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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
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Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.
Lundi 2 janvier 1 02 /01 /Jan 12:04

HéritageMa grand-mère est morte.

Début décembre, elle s'est éteinte comme elle a vécu : discrètement, paisiblement, presque en cachette. Révérence tirée sur la pointe des pieds, en catimini dans le sommeil d'une vie qui n'en finissait pas. Délivrée, enfin, de son corps torturé et d'un esprit qui depuis longtemps s'était éclipsé.

L'infirmière m'a dit son beau visage calme, presque soulagé. Tandis qu'elle me parlait, je l'imaginais, ma mamie si menue étendue sur un grand drap blanc, mains allumettes sur la poitrine, un crucifix sous ses paumes.


Pour elle le temps s'était arrêté mais son horloge tic-taquait toujours. Coeur mécanique et obstiné, cette pendule carrée trônait dans sa cuisine, lieu de mon enfance, de mon adolescence, de mon âge adulte. Puis elle déménagea avec ma grand-mère dans sa chambre aux rideaux à demi-tirés. Ses aiguilles me soufflaient que là-bas, les heures étaient longues et les minutes précieuses. Et pourtant, à peine étais-je arrivée que je brûlais de repartir, m'échapper de cette province grise malgré ma petite mamie qui lentement déclinait.

C'était seulement pour elle que j'avais pris le train. Pour elle et ce fragile territoire d'enfance qui, à chaque visite, se fissurait davantage. Si craquelé qu'au fil des années, de la peau n'était plus resté que le chagrin, un caillou d'épines me laissant tiraillée, ingrate, coupable.

Coupable d'être trop brusque, trop impatiente. Pas assez petite fille et beaucoup trop grande gueule.

Coupable de ne pas venir assez souvent malgré ses dénégations :

- Tu fais ce que tu peux, ma puce.

Ce que je pouvais, pas vraiment. Ou si, peut-être, incapable de trouver la bonne mesure, le juste équilibre entre ma vie et ce retour à un monde qui, bien que pétrifié, filait inexorablement vers la mort. De chaque visite je revenais titubante, désemparée, comme dépouillée de moi-même. Couche après couche dissoute pour me retrouver à nu, assommée par l'évidence de la douleur, l'inéluctable d'une autre perte.

Ma grand-mère allait mourir et je ne pouvais pas l'empêcher.

Je descendais la moitié de la France en remontant dans ma mémoire. Souvenirs d'un tout ou d'un pas grand-chose, en écho au livre de Bukowski qu'elle avait dévoré.

- Tu lis ça ? m'étais-je étonnée.

- Oui, j'aime bien. Ca me dépayse.

Et j'avais ri, follement, imaginant ma mamie si mesurée, si convenable, en goguette avec Charles dans les bouges, les bars, les ruelles et les lupanars.

 


Héritage 2Elle disait que j'avais un coeur d'or mais un caractère terrible. Une volonté trop dure, un tempérament trop bien trempé pour être vraiment femme, un esprit trop compliqué, trop insatisfait pour être vraiment heureuse.

Elle disait que j'avais au menton la fossette d'un ange. La mâchoire de mon père et les yeux de ma mère. Pâles et perçants, trop lucides peut-être.

Elle disait que je devais m'assouplir, m'attendrir - comme une pièce de viande sur l'étal du boucher, ironisais-je - pour faire avec tout.

"Faire avec tout", c'était son expression.

Toujours composer, ne jamais s'opposer. Faire des compromis au risque de se compromettre.

La paix a un prix. À ses yeux, il était inestimable.

 

Sa vie ne fut pas facile. À l'orée de l'adolescence, elle perdit sa mère puis son petit frère, devenant par la force des événements la seule femme du foyer.

Éduquée ainsi, elle avait vécu comme ça. Le bien-être des autres avant tout. Les tours de corvées dont jamais elle ne se plaignait.

Fourmi affairée en cuisine, au lavoir, au magasin familial.

Mère aimante, deux fils, une fille, trois soulagements après des années sans enfants, taraudée par la peur d'être stérile.

Grand-mère emplie de douceur, de faiblesse et d'amour pour moi, sa préférée.

Épouse effacée, tapie dans l'ombre de son Homme. Grand, droit comme un I, des yeux glaciers dans un visage sévère qui s'illuminait lorsqu'il souriait. Mon grand-père à la gaieté aussi folle que ses terribles colères, mort de mélancolie à l'hôpital. Au décès de ma mère, j'apprendrai ce que la famille m'avait jusqu'alors caché : la "maladie honteuse" parce que psychiatrique dont il souffrait, peu connue à son époque, diagnostiquée trop tard et jamais traitée.

À table, mon papy ne se levait jamais. Quand il bricolait dans le garage, deux volées d'escaliers plus bas, il descendait rarement de l'escabeau. Au lieu de prendre lui-même ses outils, il hurlait le nom de son épouse qui, séance tenante, accourait.

Je trouvais ça étrange, ce patriarche aux pieds d'argile. Je ne disais rien. J'étais trop jeune. Puis mon grand-père est mort et j'ai pleuré. Ma grand-mère aussi, sauf que son chagrin était inconsolable.

 

Elle disait "ah, les hommes !" avec une pointe de fatalisme et d'humour.

Elle disait que j'aurais du mal à en trouver un. Mon fichu caractère, encore. Je répliquais que, de toute façon, je préférais en avoir plusieurs.

- Sacré toi ! qu'elle riait.

Elle me disait de les traiter, eux les hommes, avec patience. Si leurs discours m'ennuyaient, de ne leur prêter qu'une oreille sans toutefois les interrompre. Sûrement les voyait-elle, sans vraiment en convenir, comme de grands enfants. Leurs caprices devaient être satisfaits, leurs envies comblées. Envies de tout ordre à commencer par les sexuelles. Le sexe fort ayant "davantage de besoins" que le faible, il convenait se laisser faire en pensant à autre chose si nous, nous n'en avions pas envie.

Je m'insurgeais contre cette domination consentie. Dans un filet de voix, elle me conseillait d'être plus accommodante. Je me fâchais.

La dispute tournait court.

Impossible de se chicaner avec elle. Elle avait trop de souple bonté. Et appartenait, surtout, à une autre génération, une dont j'ai tenté de gommer en moi l'héritage sans toujours y parvenir. Ne pas exister au travers d'un homme, mais avec. Ne pas me conformer, non plus, aux contraintes encore trop souvent associées à notre sexe.

 

Heritage 3Ma grand-mère tremblait devant ma vie aventureuse. Elle aurait voulu me protéger des coups du sort comme de mes "bizarres idées".

- Elle est pas fixée, ma puce, se désolait-elle.

Ma vie nomade lui donnerait raison.

Pourtant, je voulais être à l'église pour ses funérailles.

Je n'ai pas pu.

Mes oncles ne m'ont pas avertie de son décès. Les soupçonnant d'en être capables, j'avais jadis demandé au directeur de la maison de retraite de me prévenir. Ce qu'il a fait. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'était des obsèques organisées si vite que jamais, de l'Asie à la France, je n'aurais pu revenir à temps.


Rompant un silence de plusieurs années, j'ai appelé Ivan et Eliott.

Le premier a refusé de me parler. Le second, comme à son habitude, s'est noyé dans la vase de ses explications. À l'heure d'Internet, des ordinateurs et autres Iphone, il n'avait, prétendait-il, "pas d'outil informatique à disposition". Puis il fallait bien arranger Pierre, Paul et Jacques, lointains membres d'une famille éclatée. Tout le monde sauf moi, que les deux frères se sont habitués à traiter en quantité négligeable.

Plus que tout une moins que rien, avec cette rage qui m'a étouffée.

Après la colère - ou encore avec elle - est venue la détermination. Poings serrés pour la confrontation, majeur bien tendu.

Mes oncles et moi avons à présent une succession à régler. Et je prendrai face à eux, contre eux s'il le faut, la place qu'ils refusent de me donner.

 


 

Photo de Hans Bellmer et Brassaï,

toile d'Antony Micallef. 

Par Chut ! - Publié dans : Elles...
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Commentaires

Touchée par la lecture de ce billet, tout comme je l'avais été en lisant les autres. Mais difficile d'y mettre des mots, sans penser à ma grand-mère, morte loin de moi, dans un autre pays... ça remue encore beaucoup de choses, malgré les années. (Ce soir, dans mon escalier, ça sentait la lessive ; même odeur que chez ma grand-mère, étrange remontée de souvenirs, étrange sensation, vu qu'il est peu probable que ça soit la même marque qu'à l'étranger...)



Bats-toi, pour elle, pour toi. Bats-toi contre ce mépris masculin, contre l'irrespect. Je trouve l'attitude de tes oncles révoltante, au présent, comme par le passé.

commentaire n° :1 posté par : Ombres & Caresses le: 03/01/2012 à 00h35

Merci pour ton soutien, chère Ombre. Bien que très personnel, le sentiment de perte fait résonner en nous des échos universels...

Comme tu le soulignes, il y a bien une part de mépris masculin dans l'attitude des deux chers frères, doublé d'un problème de hiérarchie familiale : à leurs yeux, je reste la petite-fille, qui ne saurait donc se placer sur le même plan qu'eux (et aussi, une explication plus triviale : l'appât du gain !). Comme les préjugés, certains sentiments ont la peau bien dure.

réponse de : Chut ! le: 04/01/2012 à 12h55

Poignante évocation des pans de l'enfance qui disparaissent un à un avec ceux qu'on a aimé...

Du courage donc, pour commencer cette nouvelle année, et plein de belles choses à vivre avec et non pas à travers un homme (ou plusieurs si vous préfèrez, rire!).

commentaire n° :2 posté par : So le: 03/01/2012 à 19h34

Chère So,

J'ai l'impression que plus on vieillit, plus l'enfance devient un territoire en péril, mis à mal par la mort de ceux qui l'ont partagée avec nous mais aussi menacé aussi par notre propre mémoire. L'écriture permet d'en fixer des moments qui sinon, partiraient en lambeaux. 

Pour les hommes : oui, partons donc sur plusieurs ! Davantage de territoires à explorer... et de bras pour se faire câliner, aussi. De la tendresse dans ces temps troublés ne saurait faire de mal !

réponse de : Chut ! le: 04/01/2012 à 12h59

Ecrire sur son enfance, écrire sur la mort de ses parents...Je l'ai fait aussi (ton talent en moins) mais je ne pouvais pas relire ces récits sans me remettre à sangloter.. Je me dis maintenant que ma fille qui est très attachée aux liens familiaux aimera peut-être plus tard lire ce à quoi elle n'a pas assisté. Est-ce une bonne idée?

 

commentaire n° :3 posté par : Ordalie le: 05/01/2012 à 05h03

Excellente idée, surtout vu l'attachement de ta fille à l'histoire familiale. Ecrire cette histoire-là, c'est non seulement lui donner un accès à des pans qu'elle ignore, mais aussi lui permettre "d'entrer en possession" d'une lignée dans laquelle elle est inscrite. Ma mère avait ainsi essayé de convaincre ma grand-mère de relater l'histoire de sa vie. Celle-ci n'en a rédigé que des bouts et je ne sais pas, hélas, ce qu'ils sont devenus. Mais si ils resurgissent un jour, le les lirai et les conserverai précieusement.

Comme tu le soulignes, la difficulté (qui nous semble parfois insurmontable) est les douleurs qu'une telle narration ravive. Mais l'écriture peut aussi être un exutoire, une forme de catharsis. Tu es également en mesure de filtrer tes écrits : peut-être éviter, du moins dans un premier temps, les chapitres les plus à vif pour leur en préférer d'autres. Y revenir ensuite - ou non -, selon ce que toi, tu ressens.

Tu sais, pour le talent, nous sommes très mauvais juges de nous-mêmes ! :)

réponse de : Chut ! le: 05/01/2012 à 11h07

C'est St Exupéry je crois qui, à la question D'où venez vous, avait répondu "je viens de mon enfance".

Mes pensées affectueuses dans ce deuil que ton écriture saura sans nul doute accomplir.

commentaire n° :4 posté par : Slevtar le: 05/01/2012 à 15h11

Je ne connaissais pas la citation. Elle est très belle et juste.

Pensées bien reçues ! Les miennes en retour, plume alerte et sourire aux lèvres pour un baiser.

réponse de : Chut ! le: 07/01/2012 à 10h08

It's beautiful what you said about your grandmother; she was very lucky to have you in her life. xxx

commentaire n° :5 posté par : Celine le: 06/01/2012 à 17h36

Thank you so much, traveller !

I don't know if she was that lucky, but I'm sure she wouldn't have swoped grand-daughters. Which is, at the end of the day, the best consolation.

xxOxxO

réponse de : Chut ! le: 07/01/2012 à 10h05

Bonjour Chut,

Il y avait des siècles que je n'étais plus revenue chez toi. Je ne t'avais pourtant pas oubliée.

Je ne vais pas te complimenter sur la forme de ton texte, parce que je n'aime pas répéter des évidences. Je me souviens de l'attachement que tu as pour ta grand-mère pour l'avoir lu ici.

Je n'ai pas de paroles consolantes et je refuse de me répandre en malédictions sur ceux qui t'ont privée de l'adieu. Je me contenterai donc de te dire que mes pensées t'accompagnent.

commentaire n° :6 posté par : Cruchotte le: 24/01/2012 à 23h46

Chère C.,

Beaucoup de temps a passé depuis nos derniers échanges, je me réjouis de ton message. Un grand merci pour ton soutien et pardon pour cette réponse tardive.

Je me demande souvent ce que tu deviens, où tu en es dans ta nouvelle vie. Si jamais tu as ouvert un nouveau blog, pourrais-tu m'en communiquer l'adresse ? J'aimerais beaucoup lire de petits bouts de vie au royaume de Lutèce. :)

Amitiés (indonésiennes, cette fois) !

réponse de : Chut ! le: 11/02/2012 à 09h19
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