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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Dimanche 15 avril 7 15 /04 /Avr 14:57

Lembongan chienImpossible de dormir... Mon samouraï, lui, plongeait déjà dans le sommeil.

Dérangé par mes sauts de carpe, il lança :

- Que se passe-t-il ?

Je lui dis que j'étais stressée. Que le silence obstiné de mon notaire m'angoissait encore davantage, surtout sans accès facile à Internet, surtout à dix mille kilomètres.

Déjà cinq mails de ma part et aucun de la sienne. À croire qu'il ne relevait jamais sa boîte ou manquait de la politesse la plus élémentaire.


Je lui dis que je me sentais impuissante. Désemparée et frustrée, avec une colère qui couvait en dedans.

Colère d'être ignorée par ce notaire censé m'aider.

Colère contre mes oncles, contre la vie et ses injustices.

Colère blanche menaçant de devenir noire, accompagnée de tous les excès auxquels me pousse la rage.


Je lui dis que j'en avais plus qu'assez. Marre, ras-le-bol, plein les bottes, saturée.

Fatiguée de cette famille qui n'avait de "famille" que le nom et que j'aurais volontiers troquée contre une autre.

Difficile, pensai-je, de perdre au change.

Épuisée de devoir me battre encore, d'être projetée d'un décès à un autre, sans cesse ramenée en arrière contre mon gré.

 

Je lui dis que je me sentais seule. Terriblement, sans possible partage.

Des amis, oui, mais loin. Et tous absorbés, à des degrés divers, dans leurs propres luttes et leurs quotidiens. Manque de soutien, peut-être indifférence, c'est ainsi que je le percevais. Comme soudain redevenue fillette, trop petite pour affronter par moi-même les peurs de l'enfance.

Personne, hélas, ne pourrait régler cette succession à ma place. À moi de fourrer les mains dans le cambouis et la crasse. D'en sortir éclaboussée, sûrement.


Dans la nuit de Nusa Lembongan, ma voix grimpait dans les aigus. Je m'agitais sur le sommier, tordais les draps, écrasais les oreillers. M'énervais toute seule, hamster pédalant en vain dans sa révolte, d'autant plus agacée que mon samouraï n'avait guère plus de réaction qu'une bûche.

Ne comprenait-il pas ?

Je lui parlais de ma mère, de l'absence et du chagrin. Me tus tout à coup. Moitié à bout de mots, moitié pour le laisser s'exprimer à son tour.

Silence.

Enfin sa voix lente, mal assurée, hésitante tentative pour rassembler des phrases qui, têtues, le fuyaient.

- J'ai vu à la télé un documentaire sur les chiens...

Mes yeux s'agrandirent de stupéfaction. La surprise m'arracha un hoquet.

Un documentaire sur les chiens ??

Mais de quoi parlait-il donc ?

"Ne le coupe pas, m'ordonnai-je. L'amorce est étrange, bizarrement décalée, ironiquement loufoque, mais fais-lui confiance. Le fil de sa pensée aboutira bien quelque part..."


Lembongan chien3- Alors, dans ce documentaire sur les chiens... Un dresseur expliquait que, contrairement à la croyance populaire, ceux-ci ne se laissent pas mourir au décès de leur maître... À peine dépérir, en fait.

Ma perplexité gagnait du terrain.

Nom d'un teckel à poils durs, que voulait dire mon samouraï...  ?!

Dans sa parabole, campais-je donc la chienne et mes chères disparues mes propriétaires ?

Les chemins de sa réflexion me semblaient tortueux. Dédale embrouillé à plaisir, si complexe et absurde qu'il m'avait totalement égarée.

- Or, il est évident que les hommes sont plus intelligents que chiens. Du coup, puisque ces derniers sont capables de surmonter un décès, les hommes le peuvent aussi. Et même plus rapidement ! conclut mon samouraï d'une voix dentelée de triomphe.


J'ouvris une bouche digne du grand canyon. Abasourdie et doutant d'avoir vraiment bien entendu, bien traduit, bien interprété.

- Et... ? fis-je d'un ton voilé d'une sourde réprobation.

- Et... C'est tout.

- Ah. OK. Génial.

- T'en penses quoi ?

- J'en pense que je vais fumer une cigarette.

Je bondis, propulsée hors du lit par l'envie de hurler de frustration et celle, déchirante, de rire aux éclats.

La même qui vous agrippe, effarés, en butte à une blague idiote.

- Oh non, please, pas encore une ! se plaignit-il. Tu fumes trop, c'est mauvais.

Je faillis lui demander si, dans son fameux documentaire, les caniches s'intoxiquaient eux aussi aux mentholées. À moins que les bouledogues n'y fumassent le cigare ?

Je rétorquai qu'à la minute, ma petite santé m'importait peu. Dernière place dans ma liste de priorités, la première étant de me décharger du trop plein qui m'étouffait.

Mon samouraï se renfrogna sous les draps, vaincu.


Face à la mer remonta le sentiment familier de me sentir à part. Non pas exceptionnelle mais exclue, séparée des autres par une vitre aussi glacée qu'infranchissable.

Comment dire l'innommable ?

Au passé comme au présent, j'échouais à cet impossible partage. Première de mon cercle d'amis à perdre un parent, qui plus est de façon tragique. Je n'y étais pas préparée. Eux non plus. N'osant même pas imaginer que cela leur arrive, beaucoup ne surent quelle attitude adopter, quels mots de consolation prononcer.

Et en société, tenace impression d'être la maudite ou la Cosette à plaindre, la fille qu'on montre en cachette du doigt sur l'air de :

- Hé, c'est elle qui... C'est sa mère qui...


J'ai vu un docu 3bisLa réaction de mon samouraï me renvoyait à cette époque. Et à son histoire à lui.

À sa vie ultra protégée, si étonnamment gardée de cahots, de peines, de choix difficiles, d'épreuves qu'elle m'en paraissait irréelle, publicité Ricoré affichée sous mon nez incrédule.

Jamais de réelle relation amoureuse, aucun vrai chagrin ne lui trempant les oreillers et le caractère.

Un travail à mi-temps dont il se contentait, sans stimulation intellectuelle ni perspectives d'évolution.

Des plans flous pour le futur, directions à peine esquissées et sans cesse repoussées. 

Occupant encore sa chambre d'enfant chez ses parents, sans saisir que ce séjour prolongé au nid repoussait les femmes qui, depuis longtemps, volaient de leurs propres ailes.

À l'âge d'homme - presque 35 ans -, mon samouraï était toujours adolescent.


Jusqu'alors j'avais répugné à le voir. Négligé les signes annonciateurs. Gommé les alarmes qui s'obstinaient à tinter. Mais ce soir-là, impossible de faire la sourde oreille. Et l'immense décalage entre nous m'avait ahurie.

Décalage quand, à l'évocation de Platon, de Dali, de Fellini, des tests HIV, des OGM... je ne croisais que son regard blanc.

Décalage dû à toute conversation qui, un peu sérieuse, languissait, tournait court et s'achevait sur une esquive, le silence ou son brusque départ.

Décalage alors qu'allongés côte à côte, nous regardions des films. LolitaFenêtre sur courThe Heart is deceitful above all things*. Moi absorbé par l'histoire ; lui qui, incapable de se concentrer plus d'un quart d'heure, chassait les moustiques ou se tournait, dos à l'écran, prétendant que les dialogues suffiraient.

Décalage dans nos façons de voyager. Lui soucieux de confort, voire de luxe, pointilleux sur des détails m'apparaissant parfois farfelus : prendre quatre douches par jour, se laver les pieds avant de se coucher, ne pas toucher les claviers des distributeurs d'argent, trop sales, ne pas grignoter au lit, appeler le vieux patron de l'hôtel pour déloger un cafard de la salle de bains.

Décalage de mode de vie, d'expériences.

Décalage de vie tout court.

Mais sinon, j'aime beaucoup les chiens.

 

 

* Ou, titre original plus parlant : The Heart is deceitful above all things. Film de et avec Asia Argento. Très bon à condition d'avoir le coeur bien accroché...

Fiche technique et scénario ici.


 

1re et 3e photos : William Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Dimanche 8 avril 7 08 /04 /Avr 17:25

MattUne heure et demi de yoga intensif, une heure d'équitation, une douleur sourde dans les cuisses et Matt chez moi.

Matt arrivé en avance alors qu'à peine sortie de la douche, je croyais avoir le temps de me préparer.

En France, le léger retard des invités s'appelle joliment "le quart d'heure de politesse". Mais nous sommes aux Philippines, Matt est anglais et a très envie de cette soirée. Plus tôt dans l'après-midi, il m'a sur le champ dit oui.

Oui pour venir chez moi.

Oui pour dîner en tête-à-tête.

Oui pour un film sur la grande télé que je n'ai jamais allumée.

 

Entre deux étirements et trois postures, la première à me parler de Matt fut Yaelle.

- J'ai un autre élève pour le yoga, me dit-elle. Matt... Très sympa et très souple, ce qui est plutôt rare pour un homme. 

J'acquiesçai en songeant à Ethan qui, jambes tendues, ne touchait que ses genoux.

- Matt est là depuis deux mois pour son dive master, poursuivit-elle. Vous pourriez pratiquer ensemble, non ?

Mon air intéressé lui dessina deux fossettes.

- Et il est euh... comment ?

L'hésitation de Yaelle me fit craindre le pire.

- Pas mal, je crois... De toute façon, je suis tellement difficile pour les hommes que je leur trouve toujours un truc qui cloche.

- Et chez Matt alors, qu'est-ce qui cloche ?

Yaelle réfléchit, passant sous ses paupières demi-closes son élève en détail.

- Voyons... Il est grand, athlétique... Blond. La bonne trentaine, mais paraissant moins. Musclé aussi. Très.

Ce portrait me semblait fort encourageant. Jusque-là, rien à redire.

- Mais ? hasardai-je.

- Mais...

Yaelle eut un sourire malicieux.

- Mais je crois que son énergie sexuelle n'est pas très développée.

- Oh... fis-je. Et comment le sais-tu ?

- Une impression... Difficile à expliquer. Quand je me connecte à son énergie, je ne sens... pas grand-chose, en fait. Ca ne vibre pas. C'est plutôt mou, comme tassé. Tu vois ?


Hum. Je ne voyais pas vraiment. Je songeai à Bertille qui, à la simple vue d'un homme, était capable de prédire et son comportement et ses aptitudes au lit. Afin de confronter ses intuitions à la (ma) réalité, je l'avais interrogée sur mes quelques amants qu'elle connaissait aussi.

Après coup, bien sûr, pour ne pas fausser mes perceptions.

Jamais mon amie ne s'était trompée.

Impressionnée, presque incrédule, j'avais rugi :

- Mais comment fais-tu ??

Comme Yaelle, Bertille évoqua une question d'énergie, de vibrations, d'aura.

Sinon, elle ne savait pas. Ou plutôt savait, sans l'ombre d'un doute.

Je soupirai, infichue que j'étais, moi, d'une telle clairvoyance. Aveuglement m'ayant coûté quelques risibles déconvenues, mais également gratifiée de belles surprises.

- Pfff... Je vous envie, les filles.

Yaelle eut le même sourire que Bertille. Amusé, sibyllin, refermé sur sa part de secrets.

Avant d'entamer un périlleux grand écart, je lançai étourdiment :

- Ah, oh ! Peut-être, un jour, aurai-je l'occasion de vérifier ton impression. Compte sur moi pour t'en donner des nouvelles !


Matt 2bisHier je ne vis pas la silhouette de Matt remonter la courte allée de ma villa, ni se pencher sur ses chaussures pour les délacer.

Sa voix me cueillit face au miroir, une noisette de crème sur le nez.

Je criai à travers la maison vide :

- Yes, I'm coming ! Get in !

Comme il n'entrait pas, je sortis.


Matt se tenait sur le bord de la terrasse, une bouteille de soda orange contre la poitrine. Les tatouages ornant ses avant-bras se fondaient à la nuit. Flottant blanches sur le noir, ses mains paraissaient détachées de son buste, pressées autour d'une offrande qu'il me tendit.

Je l'acceptai de bon coeur. Lui proposai d'acheter du rhum au sari-sari voisin. J'avais du Coca, du jus d'orange, mais rien pour des cocktails.

- Ne te donne pas cette peine. Je bois très rarement, à peine une fois tous les six mois.

Avec malice je demandai si un semestre s'était écoulé depuis la dernière fois.

- Pas encore !

Sa réponse me soulagea. Hors de question de laisser un nouveau Mingus entrer dans ma vie, dût-il y passer en coup de vent.

Matt se pencha vers moi. Je déposai un baiser sur ses joues. Heureuse qu'il soit là et déjà tellement à l'aise avec lui.

Yaelle avait dit "sympa, grand, blond et musclé, très".

Elle avait raison.

 

La première fois que j'aperçus Matt, sa démarche confiante me poussa à tourner la tête. Et ses épaules carrées à me retourner, fascinée par le soleil noir incendiant l'une d'elle.

Je pensai qu'il s'agissait peut-être de l'autre élève de Yaelle. L'espérai, car cet inconnu était fort à mon goût.

Un visage ouvert, régulier, harmonieux, avenant. Un nez court, légèrement en trompette, surmonté d'yeux marine.

Et ce corps, surtout, long, ramassé, puissant.

Puis j'avais faim. Voilà des semaines que personne n'avait touché ma peau. Qu'elle se creusait, impatiente, à l'affût d'une caresse.

Un soir en compagnie d'Emmanuel me revint en mémoire. À l'évocation de changements intervenus dans ma vie, il m'avait coupée d'un ton dramatique :

- Dis... Tu ne serais pas amoureuse, par hasard ? Ou enceinte ? Ou, horreur... sexuellement abstinente ?

J'avais ri aux éclats.

- Non, non, rassure-toi. Rien de tout ça !


Lorsque je m'allongeai sur mon tapis violet, Matt était déjà sur le sien. Torse nu, une pyramide chair et noire gravée sur le coeur, genoux pliés, bras étendus jusqu'à presque toucher mes mains.

Les exercices se succédaient. Je l'observais à la dérobée, me repaissant de son profil pur, des collines de ses muscles s'élevant et s'abaissant sous sa peau hâlée.

J'imaginais le poids de son corps sur le mien. Ses doigts fouaillant ma chair. Ses ongles imprimés sur mes fesses. Ses coudes serrés contre mes côtes. Ses jambes m'emprisonnant à me briser.

Cet homme et moi dans un lit. Enlacés, accouplés, roulés dans les flots furieux du douloureux désir monté des cuisses à mon ventre, déroulé à longues spirales sous mon sternum.

En sueur et en rythme, haletant sous l'effort, imposant à mes tendons un nouveau tour de vis, une ouverture supplémentaire à mes articulations, je serrai les dents pour ne pas hurler.

Une énergie brûlante dévalait sur ma chair, m'enveloppait, me pénétrait, me cuisait tout entière de sa lumière blanche, jaune, pourpre.

- Respirez, soufflez !

J'entendis à peine la voix de Yaelle.

Nos postures disloquées avaient lâché la bête.

Et Matt, front contre terre, souriait.

 

 

À suivre ici.


Photos : Jean-François Jonvelle, Horst P. Horst. 

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Mercredi 4 avril 3 04 /04 /Avr 20:21

PiedsJ'ai onze ans et je regarde mes pieds. Leur fine largeur étirée jusqu'aux orteils bien séparés et découplés, le dernier aussi rond que le court dos d'un chat, le premier lové dans un doux ovale, le deuxième plus long, s'allongeant avec témérité au-delà de son voisin.

Mes pieds sont, de moi, la partie que je préfère.

Je me repais de leurs phalanges nettes, de la légère saillie de l'os soulignant chaque articulation, de mes ongles alignés comme des petits pois dans leur cosse.

Mon père m'a dit que j'ai le pied grec.

Grec, ça me va.


Sur le pont immaculé du bateau, mes pieds détachent leur brun doré. Leurs paumes sont plus pâles, presque rosées.

Ma peau, satin chiffonné au creux et à la pliure, tendrement plissée.

Mon grain de beauté toujours posé, à droite, entre malléole et talon.

Une vie plus tard, Ernesto le touchera d'un doigt précis et dira :

- C'est le grain de beauté du voyage.

Merveilleux. J'étais déjà enceinte de moi sans le savoir.

 

J'ai onze ans et je pense à un mouvement.

Sur le champ mes pieds l'accomplissent. Tendus, pliés, arqués, petits soldats zélés m'obéissant en souplesse.

Leur habileté me comble.

Leur diligence me ravit.

Je les trouve beaux. Irrésistibles même.

J'imagine un homme qui tomberait amoureux de moi pour mes pieds. Un homme pour qui la beauté d'une femme résiderait là, tout entière nichée dans cette partie du corps si méprisée.

- T'es bête comme tes pieds ! pourraient se moquer mes copines.

Je m'en ficherais car elles n'ont rien compris.

Non, mes pieds ne sont pas bêtes. Ils sont aristocratiques. Nobles, raffinés, si élégants et gracieux que les voir serait être foudroyé.

D'amour et de désir ou de désir et d'amour.

Je n'ai pas encore réfléchi au bon ordre.

 

Bercée par la houle dans ce port du midi, je deviens une princesse orientale. Rêve d'étoffes soyeuses s'enroulant autour de mes cuisses, mes mollets, mes chevilles pour tomber, drapées, sur mes pieds. Caressantes, précieuses, jouant à cache-cache avec ma chair brutalement révélée.

Éclair d'épiderme montrant le moins afin de mieux suggérer le tout.

Parcelle érotisée de peau et d'ongles, chute en à-pic de mon sexe à mes orteils.

Je me grise d'images et de mouvements, lentes figures de ballerine exécutées dans les airs, pointes tendues, jambes levées, fesses renversées.

Puis la danse se brise.

 

Pieds 2bisJe dépose mes pieds sur le pont. Les contemple à nouveau, immobiles. Me questionne sourcils froncés.

L'évidence du dernier quart d'heure ne coule soudain plus de source.

Un homme pourrait vraiment m'aimer pour mes pieds ?

Cette beauté-là est-elle essentielle pour quelqu'un ?

Je tente de me rassurer. Chacun ayant ses préférences, cela doit bien exister. Les goûts et les couleurs... On me le serine d'ailleurs à longueur de journée.

Sinon, il y aura bien une peuplade aux moeurs étranges, aux rituels exotiques. Une tribu vénérant la splendeur des pieds. De ces indigènes les miens seraient les rois. Admirés, adulés, avec tous ces hommes en extase courbés sur eux.

Alors ?

Alors je dois en avoir le coeur net.

Je demande à ma mère.

Elle éclate de rire.


Non, les pieds ne sont pas si importants. Tout à fait accessoires, même. Simple détail qui jamais n'emportera le choix d'un homme. Quant aux peuplades, elles ne peuplent que les bandes dessinées.

Si les pieds sont jolis, c'est tant mieux, bien sûr.

S'ils sont laids, bah... La beauté, celle qui compte, c'est bien autre chose. Rien à voir avec de vulgaires arpions.

Je grimace. Je suis déçue. Horriblement, comme lorsqu'un rêve s'effondre. Alors je souhaite avec ardeur, quand je serai grande, être belle. De la beauté qui importe pour foudroyer un homme.

Mes pieds, c'était du sûr. Eux ne changeront pas beaucoup. Leur physionomie est là, déjà achevée malgré mes onze ans. Là comme toujours ils seront, au bout de mes jambes, aériens et mignons.

Ah, si seulement ma mère avait su...

 

 

 

Photos : Horst P. Horst, Elmer Batters.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso - Communauté : les blogs persos
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Mardi 3 avril 2 03 /04 /Avr 19:26

ChildhoodJ'étais une enfant étrange. Une fille unique plongée, déjà, dans les livres et noyée, déjà, dans son monde intérieur.

Torturée et ultra sensible, timide et casse-cou, parfois violente et dotée d'une imagination débordante.

Sujette aux cauchemars et aux peurs irraisonnées, terribles, inracontables.


Peur panique de la perte rendant réelle la mort de mes proches.

Qui me poussa, une nuit d'enfance, à me jeter dans la rue en pyjama.

Qui me fit m'effondrer au retour d'une promenade. Tandis que mes grands-parents s'attardaient auprès d'une voisine, je rentrai à leur chalet, me heurtai à sa porte verrouillée et patientai une demi éternité.

Ce temps se chargea peu à peu de plomb. J'eus l'impression que le ciel l'été virait au noir, la température à l'hiver. Glacée, tremblante, je guettai l'entrée du jardin sans oser quitter ma place de sentinelle. Si papy-mamie revenaient, ils s'inquiéteraient de ne pas me voir.

Mais ils ne revenaient pas.

L'affolement me gagna.

J'imaginais une chute ou un accident. Puis une mauvaise rencontre sur le chemin. Un rôdeur les détroussant, un vagabond les traînant de force dans les bois. Peut-être, même, un bagnard en cavale les torturant pour le plaisir.

Trop gentils, trop faibles, trop âgés pour se défendre, mes grands-parents s'étaient fait massacrer. La mort était la seule explication possible à leur absence.

Sinon, jamais ils ne m'auraient abandonnée sur ce perron.

Je hurlais ma douleur lorsqu'ils arrivèrent. Effarés, incrédules, bouleversés de me voir sangloter comme une gosse perdue.


Peur phobique de la folie du monde et de sa violence.

Mes divagations se peuplaient de cambrioleurs, de tortionnaires, de criminels. Je craignais d'être espionnée, suivie, kidnappée, abusée, tuée. De trouver la maison ouverte et mes parents égorgés. Un cadavre sur mon tapis, du sang coulant des murs, une arme du crime dissimulée parmi mes affaires.

Il m'était impossible de regarder un film policier ou le journal de 20h00. Les récits de meurtre, les images violentes me prenaient à la nuque, déclenchaient des nausées, me paralysaient.

Un soir, au retour d'un concert avec mes parents, la radio annonça le massacre de trois campeurs. Aussitôt d'horribles visions se frayèrent un chemin sous mon crâne. Incapable de les repousser et happée par la nuit qui nous entourait, je me mis à pleurer, me raidir et étouffer.

La crise d'angoisse devint tétanie me conduisant à l'hôpital.

Enfant, je n'étais pas habitée par la peur, j'habitais la peur comme un pays en ruines.


Enfance 3 bisPour conjurer, j'avais des rituels. De plus en plus exigeants et compliqués, étendus par degrés à toutes les parcelles de mon territoire intime.

Les pensées à repousser tels des fantômes de peur qu'elles ne prennent corps.

Les vêtements à porter ou ne jamais mettre.

Les mots à taire ou à répéter, les formules magiques à réciter en mantras.

Les gestes défendus sous peine d'être amputée. L'obligation de rester pétrifiée sous les draps sans qu'un membre n'en dépasse. Sinon, ma chair découverte me serait arrachée. Par un monstre ou un rapace perché au-dessus de moi dans l'obscurité.

La veilleuse à allumer pour la nuit. Puis, quand elle tomba en panne, la porte des toilettes baignées de lumière à laisser ouverte sur ma porte à moi.

Le juste intervalle à calculer pour avoir assez de clarté sans m'empêcher de dormir.

 

Les actions à égrener en chapelets, dans le même ordre.

Marcher sur les carreaux blancs. Ne pas toucher les coins des meubles, mais toujours le bas de l'escalier avant de monter.

Regarder derrière les portes, puis sous le lit avant de me coucher.

Puis dans l'armoire entre mes vêtements.

Puis dans mon coffre à jouets.

Puis dans les boîtes de jeux.

Inévitablement une fouille en appelait une autre. Il y avait toujours une cachette oubliée, un interstice par lequel le mal réussirait à se faufiler. Ma tâche était de les chasser, les révéler à la lumière, les abolir.

Alors seulement je m'avouais rassurée.

Mais le barrage était friable et mon esprit tortueux. Sans relâche il débusquait d'autres sources d'infiltration, de possibles portes ouvertes sur l'horreur.

 

Les peurs revenaient, plus raffinées, plus intenses. Leurs montées d'un cran appelaient de nouveaux rituels plus complexes, plus efficaces.

Je n'en finissais pas de scruter, sonder, vérifier.

Comme si ma vie et celle de mes proches en dépendait.

Comme si tout manque se changerait en erreur fatale.

Tous ceux que j'aimais condamnés par ma faute, écrasante responsabilité à porter.

Superstitieuse et même davantage : habitée par une mission. Secrète, car si j'en informais mes parents, leurs réactions seraient prévisibles. Fébrile inquiétude de ma mère, railleries de mon père, incompréhension dans les deux camps.

Angoisses et secrets furent deux sceaux de mon enfance.

Tous les enfants, je crois, aiment jouer à se faire peur. À s'imaginer des horreurs et se les raconter pour effrayer les copains. À en rajouter pour les faire hurler.

 

Pour moi, la peur n'était pas un jeu. Elle fut un animal, ou plutôt un troupeau rétif à apprivoiser, plus difficile encore à maîtriser.


 

Enfance 2 bisEmportées avec l'âge dit "tendre", certaines disparurent.

D'autres restèrent, formes minorées des cauchemars qui, petite, me hantaient.

J'en dépassais d'autres par volonté et refus de les laisser m'emprisonner davantage.

Depuis longtemps je pense que nos plus grandes limitations gisent en nous-mêmes. Lie de noeuds, marc de tensions, dépôt d'angoisses nous bloquant l'accès à une vie plus pleine, interdisant des changements pourtant désirés, tenant nos projets en courte laisse ou coulés sous une chape de plomb.


Évoluer, grandir, croître, s'épanouir passent par l'affrontement avec nos peurs anciennes, primitives, enracinées, parfois héritées.

Lentement remonter les eaux de barrage pour revenir aux sources de soi.

Longuement s'y baigner pour se laver de nos scories.

Et en sortir purifiés.

Fortifiés.

 

 

 

Photos : Zhang Peng.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Jeudi 29 mars 4 29 /03 /Mars 15:27

Île de Florès, Indonésie, fin janvier 2012.

 

MongoliaLe bémo (l'équivalent du jeepney philippin) pila. Mon samouraï et moi risquâmes un regard dehors. Nous étions au milieu de nulle part, impression aggravée par la nuit confondant d'une même encre les reliefs de la route et des collines.

- Here you are ! nous avertit le conducteur.

Nous prîmes nos sacs, nous faufilâmes entre les jambes des autres passagers et descendîmes face à un panneau.

Celui-ci portait le nom d'un resort.

En effet, c'était bien là.


Au bout d'une pente rocailleuse, un lieu improbable serti entre mer et jungle. Aussitôt séduits par le grand bungalow niché dans le jardin, nous nous y installâmes.

L'heure du dîner sonna. Les quelques clients se rassemblèrent sur une large terrasse. Soudain étranges et familiers dans ce nulle part, des mots français résonnèrent dans mon dos.

Je me retournai.

Un tee-shirt rouge enserrant de solides épaules. Des cheveux poivre et sel, un visage buriné, énergique, tourné vers une jeune femme.

Je venais de rencontrer Vincent.

 

Plus tard, je pris place à sa table. Et lorsqu'il dit "Mongolie, Ulan Bator, agence de voyages", m'exclamai. Des années que je rêvais d'un périple à cheval dans la steppe. Plus particulièrement en juillet, mois du Naadam, LA fête traditionnelle mongole.

La réalité avait fini par rejoindre mon désir. Une fois encore, l'imprévu d'une rencontre m'offrait une occasion unique.    

Hors de question de la laisser s'échapper. D'autant que la façon dont travaille Vincent me ravit.

Chacune de ses randonnées compte au maximum trois cavaliers : plus il y a de participants, plus les risques de grave problème sont majorés.

Vincent ne regroupe jamais des gens qui ne se connaissent pas. Au pire, ils se rencontrent à Ulan Bator avant le départ, et décident alors de tenter l'aventure ensemble - ou non.

- Dans la steppe, toute mésentente peut tourner au drame, m'expliqua Vincent. Même pour ce qui paraît des broutilles, mais n'en sont pas : un voisin qui ronfle et t'empêche de dormir. Quelqu'un qui, à force de se plaindre, te sape le moral. Dans des conditions difficiles, il faut rester soudés...

 

Des conditions difficiles... On y était.

La Mongolie, c'est le pays à plus faible densité de population au monde.

Un climat excessivement rude sauf - a priori - en juillet.

Des étendues infinies, une horizontalité à perte de vue donnant à certains le vertige, à d'autres une paradoxale sensation d'oppression, à d'autres encore des angoisses.

Notre chevauchée, c'est, chaque jour, des heures en selle, en dépit de la douleur et des courbatures.

Pas de jeep pour nous suivre ou nous ouvrir la route. Personne pour s'occuper de nous ou nos chevaux.

Pour tous compagnons, un guide non-anglophone et un cheval de bât chargé des tentes, des provisions, des casseroles, de nos affaires réduites au strict nécessaire.

Une alimentation certainement limitée, à cuisiner au feu de camp.

Des conditions précaires d'hygiène, avec une possibilité de se laver très limitée.

Bref, une autonomie complète sans guère de filet ni de confort.

 

A travers la steppe 2

Dur, intense, mais ça m'allait.

Toute réalisation personnelle a une contrepartie, tout rêve un prix.

Je promis à Vincent de le recontacter des Philippines.


Trois semaines plus tard.

Dîner coréen avec Bertille.

Le restaurant était vide, notre table surchargée de mets. Entre deux bouchées de kimchi* et d'omelette, je parlais à mon amie de la Mongolie.

Aussitôt son visage s'éclaira.

- C'est un de mes rêves... dit-elle.

Je lançai alors comme une évidence, sans vraiment y croire :

- Allons-y ensemble !

Une foule d'émotions se bousculèrent dans les grands yeux de Bertille. J'y lus l'incrédulité, l'envie, le goût de l'aventure, la prudence, le défi, un "chiche !" final.

- D'accord.

Des larmes montèrent à ses paupières. Très émue, je la serrai dans mes bras.

 

Préparer ce périple s'avère compliqué. Nous aurons besoin de matériel qu'on trouve difficilement ici : des vêtements chauds, des polaires, des guêtres d'équitation qui ne seraient pas du luxe.

D'une remise en selle musclée, aussi. La technique ne nous effraie pas, nous avons toutes deux assez pratiqué pour vite retrouver nos marques. La résistance, en revanche...

D'un visa, bien sûr. Impossible qu'il nous soit délivré à notre arrivée en Mongolie. Depuis les Philippines, cela semble compromis.

Pour l'obtenir, une étape sur notre route s'impose. Une bonne semaine sur place également, le temps que notre demande soit traitée.

Alors, un stop en Corée du Sud, à Hong-Kong ou en Chine ?


Pour l'instant, c'est ce dernier pays qui a notre préférence. Parce que de Beijing (Pékin), nous pourrons monter à bord du Transsibérien... Deux jours dans ce train mythique pour gagner Ulan Bator.

Et forcément, je songe à Blaise Cendrars :

En ce temps-là, j'étais en mon adolescence

J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance

J'étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance

J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares

Et je n'avais pas assez de sept gares et des mille et trois tours

Car mon adolescence était si ardente et si folle

Que mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d'Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.

Et mes yeux éclairaient des voies anciennes*...

 

Jouir d'être, j'ai dit.


  

 

* Kimchi : mets traditionnel coréen à base de piments et de légumes fermentés, souvent à base de chou chinois.

La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, Blaise Cendrars, 1913.


Photo de John Gutman, toile de David Delamare..

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour - Communauté : les blogs persos
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