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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Dimanche 27 mai 7 27 /05 /Mai 14:46

Like a baby 2Noam m'avait dit que ce serait une conversation sans paroles.

Qu'il serait toujours là, à mes côtés.

Que je devrais me laisser aller.

Que plus je me laisserais aller, plus le voyage serait fécond.

Qu'il me guiderait à travers ce voyage-là.

Parce que Noam est un passeur.


J'ai regardé ses mains fermées sur la table. La bague en argent à son annulaire. Ses longs cheveux châtains répandus sur ses épaules. Ses yeux marron-vert frémissant lorsqu'ils s'attardaient sur moi. Ses lèvres qui découvraient ses dents, tous les petits plis que faisait monter son sourire au coin de ses paupières.

Mi par provocation mi par déduction, j'ai lancé :

- So, I must trust you ?

Noam gloussa. Baissa la tête comme devant une évidence, ou comme gêné que j'aie touché si juste.

- Oui, en effet... Ce serait mieux.

Ce sur quoi je conclus :

- De toute façon, si je ne te faisais pas confiance, je ne serais pas là. Et toi non plus.


Le lendemain, sans un mot, je plaçai ma paume dans celle, ouverte, de Noam. Sursautai. Elle était brûlante, animée d'une énergie si forte, si vibrante, qu'une décharge m'électrisa jusqu'au coude.

Je pliai les genoux pour m'allonger. Noam m'accueillit entre ses bras.

Avant que mes oreilles n'entrent au contact de l'eau, ne s'en remplissent pour m'isoler du monde, il souffla - avec tendresse je crois :

- Bon voyage...

Sa main gauche soutenait ma tête. La droite, chaude contre mon dos, mes flancs, mes épaules, me tirait, me poussait, me faisait tournoyer avec force et lenteur. Gestes assurés, fermes, précis, mille fois répétés, tout en maîtrise mâtinée de bienveillance.

À eux je m'abandonnais, basculant ma nuque, décontractant mes noeuds, relâchant une à une les tensions qui me vrillaient. 

Laisser aller, glisser, couler. N'être que liquide dans le liquide.

Lâcher prise.


Moi séparée de moi-même. D'un côté l'esprit qui calcule, prévoit, dissèque.

De l'autre le corps qui capitule, renonce au contrôle, à la coordination de ses mouvements. Jambes et bras surnageant comme des scarabées, buste et hanches en équilibre parfait, en harmonie dansant sur la ligne du monde, cet horizon rectiligne dérobé par mes yeux clos.

Mon esprit quitta mon corps tel un naufragé fuit un bateau en perdition.

Moi fondue à moi-même. Mon esprit qui se déchire comme de la gaze, kaléidoscope syncopé d'idées éparpillées au vent. Puis qui, léger, réintègre la chair, mon enveloppe sans poids dérivant entre les bras de Noam.


Like a baby 3Entre les bras de Noam, nos phalanges entrecroisées.

Il caresse ma joue, incline doucement mon visage, contourne mes mâchoires pour s'arrimer à ma nuque.

M'attire à lui, encore plus près.

Sa langue pointée agace mes lèvres, les écarte d'une pression pour se faufiler entre mes dents et s'introduire violemment dans ma bouche.

D'un coup, entière, comme s'il prenait soudain possession de mon corps, y pénétrait tout entier d'une bascule de reins, se noyait dans le berceau liquide de mes cuisses.


Je gémis. Presse Noam contre ma poitrine, mon ventre. Plonge dans la masse dorée de sa chevelure pour m'en emplir les paumes. À pleines mains saisie, ployée, tordue, mèches écartées puis fusionnées au gré de ma fantaisie, au rythme de mon souffle.

Ses poignets glissent sous mes fesses, me soulèvent et me déposent sur le plan de travail de la cuisine.

Derrière moi une pile d'assiettes s'effondre. Une bouteille malmenée roule sur le marbre et en dégringole sans que je n'esquisse un geste pour la rattraper.

Mes jambes-compas se referment en anneau, alliance de ma peau humide contre son sexe érigé. Alliance de mes tendons à ses muscles, de mes pupilles à ses iris, de ces flèches qui, décochés des siens, me transpercent de part en part.

Trois flaques sur le carrelage de la cuisine.

La bouteille explosée à terre. L'eau gouttée de nos maillots de bain. 

 

Noam frappa l'eau avec vigueur. Sous cette gifle des bulles se formèrent et coururent, effervescentes, le long de ma colonne vertébrale. Appel à me laisser happer par leurs tourbillons, à dévaler encore l'échelle de ma conscience, à me rapprocher d'un non-être qui n'est peut-être que l'être, finalement. Comme lorsqu'en plongée, aspirée, gilet lesté, je m'approche du coeur de moi-même en traversant des nappes d'eau successives. Certaines chaudes, d'autres froides, avec le monde aquatique dévidé derrière l'écran de mon masque. Actrice et spectatrice d'un univers qui me dépasse et auquel je me fonds.

 

Comme un bébé je flottais.

Plus rien n'avait de consistance ni de réalité. Des pensées s'imposaient, affleuraient sans que je ne m'accroche à une seule. Bouées larguées au fil du courant, des images dérivaient. Polaroïds de bords de plage, sensations d'écume brisée à mes pieds, réminiscences d'enfance que j'avais oubliées.

Mais non. Depuis ma naissance elles étaient là, tapies. Mais le chemin rationnel que j'empruntais pour les retrouver ne menait nulle part. J'avais la destination, oui, mais pas la bonne route.


Ces visions ne font en effet pas partie de ma mémoire consciente. Elles se sont déposées, inscrites, gravées à l'intérieur d'une couche obscure, presque secrète : la mémoire inconsciente de mon corps. Celle que Noam déverrouilla pour m'en ouvrir l'accès.

Les vacances dans le Sud de la France. Ma mère me portant dans la mer tiède quand je ne savais pas encore nager.

La toilette à la bassine. Ma grand-mère lavant mon corps dodu, pression rêche du gant mêlé d'éclaboussures et de savon.

En état de veille, ces images m'auraient sans doute dévastée. Mais dans l'apaisante matrice de la piscine, elles étaient duveteuses, châles d'amour lovés autour de mes épaules, plus douces et enveloppantes que des plumes.

 

Like a baby 4Enveloppants, la chevelure de Noam dénouée sur mes seins, ses yeux qui me cajolent, ses lèvres qui me dévorent. De la langue et des dents sans que, mon souffle, je ne puisse le reprendre.

Sans que je ne veuille le reprendre non plus.

Au bord de l'asphyxie entre ses cuisses qui m'enserrent, agitée de tremblements incontrôlables, si haletante que mes doigts picotent et se raidissent. Muscles arqués de tétanie, pouces collés aux majeurs sans pouvoir les en séparer.

Tête qui tourne au tempo de la chambre défilant de plus en plus vite, ondoyant manège en spirales de luxure.


Sa verge au fond de ma gorge. L'empalant comme ma chatte, avec délicatesse puis fureur, cisaillant mes chairs pour les forcer à s'ouvrir encore. Davantage que mes jambes pourtant écartelées sur le sommier, genoux pliés, remontés à angle droit vers ma poitrine.

Sa queue frappant mes fesses. Hampe captive, gland turgescent fouaillant mon aine, les lèvres de mon sexe, les grandes, les petites, mon clitoris, le vestibule de mes tripes suintant leur désir en appel à y plonger.

Ses paumes s'abattant sur mes mamelons, mes côtes, ma croupe. Globes que, timide, Noam n'a jusqu'alors que frôlés, caressés, à peine pétris. Jusqu'à ce que je l'invite à les brusquer. Que je le lui demande, exigeante et provocante de mon cul dressé, balancé sous son nez tandis que je m'empare de son sexe. Le lèche comme je veux qu'il me fesse. Brutalement, par salves, jouant du blanc entre deux à coups, de ces instants pendant lesquels il ne se passe rien.

Rien si ce n'est la suspension chavirée de l'attente, l'anticipation d'un plaisir aussi bref que cuisant, la crainte d'une douleur soudain trop forte et le fugitif désappointement quand elle ne l'est pas assez.

Et la tendresse, infinie, de son regard. De ses doigts apposés sur mes joues. De ses lèvres qui me chuchotent belle, si excitante qu'il doit se retenir pour ne pas, de suite, exploser en moi.


Mes vertèbres se courbèrent, mes jambes dessinèrent un large arc-de-cercle. Emportée par la vigueur de Noam, soumise à son élan, je fendis l'eau de la piscine. Mon coude droit se plia, libre, jusqu'à se refermer sur sa taille. Contact fortuit me ramenant à la réalité de cet homme debout contre moi, à distance de baiser.

Soudain la tentation de prolonger cette intimité. Puis, aussitôt, le renoncement.

J'étais redevenue un bébé. Un foetus immergé dans le ventre maternel, isolé et protégé de l'extérieur par le liquide amniotique.


Noam plaça un bras en travers de mes hanches. Me bascula en avant, roulée en chien de fusil, chevilles retenues par ses mollets. Ma tête creva, quelques secondes, la surface du bassin. Je repris alors conscience du monde, mais une conscience si tranquille qu'elle ne me perturba pas.

J'accueillis le bruissement des cigales du jardin, des bribes de conversation venues de la villa voisine, les clapotis, la respiration puissante de Noam. Tissée de désir peut-être, au diapason de l'assurance qui roulait, paisible, dans mon sang.

Arriverait ce qui arriverait.

Je replongeai. Seuls mon nez et mes yeux dépassaient de l'eau.

Noam appuya avec précaution sur mes paupières. Le noir zébré de rouge soleil se changea en encre.

Mon relâchement se fit extrême, presque jouissance tandis qu'il massait mon front, mes tempes, ma nuque.

 

 

Like a baby 5Nos fronts, nos tempes, nos nuques perlés de sueur. Nos corps trempés, ruisselants, s'étreignant sur les draps défaits.

Noam sur mon échine courbé, fiché dans mon cul, léchant mes oreilles, mordant mes épaules, agrippant mes cheveux pour renverser mon cou, cherchant mes lèvres pour y mêler sa langue. 

Le masque du plaisir sur ses traits apposé, délayés par une lame de fond déferlant de sa bouche à ses iris. Leur éclat flou, palpitant, perdu, rivé à mes prunelles aussi égarées, livrées corps, souffle, âme, à son sexe qui me possède.

Abandonnée à lui comme je le fus dans la piscine.


Plus tard Noam me dira que mon visage s'est incrusté sous ses paupières. Ce visage qui s'effrite pour en dévoiler un autre insoupçonnable, troublant, inconnu, métamorphosé par la jouissance.

Il me dira qu'en partant, c'est ce visage fou qu'il emportera avec lui.

Ce visage d'amante bouleversée et plus bouleversant qu'un aveu.

Ce visage qui en moi fait se rejoindre et la vunérabilité et la force, et l'enfant et la femme.


Noam m'assit sur ses genoux, près du bord de la piscine afin que je m'y appuie.

Et, se penchant tout contre moi, murmura :

- Welcome back...

Je ne voulais pas ouvrir les yeux. Ne m'y résolus qu'au prix d'un grand effort. Et rencontrai aussitôt son regard vert liquide qui me ramena sur la terre des hommes.

Ni lui ni moi ne connaissions la durée de mon voyage : les aiguilles de son réveil posé dans l'herbe indiquaient obstinément quatorze heures trente deux. Soit l'heure précise de mon départ. Soit la minute précise où Noam était devenu mon passeur.

L'officiant de mon baptême et de mes noces liquides.

Entre ses bras comme un enfant.

Entre ses bras comme une femme.


 

Photos : Tony Frissel, Wingate Paine,

Flore-Aël Surun, Heinz Hajek Halke.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Mardi 8 mai 2 08 /05 /Mai 18:54

24-29 avril 2012.

 

 

TubbatahaDes années que je rêvais de Tubbataha. Des années que je me promettais, un jour, d'y tremper mes palmes.

Le temps avait passé et je n'étais toujours pas allée à Tubbataha.

Fidèle à mon nouveau programme de vie, je décidai que ce voyage serait cette année.


Tubbataha est une mecque des plongeurs. Non pour les petites créatures qui peuplent les océans, mais pour les grosses : des requins, énormément. À pointes noire, blanche, argent, baleine, de récif et même marteau.

Des raies aigles et mantas, des dauphins, des tortues, des napoléons, des bancs de carangues, découverts au rythme épuisant de nos immersions : cinq par jour. La première à 6h30, la dernière, de nuit, s'achevant douze heures plus tard.

Une semaine et l'impression de n'être jamais sèche. De passer mes journées à me changer pour plonger, à plonger, à me reposer d'avoir plongé.

Donna, la divemaster en chef, nous avait prévenus :

- Si jamais vos cheveux sont secs, c'est qu'il est temps de vous équiper.


Une semaine d'aventure humaine, aussi.

Treize autres passagers sur le bateau, dix nationalités de l'Europe à l'Asie. Un seul couple, un père et son fils, deux paires d'amis et des célibataires. Des personnalités fortes, douces, drôles, attachantes.

Donna la Philippine, amoureuse d'un Français qu'elle espère rejoindre.

Un Suisse-Allemand globe-trotter. Bel homme ayant tout pour lui, que je revis à Bohol, qui s'attarda comme moi à Puerto Princesa et rencontra Adrien.

Un Polonais décalé à l'humour caustique, aficionado de Frank Zappa et Peter Greenaway.

Un Suisse italien qui me prêta sa lampe quand la mienne mourut à la première plongée de nuit.

Ma compagne de (modeste) cabine, une Coréenne aussi américanisée que réservée. Quand elle sortait de son mutisme, c'était d'une voix forte pour exposer une vision pragmatique des relations amoureuses : les hommes allant et venant, à quoi bon s'embarrasser d'un trop encombrant ? Et pourquoi lutter alors que, dans la mer, il y a tant de poissons ?

Deux Chinois, l'un à la face de lune et l'autre aux dents tachées de nicotine. Distraits et maladroits comme les Pieds Nickelés, souvent les derniers à embarquer sur le speedboat, quand il ne leur manquait pas quelque chose : une palme, un chausson, leurs appareils photo.

Le soir sur le pont, ça parlait dans toutes les langues entre bières et cigarettes, discussions sérieuses et francs éclats de rire.


Tubbataha 3Tubbataha semble être bout du monde, à mille milles de toute terre habitée. L'est effectivement.

Ses deux îlots, sauvages confettis perdus dans le nulle part, se trouvent à quinze heures de Puerto Princesa. Autant dire qu'il faut rester très prudent. Ne surtout pas jouer à la roulette russe des maladies de la décompression. On a largement le temps d'être paralysé - ou mort - avant d'atteindre le premier caisson.

En une semaine, nous ne croisâmes que trois bateaux, dédiés eux aussi à la plongée.

Dans une poignée de semaines il n'y aura plus de bateau du tout. Tubbataha, destination reculée de l'ouest philippin, n'est accessible que de mars à mi-juin. Avant et après, la mer est trop mauvaise, les vents trop contraires, les courants trop traîtres.

Les seuls à rester sont les rangers qui veillent sur ce sanctuaire.

L'avant-dernier jour, nous leur rendîmes une courte visite.

 

Notre bateau s'amarra dans le bleu. Nous fûmes huit à monter dans une chaloupe. Destination une langue de sable découverte par la marée basse.

Plantée à proximité, sur pilotis au milieu, une construction blanchâtre.

L'abri des rangers.

La chaloupe s'arrêta à quelque distance. Nous traversâmes le bras de mer sandales à la main, mollets et cuisses battus par les tourbillons. À l'horizon, bande outremer déposée sur un azur translucide, le ciel s'obscurcissait déjà. Des tons plus doux, orange, violine et or, le zébraient de quelques griffures. De rares nuages y flottaient, si blancs, si compacts, à la base si plate qu'ils semblaient sculptés dans de la Chantilly.

Le coucher de soleil s'annonçait somptueux. Il le fut. Lent et majestueux comme un miracle, d'une beauté à tordre l'âme, dans un silence à peine troublé par les hommes.

Parfois l'eau se frangeait de remous. Un poisson volant ou la tête d'une tortue venue respirer à la surface. Entre nos orteils de petits crabes se faufilaient comme pour nous rappeler que, même dérangés, ils demeuraient ici les seuls habitants légitimes.

Dès notre départ ils reprendraient et leur sol et leurs droits.


Des marches de bois rongées par le sel menaient à la bâtisse des rangers.

Nous les empruntâmes à la queue leu-leu. Une fois à l'intérieur, je ne pus retenir un cri.

D'abord une pièce miteuse avec des babioles à acheter, du tee-shirt au porte-clefs en passant par les autocollants.

Puis, sale et fissurée, une salle d'un seul tenant ouverte sur la mer, hérissée de lits superposés. Témoins forcés les uns des autres, les rangers dorment là, sans intimité ni confort. Pour se laver, faire la vaisselle et nettoyer leurs vêtements, ils dépendent de l'eau de pluie.

À notre arrivée, les gros bidons de stockage étaient presque vides. Rationnement forcé et annonce de jours plus difficiles encore, à moins que la météo ne leur soit clémente.

Une cuisine minuscule complète le tout. Ameublement sommaire encombré de produits de première nécessité : riz, huile, sauce. La nourriture principale est encore le poisson tout frais pêché.


Tubbataha 2bisLes lieux donnent une impression de superficiel râclé jusqu'à l'os, de dénuement conjuré par la magnificence du paysage. De mer et d'immensité liquide, nu lui aussi mais si plein à la fois.


Un poisson jaillit de l'onde pour y retomber et s'y confondre.

Un oiseau traversa en oblique le feu du soleil.

Plus aveuglants qu'un brasier, ses derniers rayons rougeoyaient.

Debout face à l'horizon, pieds recouverts de sable tiède, jambes et bras offerts à la brise, je sentis le souffle du monde me caresser la nuque.

Son souffle et son chant d'une infinie beauté.

 


Photos : Iroshi Nonami, Ric Frazier. 

Par Chut ! - Publié dans : En profondeur... passion plongée - Communauté : les blogs persos
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Vendredi 4 mai 5 04 /05 /Mai 19:40

Puerto Princesa, Casa Linda Inn, nuit du 30 avril.

 

 

Ma nuit fauveAvant que les contours ne se brouillent, écrire sur Adrien.

La mémoire est faillible, parcellaire, et après quelques jours, le temps a déjà entamé son oeuvre d'oubli.

Déjà les couleurs de cette nuit fauve s'affadissent, les sensations se ternissent, des détails s'effacent, des reliefs s'abrasent.


Alors me souvenir de la chambre, du miroir et de mes mains posées sur le ventre d'Adrien. De sa soudaine transformation en une étrange divinité à plusieurs bras. De mes paumes qui serpentaient sur ses flancs, sa poitrine, effleurant le tatouage qui l'ornait.

Un drôle de dessin avec une longue histoire. Une histoire qu'Adrien me tut cette nuit-là.

Qu'il me taira peut-être à jamais car de nuits, nous n'en avions qu'une.


Par dessus son épaule je distinguais mes yeux. Bleu liquide malgré la demi obscurité, ils coulaient sur le visage de mon amant, ses souples boucles jais, ses grands yeux si peu asiatiques et sa large bouche métisse.

Qui dans le miroir me sourit pour réaffirmer notre alliance.

Je lui rendis un sourire qu'il ne put voir.

Mes paumes remontèrent contre son coeur. Et restèrent là, agrippées à sa peau si merveilleusement, incroyablement douce qu'on jurerait de la soie.

Jamais je n'en avais caressé une plus onctueuse que de la crème fouettée, plus soyeuse que les narines d'un poulain.

Giuseppe avait raison. Les peaux asiatiques possèdent ce je-ne-sais-quoi qui affole les sens, totalement.

 

Je nous regardais dans le miroir qui me montrait ce que déjà, je savais.

Adrien est beau. Et jeune, très. De cette jeunesse qui d'abord l'écarta de mon champ des possibles. Jusqu'à ce qu'il me fixe avec cette intensité qui brutalement me révéla sa beauté. Et une attirance que j'osais à peine m'avouer.

J'en eus un choc intérieur. Un que je masquai en saisissant mon verre.

Adrien se pencha vers mon oreille. Y fit rouler quelques phrases sans importance. Je souris à travers le rideau de mes cheveux, mince protection que je devinais inutile.

Il était si près de mon épaule, le cou si incliné, qu'une de ses mèches se mêla aux miennes. Du blond serti de brun, mariage de France et d'Asie mêlée d'Europe.

Et le ballet de notre conversation courbée reprit, bouche contre oreille, oreille contre bouche, doigts, genoux et mollets nonchalamment heurtés au gré des mots.

Adrien désirait cette nuit avec moi.

Moi aussi.

C'était aussi simple que ça.


Ma nuit fauve 2Par dessus une autre table, la musique trop forte, le tumulte des corps enchaînés à la danse, Adrien me regardait.

Sans ciller.

Tout entier absorbé par la mèche qui barrait ma pommette brune, mon nez froncé et mes lèvres entrouvertes.

Fichées dans ses prunelles, les miennes lui parlaient.

Lui, muré dans un égal silence, me répondait.

Dialogue muet éclatant du désir de nous toucher. De renverser cette stupide table pour nous ruer l'un sur l'autre. De nous débarrasser, sauvages, affamés, ivres, de nos vêtements.


Tracey, ma voisine australienne, gloussa. S'exclama que le fil tendu de notre regard était obscène. Qu'elle se sentait de trop, forcément. Qu'elle aimerait qu'un homme la contemple aussi de cette façon. Magnétique, bouleversée, effrontée, si explicite que la suite ne laissait planer aucun doute.

Nous l'ignorâmes.

Tracey se leva et partit.


Plus tôt, c'est elle qui enveloppait Adrien d'un regard suintant le désir, tout en détaillant une histoire de tuba prenant l'eau. Adrien étant en passe de devenir instructeur de plongée, son avis lui apparut soudain essentiel.

Ne sachant que répondre, celui-ci questionna :

- Mais de quel côté du masque mets-tu ton tuba ? À gauche ou à droite ?

Tracey écarta alors ses lèvres pour y enfourner ses doigts. Doigts qu'elle lécha avec application avant de minauder :

- Dans ma bouche... Je me le mets... dans la bouche...

Une offre si directe, grossière, m'effara. Je partis d'un rire immense. Adrien m'imita.

Tracey se rembrunit et insista :

- Then what ? My snorkel ? In my fucking mouth... !

Respiration coupée par nos hoquets, Adrien et moi nous tenions les côtes, incapables d'articuler la moindre syllabe.

Lorsque je retrouvai ma voix, elle se cassa légèrement, filet peinant à se frayer une voie au travers du chaos :

- Tu viens avec moi, Adrien ?

- Bien sûr que je viens.

Dehors, il ajouta que si je n'avais pas franchi ce premier pas, il l'aurait fait, lui.

Sans hésiter.


Dans la voiture je jouais avec ses cheveux, m'attardais sur sa nuque et paressais sur son dos. Si heureuse que j'en ratais par deux fois l'embranchement de l'hôtel. Qu'Adrien, amusé par ma distraction, dut opérer une marche avant puis arrière.

J'avais la sérénité de ce qui doit arriver, la tranquille assurance de ce qui doit être.

Cette nuit était certainement écrite quelque part. Dans le livre de mon (bon) plaisir. Dans un tome de mes mille et une nuits pour un chapitre de celles qui comptent.

De cela je ne me doutais pas encore. Tout au plus en eus-je l'intuition lorsque, sur le chemin de terre qui menait à l'hôtel, Adrien m'embrassa.

Baiser-oiseau léger comme un châle puis plus appuyé, dents mordillant mes lèvres, langue faufilée entre mes dents.

Je l'enlaçai pour un court instant de tendresse.

- Je regrette que tu partes demain... dit-il. J'aurais aimé...

- Me connaître mieux ?

- Oui.

Je n'eus pas le temps de penser "moi aussi" que déjà, notre étreinte s'était brisée.

 

Ma nuit fauve 4Une haute grille bloquait l'entrée de l'hôtel. Autour de ses barreaux, un cadenas impossible à crocheter. Vautré face à la télévision allumée, le veilleur de nuit dormait.

Nous l'appelâmes.

Il n'eut pas un mouvement.

Nous réessayâmes plus fort.

Aucun résultat.

L'homme semblait hors d'atteinte, évanoui au pays des songes.

- Euh... Tu crois qu'il est sourd ? Ou mort ? m'étonnai-je.

En réponse, Adrien pesa de tout son poids contre la grille et cria :

- Até ! Até !! ATÉ* !!!

À ce régime-là, c'était tout la maisonnée que nous allions tirer du sommeil.

L'employé enfin sursauta. S'éveilla. S'étira. Couva d'une mine ahurie la clé que j'agitais entre les barreaux. Nous souhaita bien le bonsoir, discuta avec Adrien en tagalog* et... se recoucha.

Nous éclatâmes de rire.

Dérangé en plein rêve, le brave homme avait juste oublié un détail : nous ouvrir la porte.

 

Le reflet d'Adrien plaça ses paumes sur mes mains, puis les écarta pour pivoter contre ma poitrine.

Sur sa joue gauche, deux grains de beauté dupliqués par le violet de sa boucle d'oreille.

Sur la droite, deux griffures, cicatrices en souvenir d'une mauvaise chute.

Et toujours ses paupières immenses et sa bouche bombée, charnue, découvrant un sourire blanc qui murmura :

- Jamais je n'aurais deviné... Tes baisers sont si tendres...

Non, jamais il n'aurait soupçonné le fauve en moi. Ni mes goûts particuliers si j'avais décidé de les lui cacher.

Mais à quoi bon ? Dans quel but ?

Plus les années défilent et plus je m'approche de moi-même. Plus je deviens, ou plutôt m'autorise à devenir celle que je suis. Dans mes joies si pleines qu'elles me perforent les os, mes tristesses si profondes qu'elles me crucifient.

Dans le voyagela plongéela steppe.

Dans la découverte ou la routine, la solitude ou l'échange.

Dans un lit osous la douche.


Cataractes qui ruisselaient sur nos corps nus, auxquelles Adrien tenta brusquement de se soustraire.

- Désolé... pipi.

- Sur moi, chuchotai-je.

- Pardon ?

Il avait parfaitement compris. Mais sûrement en est-il ainsi des propositions aussi inattendues que perturbantes : le besoin de se les faire répéter, différemment sans doute, pour s'assurer qu'aucun malentendu ne s'y est glissé. Pour s'accorder le temps de la réflexion, d'y adhérer ou de les refuser.

Adrien ne déclina pas mon offre. Peut-être pour vivre une expérience nouvelle. Peut-être pour m'accorder ce plaisir. Peut-être pour se l'accorder à lui-même.

Ne rien rejeter a priori, cette philosophie-là me séduit.

Mon amant eut au contraire ce crépitement d'iris que j'aimais tant, union de malice, de ravissement et d'impudeur.

- D'accord.

Sans effort ni gêne il inonda mes cuisses tandis que je l'embrassais. Passionnément de la langue, des lèvres et des dents.

Chaud, froid, brûlant, tiède, l'arc-en-ciel des températures scella notre partage.

- C'est la première fois qu'une femme me demande de...

Mais des partages, Adrien en avait connu d'autres. Bien d'autres et bien plus que ne le laissait supposer sa jeunesse.

 

Ma nuit fauve 5Avant la douche, j'avais ôté sa ceinture. Laissé son short filer au bas de ses jambes. Caressé son sexe raide à travers le fin tissu de son caleçon. Enlevé ce dernier rempart qui nous séparait.

Puis, levant le menton, plongé dans ses iris avec insolence.

L'ampoule du couloir projetait sa lumière crue sur mon front.

Adrien ne pouvait ignorer ni ma provocation ni mon désir. Ni ma hâte que j'essayais pourtant de dissimuler.

Je brûlais qu'avec violence il s'empare de ma bouche. Qu'il me la baise. Qu'il me force à suffoquer, appuie sur mon crâne, m'empoigne les cheveux, me les tire à les arracher.

Je brûlais qu'Adrien me change en poupée docile, m'utilise au gré de sa fantaisie.


Prête à me couler, ductile, dans les méandres de son plaisir pour entièrement en occuper l'espace. En révéler les replis insoupçonnés. Emplir sa tête, vider son cerveau et le mien de tout ce qui, à cette minute, n'était pas nous. N'était pas nos chairs ni nos halètements ni nos sueurs mélangés.

Et je le suçai. Longtemps. Très longtemps. À genoux contre le mur. À quatre pattes sur le sommier. Allongée en virgule sur son torse. Couchée toute droite sur le dos.

Tour à tour l'éloignant et l'attirant, me livrant et me dérobant.

Mais en l'intimant, toujours, de ne pas jouir. Pas encore. Pour que cette nuit n'en finisse pas. Comme si notre étreinte avait le pouvoir de repousser l'aube qui bientôt s'inviterait entre les persiennes.

 

Je le suçai si longtemps que mes muscles s'endolorirent.

Si longtemps que, lorsque résonna un nouvel "attends", Adrien protesta :

- Mais je n'en peux plus d'attendre !

Je devais prendre conscience, grimaça-t-il, de la torture que je lui infligeais. Odieusement douce et cruellement interminable, supplice qui le contraignait à puiser au tréfonds de sa volonté et de son self-control, à masquer son visage de ses poings, à presser les oreillers, à peut-être les mordre pour ne pas exploser contre mon palais.

Finalement je cédai. L'habillai d'un préservatif, rampai sur lui et, adorant ses traits parfaits, ses boucles trempées collées à ses tempes moites, ses longues paupières à demi closes, lentement guidait son sexe dans le mien, lentement me penchait sur son corps jusqu'à le recouvrir.

- Oui... soupirai-je de bonheur.

 

Par Adrien je fus surprise. Comblée lorsque, lui réclamant une fessée, il s'exécuta.

- Plus fort ! suppliai-je.

Au bout de trois prières, Adrien comprit. Que ce n'était pas pour de faux. Que j'implorais vraiment sa sécheresse sur ma croupe, non l'hésitation d'un geste retenu. Une force de frappe qui m'obligerait à me raidir et me tortiller.

À tenter de lui échapper, même.

Une claque à l'exacte mesure de ma faim s'abattit sur mes reins. Je gémis de saisissement et de gratitude.

C'était fort, c'était délicieux et trop court.

Nous basculâmes en roulé-boulé sur les draps.


Ma nuit fauve 6Lèvres, langue, jambes, seins, chatte enchâssés à Adrien, je me redressais, me rehaussais, m'abaissais, me déhanchais.

Possédée et me repaissant de l'accueillir si profondément en moi.

Prisonnière et jouissant de ses mains qui, fouaillant mon ventre, me repoussaient sur ses cuisses, loin, jusqu'à ce que je sente sa queue heurter, au moindre de ses soubresauts, les parois de mon sexe.

En sueur, pantelants, épuisés, nous nous épousions à bout de souffle.

- Viens... dis-je simplement.

À bout de souffle je le pris à fond de gorge.

Et Adrien vint dans un cri.

 

Étendus sur la pelouse de l'hôtel, lui paré d'une serviette, moi d'un ample tee-shirt, nous parlâmes. Retournâmes au lit afin de parler encore. Bulle de confiance et d'apaisement entrecoupée de silences et emplie de mots choisis.

Réflexions partagées, éclairages croisés, échange d'opinions, de ressentis, de sentiments.

Partage.

Adrien me livra des bouts de son histoire. Évoqua sa double culture, ses héritages, ses choix, ses blessures. Lignes d'espoirs et de failles entre ses mots tracées, cadeau qui n'eut hélas pas le pouvoir de différer l'aurore.

Adrien a la gravité des enfants grandis par force trop vite et trop jeunes livrés à eux-mêmes.

La maturité d'un homme, l'intelligence et la finesse d'une âme sensible.

La franchise de ceux qui ne s'embarrassent plus de mensonges.

La candeur, parfois, qui perce l'écorce.


Vaincus par l'épuisement, nous sombrâmes enlacés.

Quelques heures de sommeil et il quitterait la chambre.

Quelques heures après son départ, je quitterais la ville. Plus riche d'une nuit et détrompée d'une erreur.

Avant Adrien je prêtais aux très jeunes hommes inexpérience et immaturité. Un manque de profondeur souvent constaté, faute d'assez d'années de vie. Je me les représentais comme des esquisses, des êtres en devenir que le temps ne pourrait que bonifier. Des vins encore trop verts en somme, même si sous l'âpreté de la robe affleurait déjà le grand cru.

Mon amant me délogea de mes certitudes. Et, comme à chaque fois que mes convictions se trouvent bousculées, j'eus l'impression de grandir un peu. Pour une fois sans chagrin ni souffrance, mais dans la violente tendresse de ses bras qui, une poignée d'heures, m'aimèrent.

 

Adrien est une très belle personne.

Je souhaiterais vraiment le revoir.

J'espère que lui aussi.


 

* Mot utilisé pour s'adresser à une personne plus âgée.

* Une des langues officielles des Philippines (la plus largement parlée hormis l'anglais).


Le titre de ce billet est un hommage à ma lecture du moment :

 Les Nuits fauves de Cyril Collard.

1re photo : Daido Moriyama ; 2e et 3e : Hosoe ;

4e : Jacob Aue Sobol ; 5e : Reinhard Scheibner.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Mardi 17 avril 2 17 /04 /Avr 16:51

Le début ici.


Trampling a domicile 3bisMatt souriait encore lorsqu'à la fin du cours, il dit :

- Il faudrait que quelqu'un me marche dessus. Pour débloquer mon dos, c'est hélas la seule solution.

- Mmmh... quelqu'un...

Je feignis de réfléchir pour suggérer avec malice :

- Une femme, par exemple ?

- Ce serait mieux, en effet.

- Avec ou sans talons aiguille ?

Matt parut interloqué.

- Pardon ?

- Avec... ou sans... talons... aiguilles ? répétai-je lentement. Ce n'est pas pareil. Enfin, le but est différent. Mais j'aime bien les deux.

- Mais ça doit faire mal ! s'exclama-t-il.

- Oui. Mais la douleur, c'est aussi le jeu.

Matt dut croire que je plaisantais. Mi incrédule mi intrigué, il partit d'un bref éclat de rire qui n'engageait à rien, et surtout pas à se faire piétiner.

Puis, comme une ultime fin de non-recevoir, il enfila son tee-shirt.

 

Je me tenais derrière Matt dans ma cuisine. Proche de lui jusqu'à presque le toucher, presque jusqu'à épouser, frémissante, la virgule de son dos. Entre ses doigts charpentés, un paquet de spaghettis qu'il versait dans l'eau bouillante.

Il avait très faim. Moi aussi, mais d'autres nourritures.

J'avais pourtant résolu de ne rien brusquer. De museler la bête qui en moi rugissait. De la plier, même, à se contenter d'un dénouement platonique. Le plus important était le partage de ces moments de tropiques, jazz en sourdine et cigales crissant sur la pelouse, obscurité moite rafraîchie des pales du ventilateur.

Pas une idée fixe qui, tout autour du sexe enroulée, gauchirait et gâcherait la soirée. Quelle qu'en soit l'issue, je décidai qu'elle serait belle. Et me promis d'en savourer chaque instant au lieu de me jeter sur le plat de résistance.

Plat qui résistait d'ailleurs avec mollesse, m'effleurant dès qu'il le pouvait les flancs, posant sa main sur mon épaule d'un mouvement naturel.

Si naturel que j'en conçus un doute : ce grand garçon comptait-il vraiment coucher avec moi ?


Je repensai à Yaelle qui, chez Matt, ne sentait pas grand-chose.

Peut-être était-ce l'explication : des ondes trop faibles pour qu'elles m'atteignent, trop ambiguës pour me permettre de trancher.

Peut-être ignorait-il lui-même ce qu'il désirait.

Peut-être, timide, me laissait-le le soin d'ouvrir les hostilités. Chaussée de talons aiguille s'il m'en prenait la fantaisie.

Je repensai à un film, comédie de fin de nuit blanche dont j'avais oublié le titre.

Une femme y affirmait à une amie :

- Enfin, à nos âges, une invitation après 19h00, this is a date !

Sceptique, l'amie posait la question à un homme. Et lui de répondre :

- Évidemment ! Après 19h00, à nos âges, une invitation is bound to be a date !


Trampling a domicile 4Un rendez-vous amoureux, d'accord... Mais les signes restaient obstinément confus.

En témoignaient nos chaises rapprochées sur la terrasse en un intime tête-à-tête, comme la soudaine distance que Matt prit en secouant le fond du paquet de pâtes au-dessus de la casserole.

Une nuée d'insectes noirs, morts depuis longtemps dans la Sibérie du frigo, se noyait dans l'eau trouble.

- Beurk ! fit-il.

- Beurk ! repris-je en écho. Et si euh... nous allions acheter une pizza ?

Raté pour le dîner. Encore une fois mes vélléités de cuisinière se fracassaient contre le rempart de mon incompétence.


Après le cours de yoga, Matt, vêtu de frais, boucla la lanière de son casque.

- Ca t'ennuierait de me reconduire ? demandai-je. J'habite plus haut sur la route. Un petit trajet en moto, beaucoup plus long à pied.

- Sans problème. Monte !

J'obéis prestement. Nous parlâmes de son dive master, de l'affluence des touristes, de la difficulté grandissante de trouver un toit à un prix raisonnable. Dès qu'ils avaient à faire un étranger, nombre de Philippins doublaient les prix du loyer.

- À propos de toit... Veux-tu visiter ma villa ?

Matt accepta sur le champ. Bifurqua sur le chemin de terre, gara sa moto sur le parking et entra, mal assuré, dans le jardin.

- La piscine est au bout, dis-je.

Il opina de la tête, impressionné. Aima l'allée ornée de plantes vertes, la maison, sa déco et sa grande terrasse.

- J'aurais rêvé d'un lieu comme celui-ci... Trop tard. Je quitte l'île dans deux semaines.

"Deux semaines...", songeai-je. Le temps d'une longue histoire sous ces latitudes où les gens ne font que passer. Touristes ou plongeurs, leur séjour dure à peine la parenthèse d'une découverte.

Cette longue bande de jours, d'heures et de minutes me mit en joie.

Extrêmement.

 

 

À suivre. 

 

Photos : William Wegman, Constant Puyo.

Par Chut ! - Publié dans : Eux
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Lundi 16 avril 1 16 /04 /Avr 08:25

Hitler en taxiJason est un Français qui travaille aux Philippines.

De retour d'Europe, Jason prend un taxi à l'aéroport de Manille. Le chauffeur, désireux de faire un brin de causette, s'enquiert de quel pays il vient.

From France.

Et le chauffeur de s'exclamer :

You french, you beautiful !

Joël s'étonne.

Le raccourci le pousse à rire. Avec tact, il fait remarquer que les Français sont à l'image des Occidentaux : non, tous ne jouissent pas d'un physique irréprochable.

Loin s'en faut, même.


Sceptique, agacé, le Philippin fronce les sourcils. Secoue la tête. Ose un regard apitoyé sur son passager. S'entête.

- Yes, yes, Sirforeigners... all... very beautiful !

Jason lui demande alors pourquoi. Sans conviction car il s'attend aux arguments classiques : la peau blanche, les cheveux clairs, le nez saillant, parfait inverse du nez plat asiatique.

La réponse le cloue à son siège :

- Mais enfin... Parce qu'Hitler, pendant la guerre, a tué tous les laids ! N'est-ce pas, Sir ?

Le trajet retour fut long, très long.



      L'Hitler d'Antony.

 

Photo : Erwin Olaf.

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