait modifié son programme. Ses dernières heures à Bali, il les passerait avec moi. Moi qui l'attendais dans un cottage balinais, porte ouverte et fenêtres à demi closes.


Après trois nuits presque blanches, j'avais quitté sans regrets mon ancienne chambre, ses cloisons de bambou et sa totale absence d'intimité, son matelas aussi mou qu'un marshmallow et son oreiller plus dur que la pierre.

Le jour précédent, je n'étais d'ailleurs pas rentrée. Le matin m'avait cueillie dans les bras de Justin. Rougie de soleil contre la mienne, sa peau était brûlante. Le manque de sommeil avait imprimé de petites lignes autour de ses paupières.

Il déposa une salve de baisers sur mon épaule. Je fermai les yeux comme un chat s'arrondissant sous les caresses.

Nous ne voulions pas nous lever, mais la réalité du départ nous rattrapait. Justin devait rendre les clés de son bungalow avant dix heures, ranger ses affaires et boucler son sac.

Breakfast ?

J'acquiesçai enthousiaste. Le boeuf Rendang du dîner me semblait un trop lointain souvenir. Incapable d'en venir à bout, je l'avais d'ailleurs partagé avec Justin. Attention qu'il me rendait en m'offrant son petit-déjeuner.

- Promis, je n'ai pas faim... Et ne bouge pas, je m'en occupe !

Je souris. Peut-être la réceptionniste trouverait-elle bizarre qu'un célibataire s'octroie soudain deux cafés et trois pancakes. Mais comme tous les hôteliers, elle avait dû en voir d'autres, et de plus étranges.

 

Tiède et sucrée, la chair de la crêpe me parut délicieuse. Je la savourais étendue de tout mon long, pieds posés sur les mollets de Justin. Muette revanche sur mon samouraï qui, un jour, m'avait chassée du lit pour grignotage de chips.

Justin, lui, me regardait manger. L'air attendri devant ma maladresse, la main prête à réparer mes erreurs. Sans lentilles ni lunettes, je bougeais dans un brouillard d'ombres et de reflets. Percutai ma tasse qui faillit se renverser sur les draps.

Justin eut le bon goût d'en rire comme celui de proposer :

- Je te raccompagne chez toi, peut-être ?

- Non, non, ne te dérange pas. Je me débrouillerai.

Je retournai sans encombres à mon cottage. Courte marche d'un tiers de rue à peine.

Mon livre du moment trônait toujours sur la terrassePapillon d'Henri Charrière, récit de cavales d'un prisonnier fou de liberté.

L'ordinateur sur le buffet, mes robes à cheval sur la chaise, la bouteille d'eau sur le meuble de chevet... Rien n'avait changé de place. Et comme à chaque retour d'une escapade, j'éprouvai un bizarre sentiment de décalage, l'impression d'avoir inséré une juteuse tranche de vie entre deux tranches de temps immobile. 


Attente 2Je me glissai dans la salle de bain. Ouverte sur le ciel, elle était trempée des averses de la nuit. Le carrelage était glissant, l'eau de la douche parcimonieuse et glacée. Un vent frisquet alourdi de mousson fouetta mon corps nu.

Je frissonnai, m'enroulai dans une serviette, enfilai un kimono et m'effondrai sur le lit. 

À l'intérieur du cottage la chaleur était pesante. Fixé trop haut sur le plafond incliné, le ventilateur brassait l'air en vain. La fatigue alourdissait mes membres, m'enserrait les tempes d'une vague migraine.

J'attendais Justin. J'allais m'assoupir.


Dans le demi-sommeil sa venue se lia à une musique. Nostalgique et gracieuse, ses notes étirées comme une main dans le noir, ce fut The Lake, un poème de Thoreau superbement interprété par Antony.

Je me relevai et allumai l'ordinateur pour écouter la chanson. Plusieurs fois de suite je la passai tel un appel ou un message. Comme si ses accords avaient le pouvoir de faire surgir Justin.

J'eus l'impression de l'attendre si longtemps que je me résignai soudain à ce qu'il ne vienne pas. Et acceptai, aussi, de ne jamais en comprendre la raison.


J'avais tort.

Alors qu'Antony murmurait pour moi seule "Death was in that poisoned wave / And its gulf a fitting grave", la silhouette de Justin se détacha sur le vide de ma porte. Je me jetai dans ses bras tendus.

Entre deux baisers nos vêtements tombaient, inutiles écorces, pour nous guider vers la sève, un désir vert bourgeon perçant le gel de la fatigue. Mais comme la nuit précédente, la verge de Justin pendait inanimée entre ses cuisses.

- Avec les femmes, c'est différent. Surtout plus compliqué... avança-t-il à la façon d'une explication que je ne lui demandais pas.

Justin ne me l'avait pas caché : il aimait également les hommes. Pas davantage que les femmes, d'une attirance qui ne pouvait se comparer.

Avec les hommes tout était plus simple, plus immédiat.

Justin avait fréquenté les clubs, les boîtes, les saunas, l'éventail de ces lieux où, sur un simple regard, il trouvait un partenaire.

Il avait joué à la roulette russe du HIV. S'en était sorti indemne et guéri de la tentation de recommencer.

Il avait vécu avec un Brésilien, amant magnifique mais piètre compagnon. S'était effrayé de la démesure des sentiments que celui-ci lui vouait, si destructeurs qu'à chaque dispute, il en pulvérisait toute leur vaisselle.

Il avait connu sous les mains expertes d'un masseur un orgasme brut, inouï, brutal, si bouleversant qu'il en perdit connaissance.


En contrepoint, il y avait l'amour avec les femmes. Ses effrayantes allures de sérieux et d'engagement. L'impossibilité de s'y engager à la légère, même mu par un impérieux désir physique.

Désir qui, preuve en était, ne suffisait pas.

Pour que son sexe suive, Justin avait besoin de temps. De partage. De tendresse. D'apprivoiser le corps de l'étrangère et de se frayer un chemin dans sa tête.

Ainsi, la veille, m'avait-il approuvée sans réserve :

- La zone la plus érogène, c'est encore le cerveau.

Mais si Justin ne pouvait entièrement prendre son plaisir, il voulait m'en donner.


Justin2.pngLonguement il me caressa à sa manière, si particulière que des frissons m'agitaient. La pulpe de ses doigts effleurait, douce mais insistante, la même parcelle de ma peau. Éveillée, réactive, celle-ci devenait vite ultra sensible, sensation à mi-chemin entre le ravissement et la douleur, proche du supplice chinois de la goutte d'eau.

Bientôt mon corps tout entier se résuma à cette minuscule parcelle, coin de mon ventre étendu à mes cuisses et gagnant mes seins, mes genoux, mes épaules, mes mollets, mon cou. Toute ma chair secouée de spasmes, prolongée et réduite à une infime portion d'elle-même.

Et lorsque, renonçant à leur course immobile, les paumes de Justin effleurèrent mes flancs, je criai comme transpercée de deux glaives.

- Chutttt... souffla-t-il à mon oreille.


Il saisit mes chevilles pour me basculer à la renverse. Entre la naissance de mes cuisses mon sexe s'offrait, impudique.

Justin le prit dans sa bouche. Je me tortillai comme pour lui échapper mais, fermement tenue, sans défense, m'abandonnai à ses lèvres. Lèvres-ventouses adorant les miennes, les baisant, les honorant, ouvertes et refermées sur une prière muette, le suçant, le labourant, l'engloutissant, le recrachant.

Puis, phalange après phalange, son index et son majeur vinrent y plonger.

Sur le lit je gisais crucifiée. Inconsciente sous le coup de cette petite mort qui, décollant mon âme de ma chair, la faisait voltiger haut, très haut, perdue et légère.

Une béance me creusa le corps. J'ouvris les yeux.

Justin léchait ses doigts avec application.

- J'aime tant la saveur de ton plaisir...

Il s'abattit fourbu à mes côtés. Se blottit dos arqué contre ma poitrine.

Et ensemble nous dérivâmes, emportés par les remous d'un profond sommeil bercé par le lac d'Antony.


 

Le poème de Thoreau ici.

      Une autre de mes chansons préférées d'Antony.

 

 

1re et 3e photos : Jan Saudek.

2e photo : Zhang Peng. 

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Vendredi 9 mars 5 09 /03 /Mars 07:32

AmateursOlüg, le propriétaire de ma villa, s'avança sur ma terrasse. Me proposa d'un air gêné les services de sa nounou-cuisinière-femme de ménage, une très jeune Philippine toujours souriante et débordée.

- Je te vois si occupée à écrire que j'ai pensé... bredouilla-t-il dans son anglais mêlé de turc et d'allemand.

Façon polie de dire qu'en tant que fée du logis, je ne valais pas un clou.


Il avait raison. Malgré mes efforts, la villa n'était jamais bien rangée ni récurée. Mes affaires traînaient toujours en paquets dans une mince couche de sédiments.

- D'accord, dis-je.

Les yeux d'Olüg s'éclairèrent.

Comme décidé à pousser son avantage, il enchaîna : 

- Alors je te l'envoie... demain ? Une fois par semaine, chaque vendredi, ça te va ?

Marché conclu.

 

Le lendemain, Conception se présenta les mains vides. En tenue de travail, un ample tee-shirt masquant son buste et un short si court qu'on lui devinait la naissance des fesses. Timide, effacée, arborant en laisser-passer un sourire chancelant.

Impressionnée de pénétrer dans l'antre de l'étrangère, sans doute.

Je l'invitai à entrer. Elle laissa ses sandales devant la terrasse. Se faufila pieds nus dans le living-room, regarda la vaisselle abandonnée dans l'évier, puis le carrelage sur lequel se détachait, zigzaguante, l'empreinte de mes pas.

- Je dois partir, dis-je en lui tendant mes clés.

Conception me gratifia d'une mimique perdue. Elle attendait de moi ce que je répugnais à lui donner. Des ordres ou un plan d'action, chambre, salon, deuxième chambre et salle de bain.


Vendredi 2- Et si vous commenciez euh... par la bibliothèque ?

Son cou suivit la direction de mon doigt, se tordit et s'immobilisa face aux étagères couvertes de moisi et chargées de livres. Transfuges de mon appartement parisien ou trésors de voyage patiemment choisis sur les étals des bouquinistes, ceux-ci venaient de France via la Thaïlande ou les Philippines.

Conception approuva soulagée :

- OK, Mââm, I will.

Elle ne s'approcha pas du meuble ni ne commenta son apparent désordre. Alignées côté tranches, à l'horizontale, à la verticale ou de biais, les couvertures éclataient en un patchwork de couleurs, tous formats, épaisseurs et tailles confondus.

Pourtant, ce pêle-mêle ne devait rien au hasard : en haut, les titres que je n'avais pas encore lus.

En bas à gauche, ceux qui m'étaient tombés des mains.

À droite, ceux qui valaient peut-être un deuxième essai.

Autant dire que personne ne pouvait les reclasser à ma place.

- Enlevez-les des étagères mais ne vous embêtez pas à les remettre. Je m'en occuperai. Merci, Day*.

Elle opina de la tête.

Je partis.

 

À mon retour, je retrouvai la maison brillante comme un sou neuf et les étagères pleines. Conception les avait nettoyées une à une pour, croyant bien faire, y replacer l'intégralité des bouquins.

Empilés par ordre de grandeur, côté pages apparent, toutes leurs tranches soigneusement collées au mur.

Impossible de lire un seul titre.

 

 

* Day : mademoiselle, jeune fille en Bisayas. S'utilise pour s'adresser à une femme moins âgée.

 

Montage de Thomas Allen ; pin-up de Gil Elvgren.

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
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Jeudi 8 mars 4 08 /03 /Mars 09:41

Padang Bai, Indonésie, fin février 2012.

 

 

VoixJustin était un chanteur classique. Moi, j'avais perdu la voix.

Littéralement.

Depuis une semaine aucun son ne sortait de ma gorge tuméfiée. Ce jour était le premier où je retrouvais un semblant de parole. Un mince filet capricieux serpentant entre les phrases pour se briser, foudroyé, sur certains. Pause obligée avant de reprendre le courant de notre conversation-fleuve.


J'avais l'instrument mais plus le contrôle.

Mes rires étaient de silence, mes silences de plomb. Sans préavis, les syllabes se distordaient dans ma bouche en bizarres coassements. Grave, aiguë, ma voix dérapait sur plusieurs octaves en me déchirant le larynx.

Tour à tour aphone, homme, grenouille et femme, avec les mots pour le dire mais les cordes vocales en capilotade.

Dans de telles conditions, parler était à la fois effort et souffrance.

Aussi ce soir-là étions-nous trois. Justin, moi et ma voix acharnée à me faire taire.


Nous discutions pourtant depuis des heures. Depuis le restaurant où, attablés en compagnie de Flora, une plongeuse hollandaise, nous comparions nos "destinées sentimentales". Le sexe, l'amour, l'engagement, les histoires sans lendemain, la routine, l'ennui, les ruptures... Pêle-mêle d'expériences fortes, drôles et douces-amères. Partage de célibataires revenus de nombre d'histoires et d'illusions, blessés ou fortifiés mais espérant toujours. Ou plus guère, mais tout en ménageant la place à l'imprévu, cet indécidable qui, sur un rien, met notre vie en bascule.

Puis Flora s'était éclipsée pour nous laisser en tête-à-tête.

Puis les serveuses étaient parties en oubliant une lumière allumée. Blanc néon, elle creusait nos traits sculptés par la fatigue de la journée. Trois heures de voiture sur des routes en lacets. Deux plongées magnifiques sur le Liberty Wreck, une épave au nom d'horizon vierge.

Cachant ses cernes de sa paume, Justin me proposa de traverser la route qui jouxtait la plage.

Je rassemblai mes affaires avec lenteur. Patient, immobile, Justin se tenait derrière moi. Agrégé à son parfum, son désir de me serrer contre lui, aussi palpable que les effluves iodés de la mer mourant à nos pieds.

 

Dès que je l'avais aperçu le matin au dive shop, j'avais songé à Ethan. Pour l'arc de leurs paupières et la courbe un peu tombante de leurs épaules. Pour le semblant de barbe poivre et sel sur leurs mentons. Pour leurs corps légèrement potelés que, comme embarrassés, ils semblaient n'habiter que par éclipses.


Voix 2bisPour ce que j'avais ressenti, entêtant bien que fugace, au fil de la conversation. L'impression d'une mélancolie tapie derrière la bonne humeur, d'une grande douceur doublée d'une réelle attention portée aux gens.

Une fragilité qui vacillait, émouvante, entre deux silences. Une sensibilité à fleur de peau, retenue mais éclatant au détour d'une anecdote.

Une vulnérabilité liée à un pan d'histoire dérobée. Telle une maison amputée de la moitié de ses fondations, l'incertitude sur leurs origines les empêchait de se construire pleinement.

Ces deux hommes, l'un mon ami et l'autre un presque étranger, avaient un je-ne-sais-quoi de profondément féminin qui me touchait.


Et leurs ressemblances ne s'arrêtaient pas là. Il fallait y ajouter leur retenue toute anglaise mâtinée d'un flegme tout britannique, leur humour pince-sans-rire qui me faisait m'esclaffer et leur accent londonien délicieusement huppé.

"A very clean one, indeed", approuvait Ethan.

Un tout propre, donc, qui habillait les mots de grâce et de frais, roulant légers sur la nappe et tintinnabulant comme les glaçons de mon Coca.

Expatrié, Justin habitait comme moi une île au climat plus doux que son pays natal. Il avait vécu à Vancouver, à Londres, à Malte. À Amsterdam sans en apprécier les habitants. Trop directs à son goût, trop peu enclins à enrober leurs propos d'une nécessaire politesse, fût-elle de façade.

Trop délicat pour la plate franchise hollandaise, Justin avait fini par déménager.


J'acquiesçai d'un sourire entendu. L'opinion de Justin me renvoyait en écho ma relation avec Mingus.

Son étonnement à me découvrir, selon ses critères, trop émotionnelle et sensible.

Ses difficultés à me comprendre, à saisir ce qu'il appelait mon être qui sans cesse échappait à sa prise.

Sa façon de me heurter sans l'avoir calculé, ses critiques qui m'étaient autant d'agressions.

Ses encouragements à m'exprimer sans détours ni subtils sous-entendus. Jusqu'à ce que, comblant son souhait au-delà de ses attentes, je ne l'écharpe par trop de franchise.

Ethan, Mingus, moi... En cette fin de voyage indonésien, Justin campait sans s'en douter le point de convergence de plusieurs routes, étrange synthèse d'un écheveau noué bien avant lui.


En tailleur dans l'obscurité, nous remplîmes de mots le creux de notre désir. Va-et-vient continu de langues mêlées, rythmées par le ressac des vagues.

À lui seul Justin en maîtrisait quatre. Après le chant qui consiste à prolonger les mots des autres, son métier était devenu recherche, transcription au plus juste de textes étrangers. Traducteur, Justin était sensible aux moindres nuances, aux frissonnements du sens sous l'écorce.

Comme moi, il savait et sentait, presque d'instinct, qu'un mot n'égale pas un autre. Que chacun se teinte d'une couleur et d'une vibration propres. Qu'en choisir un pour écarter son voisin infléchit le sens du message, le gauchissant parfois jusqu'à le vider de son contenu.

 

Voix 3Côte à côte sous notre abri de bois, nous nous efforcions d'abolir la distance entre paroles et pensée. De tisser le fil fragile d'un échange qui, délaissant le superficiel, plongea au plus intime. Sans mensonges ni fausse pudeur, guidé par l’ouverture bienveillante de deux étrangers désirant partager un bout d’eux-mêmes.

À certaines de ses questions je répondais en français, sachant que Justin me comprendrait mais utiliserait, en retour, sa langue maternelle.

Tel fut notre système pour nous tenir au plus près, lentement dévoilés.

Par delà le corps, l’âme à découvert.

 

Autour de nous résonnait le silence. Je regardais Justin qui me regardait. Lui souris de me sourire. Avançai, seule, une main et passai un index tendre le long de son bras avant de le reposer sur mon genou.

À leur tour ses doigts dessinèrent une courbe de mon poignet à mon coude.

Ses lèvres s’écartèrent. J’y cueillis dans un souffle les mots qui s’apprêtaient à en jaillir.

Contre ma langue, le verbe et sa chair.

 


PS/ Il semble qu'un de mes lecteurs réguliers est un Hollandais (une Hollandaise), ou du moins une personne vivant aux Pays-Bas. J'espère qu'elle ne sera pas blessée de notre vision de ses compatriotes. :)


1re et 3e photos : Horst P. Horst. 2e : Laurence Demaison.

 

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Mercredi 7 mars 3 07 /03 /Mars 17:28

Nusa Lembongan, Indonésie, janvier 2012.

 

 

LembonganJ'eus pour cette chambre un coup de coeur. Face à l'océan et séparée de ses marées par une étroite jetée, elle n'avait pas de murs, que de larges baies vitrées s'ouvrant sur la terrasse et la plage.

Un complexe réseau de rideaux pourpres nous dérobait à la vue des passants, locaux ou touristes flânant sur le front de mer. L'ameublement en était sommaire. Une armoire, une table, un rocking-chair, un lit double aux draps rêches de lessive.

Comme à Moalboal, cette simplicité fleurant bon le repos me charma.


Par acquit de conscience, mon samouraï et moi avions toutefois remonté un bout de l'île. Inspecté d'autres chambres, des bungalows, des cottages. Des miteux et des luxueux, avec air conditionné ou ventilateur et vue sur plage, jardin ou mur de briques.

À chaque fois j'avais dit non.

Je voulais occuper cette chambre aussi transparente qu'une cage de verre, avancée sur la mer façon cabine d'un paquebot fendant les vagues.

 

Nous étions revenus.

Je n'entendis pas le propriétaire, un vieil homme rabougri aux yeux vifs, dire à mon samouraï que de chambre, nous devrions peut-être en changer. Parce que le temps virait au gris foncé. Parce que nous étions là à la mauvaise saison. Parce qu'en cas de forte pluie, l'eau s'infiltrait par les jointures des vitres, le dessous et le dessus de leurs battants pour inonder le carrelage.

L'aurais-je su que, m'en remettant à la chance, je serais certainement restée.


C'est le vent qui me tira de mon sommeil. Un vent lourd de tonnerre, zébré d'éclairs et mêlé de pluie, déchaîné, tonitruant, roulant sa hargne à furieux coups de boutoir. On aurait juré les hurlements de fantômes échappés des forges de l'enfer, un vacarme à vous retourner et les tripes et les sangs.

Pourtant mon samouraï ne bronchait pas. Il dormait paisible sur le flanc, sa beauté lisse à peine troublée d'un froncement de sourcils.

Des raclements suivis de bruits sourds m'éveillèrent tout à fait. J'allumai ma lampe de chevet, sautai du lit à demi nue, m'enfonçai jusqu'aux chevilles dans une nappe d'eau trouble.

"Et merde ! Nos affaires...", pensai-je.

J'agrippai la main abandonnée de mon samouraï. Il grogna.

- Wake up !

- Mmmh ?

- Lève-toi !

- But why ?

- Chambre... inondée... intérieur...


Lembongan 2Mes mots se bousculaient sans apparemment faire sens. À peine levée, sa tête brune de dormeur retomba sur le polochon.

Aide-moi !

J'avais prononcé le mot magique.

Mon samouraï sortit enfin des draps. Ensemble nous repêchâmes nos vêtements trempés, jetâmes pêle-mêle nos biens encore secs dans nos sacs de voyage et les hissâmes au sommet de l'armoire.

Dehors le fracas redoublait.


J'écartai prudemment les rideaux. Une scène de désolation me glaça.

Submergeant la promenade en béton, d'énormes vagues se brisaient contre la jetée. Leurs langues d'écume venaient lécher notre terrasse, emportant en se retirant les objets que nous y avions oubliés.

Livrées aux assauts du vent, des formes éparses filaient à une vitesse vertigineuse, tour à tour tourbillonnant et s'écrasant au sol.

Telle une main implorant mon secours, un sac plastique se plaqua aux carreaux avant de s'envoler, rendu à la tourmente.

Une tuile se décrocha du toit pour exploser devant moi.

Je reculai d'un bond. Me coller ainsi à la vitre était la pire des idées. Si un objet la percutait, elle éclaterait pour me taillader à vif. D'ailleurs... Cette vitre-là puis ses voisines, je les détaillai avec méfiance et interrogeai à haute voix :

- Et si le verre n'est pas assez solide ? Et si le vent le fait exploser ?

No, honey, no worries ! voulut me rassurer mon samouraï.

Je n'étais pas convaincue. D'autant moins que soudain, la lumière de la chambre s'éteignit, suivie par toutes celles de la jetée.

Panne de courant généralisée. En temps normal pas de quoi m'impressionner, habituée que je suis aux caprices de l'électricité philippine.

Mais là, c'était différent.

 

Le vent gagnait encore en intensité. Une pluie dure comme de la grêle frappait les carreaux en volées d'épingles. Envahissant la terrasse, les vagues grossissaient pour s'allonger jusqu'à notre perron.

Je me mis à penser au tsunami qui ravagea l'Asie du sud-est. À tous ces gens happés par la lame de fond. À leurs corps roulés sur les cailloux. À leurs blessures gorgées de sable qui ne cicatrisaient pas.

Debout pieds dans l'eau, tremblante au milieu de cette chambre trop exposée, je regardais la mer en ennemie. Tentais d'échafauder un plan si elle venait à y entrer. Scrutais les murs à la recherche d'un point d'ancrage.

Il n'y en avait pas. Seul le lit, peut-être, trop massif pour être emporté.

À cette minute j'aurais bien fui à l'intérieur de l'île, accrochée au bras de mon samouraï. En pleine nuit, sans nos sacs, peu m'importait. J'avais désespérément besoin de sécurité et là, l'urgence me remuait les tripes. À tort ou à raison, je me, nous, sentais en danger. Mais quitter la chambre était impossible. Un pas dehors et les bourrasques nous feraient voltiger tels des pantins.

 

Lembongan 3- J'ai peur... balbutiai-je.

- Mais de quoi ?

Ensommeillée, la voix de mon samouraï me parvenait comme au travers de couches d'ouate.

Je me retournai. Il s'était recouché bras en croix, tête enfouie sous les draps.

De quoi ? repris-je d'un ton strident.

Je lui parlai de tsunami, d'ouragan, de cyclone. Il m'écouta sans m'interrompre puis, une fois mes mots taris, se laissa retomber sur le sommier.

- Ne me dis pas que tu vas... dormir ? lançai-je d'un ton revêche.

- Ben si. Toi aussi, tu devrais.

Je ricanai.

- Peut-être que je ne me rends pas compte du danger, acquiesça-t-il. But sometimes ignorance is bliss...

Et il sombra dans ses rêves.


Je passais l'autre moitié de la nuit à écouter la tempête lentement mollir.

Aux aguets, veilleur inutile d'un sommeil que je ne partageai pas.

 

 

 

Photos : Katie West, Udo Krause, DR.

Par Chut ! - Publié dans : Voyages, voyages - Communauté : les blogs persos
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Mardi 6 mars 2 06 /03 /Mars 11:44

Le début là.

 

 

L'etranger et la poussiere 4En effet je revins. Davantage dépeignée si possible. Plus transpirante pour sûr. Le soleil de midi semblait bien décidé à écraser toute forme de vie ayant le front de le narguer.

L’inconnu avait changé de place. À présent, il était assis sur les marches du dive shop, un gros chien étendu contre ses mollets. Il avait toujours son air tranquille de propriétaire ou d’homme difficilement troublé.


À nouveau il détailla mes jambes. Effrontément, voudrais-je écrire, mais aucune impudeur dans son regard. De l’envie, oui, un désir patient et concentré qui allumait ses iris.

En retour le désir me prit. Aux cuisses, au bassin, à la poitrine, à la gorge. Si fort que j’en eus presque le souffle coupé. Que je dus m’appuyer contre le mur pour ne pas chanceler. Que mes mots cherchèrent ma voix pour balbutier "yes" alors que l’étranger me demandait :

- Have you found it ? (L'avez-vous trouvé ?)

J'acquiesçai. Il arbora le sourire satisfait de ceux qui ne pouvaient s'être trompés. 

 

Il m’invita à prendre place à ses côtés. J’acceptai en sachant déjà où je voulais aller.

Dans un lit. Chez lui ou chez moi, peu importe, mais dans un lit. Pour un débridé, déchaîné, délicieux corps à corps. Vite et un peu, beaucoup, comme ça. Une heure pour n’être que chair, chatte, seins, langue. Pour m’agripper à sa peau, tendre la mienne, arquer fesses, dos, nuque et jouir.

À en faire trembler les murs. À en perdre la raison.

Femme, objet, sujet. Une fois encore ne pas réfréner mes pulsions. Renoncer à les discipliner afin de les faire marcher droit, militaires, sur le chemin de ce qui est jugé acceptable. Laisser jaillir ce qui, au fond, me renverse. L'animal sauvage, exigeant, bruissant de désirs et réclamant sa part de jouissance.


Si mon esprit battait la campagne, ma bouche poursuivait son fastidieux travail de conversation. En apparence toute dédiée à celle-ci en rêvant d'être mordue de baisers. L'étranger me donnait la réplique. Avec complaisance et détachement, semblant garder par devers lui une once de muette ironie.

Il n'était pas dupe. Moi non plus. Face à face et de plus en plus près, nous étions les acteurs d'un jeu social qui dicte qu'avant de s'allonger, on fait connaissance.

Comme prolongeant le fil de mes pensées, l'inconnu dit soudain :

- Je suis fatigué des discussions, toutes semblables, avec des gens qui s'en vont. Lassé d'arriver au soir avec la question, non résolue, autour de laquelle toute la journée a tourné. Un homme, une femme... Cela pourrait être si simple.

Je clignai des paupières faussement innocentes pour hasarder :

- Aurais-tu donc une question à me poser ?

- Non. Sauf si tu souhaites y apporter une réponse.

 


L'étranger et la poussiere 4bisUn étau de chaleur se referma sur mon sexe. La cloison voisine parut basculer, cabrée sous un vertige.

J'aspirai une goulée d'air moite et la rejetai, bouche molle dans un soupir vaincu.

- Alors la réponse serait oui.

Aussitôt l'étranger sauta sur ses pieds pour me tendre la main.

- Suis-moi.

 

Une chemise en travers du canapé, une tasse de café vide à côté de l'évier, une tranche de pain émiettée... Sa maison a le désordre des lieux qui n'attendent personne. 

Soulevée de terre, je l'embrasse à pleine langue. Le poids de mon corps entre ses bras noués nous entraîne dans un titubant ballet.

Ma croupe heurte le mini-bar pour s'y poser. Mollets, genoux, cuisses, je l'enserre. Affermis ma prise alors que ma chemise voltige par dessus ma tête.

Ses lèvres se ruent sur ma peau découverte. La sienne se livre à mes mains. Brutales et tendres, légères et fouailleuses, elles dessinent les arcs et vallées de son torse, ses hanches, ses fesses, leurs bosses fermes de muscles, leurs passerelles de tendons.

Ma paume se remplit de son sexe dressé, le parcourt de bas en haut, de long en large, frémissant déjà du plaisir à venir.

- Tu es salée... murmure-t-il.

Il me déguste. Me savoure. Me lèche. Se redresse avec cet air perdu, un peu flottant, que donne le désir, attrape un préservatif dans une coupelle, l'enfile et me prend, debout, offerte et accrochée à ses épaules.

Puis soudain, il s'arrête.

- Mais au fait… Comment tu t’appelles ?

Ma mine éberluée le fait éclater de rire.

Je lui dis mon nom. Reçois le sien en retour. Et à fond de train nous repartons, emmêlés, gémissants, tout à notre étreinte.

 

Plus tard je claquai la porte de la maison. Le nom de l'étranger vacilla dans la poussière avant de retomber, nu, dans les rayons d'un soleil déclinant.

Ashes to ashes, dust to dust.

Mon nom ?

Demande à la poussière*.

 

 

* Titre du roman, certainement le plus connu, de John Fante.


 

Photos : Willy Ronis, Eikoh Hosoe.
Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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