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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Mercredi 4 avril 3 04 /04 /Avr 20:21

PiedsJ'ai onze ans et je regarde mes pieds. Leur fine largeur étirée jusqu'aux orteils bien séparés et découplés, le dernier aussi rond que le court dos d'un chat, le premier lové dans un doux ovale, le deuxième plus long, s'allongeant avec témérité au-delà de son voisin.

Mes pieds sont, de moi, la partie que je préfère.

Je me repais de leurs phalanges nettes, de la légère saillie de l'os soulignant chaque articulation, de mes ongles alignés comme des petits pois dans leur cosse.

Mon père m'a dit que j'ai le pied grec.

Grec, ça me va.


Sur le pont immaculé du bateau, mes pieds détachent leur brun doré. Leurs paumes sont plus pâles, presque rosées.

Ma peau, satin chiffonné au creux et à la pliure, tendrement plissée.

Mon grain de beauté toujours posé, à droite, entre malléole et talon.

Une vie plus tard, Ernesto le touchera d'un doigt précis et dira :

- C'est le grain de beauté du voyage.

Merveilleux. J'étais déjà enceinte de moi sans le savoir.

 

J'ai onze ans et je pense à un mouvement.

Sur le champ mes pieds l'accomplissent. Tendus, pliés, arqués, petits soldats zélés m'obéissant en souplesse.

Leur habileté me comble.

Leur diligence me ravit.

Je les trouve beaux. Irrésistibles même.

J'imagine un homme qui tomberait amoureux de moi pour mes pieds. Un homme pour qui la beauté d'une femme résiderait là, tout entière nichée dans cette partie du corps si méprisée.

- T'es bête comme tes pieds ! pourraient se moquer mes copines.

Je m'en ficherais car elles n'ont rien compris.

Non, mes pieds ne sont pas bêtes. Ils sont aristocratiques. Nobles, raffinés, si élégants et gracieux que les voir serait être foudroyé.

D'amour et de désir ou de désir et d'amour.

Je n'ai pas encore réfléchi au bon ordre.

 

Bercée par la houle dans ce port du midi, je deviens une princesse orientale. Rêve d'étoffes soyeuses s'enroulant autour de mes cuisses, mes mollets, mes chevilles pour tomber, drapées, sur mes pieds. Caressantes, précieuses, jouant à cache-cache avec ma chair brutalement révélée.

Éclair d'épiderme montrant le moins afin de mieux suggérer le tout.

Parcelle érotisée de peau et d'ongles, chute en à-pic de mon sexe à mes orteils.

Je me grise d'images et de mouvements, lentes figures de ballerine exécutées dans les airs, pointes tendues, jambes levées, fesses renversées.

Puis la danse se brise.

 

Pieds 2bisJe dépose mes pieds sur le pont. Les contemple à nouveau, immobiles. Me questionne sourcils froncés.

L'évidence du dernier quart d'heure ne coule soudain plus de source.

Un homme pourrait vraiment m'aimer pour mes pieds ?

Cette beauté-là est-elle essentielle pour quelqu'un ?

Je tente de me rassurer. Chacun ayant ses préférences, cela doit bien exister. Les goûts et les couleurs... On me le serine d'ailleurs à longueur de journée.

Sinon, il y aura bien une peuplade aux moeurs étranges, aux rituels exotiques. Une tribu vénérant la splendeur des pieds. De ces indigènes les miens seraient les rois. Admirés, adulés, avec tous ces hommes en extase courbés sur eux.

Alors ?

Alors je dois en avoir le coeur net.

Je demande à ma mère.

Elle éclate de rire.


Non, les pieds ne sont pas si importants. Tout à fait accessoires, même. Simple détail qui jamais n'emportera le choix d'un homme. Quant aux peuplades, elles ne peuplent que les bandes dessinées.

Si les pieds sont jolis, c'est tant mieux, bien sûr.

S'ils sont laids, bah... La beauté, celle qui compte, c'est bien autre chose. Rien à voir avec de vulgaires arpions.

Je grimace. Je suis déçue. Horriblement, comme lorsqu'un rêve s'effondre. Alors je souhaite avec ardeur, quand je serai grande, être belle. De la beauté qui importe pour foudroyer un homme.

Mes pieds, c'était du sûr. Eux ne changeront pas beaucoup. Leur physionomie est là, déjà achevée malgré mes onze ans. Là comme toujours ils seront, au bout de mes jambes, aériens et mignons.

Ah, si seulement ma mère avait su...

 

 

 

Photos : Horst P. Horst, Elmer Batters.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso - Communauté : les blogs persos
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