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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Vendredi 14 septembre 5 14 /09 /Sep 11:01

DefinitionLa semaine dernière, Olivier, un expatrié français, m'a dit :

- Je te connais depuis combien ? Deux ans, c'est ça ? Et bien, au cours de ces deux années, je ne t'ai jamais vu posée. Toujours entre plusieurs pays, voire plusieurs vies, hésitante, dubitative, à t'interroger.

- Tu es un électron libre. C'est toi qui choisis qui, où, comment. Tu peux décider de t'agripper aux autres mais tu ne te laisses pas agripper.

- Tu n'offres aucune prise, tu glisses entre les doigts qui voudraient te serrer. Tu avances, tu esquives, tu disparais, imprévisible et changeante. Une fois là, une fois ailleurs, une fois absente.

 

Je l'ai écouté en triturant ma bague violette. N'ai dit ni oui ni non, sûrement parce qu'il n'y avait rien à dire : on ne combat pas la vision qu'un autre a de nous-mêmes, comme on ne peut juger ses ressentis.

Il y a du vrai dans les propos d'Olivier. Beaucoup, sans doute. Du beaucoup qui me renvoie à une identité morcelée, mouvante, rétive à entrer dans une case pour sagement y rester.

Incertaine, fractionnée et coulante, de partout je déborde. Et je m'interroge, oui.

Mais cette opinion, arrêtée s'il en est, m'a dérangée. Pas comme une injustice, plutôt à la façon d'un avis trop rigide, d'une loi d'airain gravée sur une tablette.

Dérangée peut-être parce que définir quelqu'un, c'est déjà l'enfermer.

Électron libre, alors ? Probablement.

 

 

Photo d'André Kertesz.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Vendredi 8 juin 5 08 /06 /Juin 08:13

BonjoukConception et Grace, l'autre employée d'Olüg, stoppent devant ma terrasse avec une échelle.

Surprise, je lève le nez de mon livre.

- C'est pour quoi faire, les filles ?

Aucune des deux ne parvient à me l'expliquer. Elles se dandinent en choeur, gloussent en couvrant leurs bouches et se poussent du coude.

Enfin, Conception évoque un objet bleu à remplacer.

Une lampe, je crois.

Je regarde le mur de la villa.

Pas d'objet bleu.

Mystère.

 

Olüg apparaît alors, flanqué du terroriste.

Le terroriste - ainsi qu'il le surnomme lui-même -, c'est Aganh, son fils de trois-quatre ans. Un insupportable gamin qui hurle à la moindre contrariété, enchaîne caprices et crises de nerfs, pleure des heures quand il n'obtient pas ce qu'il désire et ne connaît que deux mots :

"Dili !" (non !) et "Ayao !" (ne fais pas ça, arrête !).

Moi, je l'ai baptisé "le monstre du jardin". Monstre qui pour l'heure traîne sa couche-culottes sur mon carrelage.

Son père l'observe d'un oeil circonspect. Hésite à le relever puis y renonce, se persuadant que Conception a nettoyé les lieux hier.

 

- Un problème, Olüg ?

Mon propriétaire hausse ses sourcils épais. Se masse le ventre, qu'il a replet. Sourit de toutes ses dents abîmées par le tabac.

- Non, non. Juste un truc à accrocher sur la terrasse, si tu permets.

Et il brandit un magnifique disque bleu en pâte de verre.

À l'intérieur, trois cercles concentriques : un blanc, un bleu pâle, un noir.

- Oh, un bonjouk ! m'écrié-je.

Olüg me dévisage stupéfait.

Comment moi, l'Européenne, puis-je donc connaître cette traditon turque ? Savoir ce qu'est un bonjouk ? Soit un oeil pour repousser le mauvais, d'oeil. Ainsi que les sorts et les mauvaises pensées.

En somme, une amulette destinée à me protéger, moi et ma demeure.


Je réponds qu'à mes vingt ans, j'ai traversé la Cappadoce à cheval. Et que ma jument s'appelait justement... Bonjouk.

Olüg éclate de rire. S'avance vers moi, paume tendue, pour la claquer dans la mienne. Signe de reconnaissance et de partage, façon exilés découvrant soudain qu'ils viennent de la même terre.

Sacrée Française !

Olüg l'a pensé si fort que je l'ai entendu.

Parfois, moi aussi j'entre dans la tête des gens. Pour en ressortir aussitôt.

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines - Communauté : les blogs persos
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Jeudi 7 juin 4 07 /06 /Juin 14:25

ProtectionDemain j'ai prévu une troisième session d'hydrothérapie avec Noam.

La première fut intense, extraordinaire, bouleversante, érotique, débordant d'un désir que nos chairs exsudaient de tous leurs pores.

"Loaded", avait appuyé Noam.

Overloaded, plutôt. Impétueuse et chargée jusqu'à la gueule, pire qu'une mitrailleuse impatiente de griller ses cartouches.


La deuxième fut apaisée et apaisante, salutaire pour mon dos bloqué des cervicales aux reins.

Grâce aux mains expertes de Noam le reflux de la douleur.

Depuis, celle-ci s'est concentrée en bas à droite. Sourd rappel que je n'en ai pas encore terminé avec elle. Que mes mouvements - comme ma marge de manoeuvre - demeurent restreints.

Depuis cette dernière séance, plus aucune nouvelle de Noam.

Juste un grand silence blanc.


Noam s'est à dessein retranché de mon quotidien. En a disparu happé par le sable.

Finis, ses messages journaliers n'avouant pas grand-chose hormis l'essentiel : que j'appartenais à sa vie. Même à toute petite échelle, même sur la pointe des orteils.

Souvent à la lisière, certes. Mais à l'intérieur malgré tout.

Finis, nos rendez-vous conclus au crépuscule. Quand Noam timidement s'invitait chez moi, heureux de passer un moment - ou la nuit - en ma compagnie.

Pour du sexe mais pas que.

 

Ses avertissements ont pris poids et corps. Devant l'intimité comme face à une ennemie, Noam bat en retraite. S'il donne à son insu, il reprend de son plein gré.

Je sais qu'il a sa route à tracer, sa place à se tailler, ses peurs et ses démons à mater. Comme chacun ses chagrins, ses doutes, ses lignes de faille.

Vulnérabilité que personne n'aime à exposer, fût-ce à des yeux bien intentionnés.

Je l'envisage tel un fait.

Ses dérobades ne me blessent pas. Elles me collent au palais un persistant goût de "dommage", d'inachevé, de gâchis un peu triste.

L'impression d'un corset trop serré que Noam peine, engoncé, à délacer. Une ligne de conduite obligée, avec débandade programmée au bas de l'obstacle. Le contourner, l'occulter faute de pouvoir le franchir.

La démonstration de cette force qu'il revendique façon garde-fou. Quitte à se tirer une balle dans le pied.

 

Hier, Bertille résuma le tout d'un adjectif limpide : empêtré.

Noam est empêtré. Dans lui-même, ses envies et ses contradictions.

Alors, incapable de se délivrer, il m'exclut.

- Un message quotidien, mazette... Déjà trop d'implication, sans doute ! s'esclaffa mon amie.

- Tu as raison... Pire qu'une alliance ! renchéris-je.

Nous rîmes.

Oh, je m'en doutais bien. Mon amant n'a ni l'aisance désinvolte, ni la flamboyance de certains qui, se cherchant, s'adonnent tête baissée à toutes les expériences. Traversent les cerceaux de feu des remords, progressent par l'erreur en renversant tout sur leur passage, ne laissant que décombres dans leur sillage.

Noam est beaucoup plus posé. Plus mature peut-être. Ouvert et renfermé, léger et grave à la fois. États juxtaposés ou surimprimés, étrange kaléidoscope esquissant un homme en devenir.

 

Protection 2Moi, cet homme, je le laisse s'esquiver, s'effacer et s'amoindrir sans ébaucher le moindre geste pour le retenir.

Puisqu'il en a décidé ainsi, qu'ainsi ce soit.

Passive, vide de la tentation de me battre ou de m'imposer.

Parce que cette lutte réclamerait des efforts que je répugne à fournir.

Parce qu'elle est vaine.

On ne contraint personne à revenir d'une terre d'exil. Pour en quitter la grève, encore faut-il le vouloir.

Pour une relation, il faut être deux.


Mais en secret je râle un brin.

De me voir imposer des limites qui ne sont pas les miennes, mais que j'admets au nom de la tolérance.

D'être mise d'autorité à la diète, régime d'abstinence et de modération qui me dépasse. Quand c'est bon, très, pourquoi ne pas s'en délecter ? Croquer à belles dents et non du bout des lèvres ?

De devoir, aussi, marcher à rebours de moi-même. Contre cette conscience aiguë de l'extrême fragilité des choses et des êtres. Probable leçon tétée au désespoir, à l'inutile révolte face à la disparition de ma mère.

Demain Noam peut se réveiller très malade. Demain ou le mois prochain en Mongoliele fil ténu de ma vie peut également se rompre.

Une mauvaise chute de cheval, ça n'arrive pas qu'aux autres.


Jour après jour, la mort tour à tour menaçante et complice se tient à l'arrière-plan de ma vie. Présence qui me pousse à en jouir au mieux, de cette vie, d'un élan qui ne m'est cependant pas naturel.

Ma nature serait plutôt la nostalgie. L'impuissance zébrée d'actions d'éclat, le retrait sillonné de scintillantes éclipses, la raison déchirée de coups de folie.

Des années à Paris j'ai habité une prison de glace.

Une absolue constipée de l'existence.

Vous qui lisez ce blog depuis peu, cela vous étonnera peut-être. C'est pourtant vrai.

 

À une semaine de mon départ, j'aimerais savourer une (non) relation. Pleine et sans contraintes. Spontanée et dénuée de déprimants comptes d'apothicaire : mercredi et vendredi suivis une pause obligée ; lundi, mardi mais pas trois journées de suite ; samedi matin-midi, d'accord, mais pas le reste du weekend.

Noam peut baisser la garde, ôter son armure, poser ses abattis sur le tapis. Il aura plus que le temps de les numéroter une fois que je serai loin. De ranger dans les bonnes cases ces bouts de lui éparpillés. D'y coller à sa guise les étiquettes de défiance, protection, attente, recul, échec.

Mais pas maintenant.

 

Protection 3Et je m'interroge, aussi, sur l'intimité.

J'ai proposé à Noam de s'installer dans la villa en mon absence. Loyer payé, bien sûr. Maison vide ou pleine, celui-ci est dû au propriétaire.

Après son bungalow en nipa*, ce serait un fastueux changement de cadre.

Avec le confort moderne de l'air conditionné, de la chaudière pour attiédir la douche, d'une cuisine fonctionnelle, d'une chambre d'invités, d'un sommier confortable et d'une grande table pour travailler.

Avec des murs en béton qui isolent de l'humidité, du carrelage qui ne tache pas les pieds, du linge qui fleure bon la lessive et non le moisi.

Avec la piscine indispensable à son gagne-pain : les sessions d'hydrothérapie.


J'étais certaine que Noam refuserait.

Il n'a pas dit non. Ni oui, d'ailleurs.

Seulement qu'il me remerciait et se sentait, tout à coup, un enfant très gâté.

Seulement qu'après tant de luxe, le retour à son bungalow risque d'être cruel.

Seulement qu'il y réfléchirait.


Pour un homme s'effarouchant de l'intime, sa réponse me désarçonna.

Qu'y a-t-il de plus intime, justement, que d'occuper la demeure d'une amante ? 

D'y apporter ses possessions, de pousser ses affaires et d'investir ses placards ?

De voir ses produits de toilette et de beauté étalés ?

De retourner son tiroir à godemichés, de caresser et flairer ses petites culottes ?

De fouiner, peut-être, ses poubelles et sa panière à linge sale ?

D'accéder à son ordinateur que, rempli de textes et de photos, elle lui prête ?

En tout cas, de jouir pour sûr du jardin dont chaque jour elle se repaît, de sa terrasse chaque soir bercée de cigales, du matelas sur lequel chaque nuit elle repose.

Bref, de son monde dont elle a ouvert grand l'accès.

Qui ne dit mot consent. Accepter, c'est déjà partager. Et connaissant Noam, je sais qu'il ne s'y résoudra pas par pur intérêt. 

Aussi sa perception de l'intimité ne laisse-t-elle pas de m'étonner.

Décidément, ni lui ni moi n'en plaçons les contours aux mêmes endroits. 


 

 

Une chanson pour Noam (et pour moi aussi, je crois...)

 

* Nipa : grandes feuilles d'arbre assemblées sur des étais de bambou. Il s'agit d'une "native house", hutte traditionnelle qui n'isole ni de l'humidité, ni des insectes, ni du bruit (et fort peu des voisins... qui peuvent voir au travers !). 

 

Pin-up de Gil Elvgren.

Photos :  DR (portrait de Joan Crawford), Elinor Carucci.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Mercredi 6 juin 3 06 /06 /Juin 19:32

Vous etes prevenuesSoirée avec Bertille.

Nous faisons un point sur notre très prochain départ en Mongolie. Les questions à (se) poser, les médicaments à emporter, les affaires que nous possédons déjà, celles que devons encore nous procurer...


Nous appelons Vincent qui nous attend à Ulan Bator. Il est formel : nous charger serait une erreur.

Il souligne d'ailleurs ce que nous avons déjà remarqué. Dans un pays tropical, difficile de dénicher de quoi affronter le froid. Ou à des prix si peu attrayants que le budget voyage explose.

Des sacs de couchage pour nous réchauffer par un éventuel moins cinq ?

Trouvables sur place. Au marché noir, dans les surplus des armées russes et chinoises.

Idem pour les gants, les bonnets, les capes de pluie, les polaires.

 

En revanche, shampooing et du savon bios sont obligatoires afin de ne pas polluer les rivières.

Et vu notre usage parcimonieux, de (tout) petits formats suffiront.

D'abord parce que se laver, c'est un luxe permis uniquement près d'un cours d'eau.

Ensuite parce qu'après plusieurs jours de cheval, d'efforts et de poussière, de vent et de soleil, de cuisine et de veillées collées à un poêle artisanal, notre crasse sera si épaisse que le seul produit efficace sera... le liquide vaisselle.

Également utile pour les lessives, le produit. Celles-ci aussi nécessaires que rares, malgré nos juste trois T-shirts et pantalons.

Le plus strict des minima, on est prévenues.


Dès notre arrivée, Vincent nous apprendra les gestes indispensables. Comment bâter et débâter un cheval. Aller chercher de l'eau sans gaspiller son énergie. Prendre soin de nous pour éviter minuscules et gros pépins.

Aucun rapatriement depuis notre futur nulle part. Voilà, c'est dit.

Oh, il y a bien un avion militaire russe, mais un seul pour tout le pays. Et le coût, six mille euros, est si prohibitif qu'aucune assurance ne le couvrira.

D'ailleurs, impossible de localiser trois pékins perdus dans la pampa.

Internet, le téléphone ? Ne rêvons pas.

Comme Tubbataha est le royaume du bleu, la steppe est celui de l'herbe, des montagnes, des aigles et des chevaux sauvages, pas celui des antennes-relais.

 

Bertille et moi échangeons un sourire. Un regard entendu.

L'aventure sera dure, intense. Nous le savons. Nous préparons en conséquence. Prévoyons des antidouleurs, une fatigue persistante, de sublimes paysages et du courage à revendre.

Mais ce qui nous cloua fut l'innocente phrase de Vincent :

- En Mongolie, ne pas prévoir, c'est déjà gémir.

Ah oui ? Ça promet...

 

 

Photo de René Jacques.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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Mardi 5 juin 2 05 /06 /Juin 18:22

Un cunni etAlister est exactement mon type d'homme : très brun, les yeux café, la peau mate, un visage régulier ombré d'une barbe discrète. Intelligent aussi. Cultivé, sensible, brillant, ambitieux, spécialiste dans un domaine de pointe.

Professeur, chercheur, dirigeant d'une entreprise qu'il vient de fonder.

Alister passe sur l'île quelques jours de vacances. En chemise et long short kaki, loin de l'image guindée du patron, il fourre ses orteils dans le sable et s'esclaffe renversé sur sa chaise.


Lorsqu'il frôla plus tôt ma table, je tressaillis. Le trouvai aussitôt attirant, cet inconnu marchant à rapides foulées. Me surpris à me sentir soudain très seule. À imaginer cet étranger serré contre moi. À deviner la forme de sa verge sous son boxer et sa façon de faire l'amour.

Énergique, certainement. Et tendre. Et passionnée.

Je m'ébrouai. Assez de divagations pour ce soir, j'avais dit.

Alors, un peu vide, un peu grise, je retournai à mon livre et mon vague à l'âme.

Plus tard la serveuse demanda :

- Are you alone, Sir ?

Un "yes" sonore me fit sursauter. Je me retournai.

Le bel étranger était assis juste derrière moi.


J'ignorais encore que bavarder avec lui serait un tel bonheur. Alister a l'esprit vif, pénétrant comme une lame. Des références qui ne me sont pas étrangères. Une habile façon d'envisager les problèmes, de les inspecter sous différentes facettes.

En lui je reconnais l'empreinte d'une formation universitaire poussée, une attention portée aux mots, une élégance et une finesse plutôt rares.

Assurément cet homme a tout pour me séduire.

Sauf qu'il a déjà une compagne.

Plus tôt nous discutions du couple. Du contrat, tacite ou non, qui lie chacun.

À ma question "quel est le vôtre, d'ailleurs ?", Alister souffla :

- Le contrat classique.

- La fidélité réciproque, tu veux dire ?

- Oui. Je crois que c'est ça.

Alister croyait sans en paraître ravi. Il évoqua le désir, cette possibilité toujours ouverte qu'une inconnue le bouleverse, lui lâche des papillons dans l'estomac, réveille l'émotion, la cuisante tentation de s'approcher plus près.

Jusqu'à ses lèvres. Jusqu'à son sexe.

- Personne n'est à l'abri. Surtout d'un coup de coeur...

La prophétie me sembla sage, conforme à la vie telle qu'elle est.

J'acquiesçai sans réserve.

 

Les heures défilent et Alister se désole ne pas m'avoir connue plus tôt. Nous aurions pu parler d'une foule de sujets, paresser à la plage et plonger ensemble.

J'aurais pu l'éclairer sur le quotidien aux Philippines, mon expatriation, les étranges signes qui parsèment ma route, ma vision de l'existence et les bizarres articulations de la mienne.

Nous aurions pu mais voilà : Alister quitte l'île au petit matin.

Encore une rencontre à peine éclose que déjà tuée dans l'oeuf.


Un cunni et 5bisCette répétition m'apparaît frustrante, lassante, épuisante. Tous ces hommes croisés, leurs espoirs, leurs croyances, leurs histoires, leurs confidences, tous ces bouts d'eux qu'ils me laissent en s'éclipsant me donnent le tournis.

Me peinent, même.

Pénible impression d'une richesse qui, bien qu'étalée, me demeure inaccessible.

D'un mets délicieux duquel je ne goûte qu'une bouchée.

D'un parfum entêtant, à peine humé mais trop vite évanoui.

L'impression, aussi, d'être la dépositaire de bribes d'hommes bruissant au fond de moi tels des murmures. Chacun unique, doté de ses inflexions propres.

Unique mais confondu à un grand choeur, la chorale de mes amants, de mes amis, de mes absents.


Moi aussi je regrette qu'Alister plie bagages. J'aurais volontiers savouré du temps en sa compagnie. Journées de concorde, désintéressées puisqu'il n'est pas libre mais tenu par un contrat qui m'exclut.

Aussi suis-je effarée lorsque, sur le chemin nous reconduisant chacun chez nous, Alister stoppe net.

- Je dois t'avouer quelque chose...

- Oh. Pas grave, j'espère ?

- Si. Je... Tu... Oh, et puis zut ! Tu me plais beaucoup. Beaucoup trop.

Le sens a beau être limpide, j'ai du mal à en croire mes oreilles.

Rien, lors de cette soirée, ne m'a laissé présager que. Ou si, peut-être.

Une lueur plusieurs fois allumée dans les prunelles d'Alister. Sa voix altérée à mesure des heures. Ses approbations tandis que nous évoquions l'abandon, le plaisir et leurs parts d'incommunicable. Les mots qui gâchent les déduits, les comptes-rendus qui ternissent les étreintes.

Point par point, Alister me confortait dans mes opinions. Les complétait, même, comme s'il avait habité mon cerveau. Connivence, complicité... Cette proximité était aussi troublante qu'un baiser désiré mais gardé pour soi, retenu ou plus justement occulté.

Sachant qu'Alister avait une femme dans sa vie et un contrat de fidélité, j'avais décidé de ne rien remarquer.

M'étais persuadée qu'il n'y avait rien à remarquer.


Stupéfaite, je ne pus bredouiller que :

- Par-don ?

J'ai craqué, voilà. Oh, je me doute que... J'ai bien conscience de... Mais c'est plus fort que moi. J'aime ce que tu penses, ce que je devine et ce que je vois. Ta robe et tes mains. Tes épaules et le sable sur tes pieds et la...

- Mais, Alister...

- Quoi ? Les papillons dans l'estomac, c'est maintenant. Quand je te regarde.

Qu'objecter à ça ?

Le silence.

- J'ai une proposition à te soumettre, poursuivit-il. Ne la rejette pas d'emblée... Écoute-moi, s'il te plaît.

- D'accord. Je t'écoute.


Un cunni et 2Alister me proposa de l'accompagner à son hôtel. Où il m'offrirait, jusqu'à l'orgasme, un des plus délicieux cunnilingus de ma vie. 

Notre rapport s'arrêterait là. Aux embrassades, aux caresses, à sa langue au creux de mon sexe.

En échange je ne ferais rien. N'aurais rien le droit de faire. Juste celui de profiter, de m'enivrer et de lui faire cadeau de ma jouissance.

Ensuite je quitterais la chambre. Rentrerais chez moi pour le laisser seul.

- Mais... C'est horriblement frustrant ! m'écriai-je.

- Pourquoi ?

- Parce que dans recevoir sans donner, il manque quelque chose... L'essentiel. Le vrai partage, peut-être.

Mais quand Alister me pressa contre sa poitrine, je sentis, fou sous ma paume, son coeur battre à l'unisson de mon sang.

 

 

Photos : Christer Stromholm,

Paul Outerbridge et Man Ray, La Prière.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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