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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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Lundi 5 mars 1 05 /03 /Mars 20:03

DesirUn ticket de bus. Il me fallait un ticket de bus pour quitter la rade où, depuis une semaine, j’étais échouée. Non que le séjour y fût désagréable, mais mon avion décollait le lendemain soir, et quelques heures de trajet me séparaient de l’aéroport.

Je remontais la rue du village. Tout juste revenue de ma dernière plongée, la peau encore tirée de sel, les cheveux emmêlés, une longue chemise enfilée sur mon bikini. À chaque enjambée, les pans du fin tissu s’écartaient pour dévoiler mes jambes jusqu’à mi-cuisses.

 

Lunettes de soleil sur le nez, je marchais.

Le monde était un puits de soleil encré d’ombres incertaines. Ratatiné sous la fournaise, il tournait au ralenti, si paresseux que je semblais être, à la ronde, la seule âme en mouvement.

Allongés sous les abris de bois jouxtant la plage, quelques locaux sommeillaient. Les chiens avaient renoncé à trottiner sur la grève pour lui préférer la fraîcheur des palmiers.

 

Une cohue de touristes débarqués du ferry me barra la route. Comme chaque jour, c’était le quart d’heure de frénésie coupant la torpeur muette des lieux. Un entrelacs désordonné de bagages, de minibus, de voyageurs fatigués et d’Indonésiens hurlant pour les répartir dans les bons véhicules.

Impossible de faire un détour. Il n’y avait qu’une seule rue. La rue du village alternant restaurants, pension homes et clubs de plongée.

Je fendis la foule en zigzags. Naviguai à vue entre les obstacles. Évitai la brusque chute d’une valise sur mes sandales. Me retournai et le vis.

Appuyé sur le fronton d’un dive shop, il avait des airs de propriétaire. Un long corps musclé nonchalamment déplié, dos un peu voûté, coudes croisés, genoux joints. La peau tannée avec, certainement, quelques rides à l’aplomb des paupières. Des cheveux coupés ras et un tee-shirt blanc, éclatant contre le ciel tel le drapeau de la reddition.

Il me vit aussi mais ne sourit pas. Seule sa tête s’inclina légèrement. Ses yeux s’attachèrent à mes jambes, en suivirent pas à pas la course pressée.

Soudain, je me sentis nue.

Son pied droit traça dans le sable un profond sillon. S’avança comme pour me rejoindre.

Une hésitation.

Il ne bougea plus.


C’était dimanche. Je n'ai jamais aimé ce jour-là et encore moins ses interminables après-midis trop vides. Aussi décidai-je de lui adresser la parole, mots de rien jetés tel un pont entre deux berges pour briser un silence qui ne nous gênait nullement.

Le lendemain je m’en allais. Je savais que si je ne parlais pas maintenant à cet inconnu, je ne lui parlerais jamais. Ce qui n’avait sans doute aucune importance. Pas même le goût d’un vif regret.

Mais de goût, j’avais celui du jeu et rien de spécial à faire. Et cet homme me plaisait. Et je voulais encore une fois cesser de réfléchir.

 

Desir3- Sir, please… Could you tell me where the bus station is located ?

"Sir" tinta entre mes dents comme l’Angleterre en raccourci. Appeler sir les gens d’à peu près mon âge m'amuse. Ca leur donne des airs de vieux, de respectabilité désuète, de cheveux blancs sous perruques poudrées.

Puis cette formule de politesse sonnait tellement déplacée dans le paysage qu’elle me poussa à rire. Surtout sortie des lèvres d’une fille déambulant dans la rue à moitié nue.

 

Se dépliant à peine, l’étranger allongea un bras pour me désigner, loin à travers la poussière, un point sur la droite.

- You can’t miss it, assura-t-il. (Vous ne pouvez pas la rater.)

Oh que si, je pouvais. Comme je suis capable, incorrigible distraite, de manquer un hippopotame dans un tunnel.

Je le remerciai et continuai mon chemin.

Il n’eut pas un geste pour me retenir. Parce que, m’avouerait-il plus tard, il était certain que je repasserais.

Dans un sourire, il ajouterait même:

- Privilège de la rue unique.

 

 

À suivre ici.

 

Photos : Joan Colom, Philippe Halsman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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