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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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Vendredi 22 février 5 22 /02 /Fév 01:06
"D'accord, mais ne le répète pas à ta mère."
"Ne le dis pas à ton père."
"Garde ça pour toi."
Mon enfance, comme toutes les enfances, a eu ses secrets.
Je ne devais pas répéter à mes parents les libertés que m'autorisait ma grand-mère (et implicitement mon grand-père), sous peine qu'elle se fasse gronder :
regarder le film de 20h35 - en ce temps-là ! - jusqu'à la fin, aller au lit sans me brosser les dents, ou pire : manger des chocolats et aller au lit sans me brosser les dents.
Le secret suprême étant, bien sûr, de
regarder le film en mangeant des chocolats puis d'aller au lit sans me brosser les dents.

Avec le recul, j'en souris. Ce sont là des "mensonges" de peu d'importance, de l'ordre du "pas vu, pas pris", de ceux que l'on range, à l'âge adulte, sous l'étiquette de l'omission. Mais à l'époque, je ne connaissais pas le mot et déjà, ces secrets me pesaient, car ils me contraignaient à me taire, à (dys)fonctionner sous l'ordre du double régime.

Avec l'intuition des enfants, j'avais compris qu'il existait deux univers parallèles : l'un hérissé de règles a priori impossibles à contourner ; l'autre qui souffrait l'entorse à ces mêmes règles.
Deux poids, deux mesures... Prise entre ces feux contraires, je résistais à l'envie de dévoiler le monde obscur, celui dans lequel on me permettait ce qu'on m'interdisait ailleurs.
Parfois, je bondissais d'indignation :
- Mais chez mamie, je peux ! Mamie, elle est d'accord pour que je regarde le film, et même pour que je me brosse pas les dents !
Mais à peine les mots commençaient-ils à jaillir de mes lèvres que je me les mordais au sang.
Mamie me faisait confiance, je l'aurais trahie en parlant. Je l'aurais confrontée à la déception et aux reproches de mes parents. Et de cela, il n'était pas question.
Alors je ravalais ma colère et mes larmes
de gamine, mon sentiment d'injustice et je filais au lit sans piper mot, la rage au ventre.

À l'adolescence, le secret s'est chargé d'un autre sens et d'un autre poids. Ma mère avait rencontré Joshua. Son amant, comme on dit. Elle m'avait confié, sous le sceau de la confidence, à quel point il était important pour elle. À quel point elle l'aimait et ne voulait pas le perdre.
Mon père savait qu'ils avaient eu une aventure. Celle-ci n'aurait été qu'une passade, il s'en serait fiché : mes parents fonctionnaient sur le mode d'un couple libre. G
énération 68 oblige, ils s'autorisaient du sexe tant qu'ils voulaient, séparément ou même ensemble. À la seule condition que le cul n'atteigne pas les sentiments.
Que l'un soit touché au cœur et non au corps, telle était leur limite.
En l'occurrence, la limite était plus que dépassée. Elle était pulvérisée.

Ma mère s'étant épanchée auprès de moi, nous devenions toutes deux un couple dans le couple : il y avait celui, officiel, qu'elle formait avec son mari, mon père ; celui, officieux, qu'elle formait avec moi, scellé par le non-dit du secret.
"Ce n'est plus ton père que j'aime, mais un autre homme que tu connais... Joshua."
D'une phrase, je pouvais faire voler notre foyer en éclats. Acculer ma mère, blesser mon père. Et même le tuer, symboliquement :
- Tu l'aimes, d'accord. Et toi, tu crois qu'elle t'aime ? Tu te trompes. Votre vie commune, c'est devenu une vaste foutaise, puisqu'elle est déjà ailleurs.

Il paraît que la vérité sort de la bouche des enfants. En l'occurrence, elle n'est jamais sortie de la mienne, parce que j'ai coulé le secret sous une chape de plomb.
J'aimais ma mère plus que mon père. C'était donc elle que je devais protéger, d'autant qu'elle s'était montrée vulnérable en me révélant tout.
Si le cas inverse s'était présenté (mon père rencontrant une autre femme), je me serais tue aussi. Probablement par volonté de couvrir celui qui me parle et en appelle à mon silence plus que par affection. J'aurais juste été écartelée entre une vérité à taire à quelqu'un que je chéris (malgré tout, pour mon père) et un désir de mettre fin à la mascarade.
Celui qui ignore ne peut décider. Pour lui, les dés sont pipés.

Je me souviens de ces vacances que ma mère a passées avec Joshua, en prétendant à mon père qu'elle était en Vendée, avec moi. J'avais 12-13 ans, et heureusement des adultes pour mentir à ma place : le couple censé nous accueillir toutes deux et chez qui je me trouvais moi, mais sans elle.
C'est eux qui, tour à tour, avançait qu'elle était en balade, au marché, à la plage. Ailleurs, en un mot.
Dans les années 85, il n'y avait pas encore de portable pour mieux mentir... ou fliquer l'autre.

Je me souviens aussi des premières années parisiennes avec ma mère. À peine un an après ces vacances-là, alors que le divorce de mes parents venait d'être prononcé.
Maman était tiraillée entre son grand amour qui habitait loin et moi. Elle quittait notre appartement un week-end sur deux pour le rejoindre, en me laissant seule, avec des consignes claires :
- Tu ne dis surtout pas à ton père que je suis partie. S'il appelle, tu inventes n'importe quoi et tu me contactes. Je me débrouillerai.
Elle me parlait du ton des choses cruciales. Car ça l'était, certainement : sur sa tête pesait l'opprobre de la mauvaise mère, celle qui "abandonne" sa fille pour vivre sa vie. Celle dont l'ex-mari, jaloux, forcément jaloux, lui disputerait la garde de sa fille s'il apprenait ses "frasques", sous prétexte qu'elle était incapable de s'en occuper.
Elle était déchirée entre sa vie de femme et de mère. Et moi, j'étais déchirée entre elle et mon père, obligée de lui servir des mensonges lorsqu'il demandait :
- Tu me passes ta mère ?
Je feignais de l'appeler dans l'appartement vide. De réaliser que mince, elle n'était pas là. Sortie faire des courses, dîner avec des amis... N'importe quelle excuse était bonne, du moment qu'il la croyait et raccrochait ce putain de téléphone.
Dans le même temps, sa voix triste me retournait les tripes :
- Tant pis, c'est pas grave... Je rappellerai. Embrasse-la de ma part.
Et je raccrochais en pensant :
"Maman, tu peux être fière de moi... J'ai été assez convaincante, ne t'inquiète pas."

Avec le recul, je réalise à quel point cette position était intenable. Se faire le complice de l'un au détriment de l'autre, prendre parti dans des histoires qui, finalement, ne me concernaient pas.
Peut-être est-ce à cause de cela, en grande partie, que je nourris une aversion pour le secret. Mais le secret avec un grand S : pas celui qui est secondaire, celui qui est important. Qui changerait la donne si l'autre le connaissait. Qui le rend prisonnier de nos mensonges, qui l'humilie... en secret, justement.

Pourtant, en amitié comme en couple, je ne crois pas à la transparence totale. Et même si je peux la désirer, je la sais néfaste, destructrice.
Chacun a en soi une part d'inavouable qu'il n'est pas tenu de partager. Le droit inaliénable à ses petits secrets, à son jardin privé. En clôturer l'accès est licite et même souhaitable, sous peine d'être dépossédé, voire souillé par l'autre qui viendrait y traîner ses bottes, en piétiner les fleurs fragiles, même avec les meilleures intentions du monde.

Et puis, les calculs du secret m'épuisent : à quel point puis-je jouer des mots, de leur ambiguïté, pour dire sans mentir, suggérer sans trahir ?
À quel point puis-je être vraie sans "tuer" l'autre, qui désire la vérité tout en la repoussant, parce qu'il sait qu'au fond, elle lui serait insupportable ?
À quel point puis-je tricher alors que j'ai envie de hurler, que je me force à réfréner cette envie ?

Le secret est un étau. I
l dresse ses barrières, il comprime, il enferme, il enserre, il salit.
Récemment, j'ai choisi de croire que personne n'en sort grandi. Qu'il rapetisse, qu'il rend mesquin, qu'il abaisse. Non seulement celui qui en fait usage, mais aussi celui qu'il est censé protéger.

Je me suis peut-être trompée sur toute la ligne.
Toute chose a un prix, à commencer par l'honnêteté. Qui ne paie pas toujours, contrairement à ce que prétend le proverbe.
Le prix que je paierai s'avèrera peut-être exorbitant.
Tant pis, je ne pouvais pas agir autrement.
Et si vous ne me pardonnez pas, essayez juste de me comprendre.
Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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