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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Jeudi 8 mars 4 08 /03 /Mars 09:41

Padang Bai, Indonésie, fin février 2012.

 

 

VoixJustin était un chanteur classique. Moi, j'avais perdu la voix.

Littéralement.

Depuis une semaine aucun son ne sortait de ma gorge tuméfiée. Ce jour était le premier où je retrouvais un semblant de parole. Un mince filet capricieux serpentant entre les phrases pour se briser, foudroyé, sur certains. Pause obligée avant de reprendre le courant de notre conversation-fleuve.


J'avais l'instrument mais plus le contrôle.

Mes rires étaient de silence, mes silences de plomb. Sans préavis, les syllabes se distordaient dans ma bouche en bizarres coassements. Grave, aiguë, ma voix dérapait sur plusieurs octaves en me déchirant le larynx.

Tour à tour aphone, homme, grenouille et femme, avec les mots pour le dire mais les cordes vocales en capilotade.

Dans de telles conditions, parler était à la fois effort et souffrance.

Aussi ce soir-là étions-nous trois. Justin, moi et ma voix acharnée à me faire taire.


Nous discutions pourtant depuis des heures. Depuis le restaurant où, attablés en compagnie de Flora, une plongeuse hollandaise, nous comparions nos "destinées sentimentales". Le sexe, l'amour, l'engagement, les histoires sans lendemain, la routine, l'ennui, les ruptures... Pêle-mêle d'expériences fortes, drôles et douces-amères. Partage de célibataires revenus de nombre d'histoires et d'illusions, blessés ou fortifiés mais espérant toujours. Ou plus guère, mais tout en ménageant la place à l'imprévu, cet indécidable qui, sur un rien, met notre vie en bascule.

Puis Flora s'était éclipsée pour nous laisser en tête-à-tête.

Puis les serveuses étaient parties en oubliant une lumière allumée. Blanc néon, elle creusait nos traits sculptés par la fatigue de la journée. Trois heures de voiture sur des routes en lacets. Deux plongées magnifiques sur le Liberty Wreck, une épave au nom d'horizon vierge.

Cachant ses cernes de sa paume, Justin me proposa de traverser la route qui jouxtait la plage.

Je rassemblai mes affaires avec lenteur. Patient, immobile, Justin se tenait derrière moi. Agrégé à son parfum, son désir de me serrer contre lui, aussi palpable que les effluves iodés de la mer mourant à nos pieds.

 

Dès que je l'avais aperçu le matin au dive shop, j'avais songé à Ethan. Pour l'arc de leurs paupières et la courbe un peu tombante de leurs épaules. Pour le semblant de barbe poivre et sel sur leurs mentons. Pour leurs corps légèrement potelés que, comme embarrassés, ils semblaient n'habiter que par éclipses.


Voix 2bisPour ce que j'avais ressenti, entêtant bien que fugace, au fil de la conversation. L'impression d'une mélancolie tapie derrière la bonne humeur, d'une grande douceur doublée d'une réelle attention portée aux gens.

Une fragilité qui vacillait, émouvante, entre deux silences. Une sensibilité à fleur de peau, retenue mais éclatant au détour d'une anecdote.

Une vulnérabilité liée à un pan d'histoire dérobée. Telle une maison amputée de la moitié de ses fondations, l'incertitude sur leurs origines les empêchait de se construire pleinement.

Ces deux hommes, l'un mon ami et l'autre un presque étranger, avaient un je-ne-sais-quoi de profondément féminin qui me touchait.


Et leurs ressemblances ne s'arrêtaient pas là. Il fallait y ajouter leur retenue toute anglaise mâtinée d'un flegme tout britannique, leur humour pince-sans-rire qui me faisait m'esclaffer et leur accent londonien délicieusement huppé.

"A very clean one, indeed", approuvait Ethan.

Un tout propre, donc, qui habillait les mots de grâce et de frais, roulant légers sur la nappe et tintinnabulant comme les glaçons de mon Coca.

Expatrié, Justin habitait comme moi une île au climat plus doux que son pays natal. Il avait vécu à Vancouver, à Londres, à Malte. À Amsterdam sans en apprécier les habitants. Trop directs à son goût, trop peu enclins à enrober leurs propos d'une nécessaire politesse, fût-elle de façade.

Trop délicat pour la plate franchise hollandaise, Justin avait fini par déménager.


J'acquiesçai d'un sourire entendu. L'opinion de Justin me renvoyait en écho ma relation avec Mingus.

Son étonnement à me découvrir, selon ses critères, trop émotionnelle et sensible.

Ses difficultés à me comprendre, à saisir ce qu'il appelait mon être qui sans cesse échappait à sa prise.

Sa façon de me heurter sans l'avoir calculé, ses critiques qui m'étaient autant d'agressions.

Ses encouragements à m'exprimer sans détours ni subtils sous-entendus. Jusqu'à ce que, comblant son souhait au-delà de ses attentes, je ne l'écharpe par trop de franchise.

Ethan, Mingus, moi... En cette fin de voyage indonésien, Justin campait sans s'en douter le point de convergence de plusieurs routes, étrange synthèse d'un écheveau noué bien avant lui.


En tailleur dans l'obscurité, nous remplîmes de mots le creux de notre désir. Va-et-vient continu de langues mêlées, rythmées par le ressac des vagues.

À lui seul Justin en maîtrisait quatre. Après le chant qui consiste à prolonger les mots des autres, son métier était devenu recherche, transcription au plus juste de textes étrangers. Traducteur, Justin était sensible aux moindres nuances, aux frissonnements du sens sous l'écorce.

Comme moi, il savait et sentait, presque d'instinct, qu'un mot n'égale pas un autre. Que chacun se teinte d'une couleur et d'une vibration propres. Qu'en choisir un pour écarter son voisin infléchit le sens du message, le gauchissant parfois jusqu'à le vider de son contenu.

 

Voix 3Côte à côte sous notre abri de bois, nous nous efforcions d'abolir la distance entre paroles et pensée. De tisser le fil fragile d'un échange qui, délaissant le superficiel, plongea au plus intime. Sans mensonges ni fausse pudeur, guidé par l’ouverture bienveillante de deux étrangers désirant partager un bout d’eux-mêmes.

À certaines de ses questions je répondais en français, sachant que Justin me comprendrait mais utiliserait, en retour, sa langue maternelle.

Tel fut notre système pour nous tenir au plus près, lentement dévoilés.

Par delà le corps, l’âme à découvert.

 

Autour de nous résonnait le silence. Je regardais Justin qui me regardait. Lui souris de me sourire. Avançai, seule, une main et passai un index tendre le long de son bras avant de le reposer sur mon genou.

À leur tour ses doigts dessinèrent une courbe de mon poignet à mon coude.

Ses lèvres s’écartèrent. J’y cueillis dans un souffle les mots qui s’apprêtaient à en jaillir.

Contre ma langue, le verbe et sa chair.

 


PS/ Il semble qu'un de mes lecteurs réguliers est un Hollandais (une Hollandaise), ou du moins une personne vivant aux Pays-Bas. J'espère qu'elle ne sera pas blessée de notre vision de ses compatriotes. :)


1re et 3e photos : Horst P. Horst. 2e : Laurence Demaison.

 

Par Chut ! - Publié dans : Eux - Communauté : les blogs persos
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Commentaires

Sur les hommes de poussière et celui-là.

Tant de thèmes entremêlés. La fulgurance du désir, le fait que tes amants se ressemblent entre eux, que tu ne les choisisses pas au hasard. Le décor philippin, la plongée, la légèreté de la poussière...

Et pourtant, il y a fil, une unité, une vie qui coule. Tu nous invites à voir le monde par tes yeux et tes sens. Est-ce l'écrit qui embellit, ou ta vie qui est réellement aussi pleine ?

commentaire n° :1 posté par : coldbear le: 08/03/2012 à 13h47

Ah, traduire...si difficile et si satisfaisant pour l'esprit quand enfin toutes les nuances ont pu être transcrites. J'aurais été tellement heureuse d'en faire mon métier...

commentaire n° :2 posté par : Ordalie le: 09/03/2012 à 04h44

Gratifiant mais horriblement difficile. Traditore trahitore, tu dois connaître par coeur !

Lui s'est spécialisé dans les traductions techniques, a priori un domaine qui laisse moins de place à la licence poétique. Et pourtant... Chaque langue garde sa couleur. Sa préférée reste l'allemand, extrêmement claire et précise ; celle qu'il aime le moins le néerlandais, plus floue et sujette à interprétation (s'il le dit) ; entre les deux se tient le français. J'aimerais dire avec une mention spéciale pour l'élégance, mais même pas sûr. Rien de pire que les textes jargonneux absolument incompréhensibles !

J'ignore pourquoi, mais les gens polyglottes me fascinent. C'est une chance extraordinaire et une formidable ouverture au monde.

réponse de : Chut ! le: 09/03/2012 à 05h22

Parler plusieurs langues n'a rien d'un don (sauf pour l'accent), c'est surtout un travail permanent car il faut se tenir au courant de l'évolution.

Contrairement à ce qu'un vain peuple pense, aucune langue n'est facile, pas plus l'anglais que les autres. Je n'arrive toujours pas à maîtriser tous ces verbes suivis de on, at, over,, up to etc.

commentaire n° :3 posté par : Ordalie le: 09/03/2012 à 08h50

Oui, et la pratiquer... Beaucoup de personnes que je rencontre sont "nées" avec 3 langues (celle de la mère, du père + du pays de résidence, quand il ne faut pas y ajouter qqs dialectes), ce qui est une chance au départ. N'empêche que ça me fascine. Surtout quand, au détour d'une ocnversation, ces personnes passent d'une langue à l'autre avec une facilité déconcertante. Comme dans le cas de Justin, je trouve ça très attirant... Puis le petit accent anglais en français est absolument craquant !

 

Pour les verbes : moi non plus. Je me souviens qu'on en avait parlé et je n'ai pas trop fait de progrès depuis (malgré mon visionnage assidu de Californication en VO) !

réponse de : Chut ! le: 09/03/2012 à 10h03

Au titre déjà, ce picotement derrière la nuque, la sensation d'un fil immédiatement tendu ; alors quand l'excipit est tombé, l'onde longtemps a parcouru mon tropique, chargée de mille bateaux comme autant de cales ne contenant qu'un livre à s'offrir en partage, et dont l'unique page ne connaitrait qu'un mot.

commentaire n° :4 posté par : Slevtar le: 09/03/2012 à 15h23

J'ai une idée de ce mot...

 

Je vais me répéter, mais encore un immense merci pour tes commentaires toujours poétiques et si justement ciselés... Je sais que je ne suis pas la seule à les apprécier.

réponse de : Chut ! le: 10/03/2012 à 12h16
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