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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Bribes perso

Samedi 5 janvier 6 05 /01 /Jan 22:46
Souvent, en rédigeant ce blog, je m'interroge : n'est-il pas impudique ?
Nombre d'articles relèvent de l'intime, de la confession (très) privée.
J'y couche ce que je n'ai même pas révélé à des proches. Je m'y expose au risque de déranger le visiteur. Étranger à mon histoire, il ne souhaite peut-être pas y entrer.
Bien sûr, il est libre de suspendre sa lecture, de quitter la page, de ne jamais revenir.
N'empêche... Ne se sent-il pas gêné d'avoir entrebâillé une porte qui, à ses yeux, aurait dû rester fermée ?
J'ai peur de lui causer un embarras auquel il ne s'attendait pas. Ou de susciter une curiosité malsaine que je n'ai pas cherché à faire naître.
Son jugement m'est par contre égal. Qu'il me considère radoteuse, déraisonnable, dépressive, je m'en fiche. Je suis certainement tout cela à la fois, mais pas assez pour qu'on m'en fasse le procès.

Bien sûr aussi, je dis beaucoup, mais je ne dis pas tout. Se confier ne signifie pas se répandre, ouvrir les vannes sans contrôler le débit de ce qui jaillit. Certains actes, événements ou pensées resteront frappés du sceau du secret. Leur place n'est pas ici, mais auprès de mon compagnon, de mes amies, ou enfouis dans mon cerveau.
N'empêche... Ce que j'écris n'est-il pas déjà trop ? Souvent, je me le demande.
Je crains d'indisposer les personnes qui me sont chères (et toi en particulier, S. mon adorée). De leur infliger des récits qui les heurtent, une violence dont elles préfèreraient se garder.
De l'intime au sordide, la limite est ténue. Si ténue qu'elle n'est qu'une question de point de vue.

Je sais également que le contenu de mon blog est susceptible de se retourner
un jour contre moi.
Que l'on perce mon anonymat n'est pas à mes yeux un réel problème : j'assume qui je suis et ce que je produis ; j'imagine mal quelqu'un me harceler au téléphone ou poireauter en bas de mon immeuble.
De mon côté,
cela supposerait une importance que je n'ai pas ; du sien, beaucoup de temps à perdre...

Probable, en revanche, que mes confessions me mettent en porte-à-faux par rapport à ceux que je fréquente de loin. Ils ont un accès à moi que je n'ai pas à eux. Je les crois cependant assez délicats pour ne pas le mentionner ni en tirer avantage.
Plus embêtant : elles pourraient servir de leviers à des âmes mal intentionnées. Tous les lecteurs ne sont pas bienveillants, l'expérience des forums me l'a prouvée.

En dépit de tout cela, je pense (j'espère) garder assez de recul. D'abord pour ne pas me livrer au point de me vider, de me perdre, de me nuire. Ensuite pour m'exposer en me gardant malgré tout à couvert.
L'écriture est pour moi un exercice duel et salvateur : à la fois transcription au plus juste et mise à distance. Ma vie a beau m'appartenir, dès le moment où je la publie, elle m'échappe. J'ai beau être seule à la vivre, tout d'un coup, je la partage.
Forcée, cette dépossession serait un pillage. Consentie, elle est source de richesse.
Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mercredi 2 janvier 3 02 /01 /Jan 21:21

Tandis que certains s'abandonnent avec délice au sommeil, je lui résiste et ne lui succombe qu'épuisée.
Les bras de Morphée me sont rarement accueillants. Comme ceux de Néron, ils m'embrassent pour mieux m'étouffer, peuplant mes nuits de meurtres, de tortures et de fantômes.
Je me réveille apeurée, fatiguée, le cerveau en charpie.
Je me lève. Une brume diffuse d'angoisse s'interpose entre moi et la réalité. La dissiper me prend du temps. De la lumière. Un café.

Certains rêves angoissants sont des one shots : ils me transpercent mais ne reviennent jamais.
D'autres, au contraire, me collent au corps. Ce sont mes "rêves immobiliers", coulés dans le béton et le plâtre de maisons ou d'appartements. J'ai vécu dans certains de ces lieux ; je n'ai jamais mis les pieds dans d'autres.
En apparence, tous ces rêves sont différents : le scénario, les acteurs, les couleurs changent. Mais en dépit de leurs variations, je les reconnais et les identifie pour ce qu'ils sont : l'expression d'angoisses profondément enracinées.

La première me confronte à un dédale.
Je suis dans une maison que je connais par cœur (en général celle de ma grand-mère) et pourtant, je m'y perds. Les pièces ont changé de place. Je veux aller au salon, je me retrouve dans une chambre. En sors et cherche mon chemin en vain. M
e cogne aux murs. Tente d'ouvrir une porte. Elle est verrouillée.
La maison jadis rassurante s'est changée en piège hostile.
Elle était familière, elle me devient inconnue. Elle ne me protège plus, elle m'enferme.

Moi qui la voyais comme un ensemble fini de pièces ordonnées, je la découvre en expansion : ses couloirs s'ouvrent sur d'autres couloirs ; les marches de son escalier n'en finissent pas de monter ; des réduits la percent de trous d'ombre ; des pièces inconnues jaillissent de la brique.
J'erre dans ce labyrinthe sans issue. Je n'ai plus de repères.

Dans la seconde, je tiens à la fois le rôle de l'étrangère et de l'intruse. Mais n'est-ce pas le même, au fond ?
Les rêves qui s'y rapportent se déroulent en général dans le même lieu, réel : l'appartement où j'ai vécu en colocation après avoir quitté celui de ma mère.
Je sonne à la porte. Je vois le rond du judas s'ouvrir de l'autre côté. J'entends le cliquetis de la chaîne de sécurité mis pour barricader la porte.
Je sonne encore. Attends. Tambourine contre le battant.
Personne ne m'ouvre, et à raison : ce n'est plus chez moi, je n'ai pas le droit d'entrer.

Une variante : je me suis introduite là sans permission. Pour y pénétrer, j'ai escaladé la façade, enjambé le balcon, ou utilisé mon ancien jeu de clés. Le nouvel occupant n'a pas pris la peine de changer la serrure.
Je visite les lieux en notant les changements apportés durant mon absence. Je les squatte la peur au ventre, me déplaçant à pas de loup. Je crains que le locataire ne débarque, que les voisins ne m'entendent.
Le moindre bruit me fait sursauter.
Si ma présence est découverte, je serai chassée.
À la fin, je suis toujours contrainte de partir. Délogée comme une indésirable, alors que je souhaitais juste récupérer ce qui était mien.

Aujourd'hui, je suis propriétaire de mon appartement. J'ai beau connaître son nombre exact de pièces, savoir que personne ne m'en renverra, je continue à faire ces rêves.
À peine moins souvent qu'auparavant.




Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mercredi 2 janvier 3 02 /01 /Jan 16:30

PardonVoilà plusieurs jours que le thème du pardon me trotte dans la tête. Qu'il s'impose à mon esprit sans que je n'arrive à le déloger. J'avais écrit un long article sur le sujet, je ne l'ai pas mis en ligne. Trop perso, sans doute, mais aussi trop décalé : je tournais autour du sujet sans en atteindre le cœur. Je l'effleurais sans trancher dans le vif, peut-être parce que j'ignorais moi-même où trancher.
J'essaie de nouveau aujourd'hui. L'accouchement promet d'être aux forceps.

Avant, j'étais rancunière. Je pouvais remâcher des jours entiers une remarque vexante, m'échauffer les flancs contre celui (celle) qui me l'avait lancée. En vouloir à quelqu'un pour des broutilles, les lui reprocher à l'occasion d'une conversation qui tournait mal.

J'avais l'excuse difficile. Ou plus exactement, j'excusais mais n'oubliais pas. Ce qui m'avait déplu me restait en travers de la gorge, puis en arrière-fond sur le coeur, prêt à resurgir si l'on me blessait encore.
A ma décharge, j'avais (et j'ai encore, mais peut-être moins) un niveau élevé d'exigences envers moi-même.
Travail, amour, amitié, même combat : je suis ma première juge et ma première critique. Il y a des phrases que je regrette d'avoir prononcées, des comportements que je me reproche d'avoir tenus, des engagements que je m'accable de n'avoir pas honorés.
Certains ont beau être anciens, j'en ai encore honte.

Pour cela, j'aime l'ivresse. Quand j'ai (un peu trop) bu, j'ai l'esprit de concorde, le désir profond qu'aucune fausse note ne vienne perturber la fête.
Dissoutes dans le vin, mes fautes m'apparaissent vénielles, celle des autres sans importance. Je les comprends, les explique, les justifie. Elles perdent de leur réalité, ne m'atteignent plus. Je les balaye d'un revers de main.
Tout le monde, à commencer par moi, me paraît aimable.
Encore un verre et je pleurerais d'émotion, serrerais mes ennemis dans mes bras. Je baigne dans l'amour, j'atteins les sommets de la bienveillance. Je voudrais ne jamais en redescendre.

Le décès de ma mère m'a projetée dans une autre dimension.
Elle est morte ensevelie dans une avalanche, en suivant le guide en qui elle avait toute confiance. U
ne amitié discrète s'était nouée entre eux, il avait la connaissance de la montagne, il était réputé sur la station. Elle n'avait donc aucune raison de se défier de lui, de ses compétences ni de ses choix.
Pourtant, ce jour-là, il n'aurait jamais dû quitter les pistes balisées, et encore moins accompagné : le bulletin de Météo France,
alarmiste, annonçait un risque de 4 sur 5.
Elle est morte sur le coup, roulée dans la neige et les cailloux. Lui, arrêté plus haut sur la combe, n'a rien eu.


Pardon 2
Neuf mois plus tard, le rapport de police m'apprendrait qu'il avait commis une autre erreur. Trop sûr de lui ou trop négligent, il n'avait pas consulté la carte des avalanches.

S'il l'avait fait, il aurait su que ce n'était pas la première qui se produisait là.


Après l'accident, je suis allée à Bourg Saint-Maurice avec le compagnon de ma mère.
Lorsque nous sommes sortis du funérarium, nous avons vu le guide arriver. Incapable de marcher seul, appuyé sur un ami, chancelant comme un homme ivre.

Défait et incapable de nous regarder en face.


Mon beau-père bouillait d'une rage froide. Il aurait voulu l'empoigner, le jeter à terre, lui coller ses poings dans la figure.

Moi, non. Je le savais responsable mais n'éprouvais aucune haine. D'une certaine façon, j'avais même pitié de lui.

Je lui ai proposé de voir le corps. Il était la dernière personne à avoir vu ma mère vivante, je souhaitais qu'il lui dise adieu.

Adieu et pardon.
Il s'est approché d'elle en tremblant. Il a effleuré son visage et éclaté en sanglots.

Nous avons quitté la pièce. Je l'ai invité aux funérailles. Il a refusé. J'ai insisté.
Je voulais que le jour de son enterrement, tous les gens qui l'avaient aimée soient réunis. Il en faisait partie.
Je voulais qu'elle entre au cimetière accompagnée de ceux qui la regrettaient. Il en faisait partie.
J'avais beau être assommée de chagrin, sa détresse me touchait. Et même s'il m'avait fait plus de mal que quiconque, je ne lui voulais pas de mal.
Je voulais que lui aussi puisse faire son deuil, même s'il ne me concernait pas.
Je voulais qu'apaisé, il la laisse partir.

Au cours des deux années suivantes, j'ai reçu quelques lettres et messages de lui. Je n'ai répondu à aucun.
Avec des mots malhabiles, il me demandait, m'implorait mon pardon.
Je suis incapable de le lui donner. Pourtant, je ne le hais pas.
Parfois, bien sûr, j'ai éprouvé de la colère contre lui. Mais pas une colère qui aurait réclamé de l'anéantir, de le réduire à ma merci, de saccager son existence.
Mais l'absence de colère ou de haine n'implique pas le pardon.
Pour moi, pardonner cet homme serait comme effacer ce qu'il a fait et qui ne pourra jamais être réparé. Ce qu'il m'a pris, rien ni personne ne pourra jamais me le rendre. Sans le vouloir, il m'a condamnée à vivre avec un trou, une suspension : ce qui aurait pu être mais ne sera pas, parce que la mort s'en est mêlée.
L'accepter au lieu de le subir est déjà un long chemin.
Franchir la dernière marche, celle du pardon, m'est impossible.

Pardon 3Faudrait-il qu'il en soit autrement ?

Je ne pense pas.
La religion nous exhorte à "pardonner à ceux qui nous ont offensés".

Je ne suis pas croyante.
Je ne crois pas, non plus, que le pardon soit la condition nécessaire pour vivre en paix. Rien de pire que les faux pardons : arrachés ou accordés du bout des lèvres, ils n'ont aucune valeur.


Ne pas pardonner ne signifie pas être dure ou inexorable. C'est reconnaître que notre limite a été atteinte. La prendre en considération et la respecter.

Si on la franchit, on se renie.


Ne pas pardonner, c'est finalement s'accorder le droit d'être soi-même, détaché des faux-semblants d'une générosité inaccessible.
Soi-même, avec une
grandeur d'âme à capacité limitée et une souffrance toujours vivace.

 

 

Toiles de Fabienne Verdier, auteure du très beau Passagère du silence.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mardi 1 janvier 2 01 /01 /Jan 18:57

En français, aimer est un drôle de verbe : on aime indifféremment sa femme, son chien, ses enfants et les pains au chocolat. L'anglais a l'avantage d'être plus subtil : de like à love, un océan de gradations se dessine, un saut qualitatif qui assigne sans détour à l'autre sa place :
"I like you."
En un mot, tout est dit : tu as compris qu'on t'aime bien, mais qu'on ne t'aime pas tout court. Et peut-être es-tu prêt à te battre pour un changement de verbe.

Dans l'absolu, aimer beaucoup, c'est déjà ne pas aimer assez. La restriction de l'adverbe, cruelle, met le cœur à mal.

Pour ma part, j'ai tendance à préférer l'implicite à l'explicite. Ce qui affleure au lieu de se montrer, se devine au lieu de s'affirmer. La suggestion plutôt que l'aveu, l'en-deçà plutôt que l'au-delà.

Les "grandes déclarations" par exemple, je ne sais comment les recevoir. Elles me heurtent de plein fouet sans que j'aie le temps de me composer un visage ou une attitude. Bien sûr qu'elles me touchent, je n'ai pas un cœur de glace. Il n'empêche que, sauf rares exceptions, elles m'embarrassent.
Ne pas leur répondre ? Un silence équivaudrait à un camouflet, une fin de non-recevoir aussi glaçante que polie.
Avancer un simple "moi aussi" ? C'est commode mais faiblard. L'autre nous a livré ses tripes, il convient de lever en retour le voile sur nos boyaux.

Quant à la communion des âmes, elle me laisse perplexe. La formule sonne jolie aux oreilles de certains. Aux miennes, elle tinte faux. Ce qui ne signifie pas que je n'y prête aucune foi, mais que les images qu'elle éveille sont celles de la foi, justement : une cohorte de jeunes vierges en robe blanche qui défile sous mes yeux en rangs serrés. Paupières closes, mains jointes, elles ouvrent la bouche pour goûter au corps du Christ.
Transcendance et consécration.
Amen.

Longtemps, je n'ai pu dire "je t'aime" à mes proches. J'avais le sentiment, ou plutôt la certitude, que ces mots signeraient leur arrêt de mort.
Comme si le lien, une fois énoncé, ne pouvait être que tranché.
Comme si trop de félicité ne pouvait conduire qu'à sa ruine.
Gamine, une légende m'avait marquée : les dieux avaient deux urnes à leur disposition. Dans la première, tous les bonheurs de la terre ; dans la seconde, tous les malheurs. Soucieux de justice, ils les répartissaient à égalité entre les mortels. Il arrivait néanmoins que certains passent entre les mailles du filet. Insouciante, leur vie n'était que joie. Mais cette situation idéale ne pouvait durer. Toujours, les dieux s'apercevaient de leur erreur et la corrigeaient en puisant dans l'urne nefaste.
Aussitôt, une poignée de malheurs s'abattait sur le dos de l'humain épargné.
Durant de longues années, cette légende m'a terrifiée. Alors, à la manière des enfants qui ferment les yeux et se croient cachés, je pensais protéger (mes proches) en (me) dissimulant.
Vaste connerie, évidemment.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Jeudi 27 décembre 4 27 /12 /Déc 04:27
undefined Cette photo, c'est moi ou, à proprement parler, une partie de moi. Celle retranchée du monde, absente, indifférente, injoignable, ayant coupé les fils qui la relient à la terre. Les fils du téléphone et de la parentèle, quoique j'ai hérité de la large mâchoire paternelle. Mais justement, et cela tombe à pic, mon visage est sur la photo in extenso effacé, saturé par la lumière qui le dévore.

Dans une autre vie, j'ai dû être bonne sœur, vœux de chasteté, de silence et de vantardise mis à part.
Zut, loupé, pas de bol.
Je suis païenne, je suis bavarde, je suis pédante. J'aime à citer le latin, histoire de me faire mousser. De me rappeler à moi-même - et aux autres, tant qu'à faire - que j'ai fait mes humanités. Que je ne suis ni une cruche ni un panier percé, même si je prends l'eau de toutes parts.

Pourtant, je le jure, j'ai tenté de m'amender.
La preuve ? Macérer dans ma culpabilité, me flageller pour mes péchés, je n'arrête pas. À tel point que je suis incapable de garder le fouet pour moi-même : je dois en faire profiter mon prochain qui ne m'a rien demandé, le retourner contre ceux que j'aime, à la mesure de mon affection. Et Dieu sait si ça cingle dru, parfois.

Tendre vers l'inaccessible, la pureté sans tache des anges, voilà une vocation à la mesure de mes imperfections. J'aurais pu y consacrer ma vie si j'avais été moins égoïste et impatiente - deux autres de mes défauts. Mais chez moi comme sur mon visage, rien ne marche droit. Mes yeux sont trop grands, mon nez trop fort, ma bouche trop petite.

Gamine, je me suis construite sur le manque, la faille. Toujours trop ou pas assez, jamais respectable, jamais comme il faut. Pour mon père, la comparaison était la norme, et elle tournait toujours à mon désavantage. Même la chiure de mouche avait plus de qualités que moi. Mes succès rebattaient cependant les oreilles des autres. Les miennes, rarement. Qui sait, j'aurais pu prendre la grosse tête.

Adulte, je me suis rebâtie seule, aidée d'un reposoir bien commode : le divan. Trop ou pas assez, finalement, peu importe. J'ai appris à faire mien le "et alors ?", fusible parfait pour court-circuiter toute critique. Aussi efficace que le drapeau blanc, il éteint le feu de l'adversité pour vous assurer une paix royale.

Maintenant, lorsque mes démons reviennent me chatouiller, je les renvoie au purgatoire. Seulement une fois sur deux, d'accord, mais c'est toujours ça de pris.
En attendant le carton plein, je m'exerce. J'ai trop tiré le diable par la queue pour redouter encore ses coups de fourche. Caudines, évidemment.
Oui, je vous avais prévenus, j'aime les adjectifs qui la posent là.

Et alors ?

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mardi 25 décembre 2 25 /12 /Déc 20:02

Mots pour mauxPendant un an, je me suis enfermée pour jouer au scrabble.
J'arrivai sur le site par Thibaut, une connaissance. Il ne se doutait ni de l'ampleur que prendrait ce jeu à mes yeux, ni de la place qu'il dévorerait sur ma vie.
Moi non plus.

Le scrabble est a priori un jeu innocent. J'en connaissais les règles pour y avoir souvent joué. Mais c'était en famille, contre des adversaires qui se fichaient de gagner : ma mère me soufflait des mots, ma grand-mère enlevait les siens lorsqu'ils prenaient les lignes que je visais. Elle finissait toujours dernière et satisfaite, en répétant que "l'important, c'est de s'amuser".
J'ai joué et perdu en dilettante mes premières parties contre Thibaut. Il était un peu meilleur que moi, plus expérimenté, mieux rompu au maniement des lettres sur le chevalet.

Je ne compris que plus tard qu'on pouvait les déplacer grâce à la souris. Utile pour s'épargner la peine de les combiner de tête...

Thibaut connaissait les petits mots des scrabbleurs et ceux qui nous débarrassent des Q sans U, des K couplés au W.

Vite je rattrapai mon retard. Je battais Thibaut régulièrement, me connectais régulièrement aussi.

En un mois j'étais accro et coulais dans cette dépendance.

À dire vrai je coulais tout court. Ma mère était morte dans un accident. Je ne voulais plus affronter le monde extérieur, plus sortir, plus réfléchir, plus penser.
Livrée à moi-même, je ressassais. Des scènes du passé s'entrechoquaient, des images me crucifiaient. Des phrases décousues tournaient sous mon crâne. Toujours les mêmes, dans un sens puis dans l'autre.
Sans le scrabble la folie m'aurait emportée.
Le plateau vert devint mon horizon bien ordonné, mon univers enclos dans un échiquier, droit, carré, aux contours cernés de lignes. Rien qui n'en déborde, rien qui ne m'en distrait.

À droite, mon pseudo et celui de mon adversaire.

En face, nos scores. Mathématiques, implacables.

En bas, les lettres parfaitement alignées. Les arranger pour faire sens, c'était conjurer le désordre.

Mot pour maux 3Petit à petit ma vie se résuma au jeu. Le matin je me jurais d'y résister. Je craquais en me promettant de me limiter à une partie.

Je la perdais ?

Il me fallait emporter la suivante.

Je la gagnais ?

Il me fallait conforter mon avantage.
Mon travail en pâtissait. Ma vie sociale aussi. Je pestais contre le téléphone, le laissais sonner dans le vide. Je déclinais des invitations pour m'adonner à mon vice. Je me fichais de tout, sauf des points que j'amassais.
Mon classement augmentait. Je franchis la barre des 2000.

J'étais fière. Je visais les 2200.
Plus, toujours plus.
J'abaissais le temps de chaque partie. En quatre minutes, je posais toutes mes lettres, surclassais les plus forts, pulvérisais les autres.


Je connaissais les habitués de la salle, les bons joueurs comme les mauvais perdants. Mon malin plaisir était de leur coller une rouste.
Mon instinct pervers s'aiguisait sans étancher ma soif de compétition.
J'étais devenue une machine de guerre, une obsédée.

J'apprenais des termes dont je ne retenais pas la définition. Je pestais de ne tirer que des voyelles. Je piochais en conjurant les W, pleurais de rage en héritant d'un Q. Insultais le serveur qui me défavorisait, le traitais de vendu. Me masturbais sur les mots compte double, jouissais sur les "compte triple".
Je jouais jusqu'au petit matin contre des gens à l'autre bout du monde. Me traînais jusqu'à mon lit, escortée par les régionalismes québécois. Soulevais la couette en égrenant un chapelet de verbes bizarres. Me couchais bercée par la farandole de lettres qui défilaient sous mes paupières.

Yeux fermés, je continuais à jouer, Piccoli au féminin dans La Diagonale du fou.

 

Une fois, j'entendis la voix de ma mère. Pour railler son frère cadet, ses atermoiements, ratiocinations et incertitudes perpétuels, elle usait d'un terme qui lui allait comme un gant : tâte-mite. L'expression était du patois de je ne sais où et une plaisanterie entre nous.
Bingo. J'ai tiré ces lettres dans cet ordre précis, guillotinées du E final.
Impossible d'y voir un simple hasard.

 

Mots pour maux 2Quelques mois et des milliers de mots plus tard, je pensais à me faire interdire comme les accros des casinos. J'aurais supplié à genoux le site de blacklister mon IP pour me délivrer enfin.

Enfermée à triple tour dans ma prison de mots, je tournais en rond.

Ce qui avait été ma planche de salut se changeait en naufrage programmé.


Maintenant je suis abstinente. Et avec le recul, j'ai compris : les mots isolés sur le plateau étaient ceux que j'étais incapable d'aligner sur la page blanche.

Soit ils me blessaient trop et je devais les polir.

Soit ils s'émoussaient et je devais les fourbir.
Décousu contre bout à bout, maillon contre chaîne. Continuité contre lien brisé.
À moi, à présent, d'en aligner les perles pour reformer le collier.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Lundi 24 décembre 1 24 /12 /Déc 10:46

Le jour où j'ai commencé à trier les affaires de ma mère, le sang s'est mis à couler entre mes jambes.
De semaine en semaine, je retournais à cet appartement d'adolescence à reculons. Je tournais la clef dans la serrure le ventre noué. Je poussais la porte le souffle court. J'avais la migraine, envie de vomir. Un sentiment terrible d'oppression me pesait sur la poitrine.

Au tout début du tri, j'ai saisi un sac dans le débarras. L'ai tiré trop fort. Une pluie drue de besaces, de pochettes, de réticules et de valises a dégringolé sur ma tête. Je n'ai pas eu le temps de m'en protéger. A moitié assommée, je me suis recroquevillée sur le plancher. Dépeignée, hurlante, ivre de tristesse et de rage mêlées.
Pourquoi me faisait-elle subir ça ?
Hors de moi, j'ai frappé les meubles, balayé les bibelots, lancé contre les murs ce qui me tombait sous la main. Piétiné le chaos en invectivant l'absente à travers les pièces désertes.
Pourquoi, pourquoi m'as-tu fait ça ?

Son héritage m'est tombé dessus, je n'en voulais pas. Il était un fardeau que je n'avais jamais sollicité, un poids trop lourd, un poids mort. Mais à mon corps défendant, je l'ai accepté. Impossible de le refuser à moins de me transformer en fille indigne.
Je suis, je dois être celle qui continue. Simple maillon d'une chaîne brisée, forgée bien avant ma naissance, perdurant bien après mon décès.

Souvent, ma mère me disait :
- Tout ce que j'ai, ce sera pour toi.
Je ne supportais pas d'entendre ça. Je ravalais mes larmes, je devenais violente. Je lui disais d'arrêter ses conneries.
D'autres fois, je me mordais les joues et ne répondais rien. Ce que l'on ne nomme pas n'existe pas. Naïvement, je croyais que taire la mort la tiendrait à distance.
Un jour, évidemment, ma mère mourrait. C'est ainsi qu'avance le train de la vie, poussant ses occupants sur la voie ferrée pour laisser de la place aux nouveaux arrivés. Mais ce jour-là, on se refuse à y penser. Il viendra toujours trop tôt.

La mort de ma mère m'a laissée face à la lente invasion qui gagnait son appartement, encombrait ses placards, débordait de ses penderies, rampait derrière le canapé, le dessous des lits, occupant jusqu'au moindre espace encore vacant. Même le vieux poêle à charbon était saturé de fleurs séchées, de cailloux et de brindilles.
Nombre d'affaires figuraient en double, en triple, en quadruple. Cette kyrielle me fendait le coeur. Je ne la comprenais pas. Je ne savais à quoi l'attribuer. Compulsion de la collectionneuse, coquetterie de jolie femme ?
Peu importe. La masse délirante du tout additionné sonnait comme une accusation.
Fallait-il que ma mère se sentît si seule pour dépenser encore et encore, entasser encore et toujours, poussant les meubles pour faire de la place, en achetant de nouveaux pour les bourrer jusqu'à la gueule ?
Le doute m'empoisonnait. La quasi-certitude me rendait malade : je ne lui avais pas assez donné, elle avait rempli le vide de la distance que j'avais instaurée entre nous. La béance d'un amour que, trop égoïste ou trop pudique, je n'avais pas su lui témoigner.

Depositaire 3Ces affaires, elle les avait achetées une à une, il me revenait de (les) payer au prix des larmes.
Combien de fois ai-je lâchement rêvé d''y foutre le feu ? De me ruer dans la cour pour rouler des poubelles sous ses fenêtres et d'y faire basculer l'ensemble, sans y toucher ? D'ouvrir grand sa porte et d'intimer aux passants de venir se servir ? D'appeler les encombrants ou les marchands des puces pour qu'ils m'en débarrassent enfin ?

Insidieusement, la liste toujours ouverte de ses possessions m'écrasait, m'empêchait de dormir, me réveillait en pleine nuit. Fatras incommensurable, arsenic et vieilles dentelles : vêtements remisés depuis les années 60, épousant toutes les modes, les époques, galets ramassés sur les plages des vacances, piles de magazines, étagères entières de livres, bibelots de brocanteur, assemblage hétéroclite d'assiettes, de verres taillés, de saladiers, de couverts en argent, collections inachevées de vieux outils, de médailles...
Les acteurs, les témoins d'existences entières se dressaient devant moi. Celle de ma mère, bien sûr, mais aussi d'ancêtres dont j'ignorais jusqu'au prénom.
A qui donc avait appartenu ce pot de chambre ? Ce bibi en plumes mitées ? Ces robes amoureusement pliées sous housse plastique, empestant l'oubli et la naphtaline ? Cette correspondance en allemand datant de la dernière guerre ?
Ces objets muets, forcément muets, me renvoyaient à un avant mystérieux. Intriguants et hostiles, ils me sommaient de disposer d'eux mais, surtout, de les reconnaître pour leur assigner une place.
Comment l'aurais-je pu ?
Ma mère était morte, ma grand-mère perd la mémoire. Pour toujours et à jamais, la serrure de la (re)connaissance me resterait verrouillée. Les attaches qui me reliaient à mon passé étaient sectionnées, ses deux clefs définitivement perdues.
J'ai beau faire partie du trousseau, je suis la clef surnuméraire, celle qui n'ouvre aucune porte.
Sous le signe du lien brisé(e), mon histoire m'échappait.

Malgré moi, je me retrouvais propriétaire d'objets que je n'avais pas choisis. Et de par la loi, je pouvais en user à ma guise, sans jamais les avoir possédés.
Mais de quel droit pouvais-je éparpiller ce qu'elle a passé sa vie à rassembler ? Vider ce qu'elle a empli, donner ce qu'elle aurait souhaité conserver, piller ses biens sans lui demander son avis ?
Tout héritage est une crise aiguë de conscience, toute transmission une dépossession et une prise de possession : hormis de beaux habits dans son cercueil, le mort n'a plus rien ; le vif, lui, se retrouve à la tête de son cheptel. Berger dérouté, égaré sur les chemins tortueux, rattrapé par testament.
En passant le relais, le mort saisit le vif.



Depositaire 2Pour finir, je voudrais remercier ceux qui m'ont aidée à traverser cette longue épreuve.

Sans vous, mes amis, je n'y serais jamais arrivée. Vous qui, pendant plus d'une année, avez pris de votre temps pour trier, séparer, jeter. Avez puisé dans votre énergie pour nettoyer, porter, empaqueter. M'avez conseillée pour la destination de certains objets, avez accepté d'en recevoir en cadeaux.
Maintenant, grâce à vous, des petits bouts d'elle sont disséminés dans la France entière et même à l'étranger. Le don d'ubiquité, exister à la fois ici et ailleurs, elle aurait adoré.
C'est bien le moindre des cadeaux que je pouvais lui offrir.

Alors, à tous - et à toi qui me liras aujourd'hui ou demain, j'en suis sûre -, merci du fond du coeur.

 

 

Photos : Mauricio Palos, Ken Graves et Eva Lipman.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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