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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Bribes perso

Jeudi 6 mars 4 06 /03 /Mars 02:19

undefined Peu à peu, le ciel se couvre et se charge d'ombres. Les contours s'adoucissent, les lumières pâlissent.

D'autres, artificielles, les remplacent. Guirlandes jaunes étales éclabloussant les boulevards, faisceaux de bulles coupant l'obscurité des rues, halos timides tremblotant au fond des impasses.

C'est la nuit.
Un lent
travail d’aspiration, où le halètement du jour et des corps s’essouffle.
Une œuvre d'estompe, comme un dessin au fusain brouillé d'un revers de main. Soudain, ses formes imprécises se mêlent, s'enchevêtrent, se recouvrent.
La nuit est un tout confus chaque jour recommencé.


Peu à peu, les bruits des immeubles s’atténuent. Plus de voisin irascible pour se plaindre de la cuisson des pâtes. Plus de remue-ménage de vaisselle lavée à la hâte après le dîner. Plus de télé brayant des pubs idiotes. Plus de transistor déversant en continu les infos de la journée.
Lentement la nuit coule sa main d'ombre sur les vivants.

Les soirs où je suis chez moi, j'observe le rituel de la nuit.
À partir de onze heures, les lumières
de l’immeuble d’en face s'éteignent.
Autour de minuit, il n’en reste que quelques-unes, damier inégal sur la façade. Parfois, le grand tableau coloré du voisin, découpé sur le rectangle de sa fenêtre, me fait de l’œil.
Vers trois heures, je n'en compte plus que deux. Celles des irréductibles qui veulent arracher une poignée d'heures pour vivre davantage. Des angoissés ou des amoureux, comme moi. Ou des insomniaques... comme moi.

Hormis en voyage, je n'ai jamais aimé le matin, son petit vent trop piquant, sa lumière trop crue. Les débuts de journée m'agressent. Ils ont des allures d'étendues interminables, d'heures qui s'étirent sans s'achever, de négation d'évidence : on ne peut pas vivre sans mourir.
Le matin se croit l'éternité. Il a tort. Tôt ou tard, la nuit viendra le cueillir pour se charger de lui rabattre le caquet.

La nuit, depuis longtemps je l'aime et y inscris mes souvenirs.
Ceux de lectures passionnées, pelotonnée au fond du lit, avec un roman impossible à lâcher.
Ceux de longues conversations impossibles en pleine journée, tant l'obscurité est complice du dévoilement.
Ceux de cigarettes fumées une à une en rêvassant et écoutant du jazz sur une vieille chaîne stéréo.
Ceux de sorties trépidantes, de verres levés, de musique trop forte, de rires trop aigus, d'étreintes trop vite conclues.
Les nuits douces, les nuits tendres, les nuits d'ivresse... Ce sont les nuits claires.

Traverser la nuit 2Mais il y a aussi les nuits sombres.
Celles où le sommeil nous fuit alors que, les yeux collés au plafond, le cœur écrasé,
on voudrait s'y reposer.
Celles où l'on se dispute, remâchant nos griefs pour mieux les envoyer à la tête de l'autre en refusant l'inévitable : toi et moi, ça ne peut plus durer.
Celles qui mélangent remords et regrets, peurs du passé et craintes du présent.
Celles des fantômes ressurgis de l'enfance. C
roque-mitaines aux aguets tapis dans la chambre, monstres embusqués derrière les rideaux, n'attendant qu'un geste pour nous dévorer.

Je redoute les ténèbres de ces nuits-là à cause de leurs airs de face-à-face hostiles.

Mais l'ennemi n'est pas dehors, il est dedans.

Et il me dédouble, faisant de moi la joue et le soufflet, la bête et sa pitance. La gardienne d'une forteresse perdue dans le désert des Tartares, sans murs ni remparts, ne demandant ni à être défendue, ni à être prise.

Ces nuits-là se traversent comme on traverse un pont. Pas à pas, sur un fil, en funambule accroché au balancier des minutes qui s’écoulent.

Et tant pis si voilà bien du temps perdu qui ne se rattrapera plus.
Qui songerait à saisir le diable par la queue ? Il pourrait mordre.

 

 

 

2e photo de Bruno Noventa.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Vendredi 22 février 5 22 /02 /Fév 01:06
"D'accord, mais ne le répète pas à ta mère."
"Ne le dis pas à ton père."
"Garde ça pour toi."
Mon enfance, comme toutes les enfances, a eu ses secrets.
Je ne devais pas répéter à mes parents les libertés que m'autorisait ma grand-mère (et implicitement mon grand-père), sous peine qu'elle se fasse gronder :
regarder le film de 20h35 - en ce temps-là ! - jusqu'à la fin, aller au lit sans me brosser les dents, ou pire : manger des chocolats et aller au lit sans me brosser les dents.
Le secret suprême étant, bien sûr, de
regarder le film en mangeant des chocolats puis d'aller au lit sans me brosser les dents.

Avec le recul, j'en souris. Ce sont là des "mensonges" de peu d'importance, de l'ordre du "pas vu, pas pris", de ceux que l'on range, à l'âge adulte, sous l'étiquette de l'omission. Mais à l'époque, je ne connaissais pas le mot et déjà, ces secrets me pesaient, car ils me contraignaient à me taire, à (dys)fonctionner sous l'ordre du double régime.

Avec l'intuition des enfants, j'avais compris qu'il existait deux univers parallèles : l'un hérissé de règles a priori impossibles à contourner ; l'autre qui souffrait l'entorse à ces mêmes règles.
Deux poids, deux mesures... Prise entre ces feux contraires, je résistais à l'envie de dévoiler le monde obscur, celui dans lequel on me permettait ce qu'on m'interdisait ailleurs.
Parfois, je bondissais d'indignation :
- Mais chez mamie, je peux ! Mamie, elle est d'accord pour que je regarde le film, et même pour que je me brosse pas les dents !
Mais à peine les mots commençaient-ils à jaillir de mes lèvres que je me les mordais au sang.
Mamie me faisait confiance, je l'aurais trahie en parlant. Je l'aurais confrontée à la déception et aux reproches de mes parents. Et de cela, il n'était pas question.
Alors je ravalais ma colère et mes larmes
de gamine, mon sentiment d'injustice et je filais au lit sans piper mot, la rage au ventre.

À l'adolescence, le secret s'est chargé d'un autre sens et d'un autre poids. Ma mère avait rencontré Joshua. Son amant, comme on dit. Elle m'avait confié, sous le sceau de la confidence, à quel point il était important pour elle. À quel point elle l'aimait et ne voulait pas le perdre.
Mon père savait qu'ils avaient eu une aventure. Celle-ci n'aurait été qu'une passade, il s'en serait fiché : mes parents fonctionnaient sur le mode d'un couple libre. G
énération 68 oblige, ils s'autorisaient du sexe tant qu'ils voulaient, séparément ou même ensemble. À la seule condition que le cul n'atteigne pas les sentiments.
Que l'un soit touché au cœur et non au corps, telle était leur limite.
En l'occurrence, la limite était plus que dépassée. Elle était pulvérisée.

Ma mère s'étant épanchée auprès de moi, nous devenions toutes deux un couple dans le couple : il y avait celui, officiel, qu'elle formait avec son mari, mon père ; celui, officieux, qu'elle formait avec moi, scellé par le non-dit du secret.
"Ce n'est plus ton père que j'aime, mais un autre homme que tu connais... Joshua."
D'une phrase, je pouvais faire voler notre foyer en éclats. Acculer ma mère, blesser mon père. Et même le tuer, symboliquement :
- Tu l'aimes, d'accord. Et toi, tu crois qu'elle t'aime ? Tu te trompes. Votre vie commune, c'est devenu une vaste foutaise, puisqu'elle est déjà ailleurs.

Il paraît que la vérité sort de la bouche des enfants. En l'occurrence, elle n'est jamais sortie de la mienne, parce que j'ai coulé le secret sous une chape de plomb.
J'aimais ma mère plus que mon père. C'était donc elle que je devais protéger, d'autant qu'elle s'était montrée vulnérable en me révélant tout.
Si le cas inverse s'était présenté (mon père rencontrant une autre femme), je me serais tue aussi. Probablement par volonté de couvrir celui qui me parle et en appelle à mon silence plus que par affection. J'aurais juste été écartelée entre une vérité à taire à quelqu'un que je chéris (malgré tout, pour mon père) et un désir de mettre fin à la mascarade.
Celui qui ignore ne peut décider. Pour lui, les dés sont pipés.

Je me souviens de ces vacances que ma mère a passées avec Joshua, en prétendant à mon père qu'elle était en Vendée, avec moi. J'avais 12-13 ans, et heureusement des adultes pour mentir à ma place : le couple censé nous accueillir toutes deux et chez qui je me trouvais moi, mais sans elle.
C'est eux qui, tour à tour, avançait qu'elle était en balade, au marché, à la plage. Ailleurs, en un mot.
Dans les années 85, il n'y avait pas encore de portable pour mieux mentir... ou fliquer l'autre.

Je me souviens aussi des premières années parisiennes avec ma mère. À peine un an après ces vacances-là, alors que le divorce de mes parents venait d'être prononcé.
Maman était tiraillée entre son grand amour qui habitait loin et moi. Elle quittait notre appartement un week-end sur deux pour le rejoindre, en me laissant seule, avec des consignes claires :
- Tu ne dis surtout pas à ton père que je suis partie. S'il appelle, tu inventes n'importe quoi et tu me contactes. Je me débrouillerai.
Elle me parlait du ton des choses cruciales. Car ça l'était, certainement : sur sa tête pesait l'opprobre de la mauvaise mère, celle qui "abandonne" sa fille pour vivre sa vie. Celle dont l'ex-mari, jaloux, forcément jaloux, lui disputerait la garde de sa fille s'il apprenait ses "frasques", sous prétexte qu'elle était incapable de s'en occuper.
Elle était déchirée entre sa vie de femme et de mère. Et moi, j'étais déchirée entre elle et mon père, obligée de lui servir des mensonges lorsqu'il demandait :
- Tu me passes ta mère ?
Je feignais de l'appeler dans l'appartement vide. De réaliser que mince, elle n'était pas là. Sortie faire des courses, dîner avec des amis... N'importe quelle excuse était bonne, du moment qu'il la croyait et raccrochait ce putain de téléphone.
Dans le même temps, sa voix triste me retournait les tripes :
- Tant pis, c'est pas grave... Je rappellerai. Embrasse-la de ma part.
Et je raccrochais en pensant :
"Maman, tu peux être fière de moi... J'ai été assez convaincante, ne t'inquiète pas."

Avec le recul, je réalise à quel point cette position était intenable. Se faire le complice de l'un au détriment de l'autre, prendre parti dans des histoires qui, finalement, ne me concernaient pas.
Peut-être est-ce à cause de cela, en grande partie, que je nourris une aversion pour le secret. Mais le secret avec un grand S : pas celui qui est secondaire, celui qui est important. Qui changerait la donne si l'autre le connaissait. Qui le rend prisonnier de nos mensonges, qui l'humilie... en secret, justement.

Pourtant, en amitié comme en couple, je ne crois pas à la transparence totale. Et même si je peux la désirer, je la sais néfaste, destructrice.
Chacun a en soi une part d'inavouable qu'il n'est pas tenu de partager. Le droit inaliénable à ses petits secrets, à son jardin privé. En clôturer l'accès est licite et même souhaitable, sous peine d'être dépossédé, voire souillé par l'autre qui viendrait y traîner ses bottes, en piétiner les fleurs fragiles, même avec les meilleures intentions du monde.

Et puis, les calculs du secret m'épuisent : à quel point puis-je jouer des mots, de leur ambiguïté, pour dire sans mentir, suggérer sans trahir ?
À quel point puis-je être vraie sans "tuer" l'autre, qui désire la vérité tout en la repoussant, parce qu'il sait qu'au fond, elle lui serait insupportable ?
À quel point puis-je tricher alors que j'ai envie de hurler, que je me force à réfréner cette envie ?

Le secret est un étau. I
l dresse ses barrières, il comprime, il enferme, il enserre, il salit.
Récemment, j'ai choisi de croire que personne n'en sort grandi. Qu'il rapetisse, qu'il rend mesquin, qu'il abaisse. Non seulement celui qui en fait usage, mais aussi celui qu'il est censé protéger.

Je me suis peut-être trompée sur toute la ligne.
Toute chose a un prix, à commencer par l'honnêteté. Qui ne paie pas toujours, contrairement à ce que prétend le proverbe.
Le prix que je paierai s'avèrera peut-être exorbitant.
Tant pis, je ne pouvais pas agir autrement.
Et si vous ne me pardonnez pas, essayez juste de me comprendre.
Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Jeudi 7 février 4 07 /02 /Fév 03:13

Souvent, j'ai la curieuse et désagréable certitude d'être à côté de ma vie. De passer la mienne en décalé, tout en lorgnant avec une pointe d'envie sur celle des autres. À mes yeux, la leur est forcément plus dense, plus riche, plus intense.


Je vois ce qu'ils font et ce que je ne fais pas. Leurs initiatives que je ne prends pas. Leurs bonheurs que je ne connais pas.
Hors la vie, je suis rejetée sur la grève alors qu'ils s'ébattent dans l'eau.

Je rêve de les rejoindre, tout en sachant que je n'y arriverai pas. Une vitre glacée, infranchissable, nous sépare.


Cette sensation a commencé dès l'enfance. Petite fille solitaire en vacances avec mes parents, je m'installais à l'arrière de notre bateau et regardais les gens déambuler sur le port.


Ils me semblaient affairés, joyeux, légers. Leurs pas les portaient vers des lieux animés, là où les lumières brillent.

Tapie dans l'ombre, je désirais plus que tout être à leur place. Abandonner mon rôle de guetteuse pour les suivre, me fondre au mouvement qui me propulserait au cœur des événements. D'une vibration qui accélèrerait mon souffle, ferait battre mon sang plus fort, plus vite.
J'appelais désespérément la vague qui m'emporterait. Je n'en goûtais que l'écume.

J'ai beau être adulte maintenant, j'ai toujours son goût sur mes lèvres.
La vie : un beau ballon à la fois chamarré et glissant, que je saute pour attraper. Mais à peine effleuré, il me file entre les doigts. Je le regarde s'éloigner alors que les autres le saisissent au passage. Et ils s'envolent, aériens, tandis que je reste clouée au sol. Pesante, inerte, lestée de poids morts qui m'entravent.
À eux les plaisirs, à moi la morne répétition des jours sans grâce.
L'imprévu est leur lot, l'ennui le mien.
Ils jouissent. Frigide, absente, retranchée, je les observe et les jalouse.

Vue de l'extérieur, je crois ne pas donner cette impression. Je suis souvent débordée de travail, je voyage loin, avec mon sac à dos pour seule compagnie. Certains me jugent d'une témérité folle. De mon point de vue, ils se trompent : je ne fais que reprendre en main les rênes de mon existence qui, au quotidien, m'échappent.
Cloîtrée à la maison, j'en vois
surtout les temps morts. Les longues plages de blanc, la paresse à laquelle je m'abandonne, les indécisions qui me minent.
Je rêve d'ailleurs, je suis ici. Et une fois ailleurs, je rêve d'être là-bas.
Je rêve d'être une autre, je ne suis que moi.

La vie des autres 2Ma vie ? Un long ruban qui se déroule à mon insu.

Parfois, mais seulement parfois, j'en saisis le fil. Le reste du temps, je le regarde se dévider. Impuissante, prisonnière des tâches que je dois accomplir mais que je repousse.
Finalement, je vis peut-être la même vie que les autres, entre regrets d'être et de ne pas avoir été.

La différence est que dans leur bouche, elle m'apparaît pleine ; dans la mienne, vide. Coquille de noix aux cerneaux racornis, qui sonne creux parce que je ne l'habite pas.

À mesure que j'écris, les paroles d'une chanson de Téléphone s'imposent. Normal, elles tombent à pic en conclusion :
- Qu'est-ce qu'il y a au bout, tout au bout du rouleau ?
- Y a encore du rouleau...

 

 

 

2e photo : Clarence John Laughlin.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mardi 22 janvier 2 22 /01 /Jan 01:59

Ce que je date comme mon premier souvenir, peut-être à tort, est celui d'un abandon.
J'ai cinq, six ans. Je me réveille en pleine nuit, angoissée, et j'appelle :
- Maman ?
Aucune voix ne me répond.

Aucun bruit ne se fait entendre.
Inquiète, je sors la tête des couvertures pour appeler plus fort :
- Maman ?!
Toujours rien.
Le silence profond de la maison me tombe sur les épaules.


Mes volets et mes rideaux sont tirés. Plongée dans l'obscurité, je ne vois rien. Le noir s'emplit de fantômes et de présences maléfiques. Il me cerne, il m'entoure, il s'insinue par ma bouche ouverte, me glace, m'étrangle.

Je me dresse toute droite sur le lit lutte pour prendre une goulée d'air.

Je serre le drap entre mes poings et je crie :

- Maman ! Maman ! MAMAN ! PAPA !
Je me déchire les poumons. Je supplie, j'implore mais personne ne vient.
Je me tais.
Soudain, l'évidence me transperce de haut en bas : si mes parents ne me viennent pas, c'est qu'ils sont morts.

Je me lève les jambes molles. Je lutte contre les larmes et je me cogne contre les meubles. J'arrive en titubant à ma porte. Je l'ouvre, persuadée qu'un méchant m'attend de l'autre côté avec son couteau. Qu'il va m'ouvrir le ventre avec pour me tuer moi aussi. Mais puisque mes parents sont déjà morts, je m'en fiche.
Je passe dans le couloir et pourtant, rien ne m'arrive. Je ne tombe pas raide foudroyée. Étrange impression d'avoir échappé à un carnage, d'être la seule survivante d'une maison décimée.
Juste en face de ma chambre se trouve celle de mes parents. Je n'ai normalement pas le droit d'y entrer, mais je pèse sur la poignée de toutes mes forces.

Elle cède. La porte s'ouvre.
Je me précipite sur leur lit, tombe sur les couvertures roulées en boule. Les oreillers ont encore la marque de leurs têtes allongées, le traversin garde leur odeur.
Aucun cadavre déchiqueté sur le sommier.
Je retourne les draps, incrédule.
Le lit est vide, absolument vide.
Les corps de mes parents ont été escamotés.
Mais où donc ont-ils étaient cachés ?

Je hurle leurs noms dans leur chambre déserte. J'ouvre à grand-peine la porte-fenêtre pour sortir dans la cour. Je descends,
pieds nus et en pyjama, les escaliers qui mènent au portail.

 On doit être en hiver car le froid me transperce les os. Les graviers me blessent mais je cours tête baissée, toujours plus vite pour fuir cette maison vide.

L'abandon2Comme nous habitons une impasse, je vois en enfilade les habitations aux fenêtres éteintes.

La lumière blafarde des réverbères éclaire la rue en contrebas. Je m'y précipite en hurlant. Il faut que quelqu'un sorte enfin de cette ville morte, me recueille et me protège.

Soudain, une voiture stoppe devant moi. Je suis tellement affolée que je ne l'ai même pas vue arriver. Ses phares m'éblouissent.

Je remue dans la lumière aveuglante comme un pantin pris au piège.
Les portières s'ouvrent. Deux personnes descendent.
Je tente de contourner le véhicule pour m'échapper. Les méchants sont là, ils vont me prendre et m'emporter.

Je tombe dans les bras de mon grand-père. Me débats comme une forcenée.
- Là, c'est fini... Calme-toi... Chuuuut...
Il me soulève comme une brindille. Le tissu de son manteau épais me râcle les joues. Sa chaleur m'apaise. Ma mamie me caresse les cheveux.
- Ton papa et ta maman sont partis au cinéma... Ils vont bientôt rentrer... Tout va bien...
Les mots me parviennent à travers une brume.

J'ai beau m'abandonner leur mélodie rassurante, je ne suis pas convaincue.
Pourquoi m'auraient-ils laissée seule ?

Ensuite, tout devient vague. Je sais que mes grands-parents m'ont recouchée, mais j'ignore dans quel lit. Je crois qu'ils m'ont veillée jusqu'au retour de mes parents. Que ceux-ci ont été bien étonnés d'apprendre que je m'étais levée en pleine soirée. Je devais sûrement bien dormir, à l'époque.

Le pire de tout, c'est que je ne sais même pas si ce souvenir est exact. J'ai questionné il y a longtemps ma mère et ma grand-mère à ce sujet. Elles m'ont juré ne pas s'en souvenir, et je les crois.
Pour moi, oui, sans doute aucun, ces scènes sont réelles. Elles ont la précision et l'acuité des choses qu'on n'invente pas. Si je retourne profondément en moi-même, je peux même en éprouver à nouveau les sensations, redevenir cette petite fille qui se débat dans le noir, la gorge oppressée par la panique.
La peur primale de l'abandon ne m'a pas non plus quittée. Bien sûr, avec les années, j'ai composé avec elle, l'ai apprivoisée à un tel point que je suis maintenant capable de m'en moquer.
Comme les fantômes qui rôdaient dans ma chambre ce jour-là, je la chasse d'un revers de main.
Mais le problème avec les spectres, c'est qu'ils ne cessent de réapparaître...

 

 

 

2e photo : René Jacques.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Lundi 21 janvier 1 21 /01 /Jan 21:15

Qu'est-ce qu'un véritable ami ?
Mon père a déjà sa réponse : quelqu'un qui vous aiderait à cacher le corps que vous venez de tuer. En pleine nuit, sans vous poser de questions ni vous dénoncer à la police.
Pour une fois, je suis d'accord avec lui.

Qu'est-ce que l'amour véritable ?
Je ne l'ai jamais demandé à mon père, mais peut-être partagerait-il mon opinion.
À mes yeux, l'amour véritable est forcément absolu.
Il ne se mérite pas, ne se gagne pas, ne se conquiert pas. Toute lutte, tout enjeu, toute manigance lui sont étrangers.
L'amour véritable ne tient ni à notre intelligence, ni à nos capacités, ni à notre physique.

Tous ces éléments ont probablement compté au début mais, chemin faisant, ils sont devenus accessoires : qu'on devienne le dernier des cons ne lui serait même pas un obstacle.

L'amour véritable
ne se nourrit de rien sauf de la gratitude infinie de savoir que l'autre existe. Qu'il est vivant quelque part, même si ce n'est pas à côté.
L'amour véritable se fiche de tout, à commencer par les conventions : les mépriser serait déjà les prendre en compte. Mais il flotte tellement au-dessus d'elles qu'elles ne l'atteignent même pas.
L'amour véritable n'est ni un cadeau, ni offrande, ni un don. Il est tout cela à la fois. Tout cela et davantage. Mais pour désigner cet au-delà, aucun mot n'existe.
L'amour véritable rend l'autre qui en est l'objet plus important que nous-mêmes.

L'amour véritable est ou n'est pas.
Tout simplement.

Co
mme la plupart des mères du monde, la mienne m'aimait de cet amour-là. Sans conditions, infini, tripal, il l'aurait poussée à sacrifier sa vie pour sauver la mienne.
Je le compris autour de mes dix ans. Mais comprendre est un mot faible. Je fus plutôt assommée de son évidence ou de sa clarté.


Au cours d'une balade en montagne, mes parents et moi trouvâmes une maison abandonnée. J'y entrai, poussée
par la curiosité. Dans une armoire vermoulue s'empilaient des magazines pour enfants. Je les feuilletai, les triai, empilai à terre ceux qui m'intéressaient. Mal à l'aise à l'idée de m'en emparer, mais rassurée par la certitude de ne léser personne.

Si je ne les prenais pas, ils pourriraient ici...
Tout excitée par mes trouvailles, Je dus heurter l'armoire trop violemment. Elle vacilla puis bascula sur moi.

Paniquée, je la retins à bout de bras. Mais je n'étais pas bien forte. Très vite, mes muscles devinrent douloureux. J'eus beau m'arc-bouter au sol, je tremblais comme une feuille et le meuble gagnait du terrain.

De plus en plus penché, il me menaçait de toute sa hauteur, de tout son poids.
Encore une minute et je finirais écrasée.


Sans réfléchir, je hurlai à plein poumons le cri qui sauve, qui protège des maléfices comme de la mort :

MAMAN !!
Ce fut comme un miracle.
Sa fine silhouette s'encadra sur la porte béante. Elle ne cria pas, ne me gronda pas. 
Aussitôt elle se précipita à ma place en m'ordonnant :

- Va-t'en !
Son ton était sans réplique. Coupant et si inhabituel dans sa bouche.

 Je devais obéir mais j'hésitais : si je partais, je l'abandonnais. Et c'était elle qui mourrait.

Par ma faute.
- Va-t'en !
Je lâchai l'armoire. Esquissai deux pas de côté.

La honte et la peur m'embrasaient alors que les sanglots me secouaient. Et pourtant, je laissais ma mère seule face au monstre.

Elle s'écarta d'un bond. L'armoire tomba au sol dans un grand fracas.
Nous nous regardâmes, saisies. Elle me serra dans ses bras pour me consoler. Me consoler... Moi la mauvaise fille qui, de son point de vue d'enfant, ne méritait pas ses baisers mais une bonne paire de claques.


Une autre scène encore : nous roulons en camping-car, à nos places habituelles. Mon père au volant, ma mère au milieu, moi à sa droite, contre la vitre.
Barbara ou Jean Ferrat tourne en boucle sur l'autoradio. Je ne comprends pas les paroles, la musique et la route me soûlent, je m'ennuie. Je veux chasser les drôles de pensées qui m'obsèdent, mais elles reviennent et me contraignent à demander :
- Maman... Si j'étais malade, est-ce que tu me donnerais un rein ?
Mon père grommelle une phrase incompréhensible.

Ma mère se tourne, à moitié surprise. Elle est habituée, je crois, à mes questions bizarres.
- Bien sûr, ma puce.
Me voilà tranquillisée pour cinq minutes. Mais sa réponse ne me suffit pas.

Alors, le cœur battant, je m'entends poser - non sans perversité - la question fatidique :
- Mais si un seul rein n'était pas assez... Maman, me donnerais-tu les deux ?
Mon père me hurle d'arrêter mes idioties. Ma mère tente de le calmer, de m'expliquer qu'on peut vivre avec un seul rein.

Mais la médecine, je m'en fiche.

Je veux, j'exige d'en savoir davantage, alors je repose ma question.
Ma mère, au bord des larmes, me dit que oui. Que je suis son enfant, qu'elle me donnerait ses reins, son sang, sa moelle.
Mon père devient hystérique.
Ma mère pleure.
Moi, je me sens minable. Minable mais rassurée.

J'ai grandi avec cette certitude : quoi que je fasse, qui que je devienne, ma mère m'aimerait toujours. Elle ne m'approuverait pas forcément, je pourrais la décevoir, la blesser, même la renier, cela ne lui ôterait pas, jamais, cet amour sans limites. Parce qu'elle m'a désirée, portée, que je suis sa chair... ou sa chère, en dépit de tout, envers et contre tous.
Seule la mort avait le pouvoir de briser ce lien.
Comment exprimer autrement que depuis, je me sens orpheline ?

L'amour veritable 3bisCet amour-là, j'aurais juré ne jamais le (re)connaître.

Erreur : c'est celui de mon compagnon pour moi. Superstitieuse comme je le suis, j'aurais dû le prévoir le jour de notre rencontre. Tandis que je m'acheminais vers lui, je mis mon I-Pod en lecture aléatoire, le sommant de jouer la chanson qui correspondrait à ce rendez-vous.
Jubilator choisit parmi des milliers de titres L'amour véritable.
Quand t'aimes quelqu'un, tu ne veux pas le voir souffrir

Quand t'aimes quelqu'un, est-ce que tu l'aides à se détruire ?

 
L
'amour véritable...

Lui-même m'a dit qu'il l'éprouvait pour moi et surtout, me l'a prouvé. Bien avant qu'il ne me l'avoue de crainte de m'effrayer, je m'en doutais car je l'avais ressenti, tout en me défiant de mon intuition.

Cet amour désintéressé est le plus beau des cadeaux mais aussi la plus écrasante des responsabilités, bien qu'il n'exige rien en retour. Ni la réciprocité, ni même la présence.

Si j'estime que je m'épanouirais mieux sans lui, il me suffirait de lui dire. Il me laisserait partir. Mieux, il m'aiderait à le quitter en passant par dessus ses sentiments, dût-il se couper un bras.
Et il sait aussi, comme je le sais, que je suis incapable de lui rendre la pareille : depuis la mort de ma mère, mon cœur s'est brisé.
Depuis, je n'ai jamais pu aimer comme auparavant. Parce que me reconstruire m'a sûrement endurcie, mais surtout usée. À bout de souffle, épuisée et tétanisée par la peur de perdre ceux que j'oserais aimer.

À mes yeux, la vie n'est maintenant qu'une suite de séparations.
Aux siens, c'est l'inverse : pour qu'il y ait séparation, il faut qu'il y ait rencontre.
C'est la logique pure et pourtant... Je souhaiterais, désespérément, envisager les choses de son point de vue.
Autant dire que c'est pas gagné.

 

 

 

2e toile : Gustav Klimt.

Photo de Saudek.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mercredi 16 janvier 3 16 /01 /Jan 03:39

Depuis que je sais tenir un stylo, je veux écrire des livres.

Gamine, je m'enfermais dans ma chambre pour noircir des pages de cahier. Personne ne devait me déranger : je créais. Puis, toute fière, je montrais mon texte à ma mère.
Elle avait la gentillesse de le lire sans sourire et de me féliciter. Elle pensait sûrement que cette lubie de petite fille sérieuse me passerait à l'adolescence, avec le maquillage et les premiers flirts.
Elle se trompait.

Ado, j'écrivais toujours. Des histoires sombres qui me hantaient mais que j'abandonnais en cours de route. Sauf une, qui me tenait particulièrement à cœur. Intitulée Les Yeux-Miroirs, elle était si effrayante que je tremblais en la rédigeant.
Je m'étonnais moi-même de sa
noirceur et de sa violence extrêmes.
À mesure de la rédaction, je sentais un abîme s'ouvrir en moi. Un gouffre monstrueux duquel sortaient, libérés, mes démons sans muselière.
Peut-être est-ce là que j'ai compris que mon "je" était un autre. Que sous la surface apparemment lisse de ma conscience s'agitaient des formes troubles, immondes, innommables. Pour les désigner, un seul mot me venait : la boue.
En écrivant, je m'éclaboussais.

J'étais trop jeune, la peur trop forte. J'abandonnai ma nouvelle, tentai de passer à une autre. En vain. J'étais déjà salie, je devais à présent patauger.
Ce texte me réclamait d'en finir avec lui.
Je le repris à contrecœur.
Lorsque je tuai mon héroïne, je claquais des dents.
Lorsque je traçai
le point final, je me sentis à la fois délivrée et prisonnière.

Un nouveau cycle commençait : celui des histoires terribles que j'étais capable de terminer.

Jeune adulte, j'écrivis un recueil de nouvelles. Je fis circuler mes préférées au compte-gouttes. Un copain les jugea trash, une jeune prof de fac intéressantes, ma mère inquiétantes et mon père insupportables. Il cala d'ailleurs à la page trois. Puis me demanda ce qu'il m'avait fait pour que je commette de telles horreurs, avant de conclure que ma place devrait être à l'asile.
Les contacts avec les éditeurs n'aboutirent pas.
Leur fin de non-recevoir me paraît aujourd'hui justifiée : ma prose n'était pas fameuse. Une petite maison m'envoya toutefois une lettre d'encouragements pour m'inviter à persévérer. Ce que je tentai de faire sans succès.
Manque de temps, d'inspiration, cursus prenant... Toutes les excuses étaient valables pour me défiler. Hormis deux années consacrées à bûcher comme une dingue, la vérité est que je n'y arrivais plus.



Ecrire2Écrire ne m'avait jamais été facile. Mais là, l'exercice virait à la torture.
Imaginer une intrigue me mettait dans tous mes états. J'avais des idées en quantité, mais aucune ne s'imbriquait dans l'autre. Malgré mes efforts, leur fouillis refusait de s'assembler.

Aligner trois phrases correctes me prenait des heures.

Composer un paragraphe, des jours.

 Terminer un chapitre, des semaines.
À bout de nerfs, furieuse contre moi-même, jamais satisfaite du résultat, j'abandonnais.

C'est toujours lorsque je brûlais d'écrire que rien ne venait.

Combien de fois me suis-je retrouvée à ma table, à me triturer la cervelle ?

Combien de fois ai-je acheté un nouveau cahier, créé un document vierge ?
Je pensais n
aïvement que le support résoudrait le problème.

Évidemment, je me trompais. Le problème n'était nulle part, sauf à l'intérieur.

Le problème, c'était moi.

Et le fond du problème, qu'écrire me collait une trouille bleue.


Mes études ne m'aidaient pas, non plus. Disséquer des chefs-d'œuvres force à en rabattre sur ses prétentions. Que dire qu'ils n'ont jamais dit, en mille fois mieux ?

Comparé à leur style flamboyant, le mien était pâle. Laborieux, sans patte ni saveur ni couleur. Quelconque.
J'essayais
de ruser en écrivant à la manière de. Mais pour égaler l'Albert Cohen de Belle du seigneur, il faut se lever tôt.

Ma production était au mieux un pastiche, au pire un décalque insipide.

Je pourrais aussi avancer d'autres raisons, mais ce serait mentir.
J'avais peur, voilà tout.

Peur de découvrir que je m'étais trompée de vocation. Que j'étais incapable de donner forme et vie à ce qui me poignait depuis l'enfance. Contrainte à tourner autour de l'écriture sans jamais entrer dedans. Condamnée à fantasmer ce que je pourrais être sans jamais le devenir. Parce que je n'en ai ni l'estomac, ni les reins, ni le souffle.

En trois mots comme en cent : pas le talent.

À mes propres yeux, j'étais une terre brûlée. Pas même en friche, morte. Une femme stérile au ventre-cimetière d'embryons avortés, de projets destinés à ne jamais voir le jour.
Pour être un artiste raté, il faut déjà commencer par être artiste.
U
n écrivain sans œuvre n'est rien, pas même un nom sur la couverture d'un roman oublié.

Depuis la naisance de ce blog, je veux croire que quelque chose s'est dénoué. À commencer par mes doigts, qui courent maintenant sur le clavier. Pas aussi vite que je le souhaiterais, évidemment.

Rédiger un article, surtout très personnel, me prend du temps.

Par exemple, trois bonnes heures ont passé depuis que j'ai entamé celui-ci.


Le soleil va bientôt se lever mais je m'en fiche. Pas question de le lâcher avant de lui avoir réglé son compte, même si ensuite, je ne pourrai pas dormir.

Plus j'y pense, plus j'y travaille, plus ce blog m'apparaît pour ce qu'il est : un moyen de formuler des pensées disparates, qui n'auraient pas leur place ailleurs ; un défouloir à ma monomanie ; mais surtout, une gageure en forme de revanche sur l'écriture.

J'y consigne l'intime, sa boue et ses démons. Et en me livrant à eux, je les apprivoise.

L'étape suivante ? Ce roman dont j'ai tant rêvé.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mardi 8 janvier 2 08 /01 /Jan 03:33

HIV negatifPendant plus de deux ans, je me suis impliquée dans la section HIV-sida-prévention d'un forum aussi connu que fréquenté.
J'ai passé des heures rivée à l'écran de mon ordinateur, à répondre aux questions de routine, à rassurer les angoissés (il y en avait toujours la nuit, et la nuit, je ne dors pas), à remonter le moral à des déprimés.
Cela dit, je ne me décerne aucune médaille. Pour la simple raison que je n'en mérite pas.

Avant d'arriver sur le forum, j'avais des connaissances précises mais basiques sur le virus.

Je savais par exemple les modes de contamination (ni par contact, masturbation, baiser ou fellation reçue, au passage...) et le risque de transmission. Celle-ci étant très loin d'être automatique, et bien en deçà des chiffres que les gens se figurent.
Mon savoir été affiné par les intervenants réguliers, bien plus calés que moi. La plupart ne fréquente plus le site, mais je les en remercie.

J'ai une dette envers eux.
 
Durant ces années, je n'ai jamais été seule. Entrée sur le forum par la petite porte et sur la pointe des pieds, j'avais conscience qu'il existait un noyau dur : un groupe d'intervenants
motivés, toujours présents, liés par une histoire commune et un combat actif contre les préjugés.
Ils m'ont acceptée parmi eux.
Au fil du temps, des pseudos sont devenus des amis. Virtuels pour la plupart, ce qui n'empêche ni la sympathie, ni la franche rigolade, ni la rigueur.

J'ai perdu le contact avec certains, mais qu'importe. Ils sont là, présents.

Le forum m'a apporté bien plus que le temps qu'il ne m'a pris.
Grâce à lui, j'ai rencontré des personnes formidables, qui n'économis(ai)ent ni leur énergie, ni leurs heures à aider, orienter, témoigner.
Ensemble, c'est tout.

Et nous formions une fameuse équipe, soudée par la volonté de soutenir, d'informer, de lutter contre les idées reçues.

Ce fut l'âge d'or du forum. Un moment de cohésion et de grâce. De partage absolu et de rencontres réelles. De moments forts et de vraies amitiés (coupine, couz', Poussin, si vous m'entendez...).
Puis des personnes sans âme ni scrupules (trolls en jargon Internet) sont arrivées. Ont cassé notre motivation, saccagé notre travail, ruiné "notre" forum et humilié ses intervenants.
À nos yeux, il était infiniment plus qu'un espace virtuel. L'attaquer revenait à nous meurtrir.
Nous en avons pleuré
, de rage et d'impuissance. Passé des journées et des nuits blanches à lutter pied à pied, arguments contre mauvaise foi, besoin de rétablir la vérité contre envie d'en découdre.
Sur la toile, les lâches tissent la leur en se gardant la part du lion.

Aujourd'hui, la blessure se referme à peine.
Mais ici ou ailleurs,
HIV + ou -, la lutte continue.

 

 

Photo : William Wegman.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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