Présentation

En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

Derniers Commentaires

C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

Tic tac

Avril 2024
L M M J V S D
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30          
<< < > >>

Recherche

Images Aléatoires

  • Les trompettes et la grue
  • Trois-par-trois.png
  • Gili-Air--Plage.jpg
  • Hommes d equipage

Syndication

  • Flux RSS des articles

Profil

  • Chut !
  • Le blog de Chut !
  • Femme
  • 02/03/1903
  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.

Bribes perso

Samedi 10 janvier 6 10 /01 /Jan 00:10
- Je te fais un smoky eyes ?
Venant d'Ether, la proposition est un beau cadeau. Mon amie sait manier mieux que personne les fards, la poudre, les crayons et le rimmel.
Nous nous installâmes sur le canapé déplié du salon. Face à face et très gaies, excitées comme deux filles livrées à une activité aussi vieille que la coquetterie :
maquiller une copine.

L'opération peut sembler futile, elle ne l'est pas. Transformer une toile vierge en un tableau est mine de rien compliqué. Il faut combler les creux, aplanir les bosses, gommer la pollution des jours et les plis des emmerdes.
Rien que ça, c'est tout un art.

 
De plus, la perception qu'on a de soi-même correspond rarement à celle des autres. Être notre seul juge revient souvent à nous tromper, tant c'est de la confrontation que surgit la vérité.
Aussi nos défauts supposés peuvent-ils, au détour d'une séance de maquillage, se convertir en qualités.
- J'ai une bouche trop petite, geignais-je à Ether qui me la tamponnait.
- Du tout, elle est parfaite. Vu la taille de tes yeux, tu aurais l'air de quoi avec une grande bouche ?
- Euh... D'un mérou ?


La pointe aiguë d'un crayon me passa au ras des cils.
- Ne bouge surtout pas, m'ordonna Ether.
Elle n'eut pas à me le dire deux fois. Aborder 2009 avec un œil en moins m'aurait embêtée. Le rôle du mérou borgne, je me le garde pour l'an prochain.
Quelques secondes plus tard, une caresse de pinceau me fit frissonner.
- Du blanc pour t'ouvrir l'arcade, précisa mon amie.
Voilà qui sonnait ring de boxe. Je m'imaginai
aussitôt roulant dans la boue enlacée à Ether, retombant lourdement sur terre quand elle annonça :
- Voilà. Fini.

Je saisis la glace qui traînait sur la table, m'observai et me touchai la joue. La créature dans le reflet m'imita.
Je tournai un peu le menton. La créature aussi, sans cesser de me fixer.
Elle avait du chien, la bougresse. Du chien et des yeux
translucides de chat, étirés et immenses, à vous boire l'âme rien qu'en vous regardant le nez. L'air surpris aussi, comme si une souris s'était carapatée sous sa moustache.
Brutalement une de ses phrases me revint :
- Dès notre premier rendez-vous, ce sont tes yeux qui m'ont frappée. Parce qu'ils étaient emplis de peur.
Ce jour-là pourtant, toute à la joie de la voir et pressentant une rencontre exceptionnelle, j'étais bien loin de la peur. Mais ma future amie m'avait lue comme un livre ouvert, devinant ces creux et ces bosses qui, elles, ne s'estompent pas avec le fard.
Peut-être parce qu'elle a quelque chose de spécial.
Peut-être aussi parce qu'en dépit des artifices, mon désarroi d'alors se voyait comme mon pif au milieu de mes mâchoires.

Ce 31 décembre dans le miroir, il n'y avait aucune peur. Juste le ravissement de me trouver belle.
- On dirait une fille de magazine, articulai-je.
La fille dans le miroir prononça les mêmes mots.
Elle et moi, elle est moi. Le temps d'une seconde, je revécus mes expériences de scission.
La première se produisit quand j'étais enfant. Dans un hôtel en Hollande, j'avais emprunté un vieux Monopoly à la réception. Alors que je traversais le hall décoré de vitres, une fillette de mon âge marcha à ma rencontre. Elle aussi tenait une boîte de jeu.
Sa sihouette et sa coiffure me semblèrent familières. Je la hélai, elle me héla.
Ce n'est qu'alors que je compris : elle et moi ne faisions qu'une.

À plusieurs reprises, soudain mise en présence de moi-même, je ne me reconnus pas tout de suite, mais éprouvais une bizarre
impression de déjà-vu.
Un clic de cerveau plus tard et l'intérieur réintégrait en décalé l'écorce
.
En cette fin 2008, Ether m'avait changé en cygne mais au fond, j'étais toujours le petit canard de province qui claudique, pataud dans sa basse-cour, en contemplant ses voisines. À ras de terre il a les plumes grises, elles les plumes blanches et l'immatérialité des anges faits d'une autre chair.

Aussi me rappelai-je ce soir où,
pomponnée et parfumée, les miroirs des vitrines et les yeux des hommes me disaient que j'étais jolie.
J
e pris le métro, guillerette, pour rejoindre Salomé au théâtre. En milieu de ligne, une femme monta dans le wagon.
Ce fut comme une apparition.
Mon cœur foudroyé en rata un battement.

Cette femme n'était ni jolie ni belle, mais sublime. Ses traits purs sortaient du burin d'un maître, sa blondeur et son teint délicats de la palette d'un peintre. Bien que décoiffés, ses cheveux
retombaient en impeccables cascades sur ses épaules.

Hypnotisée, je fixais une extraterrestre et brûlais de crier aux autres passagers :
- Levez le nez de votre journal et regardez-la ! Êtes-vous donc aveugles ?

Indifférente et souveraine, la femme sortit une pomme de son sac. Je crus naïvement qu'elle allait l'offrir à notre voisine fatiguée, au cou rentré dans son manteau et aux yeux soulignés de tant de cernes.
Pour moi, les anges ne mangent pas, ils se contentent d'exister.
Erreur. La femme croqua telle Ève dans le fruit. Et de trivial ce geste adoubé par sa beauté devint magnifique.
Je descendis à la station d'après.
Ce soir-là, j'aurais cher payé pour être cette femme mangeant une pomme sous la terre. Et peut-être même, qui sait, signé un pacte avec le diable pour devenir un ange.
Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 1 commentaires
Mardi 25 novembre 2 25 /11 /Nov 05:20

 

 

Mon père n'a jamais su se maîtriser. Un repas qui n'arrive pas assez vite alors qu'il a faim, un objet qui se trouve dans son passage et sur lequel il trébuche, un mot mal placé...

À la moindre contrariété, l'énervement le gagne. Et si quelqu'un a le malheur de répliquer ou pire, d'en rire, sa colère se déchaîne. Il tempête, il hurle, il vocifère.


Quand j'étais petite, il était le maître de la maison. Celui qu'il ne fallait pas contrarier pour avoir la paix. Celui auquel il ne fallait pas s'opposer à moins d'en payer le prix.

J'avais beau le craindre, j'étais entrée en résistance. Je ne supportais pas son autorité, je m'employais à la déjouer. Et souvent, je m'appuyais sur ma mère qui me couvrait.
Dans son dos, elle réparait mes bêtises. Face de lui, elle prenait ma défense.

Sans m'en rendre compte, je la forçais à jouer le rôle du fusible.


Coincée entre nous deux, elle n'avait d'autre choix que de court-circuiter nos affrontements, de détourner sur elle la colère qui, sinon, fondrait sur moi.
Car lorsque mon père se mettait en rogne, il devenait violent. Il me menaçait d'une "rouste" qui ne manquerait pas de tomber.
Je pleurais ?

Il m'ordonnait de la fermer, sous peine de me fournir une bonne raison de chialer.
Ma mère me consolait, il l'accusait d'entrer dans mon jeu. Il n'avait sans doute pas tort mais à ces moments-là, je le détestais.

Lorsque je l'énervais trop, il me secouait puis me décochait un aller-retour à m'en décoller la tête.

Ma mère le suppliait :
- Ne la frappe pas, elle a des lunettes !
Ces lunettes étaient ma protection. Il ne fallait pas les casser parce qu'elles coûtaient cher et que sans elles,
myopie galopante oblige, le monde se changerait en un ballet d'ombres.

J'avais beau m'y opposer, la violence de mon père me terrorisait. Je savais qu'abandonné à elle, il était capable de tout.
Un jour, à table (le lieu privilégié de nos disputes), je m'amusais à faire bouillonner mon jus d'orange à la paille.

Aussitôt mon père accuse ma mère :
- Regarde ta fille ! Elle a dix ans et tu l'as élevée n'importe comment !
Elle ne répond pas. Sa main se pose probablement sur ma cuisse pour me conseiller de stopper. Elle sent que cela va mal finir.

Je le sens aussi et pourtant, je continue.
- Tu t'arrêtes, sale gosse ?
Je plante par défi mes yeux dans les siens tandis qu'à l'intérieur, je tremble. Prends une grande respiration pour souffler d'énormes bulles dans ma boisson.

Mon père se jette sur la table, essaie de m'attraper par le cou.

Je me recule, les plats voltigent.

Ma mère hurle.

Mon père aussi, mais de rage. Incapable de m'atteindre, il empoigne une bouteille en verre et vise mon visage.

Ma mère crie qu'il est fou, qu'il va me tuer. Son bras retombe.

Zones friables 2La fessée mesurée en punition d'une faute, mon père ne connaissait pas.

Les siennes étaient des déferlements d'une fureur impossible à contenir : il me poursuivait pour me bloquer contre un mur et là, il tapait. Claques, coups de poings, de pied, jusqu'à ce que je l'implore ou ne tombe par terre.
E
nsuite, je me traînais dans ma chambre, avec interdiction d'en parler à ma mère.

Les raclées ont cessé à l'adolescence. Peut-être mon père me jugeait-il trop vieille pour les subir.

Peut-être craignait-il mon jugement de jeune adulte, ou les mots que j'affûtais et qui le blesseraient davantage que ses coups.

Il avait toujours l'avantage de la force physique, mais d'une phrase je pouvais le crucifier.

L'équilibre des forces était atteint : me cogner revenait à rompre notre trêve et à s'exposer à une riposte.


Être hors de soi... Quand je songe à ces scènes d'enfance, l'expression se charge de tout son sens. Littéralement, mon père était hors de lui. Prisonnier d'un espace où la raison, le bon sens n'ont plus cours.

Cela m'effraie parce que cette violence est aussi la mienne. Sauf que pour la réveiller, il faut me mener dans mes ultimes retranchements.

À la différence de mon père, je suis une hyper contrôlée. Mais je sais aussi que, poussée à bout, je ne réponds plus de rien. Au-delà d'une certaine limite, il y a un clic dans mon cerveau. Un mouvement de bascule qui s'opère et me propulse dans un ailleurs où je ne me possède plus.
Même frappées du sceau de l'interdit, des zones dangereuses sont à ne pas réveiller.

 

 

Esquisse et statues de Giacometti.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 3 commentaires
Samedi 13 septembre 6 13 /09 /Sep 00:33
De profil, de biais, le matador virevolte dans l'arène. Il n'ignore pas le danger qui est là, déboule sur lui de tout le martèlement de ses sabots.
Il ne l'ignore pas mais s'y soustrait d'un coup de talon dans le sable déjà gorgé de sang.

Ses banderilles hérissent le corps de l'ennemi. À moins que ce corps ne soit le sien, tant l'ennemi et lui, soudés par la même rage, ne forment qu'un bloc compact de chair hargneuse, une somme de deux réduite à un.
L'ennemi et lui... L'ennemi est lui.

L'heure de l'hallali a sonné.
L'épée sortie du fourreau camouflée le long du bras, l
e matador se tourne. Avec grâce, de profil ou de biais, car c'est ainsi qu'il offre la moindre prise à l'ennemi dans cette corrida qu'est la vie.

L'art de la lutte est aussi, surtout, un art de l'esquive.
Je comprends à présent pourquoi j'ai une sciatique.
Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 1 commentaires
Lundi 8 septembre 1 08 /09 /Sep 22:47
Qu'est-ce qu'une femme ?
La question a tout l'air d'un piège. C'en est un.

Si on me l'avait posée avant, je m'en serais tirée tant bien que mal.
Par une description anatomique un jour de visite médicale, par exemple : une femme, c'est des seins, une vulve, un vagin. Des sautes d'humeur et de la douleur une fois par mois, lorsque le sang lui coule entre les cuisses.

Par une ode à la féminité triomphante un jour de lyrisme : une femme, c'est une gamme serpentine de courbes, une fugue improvisée de pleins et de déliés. Des seins-mandoline, des hanches-violoncelle et, parfois, un cul-rock'n roll.
Et quelle que soit sa coiffure, une femme, c'est un accroche-cœur.

Par une critique aussi lapidaire que cynique un jour de mauvaise humeur : une femme, c'est une chieuse.
Elle affirme le contraire ?
C'est une chieuse qui s'ignore.
Parce qu'une femme, c'est une casse-couilles douée pour vous les briser menu en coupant les cheveux en quatre.


Par la rhétorique un jour de pinaillage linguistique : une femme, c'est un substantif précédé d'un article indéfini, ayant pour contraire "un homme".
Je me serais rappelé
du même coup un ennuyeux matin de classe où mon voisin, ayant levé un doigt résolu lui accordant voix au chapitre, avait claironné :
- M'dame... Mulier, mulieris, ligne 3, ça veut dire femme... Mais c'est de quel genre, siouplaît ?
La professeure, une maîtresse-femme que je vénérais, en avait cassé net sa craie sur le tableau noir avant de se retourner d'une pièce :
- Mulier, mulieris... Femme... Quelle honte, une question pareille !!! C'est de quel genre, À TON AVIS ?
Tassé sur sa chaise devant une indignation et une colère qu'il ne comprenait pas, mon cancre de voisin avait bafouillé, penaud, pendant que je rigolais sous cape :
- Euh... féminin, M'dame ?
On avait onze ans. On suait sur la version d'une langue difficile et point toujours si logique. Et Madame Rochard, d'habitude si pédagogue, avait soudain perdu son latin et sa patience, faisant fi de la règle numéro un de l'enseignement : il n'y a pas de sottes questions... hormis celle-ci, peut-être.
Parce que la parole donne vie à ce que l'on nomme. Parce que dire, c'est faire exister.
Et que, donc, p
ar la chair du verbe, une femme, c'est féminin.
Évidemment.

Avant, oui, à la question "qu'est-ce qu'une femme ?", je m'en serais tirée grâce à toutes ces pirouettes. Oubliant - ou feignant d'oublier - l'essence même de la féminité, notre différence fondamentale avec ce sexe qu'on prétend fort : notre capacité à porter des enfants, qu'on en veuille ou non.
Depuis
cela, je ne peux plus l'ignorer.
Cette fouille m'a brutalement (re)mise face à moi-même, face au temps qui passe à mon insu, face à mes choix.
L'intrusion dans mes viscères m'a du même coup confrontée au plus viscéral : à mon désir ambigu, inavoué d'enfant et aussi, forcément, à la mort de ma mère. À ce maillage brutalement interrompu, à cette boucle que je ne bouclerai peut-être jamais.
Avant ma mère, il y eut ma grand-mère. Avant ma grand-mère, une arrière-grand-mère que je n'ai pas connue. Et avant elle encore, une ancêtre dont j'ignore le prénom.
De cette boucle infinie je suis l'
héritière jusque dans ma chair.
L'héritière, oui, mais peut-être à la fois
le point final d'une lignée qui, ayant pris corps avec moi, mourra dans le mien.
Là, la bonne élève du cours de latin qui se marrait en douce ne rigole plus du tout, elle se remémore.

Elle se
remémore ce soir où son feu son amour avait appelé de son ailleurs et murmuré d'une voix blanche :
- Ma vie, c'est du vide. Ma vie, c'est rien. Je passe à côté et je n'ai rien fait. Rien fait de ce que je voulais en faire.
Elle se remémore l'avoir questionné, ébahie :
-
Comme ?
Elle se remémore qu'il avait répondu :
- Avoir un enfant.

Elle se remémore ses mots qui le rassuraient d'avoir le temps, celui qui passe si différemment pour les hommes, pensant à part elle "Et que devrais-je dire, moi ?".
Elle se
remémore s'être surprise à penser trop vite, hors de propos, à ce que serait leur enfant s'ils en avaient un. À se demander s'il aurait sa chevelure sombre à lui ou sa blondeur à elle, des yeux d'Indonésie ou de Pologne.

Elle se remémore
ce soir où elle avait appelé dans son ailleurs et murmuré d'une voix exsangue :
- Le scanner n'est pas bon, je dois être opérée. Peut-être que le chirurgien devra... enlever.
Elle se remémore qu'il avait répondu :
- Tu seras peut-être privée de l'accessoire, mais pas de l'essentiel : la possibilité de porter un enfant et de le mettre au monde.

Elle se remémore ses mots qui la rassuraient, ses mots qui parlaient de solution médicale et de chemin à deux.
Un chemin que, croyait-elle, il était prêt à faire un jour à son côté, puisqu'il en parlait.


À la clinique elle s'est remémoré qu'elle n'était plus la petite fille du cours de latin, mais une femme enduite de Bétadine que le chirurgien allait couper en deux.

Mais avant la clinique ce fut une longue traversée. Une pente abrupte de cailloux où la petite fille réintégra son corps de femme en suppliant d'être une autre, tant il est vrai que le malheur n'arrive qu'aux autres.
Au fond, la petite fille savait bien que le "elle" était devenu un "je".
Un "je" qui se regardait en pied sans se reconnaître et massait son ventre stérile sans ressentir aucune douleur.

- Aucune, vraiment ?
s'était étonné le chirurgien.
- Non, aucune.
Promis, juré, ni la petite fille ni la femme ne lui mentaient.
En vérité, femme ou petite fille, je ne ressentais rien et mon corps lui-même n'avait pas changé d'un pouce, du moins dans le miroir.
Mais à mes yeux, il s'était métamorphosé, parce que je savais.
Là se tenait toute la différence entre l'avant et l'après : je savais, et cette connaissance était en soi un fardeau.
À cause d'elle, du jour au lendemain, mon vieux complice de corps s'était changé en ennemi, en traître que je palpais, triturais, trifouillais sans relâche.
- Avoue que tu en chies, saloperie ! grondais-je en enfonçant mes doigts dans mon ventre.

- Avoue que tu souffres, mon petit... pleurnichais-je en le caressant à défaut de le guérir.
Peine perdue. Menace ou supplication, mon corps restait sourd.
Insidieusement, il était devenu une excroissance, un corps étranger que, loin de reconnaître, j'aurais expulsé, lacéré, fauché sur pied.

À grand peine je me contraignais à sa toilette. Le lavais
comme on se débarrasse à la va-vite d'une corvée plus tôt commencée, plus tôt finie.
Le vêtir - me vêtir - me causait un énorme souci. Plantée devant la glace, je voulais disparaître, noyer ce félon de vêtements informes mais me faisais violence.
- Non, je ne cèderai pas à ton chantage. Une jupe, des bas, c'est ainsi que les femmes s'habillent, pas vrai... ? Alors c'est ainsi que tu seras aujourd'hui habillé.
Je piochais au hasard dans ma penderie et m'en allais, claudiquant, avec ma jupe et mes bas de carnaval.
J'étais déguisée en femme mais derrière mon déguisement, je n'étais rien.
Rien, et surtout pas une femme digne d'un quelconque amour, incapable que j'étais d'enfanter.

La rupture avec cet homme est arrivée à ce moment-là, au pire moment s'il existe une échelle sur celle du pire.
En un mail il me confirma ce que je soupçonnais : lui ne m'aimait pas.
Et derrière cette négation, j'entendis la négation de ce que j'étais, moi.
Une fille qui l'aimait, femme de part sa naissance, foi du sang qui lui coule dans la douleur
une fois par mois entre les cuisses.
Une femme ?
Non, en vérité. Une chose sans sexe au ventre ravagé, juste bonne à donner aux chiens s'ils acceptent de s'en satisfaire.
Une petite chose triste à qui l'on a jeté un os à ronger car, ainsi qu'il me le dit
à des milliers de kilomètres en toute innocence - ou plutôt en toute cruauté :
-
Si je t'ai parlé de solution médicale et de chemin à deux, c'était en me le reprochant... Je te sentais si mal que, moi, je me sentais obligé... même si je ne le pensais pas.
Erreur, grossière erreur.
Il ne faut mentir ni aux petites filles ni aux femmes, parce que les unes comme les autres croient à ce qu'on leur raconte.
C'est sûrement pour cela que j'ai eu aussi mal.
C'est sûrement pour cela que
je suis incapable de lui pardonner. Et que j'ai chialé comme la môme que j'étais en écrivant cet article.
Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 14 commentaires
Jeudi 28 août 4 28 /08 /Août 23:20
Le mot "muse" n'a en français pas de masculin. Pourtant, il devrait.

Les quelques hommes que j'ai aimés, vraiment aimés, m'ont fait écrire. Grâce à eux (ou à cause d'eux...), j'étais poussée par la nécessité de transcrire sur le papier un surplus d'être. Un foisonnement d'âme en balbutiements, en sources vives et en geysers.
Ce que je ne pouvais leur dire, je l'écrivais. Et en leur absence, les mots me permettaient de jouir à nouveau d'eux.
Pour moi, écrire, c'est revivre. Exécuter un double salto arrière pour me replonger dans le flux et le flot de la mémoire.

Mais écrire, comme je l'expliquais à
Emmanuel, c'est aussi sublimer. Tresser des couronnes de phrases pour célébrer la peau de l'autre, son visage, ses expressions, ses gestes. Cette façon si particulière qu'il a d'être et qui nous le rend si précieux. Irremplaçable.
Vite, par les mots fixer le fugace avant qu'il ne s'évapore, avec la douloureuse conscience d'être toujours en-deçà.
Comment restituer le grain exact de son épiderme ? Les inflexions particulières de sa voix ? L'élan qui nous tord le cœur à sa simple vue ?
Impossible. 
Le texte en cours est au pire un décalque raté, au mieux un compromis. Mais bon an mal an, pierre après pierre, il prend des allures d'édifice, de temple d'encre érigé à la sueur de la plume.

La douleur surgit quand le temple se change en mausolée. Qu'on se retrouve, seul devant sa feuille, à célébrer une histoire défunte.
Le temps de la magnification est révolu. Place à celui de la destruction.

L'aimé n'est plus l'idole du temple, il est la statue déboulonnée fracassée sur les marches, celle dont les anciens fidèles piétinent les débris.
Qu'l y ait ou non rancœur, l'écriture n'est plus louanges, elle est mise à mort.

Sur Feu mon amour j'avais commencé un
roman. Je lui en ai fait lire des bribes, j'ai eu tort : loin de lui plaire, le cadeau si patiemment, passionnément élaboré l'encombrait. Il était trop gros, trop pesant, trop révélateur de tout ce qui nous séparait.

J'aimerais, avant de partir pour un long voyage, terminer ce texte. Il me reste une bonne moitié à rédiger, mais cette écriture-là, je le sais, sera souffrance.
Parce qu'elle me fera inévitablement replonger dans le magma des mois écoulés, renouer avec ce que je tente désespérément d'oublier.
Néanmoins, je le crois, la souffrance peut être source de libération.

Souvent, je me dis que la condition de ma paix, c'est le point final.
Le point final de ce roman qui, du même coup,
achèvera pour moi notre histoire.
Littérature exceptée, je n'ai jamais aimé les points... de suspension.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Mercredi 25 juin 3 25 /06 /Juin 16:16
La peur d'aimer.
On est plein de l'autre et, en fonction des modèles que l'on a eus, ou bien nous avons peur de perdre l'autre, ou bien nous avons peur de nous perdre dans l'autre.
L'amour déclenche l'angoisse. J'ai peur de l'aimer parce que je vais le perdre. Ou alors, pour le garder, je vais me perdre en lui et dans les deux cas, je souffre.

Tomber amoureux réveille tous les modèles affectifs que nous avons vus dans notre enfance.
Je dis souvent à mes étudiants :
"On tombe amoureux mais, quand on se relève, on s'attache."
On est d'abord frappés par la foudre, ce qu'on appelle très justement le coup de foudre, et ensuite on apprend à aimer de manière différente. C'est agréable, constructif et sécurisant. Ce que l'on appelle l'encordage affectif.
Il y a parfois de fasses notes, parfois des harmonies, et nous finissons chacun par trouver une manière de jouer ensemble.
Ce n'est pas le coup de foudre, c'est le lien.

Boris Cyrulnik.
Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Dimanche 6 avril 7 06 /04 /Avr 20:16

J'ai chez moi ce que j'appelle mes "carnets intimes" : de grands cahiers à couverture cartonnée et aux pages blanches. Enfin, blanches, elles ne le restent pas longtemps. Pourtant, je n'y écris pas. À peine un petit mot une date de temps à autre, depuis que j'ai cessé d'écrire un journal intime.
Non, dans ces carnets, je colle.


D'abord des images et des dessins que je repère en feuilletant des magazines. J'aime à les découper en peaufinant les angles, en serrant de près les traits et les courbes. Souvent je les recadre d'un coup de ciseaux, fais
disparaître les personnages qui me gênent...
À la fin, les images ont le sens et la forme
que j'ai envie d'y imprimer, moi.

Ensuite, je colle tout ce qui me tombe sous la main et a une importance à mes yeux : des tickets d'expos, de cinéma et même de métro ; des billets de théâtre, de concert de train, d'avion, de monnaie étrangère ; les messages écrits à la hâte par mes amis, mon adresse griffonnée de leur main sur une lettre ; de jolis timbres, à condition qu'ils aient été oblitérés ; des invitations à des vernissages, des salons ; des cartes de visite de personnes croisées, de guesthouses, de bars et de boutiques à l'autre bout du monde ; des pétales de fleurs, des nœuds et des rubans de papier cadeau...

Je les colle en général en me moquant des dates. Mon critère de choix est la place disponible et parfois, l'image qui s'y trouve déjà.
Je m'amuse à créer des entrechoquements imprévus,
des distorsions, des liens cachés. À assembler ce qui est dissemblable ou séparer ce qui va ensemble : deux places pour la même pièce de théâtre sur des pages, voire dans des cahiers différents.

Pourquoi je garde tout ça ?
Pourquoi suis-je capable de passer (perdre, diront certains...) des heures à découper, à coller ?
Sûrement parce que de chaque événement, de chaque rencontre, de chaque voyage, j'aime garder une trace. Et que chacun de ces petits riens sans valeur en est une.
Pris séparément, ils sont des parcelles de vie fixées côte à côte, juxtaposées par le hasard.
Pris ensemble, ils forment l'a
ssemblage hétéroclite et coloré de mon existence qui se déroule. Une sorte de puzzle que je suis la seule à pouvoir lire.
Sans doute est-ce pour cette raison que je ne les montre à (presque) personne : aux yeux des autres, ils n'ont pas grand intérêt. Voire aucun.

Une fois un carnet intime terminé, je le range au fond d'un placard. L'y laisse reposer, et même moisir, sans le réouvrir. Qu'importe s'il reste là des mois ou des années : un jour, j'aurai envie de m'y replonger. Pour me rappeler comment c'était, cette époque-là. Ou pour m'apercevoir que finalement, elle m'a peu marquée.

Mes cahiers intimes, c'est comme une boîte contenant de vieilles lettres oubliées, qu'on redécouvre un jour en faisant du rangement.
La seule différence ? J'en suis à la fois l'expéditrice et la destinataire.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Créer un blog sexy sur Erog la plateforme des blogs sexe - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés