Dans ces bras-là...
Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.
Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire
comme jamais.
Camille
Laurens.
Décembre 2024 | ||||||||||
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Souvent, j'ai la curieuse et désagréable certitude d'être à côté de ma vie. De passer la mienne en décalé, tout en
lorgnant avec une pointe d'envie sur celle des autres. À mes yeux, la leur est forcément plus dense, plus riche, plus intense.
Je vois ce qu'ils font et ce que je ne fais pas. Leurs initiatives que je ne prends pas. Leurs bonheurs que je ne connais
pas.
Hors la vie, je suis rejetée sur la
grève alors qu'ils s'ébattent dans l'eau.
Je rêve de les rejoindre, tout en sachant que je n'y arriverai pas. Une vitre glacée, infranchissable, nous sépare.
Cette sensation a commencé dès l'enfance. Petite fille solitaire
en vacances avec mes parents, je m'installais à l'arrière de notre bateau et regardais les gens déambuler sur le port.
Ils me semblaient affairés, joyeux, légers. Leurs pas les portaient vers des lieux animés, là où les lumières
brillent.
Tapie dans l'ombre, je désirais plus que tout être à leur place. Abandonner mon rôle de guetteuse pour les suivre, me
fondre au mouvement qui me propulserait au cœur des événements. D'une vibration qui accélèrerait mon souffle, ferait battre mon sang plus fort, plus vite.
J'appelais désespérément la vague qui m'emporterait. Je n'en goûtais que l'écume.
J'ai beau être adulte maintenant, j'ai toujours son goût sur mes lèvres.
La vie : un beau ballon à la fois chamarré et glissant, que je saute pour attraper. Mais à peine effleuré, il me file entre les doigts. Je le regarde s'éloigner alors que les autres le saisissent
au passage. Et ils s'envolent, aériens, tandis que je reste clouée au sol. Pesante, inerte, lestée de poids morts qui m'entravent.
À eux les
plaisirs, à moi la morne répétition des jours sans grâce.
L'imprévu est leur lot, l'ennui le mien.
Ils jouissent. Frigide, absente, retranchée, je les observe et les jalouse.
Vue de l'extérieur, je crois ne pas donner cette impression. Je suis souvent débordée de travail, je voyage loin, avec mon sac à dos pour seule compagnie. Certains me jugent d'une témérité folle.
De mon point de vue, ils se trompent : je ne fais que reprendre en main les rênes de mon existence qui, au quotidien, m'échappent.
Cloîtrée à la maison, j'en vois surtout les temps morts. Les longues plages de blanc, la paresse à laquelle je m'abandonne, les indécisions qui
me minent.
Je rêve d'ailleurs, je suis ici. Et une fois ailleurs, je rêve d'être là-bas.
Je rêve d'être une autre, je ne suis que moi.
Ma vie ? Un long ruban qui se
déroule à mon insu.
Parfois, mais seulement parfois, j'en saisis le fil. Le reste du temps, je le regarde se dévider. Impuissante,
prisonnière des tâches que je dois accomplir mais que je repousse.
Finalement, je vis peut-être la même vie que les autres, entre regrets d'être et de ne pas avoir été.
La différence est que dans leur bouche, elle m'apparaît pleine ; dans la mienne, vide. Coquille de noix
aux cerneaux racornis, qui sonne creux parce que je ne l'habite pas.
À mesure que j'écris, les paroles d'une chanson de Téléphone s'imposent. Normal, elles tombent à pic en conclusion :
- Qu'est-ce qu'il y a au bout, tout au bout du rouleau ?
- Y a encore du rouleau...
2e photo : Clarence John Laughlin.
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