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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Lundi 5 mars 1 05 /03 /Mars 20:03

DesirUn ticket de bus. Il me fallait un ticket de bus pour quitter la rade où, depuis une semaine, j’étais échouée. Non que le séjour y fût désagréable, mais mon avion décollait le lendemain soir, et quelques heures de trajet me séparaient de l’aéroport.

Je remontais la rue du village. Tout juste revenue de ma dernière plongée, la peau encore tirée de sel, les cheveux emmêlés, une longue chemise enfilée sur mon bikini. À chaque enjambée, les pans du fin tissu s’écartaient pour dévoiler mes jambes jusqu’à mi-cuisses.

 

Lunettes de soleil sur le nez, je marchais.

Le monde était un puits de soleil encré d’ombres incertaines. Ratatiné sous la fournaise, il tournait au ralenti, si paresseux que je semblais être, à la ronde, la seule âme en mouvement.

Allongés sous les abris de bois jouxtant la plage, quelques locaux sommeillaient. Les chiens avaient renoncé à trottiner sur la grève pour lui préférer la fraîcheur des palmiers.

 

Une cohue de touristes débarqués du ferry me barra la route. Comme chaque jour, c’était le quart d’heure de frénésie coupant la torpeur muette des lieux. Un entrelacs désordonné de bagages, de minibus, de voyageurs fatigués et d’Indonésiens hurlant pour les répartir dans les bons véhicules.

Impossible de faire un détour. Il n’y avait qu’une seule rue. La rue du village alternant restaurants, pension homes et clubs de plongée.

Je fendis la foule en zigzags. Naviguai à vue entre les obstacles. Évitai la brusque chute d’une valise sur mes sandales. Me retournai et le vis.

Appuyé sur le fronton d’un dive shop, il avait des airs de propriétaire. Un long corps musclé nonchalamment déplié, dos un peu voûté, coudes croisés, genoux joints. La peau tannée avec, certainement, quelques rides à l’aplomb des paupières. Des cheveux coupés ras et un tee-shirt blanc, éclatant contre le ciel tel le drapeau de la reddition.

Il me vit aussi mais ne sourit pas. Seule sa tête s’inclina légèrement. Ses yeux s’attachèrent à mes jambes, en suivirent pas à pas la course pressée.

Soudain, je me sentis nue.

Son pied droit traça dans le sable un profond sillon. S’avança comme pour me rejoindre.

Une hésitation.

Il ne bougea plus.


C’était dimanche. Je n'ai jamais aimé ce jour-là et encore moins ses interminables après-midis trop vides. Aussi décidai-je de lui adresser la parole, mots de rien jetés tel un pont entre deux berges pour briser un silence qui ne nous gênait nullement.

Le lendemain je m’en allais. Je savais que si je ne parlais pas maintenant à cet inconnu, je ne lui parlerais jamais. Ce qui n’avait sans doute aucune importance. Pas même le goût d’un vif regret.

Mais de goût, j’avais celui du jeu et rien de spécial à faire. Et cet homme me plaisait. Et je voulais encore une fois cesser de réfléchir.

 

Desir3- Sir, please… Could you tell me where the bus station is located ?

"Sir" tinta entre mes dents comme l’Angleterre en raccourci. Appeler sir les gens d’à peu près mon âge m'amuse. Ca leur donne des airs de vieux, de respectabilité désuète, de cheveux blancs sous perruques poudrées.

Puis cette formule de politesse sonnait tellement déplacée dans le paysage qu’elle me poussa à rire. Surtout sortie des lèvres d’une fille déambulant dans la rue à moitié nue.

 

Se dépliant à peine, l’étranger allongea un bras pour me désigner, loin à travers la poussière, un point sur la droite.

- You can’t miss it, assura-t-il. (Vous ne pouvez pas la rater.)

Oh que si, je pouvais. Comme je suis capable, incorrigible distraite, de manquer un hippopotame dans un tunnel.

Je le remerciai et continuai mon chemin.

Il n’eut pas un geste pour me retenir. Parce que, m’avouerait-il plus tard, il était certain que je repasserais.

Dans un sourire, il ajouterait même:

- Privilège de la rue unique.

 

 

À suivre ici.

 

Photos : Joan Colom, Philippe Halsman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Vendredi 20 janvier 5 20 /01 /Jan 11:25

FinsPourquoi, comment cesse-t-on d'aimer ?

Je ne connais pas la réponse et pourtant, j'aimerais...

Le plus souvent, c'est moi qui termine une histoire. D'une cassure nette, tranchante comme un éclat d'os. Mes désamours ont des allures brutales, incompréhensibles, coups de tonnerre dans un ciel en apparence serein.

En apparence seulement...

Hier ensemble, aujourd'hui séparés sur un simple :

- C'est fini.

Et je m'en vais. Sans me retourner ni garder le contact.


Rarement mes ex deviennent mes amis.

Je ne les déteste pas, pourtant. Ne leur garde (en général) pas rancune de grand-chose. Ne les évite pas afin de me ménager, ni ne jalouse leurs nouvelles compagnes - a fortiori si rompre était mon choix, décision prise et assumée sans le mauvais goût de m'en plaindre.

La vérité est beaucoup plus plate et crue : je n'ai plus rien à leur dire.

Avec mes sentiments se sont éteints la curiosité, l'élan, le désir de partage.

Inaccessible, retranchée, me voilà en esprit distante de plusieurs océans. L'autre appartient à un passé dont mon départ a clos le chapitre. Un nouveau s'ouvre, encore vierge.

Il s'écrira sans lui, sans eux, ces hommes qui firent partie de ma route.


En avril dernier, "mon ange" fut profondément blessé de cette indifférence. Assis face à face près de la table de notre première rencontre, nous gardions le silence. J'étais enrhumée. J'étais soucieuse. J'avais mal au crâne.

Sa présence m'embarrassait.

Lui, chagriné, indécis, me scrutait comme si mon profil pouvait répondre à la place de ma bouche. En retour je le regardais m'observer en m'étonnant de ne rien ressentir.

C'était cependant bien le même homme. Toujours aussi brun. La bouche aussi généreuse. Le même beau visage taillé à la serpe, avec ces rides précoces qui lui donnaient tout son caractère. Ce visage que j'avais pressé entre mes paumes, étreint entre mes cuisses, dessiné sur le vide de ma chambre.

Le même homme, oui, mais plus celui si impétueusement aimé. Qu'ului vidé de lui-même, presque un étranger.

Impossible de le lui avouer comme de le lui cacher.

Retenant ses larmes, il bégaya :

- Je sais que c'est fini, mais... c'est effrayant... Tes yeux sont vides, si vides. Dedans, pas l'ombre d'un sentiment à mon égard. Pas même une étincelle, une toute petite. Je ne comprends pas.

 

Fins 2Il avait raison. À mes propres yeux mon détachement semblait effrayant. Je me faisais l'effet d'un monstre, d'un animal à sang froid.

Moi non plus, je ne comprenais pas. Ou plutôt, j'avais déjà compris, cinq mois auparavant, que notre histoire ne mènerait nulle part.

Parce qu'entre temps il y avait eu Pierrig et Mingus.

Parce que le train qui devait nous rassembler, mon ange et moi, je ne le pris qu'à contrecoeur.

Parce qu'une fois avec lui, le sentiment qui domina fut l'ennui.


Je baissai la tête sur mon jus de calamansi. Comme coupable alors que je n'éprouvais guère de remords.

Il n'y avait rien à répondre. Rien à expliquer. Rien à justifier.

C'était comme ça, juste comme ça.

Loin de moi l'idée de faire souffrir cet homme, mais qu'y pouvais-je ?

Rien. Sauf, peut-être, lui opposer le mur de mon indifférence pour le délivrer.


La douleur de le perdre m'avait néanmoins ployée. En décembre, à Chiang Mai, alors que nous attendions d'être réunis.

Un matin, je m'éveillai malade. Pas encore de la dengue mais de tristesse. Le malaise diffus des jours précédents s'était incarné en douleur aiguë. Je n'avais plus envie de notre appel aussi rituel que quotidien. Plus envie de nos discussions ni de son visage se mouvant sur mon ordinateur.

Cette absence de désir me glaça. Elle avait des airs de deuil bien avant un décès. Je tentai de la conjurer en lui attribuant des causes : la lassitude à chaque soir se répéter les mêmes phrases ; la présence, si rare, de mon demi-frère ; la fatigue de notre voyage.

Je voulais y croire mais n'y croyais pas.

Mon amour s'était effrité, mes sentiments lézardés. Leur lente carapate me laissait à nu, seule et désespérément vide.


Mais par quelle magie perverse cet homme ne comptait-il plus que si peu ?

Peut-être parce que j'avais vu ses failles. Pas celles d'une histoire personnelle, troublée et malheureuse. Sa fragilité me l'avait au contraire rendu proche, d'une proximité de guerriers ayant combattu leurs peurs et pansé leurs blessures.

Ses failles relevaient plutôt de nos différences. Il n'était pas là où je l'attendais. Son manque d'intérêt pour des domaines me tenant à coeur me frustrait. Une certaine patine de l'esprit, une profondeur de réflexion me manquaient. Mon ange tendait à trop accepter le monde tel qu'il était, sans remise en cause ni passage au crible.

Nos échanges figuraient une partie de ballon privée de rebonds, d'audacieuses passes et de piquantes remises en jeu.

Fatalement, ils tournaient court.


Fins 4Mon ange en était gêné. À l'autre bout de la corde, moi aussi. Je me reprochais d'être snob, inutilement raffinée et toujours insatisfaite.

Mais encore une fois, qu'y pouvais-je ?

Quand bien même je l'aurais voulu, il m'était impossible de me refaire.

Impossible, également, d'ignorer la réunion d'éléments jusqu'alors épars, rassemblement qui fit sens d'une flèche pointée vers la sortie.

Mais pourquoi ce que j'acceptais jusqu'alors m'était-il devenu insupportable ?

Existe-t-il une frontière invisible, une butée secrète frappée d'un "au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable" ?

 

Et avais-je vraiment aimé cet homme, au fond ?

Encore aujourd'hui je l'ignore. Oui, si j'en crois notre bonheur aux Philippines. Non, si je retire de l'amour mon emballement, un feu de paille qui vite se consuma. Sûrement avais-je davantage aimé l'amour, ces sentiments si délicieux et violents qu'ils me firent me sentir vivante.

Passionnément.

Quelques semaines après notre dernier verre sur la plage, il rencontra une autre femme. C'est peut-être ce qui lui permit de ne pas m'en vouloir.


D'autres n'eurent pas cette possibilité. De fait, leur rancune, leur désarroi ou leur colère durèrent davantage.

F., que je quittai brutalement pour Feu mon amour. Un an que nous étions ensemble et il n'avait rien vu venir. À dire vrai, moi non plus.

J'aurais pu rester mais jugeai la rupture plus honnête. Que Feu mon amour fût en mission à l'étranger ne changeait pas la donne. C'est avec lui que je désirais être, lui qui chaque minute m'habitait. Ajouter l'humiliation au mensonge me paraissait injuste vis-à-vis de mon compagnon.

Il ne méritait pas cette infidélité-là. Non celle de la chair dont il se moquait mais celle, bien plus intime et difficilement acceptable, de l'esprit et du désir.


Dermott avec lequel je passai plus de trois ans, jusqu'à un 31 décembre et une dispute de trop. Séparés par les barbelés de notre discorde, nous rentrâmes en métro à l'aube. Lui debout contre la porte, moi assise sur la banquette.

Je fixais son manteau gris en songeant "tout ça pour ça ? Quel gâchis...".

2005 commençait bien mal. Je refusais une nouvelle année minée par nos querelles, le fossé d'une incompréhension, d'un agacement réciproques ne cessant de s'agrandir.

Ma décision fut à l'image de ma colère : rapide et non maîtrisée. J'allais achever cette histoire qui, de toute façon, se mourait.


Fins 3Une fois dans son appartement, je vidai à terre le sac de cadeaux destinés à sa famille, emballai mes affaires et dis :

- C'est terminé. Adieu.

Dermott ne me prit pas au sérieux. Ou si peu qu'il ne bougea pas du canapé ni n'esquissa un geste pour me retenir.

Ses lèvres se fendirent d'un sourire sarcastique.

- C'est ça. À demain midi, pour le déjeuner chez mes parents.

Il n'y eut pas de demain.

Pas vraiment d'explications non plus.

 

La prédiction faite deux ans plus tôt avait fini par s'accomplir.

J'avais alors annoncé :

- Je suis capable de démolir ce que j'ai patiemment construit. En une minute, sur un claquement de doigts et quasi sans regrets.

- Merci de me prévenir... avait soufflé un Dermott aussi grognon et surpris.

Aussitôt je m'étais mordu les lèvres. Consciente de m'être trop livrée, mécontente de mon bavardage, inquiète de lui fournir des raisons de ne pas s'engager, navrée de le pousser à se défier de moi. J'avais par étourderie négligé une évidence : toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.

J'espérais toutefois que cet homme soit l'exception à ma règle. Règle qu'en vérité je subissais autant qu'eux, sauf qu'elle les blessait davantage.

Dermott ne fut pas l'exception. Feu mon amour, si, mais sûrement parce que je le quittai en l'aimant encore.

C'est, je crois, une des choses les plus difficiles que j'ai faites, comme une des décisions les plus douloureuses à tenir.

Il me fallut plus d'un an pour vraiment m'en remettre.


 

 

Photos : Izis, Al Fenn,

Heinz Hajek, DR.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso - Communauté : les blogs persos
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Mercredi 18 janvier 3 18 /01 /Jan 19:04

Mme HasselJe voyais Madame Hassel une fois par semaine. Au dernier étage de l'université, toujours dans la même salle aux relents de parchemin, de poussière et de colle.

Notre première rencontre fut fortuite, de pure convenance pour ma part. Les "travaux dirigés" de Madame Hassel, seuls à se dérouler en milieu d'après-midi, cadraient pile avec mes horaires. Après plusieurs années de vie en décalé, mes journées débutaient à l'heure du déjeuner.

C'est ainsi que, par la force du hasard ou le doigt du destin, elle devint mon professeur.


Madame Hassel était une petite femme boulotte et plutôt laide. Des cheveux ternes et gras coupés au bol, un teint luisant, d'épaisses lunettes, aucun maquillage... Elle ne tentait d'ailleurs pas de s'arranger.

Madame Hassel était peut-être un peu bonne soeur. Ou bonne soeur tout court. Du clan des vieilles filles grises ou des incolores tantes de provinces, en tout cas. De celles qui, enfant, ne retiennent guère l'attention des adultes. Qui, adolescentes, font tapisserie aux fêtes où elle est invitée, souvent à la dernière minute pour boucher un trou.

C'était déjà un de nos points communs.


À première vue, sa garde-robe était aussi inexistante que sa grâce. Neuf mois durant, Madame Hassel usa les mêmes tenues : une large jupe à carreaux et un chemisier blanc, sans fioritures, en été. Un pantalon et un gilet de laine marronnasses en hiver. Et, en toute saison, des bottines à semelles plates.

Madame Hassel professait le plus grand mépris pour lsuperficiel.

La mode la rebutait davantage qu'une faute d'orthographe, les apparences autant qu'un néologisme, la coquetterie à peine moins qu'un barbarisme. Elle eut d'ailleurs été étonnée qu'on la jugeât sur autre chose que son esprit.

D'esprit, elle n'en manquait pas. D'intelligence non plus même si, convaincue d'appartenir à une élite, Madame Hassel arborait ses titres comme autant de trophées.

Plus jeune candidate de France reçue à l'agrégation. Major de sa cuvée. Succès qui, cette année-là, ravit à Paris son hégémonie. Paris le réputé, l'arrogant, le supérieur foulé aux pieds par une simple provinciale. Plus jeune docteur dans la foulée. Maître de conférences à la Sorbonne.

Madame Hassel avait de quoi pavoiser, d'une légitime fierté ne se cachant pas d'être snob. Elle déchanta néanmoins à l'obtention du concours.

Une année de labeur acharné pour s'entendre prononcer au lendemain de la victoire :

- Je suis agrégée.

Agrégée ? Son rang lui lacéra soudain les joues de honte.

Agrégée... nous répéta-t-elle. Vous rendez-vous compte ? Se battre pour atteindre les hautes sphères pour se découvrir... agrégée... agrégée au troupeau !

De cette distinction muée en déshonneur notre professeur ne revenait toujours pas.

 


Mme Hassel 2Madame Hassel portait un nom difficile. À consonance germanique, mais équivalant en anglais à "harcèlement".

Harceleuse, elle l'était un peu. Du moins si l'on peut qualifier de tel ses tentatives de bousculer une poignée d'étudiants endormis. Affalés sur leurs pupitres en attendant que l'heure s'achève. Vite distraits par le ciel derrière les vitres ou un bruit dans le couloir. Aussi motivés qu'ils avaient envie de se pendre.


Il faut dire que Madame Hassel enseignait une matière ni populaire, ni facile - ceci expliquant sûrement cela.

Sa spécialité, son dada, son hobby, son pré carré, c'était l'ancien français. La grammaire, la syntaxe, le vocabulaire, les conjugaisons, la traduction et la phonétique historique.

Essentiellement du par coeur, beaucoup de logique, peu d'utilité pratique.

J'aurais pu détester Madame Hassel. Je l'aimais beaucoup.


J'aimais son profond désintérêt pour la facilité, sa rigueur toute mathématique. Sa langue juste, son parler clair.

J'aimais sa façon de considérer les mots comme des entités précieuses, des personnes ou des amis longtemps côtoyés.

De leurs naissances jusqu'à nos jours, en passant au besoin par leurs morts, Madame Hassel retraçait pour nous l'histoire de leurs vies. Les significations qu'ils avaient perdues en vieillissant. Celles qu'ils avaient gagnées, parfois en les volant à d'autres. Amputés, leurs rivaux les plus malchanceux avaient sombré corps et biens sans laisser aucune trace.

Mais par la bouche de cette petite femme ils renaissaient, retrouvaient pour un instant leur lustre, leurs contours, leur étrange beauté. Penchée sur eux comme un chirurgien au chevet d'un opéré, Madame Hassel les analysait, les disséquait, les fouaillait afin d'en exprimer le jus. Une saveur lointaine, inconnue et toutefois familière. Une madeleine de Proust jamais goûtée mais cependant dégustée.


Madame Hassel parlait des mots comme des êtres. De leurs existences, leurs origines comme une accoucheuse ou une complice de la grande faucheuse.

Si la racine remontait au latin, elle prenait l'étymon et annonçait :

- Nous allons maintenant procéder à sa toilette.

En d'autres termes, le débarrasser de ses scories afin de bien placer l'accent tonique. Puis suivre son cordon ombilical pour parcourir, son après son, ses métamorphoses jusqu'au français moderne.

Sous les doigts, les lèvres de cette maîtresse-femme, les mots n'étaient pas de simples outils. Ils se changeaient en continents, civilisations, armées en marche, machines de guerre ou baumes pour l'âme.

Et par la chair du verbe, Madame Hassel devenait belle.

Nimbant le tableau noir, un halo flottait autour d'elle. Ses yeux ternes pétillaient derrière ses verres épais. Son visage large se parait de douceur, ses traits communs de grâce. La fougue l'animait, mettant du feu dans ses gestes, des trémolos dans sa voix.

Cette année-là, Madame Hassel me légua sa passion.

 

Madame Hassel 3Quelques rentrées plus tard et je fus derrière le bureau. Me faisant face, quarante étudiants étonnés. Surpris qu'une femme si jeune enseignât une si vieille matière, et plus encore de son plein gré.

Le tendron à la place du barbon. Ils ne perdaient pas au change, je crois.

Je fis de mon mieux pour les intéresser. N'y arrivais pas toujours, parfois pas du tout. Avec certains, le seul désir ne suffit pas quand la matière est aride.

Je leur disais de prendre cette langue comme un jeu. De go, de poker ou d'échecs. Qu'ils s'y amuseraient eux aussi à condition d'en apprendre les règles. Alors la partie pourrait commencer. Et ils retireraient, promis, ce que l'on attend de tout jeu : du plaisir.

 

Souvent le fantôme de Madame Hassel me rendait visite en plein cours.

Un jour, je découvris ce que j'aurais juré impossible : elle s'était trompée sur l'histoire d'un mot.

Cette erreur m'abasourdit comme un triple soufflet.

Après l'incrédulité vint la tendresse. Mon ancienne professeure n'était pas infailible. Elle n'était qu'humaine.

Reste son héritage, un pays dessiné sur ma carte intérieure. Avec le temps, grignotées de ténèbres, mangées de brume, ses frontières deviennent de plus en plus imprécises.

Si j'ai beaucoup appris, j'ai aussi beaucoup oublié.

 

 

Photo : William Wegman.

3e image : détail de la tapisserie de La Dame à la licorne

(tissée après le Moyen Âge). 

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mardi 17 janvier 2 17 /01 /Jan 14:32

À lire avant, la première partie de ce billet.

 

 

PanièreLe soir, je parlai longuement avec mon amie Ether. Voilà des lustres que nous n'avions pas discuté.

Notre conversation me combla. Nous la stoppâmes avant minuit : à l'heure où, dans les contes, les carrosses se transforment en citrouilles, un concert allait commencer.

Juste en face de l'hôtel, bien sûr. Et, pour cause d'endurance vocale exceptionnelle, il devait durer... vingt-quatre heures.


Ni les boules Quiès ni trois oreillers ne purent endiguer ce tsunami sonore. Les chanteurs n'étaient pas mauvais, non. Comparés aux clients du karaoké, ils étaient même de classe planétaire.

Mais je n'étais pas d'humeur. La manie asiatique de pousser le volume à pleine puissance déformait les voix, les rendant stridentes, tordues, méconnaissables.

L'épuisement se frayait de nouvelles routes sous ma peau. La migraine repoussée à coups de gélules me terrassait.

En nage, fiévreuse, je priais pour que cet infernal vacarme s'arrêtât.

Pour cause de trop de bruit peut-être, on resta sourd à mes appels.

 

Le lendemain fut de ceux qui déchantent. J'avais subi la fête sans en tirer un quelconque bénéfice. Rassemblé mes affaires au ralenti, bouclé mon sac dans une demi-brume. Le réceptionniste eut l'amabilité de ne pas relever mes yeux hagards, mes joues creuses et mon nez rougi sur mon teint livide.

- Happy Sinulog, Mââm ! me cria-t-il avec allégresse, forçant le ton pour dominer le tumulte d'un concert qui n'en finissait pas.

Pour un peu, il m'aurait déroulé une langue de belle mère sous le menton ou collé un chapeau bigarré sur la tête. Les autres clients en portaient bien, eux. Avec des maquillages en forme de fleurs et d'étoiles sur les pommettes, des tee-shirts multicolores aux armes de Sinulog 2012 et des appareils photo en bandoulière.

Tous au diapason du festival, exsudant leur entrain comme moi une sueur aigre.

Je me fendis d'un morne "Salamat" (merci en visaya). Compatis à la dure position de cet homme : témoin d'une fête qu'il adorait mais à laquelle, enchaîné à son comptoir, il ne pouvait se joindre.

 - I feel sorry for you, Sir. Next time for sure ! conclus-je dans une oeillade complice.

 

La prochaine fois...

C'est l'excuse qui, en Asie, passe partout. Celle qu'on oppose aux marchandes quand on ne veut rien leur acheter. Aux vendeurs d'excursions quand on refuse leurs services. Aux gens trop insistants qui vous convient pour dîner. Marque de politesse porteuse d'espoir suffisant à chacun et mettant tout le monde d'accord.

Ma sollicitude ravit l'employé. Aussitôt, un immense sourire fendit son visage brun. Poussant mon avantage, je lui posai la question qui me brûlait les lèvres : mon bateau partait à 18h00.

À quelle heure devais-je quitter le centre-ville pour arriver au port à temps ?

Mon vis-à-vis plissa le front. Inspecta la rue déjà noire de monde. Regarda sa montre et compta sur ses doigts des heures invisibles.

- At 2 pm, Mââm.

À 14h00 ? Quatre heures avant le départ du bateau ? Se moquait-il de moi ?


 

A l'abriJe protestai comme s'il voulait m'arnaquer. Sans s'offusquer, le petit homme me donna ses raisons.

Cebu était un chaos de danseurs, de Philippins, de touristes et d'embouteillages.

Toutes les rues du quartier étaient barrées.

Aucun jeepney ne circulait aujourd'hui. Les taxis, certes, mais en nombre réduit.

Je serais bien chanceuse d'en trouver un. Sinon, comme probable, je devrais gagner le terminal des ferries par mes propres moyens. Ce qui signifiait mes pieds, avec mon barda sur le dos. Et le port, c'était loin...

Un désespoir mâtiné de résignation me saisit.

On verrait bien.

 

Une affiche attira mon attention. Elle détaillait le parcours emprunté par la parade. Une large boucle ceignant le coeur de la cité.

Mais où se trouvaient maintenant les danseurs ? Vers quelle avenue diriger mes pas ?

On verrait bien.

Comptant sur la gentillesse philippine pour me renseigner, je m'aventurai dehors. L'impact sonore du concert me frappa droit à l'estomac. Je chancelai sous le choc, cherchai appui contre un mur. En dépit de toute logique, l'image de mon journal de bord s'interposa devant mes mains.

Aucun souvenir de l'avoir rangé dans mon sac. La peur et l'espoir au ventre, je retournai dans ma chambre, puis dans les lieux où, la veille, je m'étais arrêtée.

Rien.

Cette perte fut le coup fatal. Mes dernières velléités d'assister à Sinulog fondirent sous le plein soleil. Envolée, mon envie. Évaporé, mon entêtement. Je revins lâchement à l'hôtel, m'emparai de mes affaires et me carapatai. Honteuse de ma fuite après tant d'efforts mais soulagée, profondément, de rentrer à la maison.

Après deux nuits hachées, la villa, mon lit, la piscine se paraient des couleurs d'un rêve presque inaccessible.


Le réceptionniste s'était trompé : dans la rue voisine, des voitures roulaient bien. Mais au pas, pare-chocs contre garde-boue. Quelques taxis également, mais tous bondés, en effet. Deux jeunes policiers en uniforme, carabine sur la cuisse, assuraient l'ordre. Pour une raison obscure, l'un empêchait la chenille de véhicules de tourner à droite, tandis que l'autre, poitrine en avant, faisait tournoyer dans le vide son bâton blanc.

Une vraie majorette aussi musclée qu'un catcheur.

J'étouffai mon hilarité dans une gorgée de Coca. À ma droite, une serveuse offrait des boissons aux badauds. À ma gauche, une Philippine se débarrassa de la sienne pour enfourcher une moto. Le gobelet encore plein atterrit sur l'apprentie majorette, éclaboussa sa chemise, trempa son pantalon de service.

Le policier eut le bon coeur d'en rire et de s'intéresser à moi.

- Looking for a taxi, Mââm ?

- Yes, indeed.

Il ne me proposa pas son aide, il se l'arrogea. Déchargea mon sac de mes épaules, le déposa avec soin sur le bitume, me conseilla de m'abriter à l'ombre d'un auvent.

Sur ce carrefour surchauffé, dépeignée, transpirante, je devais lui paraître bien misérable. Et pouvais m'appuyer, sans nul doute, sur son uniforme pour me dénicher le seul taxi libre de Cebu.

Dût-il le stopper par la force, à grand renfort de bâton de majorette.

  

Un saint sur le seinUne cohorte de taxis pleins passa. Mon sauveur m'adressait des regards aussi complices que consternés. Que le quartier soit en proie au plus grand désordre semblait soudain relever de son entière responsabilité. Que je déserte mon poste pour marcher vers le port aussi. 

Je lui adressai un sourire reconnaissant.

À l'impossible nul n'est tenu...


Une ambulance déboula au coin, suivie d'un fourgon de police et de trois taxis vides. Le policier sans bâton dériva leur course sur la gauche. Toutes sirènes hurlantes, les bolides filèrent au ras de nos semelles.

Désarroi de mon protecteur. Il avait laissé échapper la voiture qu'il me fallait.

- An emergency, Mââm ! s'excusa-t-il. Wait for uh... a while.

J'aimais beaucoup sa façon de m'inciter à me ranger du côté de la fatalité.

Cet homme le savait comme moi : "attendre pour euh... un moment" pouvait signifier autant cinq minutes que deux heures. Aux Philippines, la notion du temps est extensible, les horaires modulables, les gens patients.


Par chance, un autre taxi sans client faisait route en sens inverse. Bâton dressé vers le ciel, mon policier traversa la chaussée sans regarder, se précipita à sa rencontre, manqua d'achever son élan sous ses roues.

Le chauffeur stoppa de mauvaise grâce.

Je chargeai mes sacs, ma fatigue, ma personne. Adressai un chaleureux "salamat kaayo, Sir !"(merci beaucoup, Monsieur !) au représentant de l'ordre.

La voiture démarra dans un crissement de pneus.

Son propriétaire se retourna vers moi pour me demander :

- You like music, Mââm ?

Je ne répondis pas.

Bercée par l'air climatisé, je dormais déjà.

 

Rassemblement

 

Photos persos ; davantage de photos des Philippines

dans les albums Blanc, ciel, sable / Sandugo / Poblacion Fiesta.

 (Rubrique Albums sur la colonne de gauche).

Par Chut ! - Publié dans : Une vie aux Philippines - Communauté : les blogs persos
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Mardi 17 janvier 2 17 /01 /Jan 13:25

Contrairement à annoncé précédemment, cet article est long,

si long que je l'ai divisé en deux parties.

J'ai l'envie, le temps et... le droit à mes contradictions !

Pas femme pour rien, paraît-il...

 

.

 

Ombres et chapeauNuit du 11 novembre. Mon petit ordinateur eut le mauvais goût de repartir avec un cambrioleur, cambrioleur qui eut lui-même le goût détestable de visiter ma maison alors que je me trouvais à l'intérieur.

Remplacer cette machine m'obligeait à me rendre à Cebu, une île à une demi-journée de transport. Le voyage pour l'Indonésie approchant, je fixai le départ à jeudi dernier. Essayai de réserver un hôtel. Complet.

- Bizarre, m'étonnai-je auprès de Bertille. Cet établissement a tant de chambres...

- Oh, cherche pas, c'est l'effet Sinulog !

- Pas possible... C'est ce week-end ?


Sinulog... Une fête atteignant son apogée le dimanche avec la parade de rue. Maquillés et costumés, les danseurs suivent un long circuit les ramenant à leur point de départ : la basilique de Santo Nino.

Explosions de danses, de chants, de couleurs vives et de joie, Sinulog m'apparut une occasion à ne pas manquer. À condition que je déniche une chambre, tour de force dans une ville où la moindre pension était complète depuis des mois.

Après plusieurs essais infructueux, la chance me sourit dans un hôtel façon gratte-ciel. Je m'imaginai avoir décroché le pompon. C'est plutôt la timbale qui me tomba sur le crâne.

La fête commençait deux jours plus tard. Craignant d'en subir le bruit, je demandai une chambre à l'arrière du bâtiment. Si possible, s'il vous plaît. Le réceptionniste me gratifia d'un sourire gêné. La mienne se trouverait au milieu.

- Est-ce calme ?

Il m'assura que oui d'un air qui signifiait "pas trop".


D'emblée, le ton fut donné. Désignant mon sac à dos, l'employé insista :

- Pikpockets, pickpockets, be careful, Mââm !

Selon lui, ces détrousseurs à la petite semaine ne venaient bien sûr pas de Cebu. Bien sûr... Partout dans le monde, on défend son pré carré : les mauvaises gens arrivent toujours d'ailleurs. De la ville, de la campagne, du département, du pays ou du continent voisin. Comme les touristes, les voleurs n'affluaient ici que pour un week-end de réjouissances. Les proies seraient nombreuses, le butin conséquent.

Prudente, ma voisine ne dut pas l'être assez. Elle passa le vendredi soir à pleurer. Ses amis tentèrent de la consoler. En vain. Si son visaya haché de sanglots ne me permit pas de tout comprendre, je saisis néanmoins l'essentiel : on l'avait délestée de trois mille pesos - soit 50 euros, l'équivalent d'un demi-mois de salaire.

Ses lamentations résonnaient dans le couloir et sur ma pauvre tête.

J'avais quitté mon île en forme pour accoster malade à Cebu. Rien de grave, juste un gros rhume qui me perforait les sinus, me lacérait la gorge et me piquait les yeux. Vautrée sur le lit, je maudissais presque cette Philippine d'avoir le désespoir si bruyant. D'autant plus bruyant que pour couvrir un autre chaos sonore, elle devait forcer la voix.


 

Son truc en plumes 3Face à l'hôtel se tenait un restaurant-karaoké.

 La machine turbinait à plein régime depuis le milieu de l'après-midi. Musiques survoltées des années 80-90, saccagées par des chanteurs braillant à la mesure de leur ivresse : de plus en plus fort.

Minuit, une heure, trois heures du matin... Autant que mes oreilles, ma patience était à bout.

Je décrochai rageuse le téléphone. Composai le 0, tombai sur le réceptionniste de la veille et crachai sans autre forme de procès :

- When are they going to stop this noise ? I want to sleep !

- But it's Sinulog, Mââm.

Un Sinulog qui signifiait cinq heures du matin.

 

Réveillée à onze heures, j'étais aussi fraîche qu'une pomme blette.

Un café s'imposait. J'en avalai deux, le corps traversé d'ondes de chocs : une antédiluvienne sono qu'un serveur s'ingéniait à tester, passant sans crier gare du piano au fortissimo. Îlot de calme dans un océan de tumulte, le silence disjoignant deux essais semblait d'autant plus délicieux. Mais trop bref pour totalement en jouir et trop long pour se préparer à la prochaine agression.

Sur la platine tournait toujours le même morceau. Des percussions, des instruments façons biniou ou bombarde bretonne parcourus d'un choeur endiablé :

- Si, Senor ! Si, Senor !

Le rythme s'accordait à mon coeur battant la breloque. Je payai, tempes rompues, pour me traîner jusqu'à la rue principale. Longeai des boutiques, des épiceries et des restaurants qui, dotés de leurs propres enceintes, déversaient sur le trottoir des geysers de musique. Toutes différentes et distordues, à pleins volumes mal mêlés dans un galimatias sonore. Tambouille de flûtes-guitares-tambours sur un vomi de cris discordants.

Tous mes organes malmenés en tremblaient.


Je faillis rendre mon déjeuner au premier immeuble, battis en retraite pour me réfugier dans l'air frais du National Bookstore.

Le magasin résonnait du morceau déjà entendu au café :

- Si, Senor ! Si, Senor ! Si, Senor !

Une vendeuse s'occupait de moi. Potelée, entre deux âges, elle traversait les rayons avec entrain et dansait de même en agitant les bras, en remuant les fesses.

Soudain, elle s'arrêta dans un cri. Sauta trois fois sur place, secoua les doigts à s'en décrocher la main. Traversant la devanture vitrée, son regard fixait la rue. Je crus qu'elle voulait attirer l'attention d'une amie.

Du tout.

Elle saluait la statue de l'enfant Jésus.

Porté par une foule compacte, Santo Nino passa devant la vitrine. Dans son sillage, des centaines, non, des milliers de pèlerins avançant au même pas cadencé.

 

Orange is my colorJe réglai mes achats et sortis me mêler à la foule.

Les porteurs marchaient vite. À peine cinq minutes s'étaient écoulées mais, comme avalée par la poussière, la statue avait déjà disparu. Et je marchais moi aussi, mais sans rien voir, fourbue, migraineuse, aveuglée de trop de soleil cru.

Le rire me saisit entre deux éternuements. Que faisais-je donc là, à suivre une relique invisible ?

Peinant à trouver la réponse, je décidai de rentrer à l'hôtel.

Progresser avec la foule fut aussi facile que la remonter périlleux. Je me heurtai de plein fouet au flot toujours grossi des fidèles. Déjouai leur enthousiasme à me placer dans le sens du courant. Subis leurs regards interloqués. Santo Nino étant devant, personne ne comprenait que je lui tourne le dos.

Je me glissai sous une barricade, gagnai enfin le trottoir. Les magasins ouverts débordaient de clients. Sur les fauteuils d'un bar à ongles-spa-massage, une marée de Philippines se refaisait une beauté. Parmi elles, sûrement des danseuses décidées à éclipser leurs rivales du dimanche. Quelques-unes m'adressèrent par la vitre un joyeux bonjour. Je répondis d'une main molle.


La moiteur de la chambre ne m'apporta pas le repos espéré. J'entrebâillai la fenêtre donnant sur l'intérieur du bâtiment, un mur de béton triste. Ouvris les rideaux. Mis la climatisation en marche. Vrombissement d'hélicoptère au décollage. M'installai suante au bureau.

À peine avais-je écrit trois lignes qu'une silhouette se découpa sur le miroir d'en face. Un Philippin en short casquette agitait le bras à mon intention. Je feignis de ne pas le voir. Il s'entêta.

- Hello, hello ! glapissait-il.

Impossible de l'ignorer davantage.

- Hello... articulai-je d'une voix rêche.

Ses yeux fouillaient avidement le rectangle carrelé de ma chambre. Il semblait chercher quelque chose qu'il ne trouvait pas. À l'intérieur, il n'y avait que mon sac, mes affaires éparpillées et moi qui, en long tee-shirt, me sentais presque nue.

- Are you alone ? s'enquit-il avec gourmandise.

"Voilà, nous y sommes...", pensai-je.

La colère me monta au cerveau plus droit qu'une ivresse. Je jaillis de mon siège. Bousculé, celui-ci tomba à la renverse. L'homme eut un sursaut de recul et deux secondes pour scruter mes jambes.

Le rideau claqua sur son nez.

 

 

 

La suite ici.

 

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