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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Lundi 4 juin 1 04 /06 /Juin 08:11

JanaJana est la nouvelle secrétaire du dive shop que dirige Bertille. D'âge moyen, plutôt forte, elle se fatigue très vite et sait à peine se servir d'un traitement de texte.

En revanche, elle est bavarde. Se réjouit de discuter de tout et de rien, de raconter son quotidien et de recueillir des avis autour d'elle.


Ainsi un jour demanda-t-elle à Bertille :

- Dis, tu aimes faire du shopping, toi ?

- Euh... Pas trop.

- Parce que moi, j'adore !

- Tant mieux, Jana.

- J'aime surtout regarder les vitrines. Pas pour acheter, hein, davantage pour faire tout déballer à la vendeuse. Puis pour essayer des vêtements, des bijoux, des chaussures. Mais si un article me plaît vraiment, je le prends, bien sûr.

- Bien sûr.

Mais avant, je vais voir ma soeur, ajoute Jana d'un air fin.

- Voir ta soeur ?

- Ben oui ! Pour lui demander de l'argent. Elle en a moins que moi, mais tant pis : je lui demande quand même. Souvent elle refuse. Elle râle. Elle sait que je n'en ai pas besoin. Elle sait aussi que, comparée à elle, je suis riche. Mais j'insiste tellement qu'elle finit par céder.

- Ah ? Elle est sympa, ta soeur !

- Oh, je lui jure que c'est un prêt. Que je le lui rendrai un jour, son argent. Mais bon, ma soeur n'est pas dupe : elle se doute bien qu'elle ne le reverra pas.

- ...

- Tu vois, Bertille ça, c'est le meilleur : dépenser de l'argent qui n'est pas le mien. Pour lequel je n'ai pas dû travailler. Parce que celui-là, je le garde pour moi. Ah, qu'est-ce que ça me rend heureuse, le shopping ! À chaque fois j'ai la satisfaction d'avoir fait une bonne affaire. Et ce n'est pas qu'une impression.


Sur ces mots, Jana retourna à son bureau en laissant mon amie ahurie.

 

 

Photo de Cartier Bresson.

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines
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Dimanche 3 juin 7 03 /06 /Juin 21:39

Un peu plus tôt...

 

Hypocrisie 2Adrien et moi fumions une cigarette sur la terrasse. Minutes de calme et de complicité après l'amour, corps rassasiés et courbatus de trop de jouissance, esprit flottants, apaisés, tout disposés à la concorde.

Le moment se prêtait à interroger mon amant sur son programme.

Depuis quand se trouvait-il sur l'île ?

Y était-il seul ?

Souhaitait-il s'installer à la maison ?

Combien de temps resterait-il ?

Comme d'habitude, tout était très flou.


Parce que pour Adrien, "un plan" est un ensemble confus de multiples projets, d'envies parfois inconciliables, de directions parfois contraires.

Un vaste fourre-tout que, façon sac besace, il trimballe en bandoulière de port en ville. Dans lequel il pioche au petit bonheur la chance, selon les événements, le hasard et l'humeur du jour.

Imprévisible et distrait, le garçon. Égarant son téléphone à Manille, s'empêchant du même coup de m'envoyer un texto. Croyant m'avoir écrit un mail que je ne reçus pas, et pour cause : celui-ci croupissait dans le dossier "brouillons" de sa messagerie.

Anticiper, s'organiser... À quoi bon ?

Tel un chat, Adrien retombe toujours sur ses pattes.


- Hé, pas si vite ! Tu m'as perdue en cours de route ! protestai-je.

Adrien tenta alors d'ordonner le chaos. Reprit son récit en commençant par son déplacement en famille. En grande famille, même.

- Mais dis-moi, vous êtes combien ? Quinze... ? lançai-je en forme de boutade.

Adrien se mit à compter sur ses doigts.

- Mon oncle, un ; sa femme, deux ; leurs enfants, trois et quatre...

- Bon... Ne me fais pas la liste ! À peu près.

- À peu près quinze, tu as raison.

Je me retins d'écarquiller les yeux. Bouger avec toute la smala est habituel aux Philippines, où la notion de famille, généralement étendue, prime sur le reste.

Tant et si bien que choisir, comme moi, de se séparer des siens sans pression économique, de vivre seule et de goûter cet isolement est de la science-fiction.

Tant et si bien que les voyageurs solitaires forment l'exception.

- Ta famille, donc...

- Oui, pardon.

Le groupe entier, Adrien compris, revenait donc d'une fiesta typique : deux jours et deux nuits passés à manger et à boire.

Je souris.


J'avais déjà plaisanté mon amant sur sa double culture. Les doutes, les tensions, la fatigue que devaient générer le choc de leurs valeurs. Le clash de ces deux mondes ayant si peu en commun, voire tout d'opposé.

Côté paternel, la Suisse et sa réputation de sérieux guère pris en défaut, d'efficacité huilée, de neutralité historique, de pointilleuse exactitude, de lisse politesse.

Côté maternel, les Philippines et leur joyeux bordel. Le culte de l'à-peu près, le manque de logique, le désopilant et désespérant "out of stock-factory defect, Mâ-âm", l'incompétence de certains médecinsla crispante lenteur et la dangerosité des transports, le rubber time, temps élastique poussant chacun à arriver en retard.

 

Hypocrisie 3Adrien avait acquiescé.

Non, cette appartenance duelle n'était pas facile. En lui leurs moitiés se hélaient, se contredisaient, se battaient.

Rarement il y avait de victoire par KO.

Le plus fréquemment la médaille d'or dépendait de la géographie : en Suisse Adrien était Suisse, et aux Philippines, Philippin.

Un vrai Pinoy dans une peau de demi-blanc.


Adrien évoqua également les travaux de sa maison qui, à Puerto Princesa, piétinaient.

Son séjour à Manille, où il devait retourner pour récupérer du matériel informatique.

Son vol qui décollait le lendemain.

- Demain ? répétai-je stupéfaite. Mais à quelle heure ?

- Tôt...

Il grimaça. J'hésitai entre l'hilarité et l'agacement.

- Je ne voulais pas repartir si vite, mais voilà... C'est mon oncle qui a réservé les billets. Et j'ai peu de chances de les changer sans les perdre.

- En effet.

Pour une visite éclair... C'en était une.


- Et tu comptes, euh, dormir chez moi ?

- J'avais pensé que...

Adrien s'interrompit en penchant comiquement la tête.

- Mais ta famille, elle est à l'hôtel ?

Oui, elle y était. Loin de la plage, dans un complexe chic et le pur style philippin : à quinze pour deux chambres.

Je gloussai. Songeai à Yann qui évitait, pour son établissement, la clientèle pinoy. Ne l'acceptait qu'après une réponse satisfaisante à la question :

- Mais par chambre, combien serez-vous ?

Les Philippins tendent à restreindre le budget "nuit" au plus étroit. Serré comme leurs corps tête-bêche sur un seul matelas, endormis à même le carrelage, exilés sur la terrasse ou entassés dans la salle de bains.

L'intimité n'a ici pas la même importance qu'en Europe. Elle n'en a même aucune.


- D'ailleurs, poursuivit Adrien, j'attends un SMS d'eux. Nous devons dîner à la plage, je les y rejoins... quand ils m'auront indiqué le restaurant.

- Je suis invitée ?

- Si tu veux. Pas de problème, ce sont des gens aussi accueillants qu'adorables. De très bonnes personnes, ma famille.

J'étais curieuse de la connaître. Curieuse, aussi, de découvrir le comportement d'Adrien en société. L'articulation, l'harmonie ou les dissensions entre ses parts suisse et philippine.

Et simplement heureuse de prolonger cette unique soirée.

Quand le texto arriva, nous étions occupés à discuter.

Et Adrien lut, bouleversé, le texte de notre nuit fauve.

Et je m'octroyai le temps de me préparer.

Une douche. Un shampooing. Une robe dos nu. Des sandales à bride. Du blush, du mascara, un trait de crayon noir sous les paupières. Quelques bijoux discrets.

Un large sourire placardé aux lèvres pour rencontrer des gens si sympathiques.

Nous quittâmes la villa à huit heures et demi.


Hypocrisie bisAdrien avait garé sa moto sur le parking de mon compoundIl l'enfourcha et démarra.

Je me lovai contre lui, coulai mes paumes sur ses hanches.

- En fait... Par rapport à ma famille...

J'ôtai aussitôt mes mains, les rangeai sur mes genoux et reculai sur le siège.

- Désolé. Je ne veux pas te vexer, mais c'est délicat...

- Message reçu, dis-je sèchement. Et en leur faussant compagnie, tu leur as raconté quoi ? Qui suis-je censée être ?

- Une excellente amie.

- Une excellente amie du mois dernier ? persiflai-je. Ou faut-il prétendre s'être rencontrés il y a un quart de siècle ?

- Non, non. Inutile d'entrer dans les détails.

- Mais enfin, les détails, tout le monde les connaît ! Ta famille n'est ni idiote, ni aveugle. Débarquer ensemble, très en retard et les cheveux encore mouillés... Plutôt clair, non ?

- Certes. Mais tant qu'ils ne nous surprennent pas...


Ah. Nous y étions enfin. À nouveau le règne de l'hypocrisie.

Ce qu'on ne voit pas n'existe pas. Refusé, nié, occulté, circulez.

Seules les apparences comptent. Même branlantes, mêmes bancales.

Ici, des nappes de gala recouvrent de misérables tables rafistolées.

Là, les beaux costumes des danseurs de parade sont reprisés au gros fil de pêche et tiennent grâce à des agrafes de bureau. Peu importe puisque, de loin, le résultat reste acceptable, voire produit son effet. Scintillant. Irréprochable. Clinquant.

Là-bas, des maris trompent leurs épouses sans vergogne ni préservatif. Mais tant que les voisins se taisent et que les infidèles reviennent au nid avec nourriture et argent, peu y trouvent à redire.


Moi, j'avais la permission de baiser plus que mon soûl avec Adrien. De le sucer jusqu'à plus soif. De me faire lécher jusqu'à plus faim. De le ligoter, l'étrangler, uriner sur lui dans la douche, jouir à en ameuter ma résidence. Ou la sienne si elle était déserte.

Tout les permissions, oui. Sauf celle de lui frôler le bras en public. Parce qu'alors, notre intimité ne pourrait plus être ignorée.

Que la famille au complet sache n'était pas la question.

La question était qu'elle ne voulait ni voir, ni entendre, ni en parler. Comme ce célèbre trio de singes qui s'obstrue en simultané les yeux, les oreilles et la bouche.

De surcroît j'étais blanche. Blanche et plus âgée qu'Adrien.

Impardonnables péchés originels.

 

Nous stoppâmes sur la route de la plage. Avec trois heures de retard, Adrien rendit la moto à son propriétaire.

- Une idée d'où se trouve le restaurant ?

- Oui, répondis-je. En bas à droite.

Je tus que je ne l'aimais pas. Que la nourriture y était mauvaise, le service calamiteux. Que le bord de mer regorgeait d'endroits plus agréables.

Le lieu était d'ailleurs presque vide, ce qui rendait la famille d'Adrien encore plus visible : une longue tablée de Pinoys et de métis. Certains à la carnation si pâle qu'on les aurait juré occidentaux.

Des enfants endormis ou vautrés sur la nappe. Certains arrimés à leur téléphone, d'autres obèses, ou les deux.

Des matrones à la mine épuisée ou revêche. Des hommes à l'air rigolard.

Tous, sans exception, avaient fini de manger.

 

Hypocrisie 4Adrien me présenta, d'une voix forte qui résonna jusqu'au bout de la table.

Quelques têtes se tournèrent rapidement vers moi. Quelques bras se levèrent en un vague salut.

Les convives semblaient contrariés. Peut-être de notre retard, probablement de ma présence.

Nul ne me sourit. Nul ne m'adressa un mot.

La réprobation, l'hostilité me semblaient palpable. Un mélange d'indifférence affectée et d'ennui affiché aussi épais qu'un mur de glace, assez solide pour décourager la moindre tentative de le fendiller.

À ce concours, les femmes étaient meilleures que les hommes. Eux, je le sentais, se seraient vite amollis.

Peut-être justement parce que j'étais blanche.


Le message aussi hurlé que parfaitement silencieux était limpide : la puti* n'avait rien à fiche là. Qu'elle dégage !

Je feignis de l'ignorer. Décidai à mon tour de jouer au singe aveugle, sourd et muet. Allai chercher une chaise qu'on ne me proposa pas et m'assis aux côtés d'Adrien.

Qui, lui, ne remarquait rien.

Enjoué il était, enjoué il restait. Agréable, aimable, ne négligeant aucune tante et causant avec chaque oncle.

Je bâillai.


Après un quart d'heure, la famille se leva comme une seule armée.

- Adrien, nous rentrons à l'hôtel.

- Déjà ? Mais pourquoi ?

- Les enfants sont crevés, nous aussi. Et n'oublie pas l'avion demain ! Envol à dix heures, ce qui signifie avant huit heures à l'enregistrement. Donc réveil à six heures, s'il te plaît.

J'étouffai un rire. Deux heures d'avance pour un vol domestique au départ d'un minuscule aéroport... Sûr qu'ils ne rateraient pas leur décollage.

Tant mieux.

Bye bye ! lançai-je à la cantonade debout.

"Et au plaisir de ne pas vous revoir...", complétai-je en secret.

J'aurais tout aussi bien pu le claironner. Mes adieux auraient été planqués sous le tapis. Sous le tapis comme ma personne trop blanche, embarrassante présence dont personne ne voulait.

 

 

* Puti : blanche en visayas.

 

Pin-up de Gil Elvgren.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Samedi 2 juin 6 02 /06 /Juin 15:03

Le début ici. Et la folle musique du texte là.

 

 

Hypocrisie- Une douche ? proposai-je.

Adrien acquiesça, me rejoignit dans la salle de bains et se déshabilla sans autre forme de cérémonie, à la façon des gens qui, en parfaite harmonie avec leur corps, n'ont rien à en cacher.

Ses tatouages surgirent. Ceux dont je me souvenais, d'autres que je n'avais pas remarqués.

Entre ses omoplates, d'une écriture penchée, Actions speak louder than words*.

Sur son flanc gauche, un buisson d'épines abritant une rose à peine éclose.

Je l'attirai sous le jet froid.


Adrien m'embrassa. Baiser sans salive qui picora mes lèvres, pile à la bonne distance d'intimité.

Sensuel mais retenu telles des retrouvailles après une longue absence.

Familier mais pas trop, comme validant le discret recul que mon corps affichait.

Adrien manque peut-être d'éducation, mais pas d'intuition ni de savoir-faire.

Or, le voir chez moi m'était décidément bizarre. D'autant plus qu'en ne s'annonçant pas, il m'avait privée de l'attente fébrile, de la joie de l'imaginer traverser ma terrasse, de l'excitation de le recevoir et de tout temps de préparation.

Temps qu'il me fallait pour me rendre disponible à lui.

 

Alors, au lieu de lui rendre son baiser, je le mordis.

Adrien protesta à peine. Souris.

Ma langue creva la barrière de ses canines. Il l'accueillit en m'enlaçant. Peau de soie, épiderme de velours, suave tissu dont l'érection s'immisça entre mes cuisses, frôla mon aine, buta contre ma chatte.

Je serrai sa nuque à la briser. Décochai à Adrien un regard d'avertissement qui ne reflétait, sans doute, que mon brusque égarement. La montée du désir en flèche abrupte, le besoin d'enfouir sa queue dans mon ventre, d'en sentir les soubresauts me river au sommier.

Et, en surimpression, l'envie de tenir Adrien à ma merci, de lui faire tourbillonner la tête et de lui égarer l'esprit. De défaire sur ma couche cet homme trop sûr de lui, de le sonner, inconscient, pantelant, oublieux des mots qui sourdraient de son délire. Poupée de cire et de son livrée, captive, trempée de bave et de mouille, m'enjoignant de cesser et m'implorant de continuer.

Une exaltation mauvaise me picota le cou.

Le banquet des fauves allait débuter.

Mais pas si vite. La table n'était pas encore dressée.


Je lâchai Adrien pour subitement lui tourner le dos, déployant en une parodie de soumission ma colonne courbée et ma croupe tendue. J'actionnai la pompe d'un flacon pour en recueillir la semence.

- Gel douche au cannabis, Monsieur... Vous allez adorer.

J'étalai la mousse sur son buste, en creusant les méplats, en aplatissant les bosses. Douceur zébrée de brutalité, courbes voluptueuses agonisant en griffures, langoureux frôlements en pincements de tétons.

Si Adrien avait mal, il taisait sa douleur. Sourire aux lèvres il se laissait oindre, et ce sourire m'agaçait pire qu'une chatouille. Il me paraissait - peut-être à tort - narquois, ironique, plus cru qu'une moquerie.

J'y lisais un défi, une invite à effacer, à lui faire ravaler, à lui bourrer entre les dents.

 

Le repas des fauves2Ce sourire avait des mines de contentement de soi, de fatuité d'un homme trop beau qui n'a finalement que sa beauté à offrir.

- Ça ne marche pas comme ça, mon petit... me retins-je de le corriger.

Ce sourire avait aussi des poudroiements de victoire. Comme si Adrien savait qu'en débarquant à l'improviste, je ne pourrais que lui ouvrir ma porte.

Ma porte et mon cul.

Qu'il devinait que dans la demi-heure, je serais nue. Triomphe facile de sa volonté sur ma porosité, de sa chair sur mon corps.


Oh, bien sûr, j'aurais pu chasser Adrien de la villa. Prétexter un rendez-vous pour écourter le nôtre. Me prétendre si vexée qu'il devrait remballer dans la minute et ses formules de politesse et son sac et sa personne.

Mais je ne m'étais fixé aucune ligne de conduite. Ni promis de jouer les hautaines, les offusquées, les à cheval sur les conventions.

Surtout, tel n'était pas mon désir.

La jouissance était là, toute frétillante d'être moissonnée. Elle ne se représenterait ni demain ni la veille.

Pourquoi ne pas l'embrasser à pleine bouche ? Me baigner dans sa force, son torrent, sa pulsion de vie ?

Si Adrien voulait abuser de moi, la réciproque était vraie.

Balle au centre du champ de bataille. Un partout aux agapes des fauves.

Le cul comme terrain de reddition et de tous les combats.

- Viens ! ordonnai-je.

Je hâlai Adrien hors de la cabine de douche, le tirai dans le salon, le poussai dans la chambre, en ajustai les rideaux avec soin.

Nul spectateur n'était requis à notre banquet. Vagabond théâtre de plaisirs s'impatientant avant les trois coups, les ripailles se dérouleraient à guichets fermés.

Parce que la maîtresse de cérémonie en avait ainsi décidé.

 

À genoux sur le carrelage, je suçais Adrien. M'arrêtais et le branlais à petites secousses, tour à tour comprimant et relâchant sa hampe. Humectais majeurs et index pour sculpter son gland de pressions liquides. Le séchais à mon souffle tiède. Titillais son frein, pointais ma langue dans son méat. Tapotais puis frappais sa verge contre mes lèvres. L'enfonçais dans mes fossettes, l'en retirais pour m'en gaver encore. Glissais, indolente, jusqu'à ses couilles, noisettes compressées entre mes paumes, aussi chaudes et pépiantes qu'un duo d'oisillons.

Adrien s'agrippait à ma chevelure dénouée. Lâchait une plainte, un grognement contenu.

Dardés derrière mes mèches éparses, mes yeux le narguaient. Oeillades impudiques mais attentives à le mener juste en-deçà du point de non-retour, celui où Adrien signerait de son sperme la fin de notre débauche.

 

Le banquet des fauves 4- Tu as... une... capote ? bredouilla-t-il.

- Oui, mais pas maintenant.

Patience, mon chéri... Nous n'en sommes qu'aux amuse-gueules.

Et sur son sexe je replongeai pour l'engloutir, le dévorer comme si mon salut en dépendait.

Comme si mon appétit pantagruélique jamais ne s'avouerait repu.

Comme si dans l'univers n'existait plus que ce chibre dressé pour la parade, cette bite rougie qui, limitée par sa propre écorce, le long de mon palais voulait encore s'étendre. M'honorer. Me suffoquer.

Aux pupilles d'Adrien je revenais, m'accrochais pour les braver de mon regard de petite salope.

"Non, de grosse salope au meilleur sens du terme", aurait rectifié Pierrig.

Salope, oui. Si vous voulez.

Et femme. Et maîtresse. Et amante. Et conquérante. Et dominatrice.

 

Sur Adrien je m'abattais. De lui me relevais. Sexe serti au sien, plantes des pieds en bascule sur le sommier, tendons vrillés jusqu'à la rupture.

Entre mes chevilles il gisait droit et contracté, sans se départir de ce sourire qui me courrouçait.

J'encerclai sa gorge. La serrai à l'étrangler. M'inclinai vers son beau visage pour cracher à sa belle bouche :

- J'ai envie de te faire mal...

Ses prunelles vacillèrent. Je chiffonnai ses traits. De la paume et du revers, des ongles et de la pulpe, résistant à l'impulsion de le gifler, réfrénant le sang qui cognait à mes tempes.

Ma vision se brouillait d'ombres et d'éclairs. Images de chattes écartelées, instantanés de bites giclant leur foutre, fulgurances me transperçant les muscles.


Un foulard sur un meuble. Deux tours et un noeud sec contre les paupières d'Adrien.

Celui-ci eut un sursaut de recul.

- Tu ne me fais pas confiance, peut-être ? susurrai-je.

Je faillis ajouter "tu as raison...". Me tus pour ne pas mentir.

Ma proie aveugle se débattait contre mon ventre. Luttait pour me posséder plus profond encore alors que je lui échappais, ôtais la capote pour le reprendre dans ma bouche.

- Aaaah... Pitié... Je n'en peux plus !

- Mais si ! le grondai-je.

Son entrejambe était moite, son gland brûlant.

C'est une torture ! Une torture !!

- En effet. Une inhumaine, une magnifique, une terrible torture...

Adrien réprima un sanglot. Balbutia que tout son être avait coulé là, au creux de son pieu palpitant, rehaussé de veines si gonflées qu'elles semblaient éclater leur enveloppe. Que jamais encore il ne l'avait senti si excité, réactif, irrité, hésitant entre la douleur et l'orgasme.

Les signaux s'étaient brouillés, les stimuli confondus. Dans ce chaos impossible de déterminer qui était quoi, d'assigner une place à ces contraires fusionnés.

Entre la souffrance et la jouissance, le minuscule intervalle d'un de mes cheveux blonds.


Le banquet des fauves3- L'orgasme, dis-tu, Adrien ? Pas encore.

- Mais...

- Chut !

Ma paume se faufila sur son périnée. L'enflamma à rapides poussées, arquant son échine, électrisant ses fesses.

- Ne jouis pas, ne jouis pas ! ordonnai-je.

Doutant soudain qu'il m'obéisse, je le repoussai. Le calmai telle une monture emballée, le berçant de mots apaisants.

- Tsss... Là... Doucement...


La respiration d'Adrien se fit plus tranquille. Satisfaite, je rampai sur lui pour m'empaler dans un cri.

Et je jouis deux fois.

À en faire trembler les murs.

À en alerter tous les voisins. Si fort qu'Adrien dut me bâillonner et que, rétive, je m'ébrouai pour le chasser.

Quand vint son tour, il cria. Longtemps.

Et quand il se releva, manqua de s'évanouir.

 

Rideau noir sur le festin des fauves.

 

 

La suite ici. 

 

*Actions speak louder than words : les actions parlent plus forts que les mots.

 

Pin-up de Gil Elvgren.

Photos : Arthur Tress, Will Santillo, Hosoe.

Par Chut ! - Publié dans : Classé X - Communauté : les blogs persos
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Vendredi 1 juin 5 01 /06 /Juin 20:00

Intimité bisNoam passa ses pouces sur mes lèvres. Ce geste signifiait que notre deuxième session s'achevait. Mais il ne m'adossa pas, comme la première fois, au mur de la piscine.

Il serpenta le long de mon corps étendu, effleura mon ventre et mes hanches pour s'arrêter à mes pieds.

Lentement il les massa. Massa mes chevilles, mes mollets, mes genoux, les enserrant, les pétrissant, attisant en moi un désir prompt à s'enflammer.

Noam remonta à mes cuisses. J'aurais pu les ouvrir pour l'accueillir, mais ma béatitude était telle qu'un seul mouvement m'eût coûté.

Et je pressentais que ce n'était pas le jeu.


Abandonnée j'étais, abandonnée je devais rester. Comme frigide aux paumes de Noam qui pourtant enfonçaient des pointes dans ma chair. Aiguës, cuisantes, perçantes comme des bourgeons sous le gel. Floraison brûlante qui me vrillait tout le corps et lui ordonnait de se tourner, gorgé de sève, vers le soleil de ces mains tendues.

Mains qui dévalèrent mon dos, s'attardèrent au creux de mes reins cambrés, sinuèrent entre mes fesses, longèrent mon sexe, en écartèrent les lèvres pour les frotter l'une contre l'autre et entre elles s'immiscer.

Mes pupilles chavirèrent. Je me mordis les joues. Les muscles de mes paupières s'animaient de soubresauts, mes épaules de spasmes.

J'aurais pu me redresser. Agripper Noam par les cheveux. Le griffer, le mordiller, m'emparer de sa verge sûrement raidie sous son maillot de bain.

Oui, d'un seul geste j'aurais pu briser cette suave torture.

Mais non, je ne le fis pas.

Abandonnée je restais, comme indifférente alors que mon corps entier hurlait sa faim.

 

Noam me lâcha brusquement.

Brusquement privée de son contact je me sentis vulnérable, minuscule, perdue dans l'immensité de la piscine. Abandonnée encore, mais de l'abandon douloureux causé par les grandes absences.

Un manque glacé se creusa entre mes côtes.

Soudain je voulus couler de tous bords, grandir, m'étendre à l'infini. Hériter d'un corps si immense que Noam, où qu'il soit, ne pourrait que le toucher. Un corps si vaste qu'il ne lui laisserait plus la place de se mouvoir.

Un corps-pays, un corps-continent contre lequel Noam, vaincu, devrait reposer.

Un corps-patrie peut-être. Un que Noam rêverait d'habiter.

Lorsqu'enfin Noam retrouva ma peau, je souris.

Apaisée.

 

Intimité 2Noam bascula mes épaules.

Mes bras voltigèrent en arrière, paumes et doigts tendus. Sous eux crissa l'étoffe élastique d'un maillot. Puis entre l'arc de mes phalanges se logea un sexe érigé.

Je souris encore. Sentis des gouttes s'égrener une à une sur mon front, des lèvres chaudes l'effleurer.

Peut-être me murmurèrent-elles quelques mots. Peut-être pas.

J'aurais pu briser mon immobilité de statue pour les rejoindre, les dessiner de la langue pour les rendre miennes.

Je ne le fis pas.

Le moindre geste eût gâché cette intimité. Bouleversante, parfaite, liquide et fragile comme l'eau qui sous mon corps se délitait, se séparait pour mieux se rejoindre et fusionner dans une caresse.


Lorsque Noam encercla ma nuque, toute ma peau se hérissa. Non à cause de ce presque crépuscule, du vent d'orage qui s'était levé, de l'eau de la piscine qui fraîchissait. Mais bien à cause de ces mains, de leur exigeante douceur, de leur bienveillance, de leur sensualité, de leur tendresse.


Tendresse... Noam est avec moi un homme tendre, sauf lorsque je souhaite qu'il ne le soit plus. Qu'il me prenne violemment, baise ma gorge, claque mes fesses, mes seins, ma chatte.

Qu'il me possède en adjoignant à sa queue un jouet. Qu'il le mette en marche pour me pourfendre de ses vibrations, vibrations que Noam perçoit aussi à travers la membrane de mon cul.

Qu'il utilise sa ceinture qu'à quatre pattes, je déloge de son pantalon. Que, debout, je lui remets en tamisant l'éclat de mes prunelles. Cette étincelle que Noam aime autant qu'il la redoute, se demandant bien quelle nouvelle fantaisie m'a traversé la tête, quel supplice j'ai encore inventéSur quelle rive inconnue je vais à nouveau l'entraîner, consentant mais timide, amusé et conquis.


Troublé de me voir, à minuit, enfiler des talons vertigineux pour déambuler nue dans la maison.

Troublé de me découvrir imprévisible, avec des limites si lointaines qu'il ne peut ni les distinguer, ni en faire le tour.

Troublé de voir un si large terrain de jeux s'ouvrir à lui.

Playground insoupçonnable, affirme-t-il, pour qui me croise dans la "vie normale". M'entend m'exprimer d'un ton posé ou m'esclaffer pour un rien. Parler de films ou de poissons rouges, vêtue d'une jolie robe ou d'une simple chemise au retour d'une plongée, la ligne du masque encore imprimée sur le visage.

Noam me confirmait ce que je savais déjà : mon être social a peu en commun avec mes goûts sexuels. Femme-caméléon, certainement.

Et il l'avoue sans détours ni gêne : il est inexpérimenté en ce genre d'amour. Celui qui fait tant de bien en faisant mal. Celui qui l'autorise à prendre l'ascendant sur moi, à me dominer en m'attachant les poignets, en me courbant, en m'écartelant.


Intimité 3Quand nous ne sommes pas ensemble, Noam pense à moi. Me revoit gémissante et ployée. Imagine ce qu'il pourrait m'infliger mais n'a pas encore osé. Combat certaines visions en se persuadant que ça, je refuserai.

Puis doute, à son plus grand émoi, de mon refus.

Peut-être, finalement, accepterais-je.

Peut-être aimerais-je.

Peut-être même en jouirais-je.

Qui sait ?

 

Noam ne me dit pas tout non plus. Il préserve sa part de secret mais parfois se trahit. Comme pour cette petite image me servant de portrait sur un réseau social, vignette qu'il essaya, lança-t-il, d'agrandir en vain.

Surprise je m'exclamai :

- Oh, mais tu m'as donc cherchée ?

Noam afficha un sourire embarrassé, l'air charmant du garçon qui s'est étourdiment coupé.

- Mmmh. Oui... Mais je n'étais pas censé t'en parler. Parce que euh... il faut bien que je garde des choses pour moi.

- Bien sûr, garde-les pour toi. Mais qu'as-tu fait d'autre, sinon ?

Il gloussa. Moi aussi.


Noam me l'a pourtant signifié clairement : il ne veut pas d'une relation. Parce que pour l'heure, il n'y a pas de place à ses côtés. C'est lui-même qu'il cherche. À lui-même qu'il a besoin de se confronter.

Ce qu'il désire, c'est goûter sa liberté, éprouver ses choix, défricher seul sa route.

L'expatriation en fut le premier saut décisif. Son installation ici le second.

Vivre ici de son métier lui sera difficile. Patience, rigueur, chance, il lui en faudra beaucoup.

Parfois l'argent viendra à manquer. Parfois Noam doutera du bien-fondé de ses décisions. Questionnera cette voix intérieure qui lui a soufflé qu'il devait quitter son pays, sa famille, son travail pour se reconstruire sur une terre neuve, à peine dégagé d'un grand amour avec lequel il partagea sept ans de vie.

Sept ans. Un des caps critiques pour un couple. Une portion d'existence dont on ne se relève pas du jour au lendemain, même deux ans après la rupture.


Les mots de Noam roulaient dans l'obscurité complice. Je l'approuvais. Je comprenais son cheminement autant que la nécessité, pour moi, de conserver une distance, fût-elle minime.

La distance qu'impose une telle confession alors même que les actes sont équivoques. De plus en plus équivoques.

Comme cette brosse à dents que, le premier soir, Noam fit tant de manières pour accepter. Qu'il finit par prendre tandis que de ses hésitations je me moquais, l'invitant à la remporter chez lui s'il voyait dans ce don l'ombre d'un engagement ou d'une contrainte à revenir.

Le lendemain Noam partit en la laissant dans la salle de bains.

 

Intimité 4Les actes comme ses regards qui m'enveloppent, me susurrent qu'il me trouve belle mais pas que.

Il y a, je le sens, autre chose. La profondeur d'une émotion, d'un mouvement d'âme que Noam ne maîtrise pas.

Comme ses baisers à mon cou, à mes tempes, sur ma bouche. Avant, pendant, après l'amour, comme si de moi, il n'était jamais tout à fait rassasié.

Comme ses attentions dont, soucieux de ne pas me blesser, il m'entoure.

Comme son invitation à me nicher au creux de son giron après la jouissance. Et à m'y endormir, tendrement pressée contre sa peau.

Comme sa main qui, avant le sommeil, cherche la mienne pour l'étreindre. Et la serre, fort, au seuil des rêves.


La nuit et le partage. Flous comme cette intimité qui entre nous balbutie et esquisse, à son esprit défendant, les contours d'une relation.

Même si dans deux semaines, je m'en vais.

 

 

Photos : Heinz Hajek Halke, home made (mon dos à moi),

Weegee, Hosoe.

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Lundi 28 mai 1 28 /05 /Mai 15:47

Adri bisAdrien et moi avions prévu de nous revoir. Cette deuxième rencontre a priori très simple fut en vérité très compliquée à organiser.

Impossible, même.

Pourtant, j'étais prête à retourner à Puerto Princesa.

Pourtant, si Adrien débarquait sur mon île, je lui ouvrais toute grande ma villa.

Mais Adrien voulait d'abord se rendre à Manille. En revenir si tard que je renonçai à le rejoindre : pas question de bâcler les préparatifs de mon périple en Mongolie avec Bertille.

Il conclut mon refus d'un "en effet c'est dommage..." auquel je ne réagis pas.

Adrien et ses regrets m'agaçaient.

 

Le lendemain Adrien annula son déplacement sur Manille. Je ne lui demandai pas quelle était ma part dans cette décision. Peut-être aucune, d'ailleurs. Réjouie de la tournure des événements, je ne souhaitais pas les creuser davantage. Et m'apprêtais, sans plus de délai, à réserver mes billets d'avion et de ferry.

Une petite voix me souffla d'attendre.

Je l'écoutai. J'eus raison.

Après moult tergiversations, changements de programme et messages laconiques, Adrien séjournerait bien à Manille. Mais, promit-il, il serait chez moi le 23 ou 24 mai.

Plusieurs jours filèrent sans nouvelles.

De guerre lasse, je le textai la veille de sa possible arrivée.

Il ne répondit pas.

J'abandonnai.


Au fil des semaines j'avais découvert le fonctionnement d'Adrien. C'est le règne des coups de tête, du fil du vent, du gré des courants, l'ouverture à ce que les uns et les autres lui proposent. Le prier de fixer une date, d'établir un plan, des horaires et de s'y conformer est aussi inutile que de tamiser la plage à la cuillère.

J'avais aussi saisi qu'interpréter contre moi ses multiples hésitations, silences, annulations, était une erreur. Au début ceux-ci m'avaient peinée. Chagrinée de ne pas me sentir assez désirée. Irritée de dépendre de son bon vouloir.

Moi aussi j'avais des projets, des obligations, du travail à boucler, des gens à voir, mais les incessantes voltes-faces d'Adrien me bloquaient.

Cette façon de souffler le chaud et le froid aurait pu être délibérée, une manière tordue de prendre l'ascendant sur moi, d'étendre son emprise sur mon quotidien.

Pas du tout. Adrien est comme ça. Léger. Étourdi. Irréfléchi. Inconséquent. D'une imprévoyance qui à mes yeux frôle l'irrespect et se confond parfois à lui.

Comprendre cette donne me libéra de l'attente. Pas forcément de la déception de notre rencontre manquée, mais celle-ci s'estompa vite.

Finalement je ne voulais plus qu'Adrien vienne. Et ne voyais pas, d'ailleurs, comment il en serait capable. Il ignorait quelle route, quel bout de lande j'habitais. Il n'avait pas mon adresse. Pas mon nom de famille.

Sans lui j'avais repris le cours ma vie. Un chemin duquel il (s')était totalement exclu.

 

Adri bis 2L'après-midi d'hier fila dans l'écriture.

À peine avais-je terminé le billet sur Noam que ma voisine italienne m'appela.

- Yes, I'm here ! criai-je depuis ma terrasse masquée de rideaux blancs.

- There is someone for you, dear !

Quelqu'un pour moi ?

Étonnée je quittai ma chaise, entrebâillai les rideaux et distinguai, au bout de l'allée sombre, ma voisine escortée d'une silhouette masculine, si mangée de nuit qu'elle semblait irréelle.


Mon esprit travaillait à toute allure.

Bon sang de bonsoir, mais qui était donc ce visiteur surprise ?

Je crus deviner des cheveux longs.

Noam ?

Impossible. Il n'avait pas besoin de guide pour localiser la villa.

Ayhan, mon étudiant philippin ?

Idiot. Jamais il n'aurait osé débouler chez moi sans m'avertir.

Un ami de Bertille, peut-être ?

Mais lequel ?

Et pourquoi ?

Je n'avais rendez-vous avec personne.

Alors... QUI ?


À tout hasard je lançai :

- Hello...

Une voix que je ne reconnus pas s'exclama :

Hello ! Je suis si content de te revoir !

La silhouette marchait bras tendus vers moi. Et vers elle je marchais hypnotisée, irrésolue. Les bras serrés et les yeux écarquillés pour percer ce fichu noir.

- Mais qui est-ce ? lâchai-je brutalement, plus sèchement qu'escompté.

- Adrien !

- Adrien ??

Un bloc de stupéfaction s'abattit sur mes épaules, m'ôta la parole, m'affola le coeur, me coupa le souffle. Stupide, ballante, pétrifiée je me tenais toute droite, toute raide, toute molle.

Ma voisine s'éclipsa prudemment. Adrien me prit dans ses bras.

 

D'un coup je retrouvai sa peau. D'un coup je retrouvai son parfum.

Son odeur, la sienne si particulière, me frappa comme une gifle.

- But... Adrien... what... are you... doing here ?

Je ne m'entendis pas balbutier. Ni lui parler anglais. L'effarement avait fusillé mon cerveau.

Blocage sur la touche arrêt, bug informatique, écran noir.

Ben... Je suis là pour te voir. Tu n'as pas eu mon mail ?

- Noooon. Tu l'as envoyé quand ? Quand es-tu es arrivé ? Aujourd'hui ? Depuis longtemps ? 

Une fois le déblocage opéré, les questions se bousculaient. Les doutes aussi. La certitude de ne pas apparaître à mon avantage. Vêtue d'un tee-shirt informe, décoiffée, sans maquillage, prête pour écrire mais pas pour recevoir. Surtout un amant. Et bien plus jeune que moi.

Soudain je m'aperçus que nous étions encore dans l'allée, plantés entre les arbustes.

- Euh... Tu veux entrer ?

- Volontiers.


Adri bis 3Mon coeur s'accéléra encore.

Soudain je réalisai que j'aurais pu ne pas être seule. Que Noam aurait pu être là.

Nous dans la chambre à cette minute. Enlacés, avec nos gémissements, nos sursauts, nos cris filtrant par la fenêtre, faisant d'Adrien autant un obstacle à notre étreinte que le spectateur d'une intimité qui ne le regardait pas.

J'eus le sentiment d'avoir échappé à une catastrophe.

En effet, j'avais plus tôt hésité à inviter Noam. Finalement décidé de m'abstenir.


Une fois de plus ma petite voix m'avait protégée. Gardée d'un vaudeville tropical mettant en présence deux de mes amants.

Deux hommes qui ignoraient tout l'un de l'autre.

Deux hommes qui n'apprécieraient guère, sans doute, de tomber nez à nez.

Je ne leur avais pourtant rien promis.

Eux non plus.

Leur volonté était au contraire de rester libres. De ne nouer aucune attache solide, de ne pas entamer de relation, de ne s'engager avec personne.

N'empêche... Il est un monde entre le désir et sa réalité. L'envie d'indépendance et la réalité du corps d'un autre homme, de ses baisers, de ses coups de reins à l'amante.

On a beau supposer n'être pas l'unique, le voir de ses yeux ne fait, je crois, jamais plaisir. Au coeur comme à l'ego, à la fierté comme à l'âme.


Et il n'était pas exclu, pensai-je, que Noam me propose de le rejoindre ce soir. Ou qu'il surgisse à son tour au bout de mon allée comme un diable de sa boîte.

L'idée me chiffonna.

Puis zut. Tant pis. Ça leur apprendrait, à ces hommes, à débarquer sans crier gare. Attitude que je ne me serais jamais autorisé, tant par politesse que crainte de déranger. Et de devenir, contre mon gré, témoin de ce que je préfère occulter.

Mes hommes, vivez votre vie mais ne me l'imposez pas.

Ayez des amantes, des maîtresses, mais ne me les racontez pas.

D'elles je n'ai rien besoin de savoir. Elles sont vos jardins secrets. Gardez-les précieusement dans l'ombre des chambres closes, éloignées de moi qui ne souhaite pas les connaître.

Mais à l'unique condition, s'il vous plaît, qu'elles ne m'enlèvent rien. Ni votre désir ni votre amour, ni vos attentions ni notre partage.

Là, mes hommes, je ne serai plus d'accord.

 

 

Suite de ce billet ici.

 

Pins-up de Gil Elvgren. 

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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