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En lisant en écrivant

De la relativité de l'amour

 

/David a laissé/ un Post It où il y avait mes numéros de téléphone et une citation :

La littérature nous prouve tous les jours que la vie ne suffit pas.

Ou le contraire ?

J'ai bu un mauvais Nescafé dans son jardin de curé, les coudes sur une table en plastique blanc de camping ; c'est difficile de boire quand on ne peut cesser de soupirer.

Au sortir d'une nuit d'amour comme celle-là - et, malgré mon passé fastueux, des nuits comme celle qui venait de s'écouler je n'en avais pas tellement eu -, on a la sensation de ne plus être maître de soi, de ses lèvres, de ses mains, jusqu'à la respiration qui semble ne plus vous appartenir.

On s'est tellement mêlés, on a si prodigieusement été l'un l'outil du plaisir de l'autre, que reprendre son corps en main semble insensé.

 

Les premiers mots qui suivirent la nuit où on est non seulement tombés amoureux, mais littéralement tombés l'un dans l'autre, ont une singulière saveur de vérité. Plus qu'on ne le voudrait, on se découvre, à l'autre comme à soi.

Ils restent, ces mots-là, comme un écho qui rend tout le reste indécent.

/David/ me dit qu'il m'avait attendue ; il savait que je lui reviendrais, car j'étais faite pour lui de toute éternité ; moi seule pouvait le guérir de sa fracture profonde, de son mal de vivre ; il me dit que j'étais la femme qu'il avait le plus baisée dans sa vie, tout seul ou aux côtés d'autres.

Il me dit que son âme était à moi et qu'elle m'appartenait depuis toujours.


J'étais comme un enfant pauvre qui hérite de la fortune de Rockfeller.

En même temps, je ne pouvais pas, je ne voulais pas le croire. Ç'aurait voulu dire que je trahissais ce que j'étais, ce en quoi je croyais : que rien n'est éternel, qu'on est profondément et définitivement seuls ; et cela, au fond, me convenait parfaitement.

D'ailleurs, tout ce que j'avais vécu me le confirmait.

Mes meilleurs moments sont ceux que je passe en tête-à-tête avec moi-même, à me balader sur la berge d'un fleuve, à écouter le vent dans les feuilles des peupliers. Ou un livre à la main, étendue dans l'herbe. À écouter La Passion seon Saint Matthieu, à parler à un chat, à dormir dans un grand lit vide et un peu froid...

La présence d'un homme a toujours masqué, d'une certaine manière, mon bonheur. Je n'ai d'yeux que pour lui, alors que le reste du monde m'a toujours semblé plus intéressant que l'amour.

Il y a une vieille dame qui habite au fond de moi, une vieille dame agacée par tous ces frottements, toutes ces scènes, par les baisers et les larmes. Elle a les yeux clairs, la peau propre et sèche, et n'aspire qu'au calme pensif d'un matin d'hiver ; le reste, ça la laisse sceptique et un peu navrée.


Simonetta Greggio, Plus chaud que braise extrait du recueil de nouvelles L'Odeur du figuier.


 -----------------------------------------------    

Être d'eau

 

Je bénis l'inventeur des fiançailles. La vie est jalonnée d'épreuves solides comme la pierre ; une mécanique des fluides permet d'y circuler quand même.

Il y a des créatures incapables de comportements granitiques et qui, pour avancer, ne peuvent que se faufiler, s'infiltrer, contourner. Quand on leur demande si oui ou non elles veulent épouser untel, elles suggèrent des fiançailles, noces liquides. Les patriarches pierreux voient en elles des traîtresses ou des menteuses, alors qu'elles sont sincères à la manière de l'eau.

Si je suis eau, quel sens cela a-t-il de dire "oui, je vais t'épouser" ?

Là serait le mensonge. On ne retient pas l'eau. Oui, je t'irriguerai, je te prodiguerai ma tendresse, je te rafraîchirai, j'apaiserai ta soif, mais sais-je ce que sera le cours de mon fleuve ? Tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée.

 

Ces êtres fluides s'attirent le mépris des foules, quand leurs attitudes ondoyantes ont permis d'éviter tant de conflits. Les grands blocs de pierre vertueux, sur lesquels personne ne tarit d'éloges, sont à l'origine de toutes les guerres.

Certes, avec Rinri, il n'était pas question de politique internationale, mais il m'a fallu affronter un choix entre deux risques énormes.

L'un s'appelait "oui", qui a pour synonyme éternité, solidité, stabilité et d'autres mots qui gèlent l'eau d'effroi.

L'autre s'appelait "non", qui se traduit par la déchirure, le désespoir, et moi qui croyais que tu m'aimais, disparais de ma vue, tu semblais pourtant si heureuse quand, et autres paroles qui font bouillir l'eau d'indignation, car elles sont injustes et barbares.

 

Quel soulagement d'avoir trouvé la solution des fiançailles ! C'était une réponse liquide en ceci qu'elle ne résolvait rien et remettait le problème à plus tard.

Mais gagner du temps est la grande affaire de la vie.

 

Amélie Nothomb, Ni d'Ève ni d'Adam.


 -----------------------------------------------    

Bonheur

Un seul bonheur, tout d'une pièce, terrestre et céleste à la fois, temporel et éternel d'un tenant : le bonheur d'être au monde, en ce monde-ci, de l'habiter pleinement et de l'aimer tout en le reconnaissant inachevé, traversé d'obscures turbulences, troué de manque, d'attente, meurtri, raviné par d'incessantes coulées de larmes, de sueur et de sang, mais aussi irrigué par une inépuisable énergie, travaillé de l'intérieur par un souffle à la fraîcheur et à la clarté d'autore - caressé par un chant, un sourire.

Le bonheur imparti à Bernadette, comme à tous les hommes et femmes de sa trempe, consistait à avoir reçu un don de claire-voyance, de claire-audience qui lui permettait de percevoir l'invisible diffus dans le visible, la lumière respirant même au plus épais des ténèbres, un sourire radieux se profilant à l'horizon du vide, affleurant jusque dans les eaux glacées du néant.

Le don d'une autre sensibilité, d'une intelligence insolite, et d'une patience sans garde ni mesure.

Le don d'une humilité lumineuse - clef de verre, de vent ouvrant sur l'inconnu, sur l'insoupçonné, sur un émerveillement infini.

 
 

Sylvie Germain, La chanson des Mal-Aimants.

 

-----------------------------------------

Femmes, femmes, femmes...


Je me demande ce qu'aurait été ma vie plus tard si, enfant, je n'avais pas bénéficié de ces petites réceptions chez ma mère. C'est peut-être ce qui a fait que je n'ai jamais considéré les femmes comme mes ennemies, comme des territoires à conquérir, mais toujours comme des alliées et des amies - raison pour laquelle, je crois, elles m'ont toujours, elles aussi, montré de l'affection.

Je n'ai jamais rencontré ces furies dont on entend parler : elles ont sans doute trop à faire avec des hommes qui considèrent les femmes comme des forteresses qu'il leur faut prendre d'assaut, mettre à sac et laisser en ruines.

 

Toujours à propos de mes tendres penchants - pour les femmes en particulier -, force est de conclure que mon bonheur parfait lors des thés hebdomadaires de ma mère dénotait chez moi un goût précoce et très marqué pour le sexe opposé. Un goût qui, manifestement, n'est pas étranger à ma bonne fortune auprès des femmes par la suite.

Mes souvenirs, je l'espère, seront une lecture instructive, mais ce n'est pas pour autant que les femmes auront plus d'attirance que vous n'en avez pour elles. Si au fond de vous-mêmes, vous les haïssez, si vous ne rêvez que de les humilier, si vous vous plaisez à leur imposer votre loi, vous aurez toute chance de recevoir la monnaie de votre pièce.

Elles ne vous désireront et ne vous aimeront que dans l'exacte mesure où vous les désirez et aimez vous-mêmes - et louée soit leur générosité.

 

Stephan Vizinczey, Eloge des femmes mûres.

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Mardi 22 janvier 2 22 /01 /Jan 01:59

Ce que je date comme mon premier souvenir, peut-être à tort, est celui d'un abandon.
J'ai cinq, six ans. Je me réveille en pleine nuit, angoissée, et j'appelle :
- Maman ?
Aucune voix ne me répond.

Aucun bruit ne se fait entendre.
Inquiète, je sors la tête des couvertures pour appeler plus fort :
- Maman ?!
Toujours rien.
Le silence profond de la maison me tombe sur les épaules.


Mes volets et mes rideaux sont tirés. Plongée dans l'obscurité, je ne vois rien. Le noir s'emplit de fantômes et de présences maléfiques. Il me cerne, il m'entoure, il s'insinue par ma bouche ouverte, me glace, m'étrangle.

Je me dresse toute droite sur le lit lutte pour prendre une goulée d'air.

Je serre le drap entre mes poings et je crie :

- Maman ! Maman ! MAMAN ! PAPA !
Je me déchire les poumons. Je supplie, j'implore mais personne ne vient.
Je me tais.
Soudain, l'évidence me transperce de haut en bas : si mes parents ne me viennent pas, c'est qu'ils sont morts.

Je me lève les jambes molles. Je lutte contre les larmes et je me cogne contre les meubles. J'arrive en titubant à ma porte. Je l'ouvre, persuadée qu'un méchant m'attend de l'autre côté avec son couteau. Qu'il va m'ouvrir le ventre avec pour me tuer moi aussi. Mais puisque mes parents sont déjà morts, je m'en fiche.
Je passe dans le couloir et pourtant, rien ne m'arrive. Je ne tombe pas raide foudroyée. Étrange impression d'avoir échappé à un carnage, d'être la seule survivante d'une maison décimée.
Juste en face de ma chambre se trouve celle de mes parents. Je n'ai normalement pas le droit d'y entrer, mais je pèse sur la poignée de toutes mes forces.

Elle cède. La porte s'ouvre.
Je me précipite sur leur lit, tombe sur les couvertures roulées en boule. Les oreillers ont encore la marque de leurs têtes allongées, le traversin garde leur odeur.
Aucun cadavre déchiqueté sur le sommier.
Je retourne les draps, incrédule.
Le lit est vide, absolument vide.
Les corps de mes parents ont été escamotés.
Mais où donc ont-ils étaient cachés ?

Je hurle leurs noms dans leur chambre déserte. J'ouvre à grand-peine la porte-fenêtre pour sortir dans la cour. Je descends,
pieds nus et en pyjama, les escaliers qui mènent au portail.

 On doit être en hiver car le froid me transperce les os. Les graviers me blessent mais je cours tête baissée, toujours plus vite pour fuir cette maison vide.

L'abandon2Comme nous habitons une impasse, je vois en enfilade les habitations aux fenêtres éteintes.

La lumière blafarde des réverbères éclaire la rue en contrebas. Je m'y précipite en hurlant. Il faut que quelqu'un sorte enfin de cette ville morte, me recueille et me protège.

Soudain, une voiture stoppe devant moi. Je suis tellement affolée que je ne l'ai même pas vue arriver. Ses phares m'éblouissent.

Je remue dans la lumière aveuglante comme un pantin pris au piège.
Les portières s'ouvrent. Deux personnes descendent.
Je tente de contourner le véhicule pour m'échapper. Les méchants sont là, ils vont me prendre et m'emporter.

Je tombe dans les bras de mon grand-père. Me débats comme une forcenée.
- Là, c'est fini... Calme-toi... Chuuuut...
Il me soulève comme une brindille. Le tissu de son manteau épais me râcle les joues. Sa chaleur m'apaise. Ma mamie me caresse les cheveux.
- Ton papa et ta maman sont partis au cinéma... Ils vont bientôt rentrer... Tout va bien...
Les mots me parviennent à travers une brume.

J'ai beau m'abandonner leur mélodie rassurante, je ne suis pas convaincue.
Pourquoi m'auraient-ils laissée seule ?

Ensuite, tout devient vague. Je sais que mes grands-parents m'ont recouchée, mais j'ignore dans quel lit. Je crois qu'ils m'ont veillée jusqu'au retour de mes parents. Que ceux-ci ont été bien étonnés d'apprendre que je m'étais levée en pleine soirée. Je devais sûrement bien dormir, à l'époque.

Le pire de tout, c'est que je ne sais même pas si ce souvenir est exact. J'ai questionné il y a longtemps ma mère et ma grand-mère à ce sujet. Elles m'ont juré ne pas s'en souvenir, et je les crois.
Pour moi, oui, sans doute aucun, ces scènes sont réelles. Elles ont la précision et l'acuité des choses qu'on n'invente pas. Si je retourne profondément en moi-même, je peux même en éprouver à nouveau les sensations, redevenir cette petite fille qui se débat dans le noir, la gorge oppressée par la panique.
La peur primale de l'abandon ne m'a pas non plus quittée. Bien sûr, avec les années, j'ai composé avec elle, l'ai apprivoisée à un tel point que je suis maintenant capable de m'en moquer.
Comme les fantômes qui rôdaient dans ma chambre ce jour-là, je la chasse d'un revers de main.
Mais le problème avec les spectres, c'est qu'ils ne cessent de réapparaître...

 

 

 

2e photo : René Jacques.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Lundi 21 janvier 1 21 /01 /Jan 21:15

Qu'est-ce qu'un véritable ami ?
Mon père a déjà sa réponse : quelqu'un qui vous aiderait à cacher le corps que vous venez de tuer. En pleine nuit, sans vous poser de questions ni vous dénoncer à la police.
Pour une fois, je suis d'accord avec lui.

Qu'est-ce que l'amour véritable ?
Je ne l'ai jamais demandé à mon père, mais peut-être partagerait-il mon opinion.
À mes yeux, l'amour véritable est forcément absolu.
Il ne se mérite pas, ne se gagne pas, ne se conquiert pas. Toute lutte, tout enjeu, toute manigance lui sont étrangers.
L'amour véritable ne tient ni à notre intelligence, ni à nos capacités, ni à notre physique.

Tous ces éléments ont probablement compté au début mais, chemin faisant, ils sont devenus accessoires : qu'on devienne le dernier des cons ne lui serait même pas un obstacle.

L'amour véritable
ne se nourrit de rien sauf de la gratitude infinie de savoir que l'autre existe. Qu'il est vivant quelque part, même si ce n'est pas à côté.
L'amour véritable se fiche de tout, à commencer par les conventions : les mépriser serait déjà les prendre en compte. Mais il flotte tellement au-dessus d'elles qu'elles ne l'atteignent même pas.
L'amour véritable n'est ni un cadeau, ni offrande, ni un don. Il est tout cela à la fois. Tout cela et davantage. Mais pour désigner cet au-delà, aucun mot n'existe.
L'amour véritable rend l'autre qui en est l'objet plus important que nous-mêmes.

L'amour véritable est ou n'est pas.
Tout simplement.

Co
mme la plupart des mères du monde, la mienne m'aimait de cet amour-là. Sans conditions, infini, tripal, il l'aurait poussée à sacrifier sa vie pour sauver la mienne.
Je le compris autour de mes dix ans. Mais comprendre est un mot faible. Je fus plutôt assommée de son évidence ou de sa clarté.


Au cours d'une balade en montagne, mes parents et moi trouvâmes une maison abandonnée. J'y entrai, poussée
par la curiosité. Dans une armoire vermoulue s'empilaient des magazines pour enfants. Je les feuilletai, les triai, empilai à terre ceux qui m'intéressaient. Mal à l'aise à l'idée de m'en emparer, mais rassurée par la certitude de ne léser personne.

Si je ne les prenais pas, ils pourriraient ici...
Tout excitée par mes trouvailles, Je dus heurter l'armoire trop violemment. Elle vacilla puis bascula sur moi.

Paniquée, je la retins à bout de bras. Mais je n'étais pas bien forte. Très vite, mes muscles devinrent douloureux. J'eus beau m'arc-bouter au sol, je tremblais comme une feuille et le meuble gagnait du terrain.

De plus en plus penché, il me menaçait de toute sa hauteur, de tout son poids.
Encore une minute et je finirais écrasée.


Sans réfléchir, je hurlai à plein poumons le cri qui sauve, qui protège des maléfices comme de la mort :

MAMAN !!
Ce fut comme un miracle.
Sa fine silhouette s'encadra sur la porte béante. Elle ne cria pas, ne me gronda pas. 
Aussitôt elle se précipita à ma place en m'ordonnant :

- Va-t'en !
Son ton était sans réplique. Coupant et si inhabituel dans sa bouche.

 Je devais obéir mais j'hésitais : si je partais, je l'abandonnais. Et c'était elle qui mourrait.

Par ma faute.
- Va-t'en !
Je lâchai l'armoire. Esquissai deux pas de côté.

La honte et la peur m'embrasaient alors que les sanglots me secouaient. Et pourtant, je laissais ma mère seule face au monstre.

Elle s'écarta d'un bond. L'armoire tomba au sol dans un grand fracas.
Nous nous regardâmes, saisies. Elle me serra dans ses bras pour me consoler. Me consoler... Moi la mauvaise fille qui, de son point de vue d'enfant, ne méritait pas ses baisers mais une bonne paire de claques.


Une autre scène encore : nous roulons en camping-car, à nos places habituelles. Mon père au volant, ma mère au milieu, moi à sa droite, contre la vitre.
Barbara ou Jean Ferrat tourne en boucle sur l'autoradio. Je ne comprends pas les paroles, la musique et la route me soûlent, je m'ennuie. Je veux chasser les drôles de pensées qui m'obsèdent, mais elles reviennent et me contraignent à demander :
- Maman... Si j'étais malade, est-ce que tu me donnerais un rein ?
Mon père grommelle une phrase incompréhensible.

Ma mère se tourne, à moitié surprise. Elle est habituée, je crois, à mes questions bizarres.
- Bien sûr, ma puce.
Me voilà tranquillisée pour cinq minutes. Mais sa réponse ne me suffit pas.

Alors, le cœur battant, je m'entends poser - non sans perversité - la question fatidique :
- Mais si un seul rein n'était pas assez... Maman, me donnerais-tu les deux ?
Mon père me hurle d'arrêter mes idioties. Ma mère tente de le calmer, de m'expliquer qu'on peut vivre avec un seul rein.

Mais la médecine, je m'en fiche.

Je veux, j'exige d'en savoir davantage, alors je repose ma question.
Ma mère, au bord des larmes, me dit que oui. Que je suis son enfant, qu'elle me donnerait ses reins, son sang, sa moelle.
Mon père devient hystérique.
Ma mère pleure.
Moi, je me sens minable. Minable mais rassurée.

J'ai grandi avec cette certitude : quoi que je fasse, qui que je devienne, ma mère m'aimerait toujours. Elle ne m'approuverait pas forcément, je pourrais la décevoir, la blesser, même la renier, cela ne lui ôterait pas, jamais, cet amour sans limites. Parce qu'elle m'a désirée, portée, que je suis sa chair... ou sa chère, en dépit de tout, envers et contre tous.
Seule la mort avait le pouvoir de briser ce lien.
Comment exprimer autrement que depuis, je me sens orpheline ?

L'amour veritable 3bisCet amour-là, j'aurais juré ne jamais le (re)connaître.

Erreur : c'est celui de mon compagnon pour moi. Superstitieuse comme je le suis, j'aurais dû le prévoir le jour de notre rencontre. Tandis que je m'acheminais vers lui, je mis mon I-Pod en lecture aléatoire, le sommant de jouer la chanson qui correspondrait à ce rendez-vous.
Jubilator choisit parmi des milliers de titres L'amour véritable.
Quand t'aimes quelqu'un, tu ne veux pas le voir souffrir

Quand t'aimes quelqu'un, est-ce que tu l'aides à se détruire ?

 
L
'amour véritable...

Lui-même m'a dit qu'il l'éprouvait pour moi et surtout, me l'a prouvé. Bien avant qu'il ne me l'avoue de crainte de m'effrayer, je m'en doutais car je l'avais ressenti, tout en me défiant de mon intuition.

Cet amour désintéressé est le plus beau des cadeaux mais aussi la plus écrasante des responsabilités, bien qu'il n'exige rien en retour. Ni la réciprocité, ni même la présence.

Si j'estime que je m'épanouirais mieux sans lui, il me suffirait de lui dire. Il me laisserait partir. Mieux, il m'aiderait à le quitter en passant par dessus ses sentiments, dût-il se couper un bras.
Et il sait aussi, comme je le sais, que je suis incapable de lui rendre la pareille : depuis la mort de ma mère, mon cœur s'est brisé.
Depuis, je n'ai jamais pu aimer comme auparavant. Parce que me reconstruire m'a sûrement endurcie, mais surtout usée. À bout de souffle, épuisée et tétanisée par la peur de perdre ceux que j'oserais aimer.

À mes yeux, la vie n'est maintenant qu'une suite de séparations.
Aux siens, c'est l'inverse : pour qu'il y ait séparation, il faut qu'il y ait rencontre.
C'est la logique pure et pourtant... Je souhaiterais, désespérément, envisager les choses de son point de vue.
Autant dire que c'est pas gagné.

 

 

 

2e toile : Gustav Klimt.

Photo de Saudek.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Vendredi 18 janvier 5 18 /01 /Jan 03:09

Aujourd'hui, j'ai passé une excellente soirée en charmante compagnie. Nous étions trois, deux filles et un garçon.
À tout seigneur tout honneur, c'est le garçon qui a choisi le restaurant. À peine y ai-je mis les pieds qu'une conclusion s'imposait : il a bon goût, ce garçon.
Le lieu était en effet parfait. Chic sans ostentation, avec un service attentionné mais pas pesant, une carte raffinée et des vins succulents.
Pris par la conversation, nous n'avons pas vu les autres clients s'éclipser. Vers 1h30, nous étions les seuls irréductibles à siroter notre verre.
Les serveurs attendaient qu'on lève le camp en trinquant de leur côté. Aucune  signe d'impatience de leur part, aucune pression pour nous faire partir plus vite.
La grande classe.

Une fois sortis du restau, nous avons longé la rue déserte. Le garçon avait garé sa voiture à proximité et, courtoisie oblige, il a proposé de nous ramener. Nous lui avons de notre côté proposé de prendre un taxi. Avant de nous engouffrer séance tenante dans son véhicule.
Une fille à l'avant, une fille à l'arrière, le garçon était cerné. Pas le moment de commettre un faux pas ense prenant les pieds dans le frein : après avoir témoigné de ses compétences en œnologie, il lui revenait à présent de démontrer son talent de conducteur.
Charge écrasante s'il en est, surtout en pleine nuit... Arriverait-il à nous conduire à bon port en échappant à la maréchaussée ? Aux rues en sens interdit et unique séparant la Madeleine des deux coins de la capitale ?
Le mystère planait...
Perverse, j'avoue que je jouissais d'avance de sa confusion - et du total manque d'aide que je pouvais déployer pour le guider jusqu'à chez moi. Vraie bille en orientation, je me perds même dans les appartements. Ma manie ? Ouvrir le placard à chaussures au lieu de la porte d'entrée (ce qui, pour une sortie théâtrale, confine au ridicule).

 

C'est alors que le garçon décida d'ouvrir la boîte à gants. A priori, aucun rapport avec la (bonne) direction à prendre.

Mais à l'intérieur, gainée dans sa housse grise, gisait l'arme qui allait déjouer mes plans. L'attribut mâle par excellence, le prolongement d'un doigt viril désireux de ramener les poulettes à leur domicile : le GPS.


C'est par où2Extraire l'engin de son enveloppe fut rapide. En revanche, l'initialiser réclama un certain temps... ou  un temps certain. Composer le nom de ma rue plus encore, vu que nous nous bagarrions pour taper sur les touches.

Et lorsqu'il fallut entrer le nom de l'autre destination (celle de la belle passagère arrière), ce fut la fin des haricots : le résultat tout en consonnes défiait la toponymie parisienne.
Autant dire que partis comme ça, on n'allait pas se rendre bien loin.
Nous nous disputâmes le clavier pour avoir le droit de mieux taper dessus. Aussi contrariant que rétif, ce machin ne méritait d'ailleurs pas un autre traitement.
Sans me vanter, je crois que j'ai gagné haut la main...

Un quart d'heure plus tard, je sortais de la voiture. Le garçon partit accompagné vers l'autre bout de Paris avant de rentrer chez lui.
Dans mon esprit, cela ne faisait aucun doute : sans son GPS, notre conducteur serait encore en train de tourner.
Au petit matin, il se serait résolu, vaincu, à allumer une fusée de détresse.
Et moi, pour le localiser, à lancer une balise Argos.

 

 

Pin-up de Gil Evgren.

Par Chut ! - Publié dans : Au jour le jour
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Mercredi 16 janvier 3 16 /01 /Jan 03:39

Depuis que je sais tenir un stylo, je veux écrire des livres.

Gamine, je m'enfermais dans ma chambre pour noircir des pages de cahier. Personne ne devait me déranger : je créais. Puis, toute fière, je montrais mon texte à ma mère.
Elle avait la gentillesse de le lire sans sourire et de me féliciter. Elle pensait sûrement que cette lubie de petite fille sérieuse me passerait à l'adolescence, avec le maquillage et les premiers flirts.
Elle se trompait.

Ado, j'écrivais toujours. Des histoires sombres qui me hantaient mais que j'abandonnais en cours de route. Sauf une, qui me tenait particulièrement à cœur. Intitulée Les Yeux-Miroirs, elle était si effrayante que je tremblais en la rédigeant.
Je m'étonnais moi-même de sa
noirceur et de sa violence extrêmes.
À mesure de la rédaction, je sentais un abîme s'ouvrir en moi. Un gouffre monstrueux duquel sortaient, libérés, mes démons sans muselière.
Peut-être est-ce là que j'ai compris que mon "je" était un autre. Que sous la surface apparemment lisse de ma conscience s'agitaient des formes troubles, immondes, innommables. Pour les désigner, un seul mot me venait : la boue.
En écrivant, je m'éclaboussais.

J'étais trop jeune, la peur trop forte. J'abandonnai ma nouvelle, tentai de passer à une autre. En vain. J'étais déjà salie, je devais à présent patauger.
Ce texte me réclamait d'en finir avec lui.
Je le repris à contrecœur.
Lorsque je tuai mon héroïne, je claquais des dents.
Lorsque je traçai
le point final, je me sentis à la fois délivrée et prisonnière.

Un nouveau cycle commençait : celui des histoires terribles que j'étais capable de terminer.

Jeune adulte, j'écrivis un recueil de nouvelles. Je fis circuler mes préférées au compte-gouttes. Un copain les jugea trash, une jeune prof de fac intéressantes, ma mère inquiétantes et mon père insupportables. Il cala d'ailleurs à la page trois. Puis me demanda ce qu'il m'avait fait pour que je commette de telles horreurs, avant de conclure que ma place devrait être à l'asile.
Les contacts avec les éditeurs n'aboutirent pas.
Leur fin de non-recevoir me paraît aujourd'hui justifiée : ma prose n'était pas fameuse. Une petite maison m'envoya toutefois une lettre d'encouragements pour m'inviter à persévérer. Ce que je tentai de faire sans succès.
Manque de temps, d'inspiration, cursus prenant... Toutes les excuses étaient valables pour me défiler. Hormis deux années consacrées à bûcher comme une dingue, la vérité est que je n'y arrivais plus.



Ecrire2Écrire ne m'avait jamais été facile. Mais là, l'exercice virait à la torture.
Imaginer une intrigue me mettait dans tous mes états. J'avais des idées en quantité, mais aucune ne s'imbriquait dans l'autre. Malgré mes efforts, leur fouillis refusait de s'assembler.

Aligner trois phrases correctes me prenait des heures.

Composer un paragraphe, des jours.

 Terminer un chapitre, des semaines.
À bout de nerfs, furieuse contre moi-même, jamais satisfaite du résultat, j'abandonnais.

C'est toujours lorsque je brûlais d'écrire que rien ne venait.

Combien de fois me suis-je retrouvée à ma table, à me triturer la cervelle ?

Combien de fois ai-je acheté un nouveau cahier, créé un document vierge ?
Je pensais n
aïvement que le support résoudrait le problème.

Évidemment, je me trompais. Le problème n'était nulle part, sauf à l'intérieur.

Le problème, c'était moi.

Et le fond du problème, qu'écrire me collait une trouille bleue.


Mes études ne m'aidaient pas, non plus. Disséquer des chefs-d'œuvres force à en rabattre sur ses prétentions. Que dire qu'ils n'ont jamais dit, en mille fois mieux ?

Comparé à leur style flamboyant, le mien était pâle. Laborieux, sans patte ni saveur ni couleur. Quelconque.
J'essayais
de ruser en écrivant à la manière de. Mais pour égaler l'Albert Cohen de Belle du seigneur, il faut se lever tôt.

Ma production était au mieux un pastiche, au pire un décalque insipide.

Je pourrais aussi avancer d'autres raisons, mais ce serait mentir.
J'avais peur, voilà tout.

Peur de découvrir que je m'étais trompée de vocation. Que j'étais incapable de donner forme et vie à ce qui me poignait depuis l'enfance. Contrainte à tourner autour de l'écriture sans jamais entrer dedans. Condamnée à fantasmer ce que je pourrais être sans jamais le devenir. Parce que je n'en ai ni l'estomac, ni les reins, ni le souffle.

En trois mots comme en cent : pas le talent.

À mes propres yeux, j'étais une terre brûlée. Pas même en friche, morte. Une femme stérile au ventre-cimetière d'embryons avortés, de projets destinés à ne jamais voir le jour.
Pour être un artiste raté, il faut déjà commencer par être artiste.
U
n écrivain sans œuvre n'est rien, pas même un nom sur la couverture d'un roman oublié.

Depuis la naisance de ce blog, je veux croire que quelque chose s'est dénoué. À commencer par mes doigts, qui courent maintenant sur le clavier. Pas aussi vite que je le souhaiterais, évidemment.

Rédiger un article, surtout très personnel, me prend du temps.

Par exemple, trois bonnes heures ont passé depuis que j'ai entamé celui-ci.


Le soleil va bientôt se lever mais je m'en fiche. Pas question de le lâcher avant de lui avoir réglé son compte, même si ensuite, je ne pourrai pas dormir.

Plus j'y pense, plus j'y travaille, plus ce blog m'apparaît pour ce qu'il est : un moyen de formuler des pensées disparates, qui n'auraient pas leur place ailleurs ; un défouloir à ma monomanie ; mais surtout, une gageure en forme de revanche sur l'écriture.

J'y consigne l'intime, sa boue et ses démons. Et en me livrant à eux, je les apprivoise.

L'étape suivante ? Ce roman dont j'ai tant rêvé.

Par Chut ! - Publié dans : Bribes perso
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Mardi 15 janvier 2 15 /01 /Jan 19:11

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À chaque fois que j'écoute cette chanson, je retourne en Chine.
Jujube (mon i-pod) était tombé en panne à Dalat, dans le sud-ouest du pays. Impossible de le faire réparer là-bas... Je me résignais à voyager sans musique jusqu'à Kunming. Et même si la ville regorgeait de magasins informatiques, remettre Jujube d'aplomb ne fut pas une mince affaire.
Au bout d'une après-midi entière de manipulations, il ressortit de la boutique en état de marche... mais intégralement vide, à l'exception d'un titre de rock qui cartonnait dans le pays !

Le "nourrir" dépassait mes capacités (ou ma connaissance du chinois : j'ai bien expliqué ça et là que je voulais remplir
Jujube... mais avec avec mes dix pauvres mots, personne ne m'a comprise !).

Heureusement, sur l'île de Hainan, tout s'arrangea : je sympathisai avec deux Suédois munis d'un ordinateur. La totalité de leur fichier musique atterrit dans Jujube. Je découvris ainsi la production
made in Sweden, une foule de chanteurs "ados", des groupes métal... Pas fan de tout, mais c'était toujours mieux que rien.

Puis, par une journée torride sur la plage, la lecture aléatoire s'arrêta sur
Mister Jones. Coup de foudre immédiat. Je la passais et repassais sans m'arrêter. Je m'endormais avec, me levais avec. Me serais volontiers baignée avec, si Jujube avait été insubmersible.
Certaines chansons sont comme des personnes : elles vous apprivoisent, vous prennent par les sentiments, vous accompagnent partout. Vous les avez dans la peau, la tête, le cerveau.
Ce fut le cas de celle-ci. Elle m'a suivie jusqu'à la fin du voyage, bercée dans les bus et les trains, remonté parfois le moral. 

Un flash parmi d'autres : je suis à Sanya (la station balnéaire en vogue de Hainan), assise au fond d'un bus avec
Giuseppe, un Italien de Shanghaï. Nous revenons de la plage en partageant le casque de Jujube : un écouteur pour chacun. La voix chanteur des Counting Crows nous égrène ses Mister Jones à fond dans les oreilles. Giuseppe entonne le refrain à pleine voix, faisant se retourner nos voisins. Je regarde par la vitre le soleil se coucher, les couleurs pâlir lentement. Alors que le paysage défile, j'ai l'impression que la mélodie s'agrège à la route, aux arbres, aux collines. Comme si le décor lui-même devenait musique.

À Shanghai, Giuseppe m'a gravé plusieurs albums des Counting Crows. Je les ai beaucoup écoutés à mon retour en France. Mais malgré mes recherches, jamais je n'ai retrouvé la version de Mister Jones qui me plaisait tant.
Certains souvenirs sont destinés à le rester. Ce n'est peut-être pas un mal, finalement.



Pour écouter Mister Jones :
-
One of my favourite...
-
La "classique"

Par Chut ! - Publié dans : Juke-box
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