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En lisant, carnet de bons mots

Dans ces bras-là...


Ça tombait bien, au fond, cette foudre me transperçant à la terrasse d'un café, c'était un signe du ciel, cette flèche fichée en moi comme un cri à sa seule vue, cette blessure rouvrant les deux bords du silence, ce coup porté au corps muet, au corps silencieux, par un homme qui pouvait justement tout entendre.

Il me sembla que ce serait stupide de faire avec lui comme toujours, et qu'avec lui il fallait faire comme jamais.


Camille Laurens.

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C'est pas la saint-Glinglin...

... Non, aujourd'hui, c'est la sainte-Aspirine.
Patronne du front lourd et des tempes serrées, des nuits trop petites et des lendemains qui déchantent.
L'effervescence de ses bulles, c'était la vôtre hier.
Aujourd'hui, embrumés, vous n'avez qu'une pensée : qu'on coupe court à la migraine... en vous coupant la tête.

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  • plongeuse nomade
  • Expatriée en Asie, transhumante, blonde et sous-marine.

Andrea d'ébène

Lundi 29 décembre 1 29 /12 /Déc 05:19
- On a dit qu'on regardait le film !
- Oui, oui. Mais je préfère te regarder, toi.

Je fixai Andrea comme s'il était fou. Il faut dire qu'à l'écran, il y avait
Carole Bouquet et dans ma bouche, un morceau de pizza. Celle que nous avions commandée alors que nous devions dîner dehors.
Nous devions, oui. Mais le lit était trop chaud, l'heure trop tardive et l'envie de rester là, juste l'un contre l'autre, trop douce pour affronter le froid de la rue.

Charlotte Rampling entra dans le cadre.
- Elles sont vraiment belles, ces deux femmes, glissa Andrea.
Je me tournai vers lui. Dans ses yeux attachés à mon visage, il y avait parfois une drôle de lueur.

La première fut lors de notre première nuit. C'était l'étincelle de ceux qui vont faire une bêtise ou l'ont déjà faite sans penser que c'en est une.
Là, aucun rapport. C'était l'éclat tremblant de ceux qui espèrent vieillir aux côtés de leur femme et la regardent se rider en la trouvant toujours belle.

- L'idée que tu partes pour un long voyage m'est insupportable. Celle de te perdre encore plus. Tu comprends ?
Bien sûr que je le comprends. Certainement mieux qu'il ne le pense, car ses mots rejoignent ceux de Feu mon amour :
-
À cause de l'éloignement j'ai peur de perdre les gens et surtout la femme que j'aime. Qu'elle ait trop changé pour que je la retrouve. Trop grandi, évolué sans moi pour me laisser encore une place dans sa vie. Les absences détruisent et j'en ai assez de détruire.
Je lui donnai raison avant de penser, plus tard, que les absences servent aussi de révélateurs.

- Avec toi je me découvre jaloux, m'avoua Andrea. Tu comprends ?
Bien sûr que je le comprends, comme je sais que pour un homme en quête de stabilité je ne suis guère rassurante. Flexible et poreuse, je n'ai rien de la minéralité des ports d'ancrage. Pourtant, je peux être aussi têtue que le marin de garde mourant en pleine tempête, les mains agrippées au gouvernail, les yeux rivés sur un phare qu'il est le seul à voir.

- Arrête le film, veux-tu ?
Je lui obéis. Andrea m'enlaça.
Une fois de plus, il partit très en retard, emportant dans ses cheveux mon parfum, ma peau et mon sexe.
- Tant pis si elle est déjà à la maison. Il faudra bien un jour que ce mensonge s'arrête.
Elle fut encore plus en retard que lui, confirmant ainsi ce que je pensais : lorsque l'autre est décidé à l'effacer, un aveu n'est rien. Il n'existe même pas.
Par Chut ! - Publié dans : Andrea d'ébène
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Vendredi 19 décembre 5 19 /12 /Déc 05:42
J'allumai une cigarette en disant :
- C'est ça qui me fera mourir.
- Je ne veux pas que tu meures
, me dit Andrea.
Il fixa la fumée échappée de ma bouche, n'osant toutefois écraser le bout incandescent dans le cendrier.
- Je ne veux pas arrêter.
- Je te ferai la guerre, alors.
Et il me fit la guerre, mais la guerre tendre et douce sur le sommier.

À propos de moi j'ai toujours eu deux certitudes.
La première, que j'étais stérile.
La deuxième, que je mourrais jeune, à 32 ans.
Lorsque j'eus cet âge, ce fut ma mère qui mourut. Je mourus aussi, effleurée toutefois par le soupçon que je m'étais trompée.

- Nous mourrons tous un jour, tu sais.
Alors que j'éteignis mon mégot, je souhaitai que ma mort fût rapide.
Si je n'ai pas peur de mourir, j'ai celle de souffrir comme j'ai le désir de m'éteindre vite et bien, sans fioritures, sans vieillir ni déchoir, nuque brisée comme ma mère emportée dans le grand blanc.

- Qu'as-tu pensé au moment où tu as compris que tu allais mourir, maman ? As-tu pensé à moi ou
vu ta vie défiler ?
Je me suis posé cette question jusqu'à la torture, les yeux débordant de la mousson indienne derrière la vitre d'un bus, ruisselant de la mer battant Hainan par pleine lune, asséchés comme du papier fatigué d'avoir trop bu mes larmes à Paris, lors de ces nuits d'insomnie où je savais qu'une fois endormie, je la verrai, elle, dans mes cauchemars ou mes rêves.
À mes questions jamais je n'aurai de réponse.
Alors je les ai abandonnées dans le grand blanc qui l'a prise en les rendant à lui.
Toutes mes peines dissoutes dans le grand blanc qui les lave et les emporte.

Allongée dans le funerarium sur son cercueil dans l'odeur des bougies et des fleurs, bouche étreignant la plaque scellant son décès, je lui ai juré que tout irait bien. Que je tiendrais debout et serais heureuse.
- Je ne veux pas que tu meures
.
- Je ne veux pas être stérile.
Et Andrea me fit la guerre, mais la guerre tendre, douce et lente, peut-être juste pour me faire mentir.

Ce blog a un an cette nuit.
Happy birthday et... longue vie à lui :)
Par Chut ! - Publié dans : Andrea d'ébène
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Jeudi 18 décembre 4 18 /12 /Déc 00:07

"Demain... 15h00 ?"
Le message arriva en pleine nuit. J'hésitai avant de répondre d'un seul mot :
"Oui."
Un "oui" qui n'avouerait rien s'il était intercepté, mais un "oui" qui avouait tout. Andrea et moi ne devions pas nous voir aujourd'hui, mettant ainsi fin à l'addition de nos rendez-vous quotidiens.
Dix moins la soustraction de deux, week-end oblige.
Au dixième jour, allongée sur lui après l'amour, je lui dis :
- Avec toi j'ai envie. Envie de sérieux et de futile, de cafés, d'expos, de balades, puis de toi et moi dans un lit.
Je tordis ses cheveux, les fourrai dans sa bouche pour étouffer sa réponse.
Trop tard. Elle avait déjà fusé :
- Moi aussi, j'ai envie. La prochaine fois, voyons-nous dehors, tu veux bien ?

Je l'attendais sur la place. Une caresse le long de ma taille me poussa à me retourner.
Andrea était là.
Mon premier mouvement fut de l'enlacer. Il se recula.
"Évidemment, pensai-je. Toujours se méfier des premiers mouvements."
Je reculai aussi, d'un pas entier, comme s'il n'était qu'un copain retrouvé après une longue absence. Un copain ou une connaissance avec qui je n'aurais pas grand-chose à partager.
Ma joie retomba en soufflé.
- Marchons, ordonnai-je.

Nous marchâmes sans savoir où aller.
Je proposai le Père-Lachaise. Andrea déclina. Je compris. Un cimetière n'est pas le lieu rêvé pour une promenade en amoureux.
Je résistai alors à un autre premier mouvement en forme de confession : enfant, j'adorais les cimetières, leur ombre fraîche et
leur calme profond.
D'ailleurs, quand je m'ennuyais trop, ma grand-mère me proposait :
- Tu veux qu'on aille au cimetière, ma puce ?
J'enfilais mes chaussures sans les lacer, courant devant elle pour arriver plus vite et pousser seule la grille qui grinçait. Étrangère au drame comme à la mort, mais saisie malgré moi par la solennité des croix dressées contre le ciel.

Me rendre au cimetière était mon plaisir de petite déjà grande. Un qu'il fallait taire parce que mes parents l'auraient jugé étrange, reprochant peut-être à ma grand-mère de flatter ma bizarrerie.
- Tu mets à la gamine de drôles d'idées en tête, lui auraient-ils certainement reproché.
La gamine que j'étais se fichait bien de la mort. L'adulte que je suis devenue pense qu'il ne faut pas lui tourner le dos, sous peine qu'elle nous attrape par surprise.
Le drame fait partie de la vie mais nous le refusons. Et là est en vérité le drame de la vie.
Il est néanmoins des discussions plus joyeuses pour un après-midi à deux.
Je me tus donc alors que nous nos dirigions à l'opposé du Père-Lachaise.

Sur le boulevard, je veillais à garder mes distances avec Andrea. Nos corps hier confondus ne devaient pas se côtoyer de trop près, mon épaule ne pas chevaucher sa poitrine, ma main ne pas frôler la sienne.
Parfois, comme par réflexe, mes doigts se tendaient pour agripper les siens. Ils ne happaient que le vide jusqu'au moment où, las de se replier, ils atterrirent dans ma poche.
Andrea me parlait d'une voix douce. A
gressée par le bruit des automobiles, ne l'entendant qu'à peine, je distribuais mes répliques au hasard :
- Oui. Non. Peut-être.
- Ça n'a pas l'air d'aller.
- Oui. Non.
- Ça ne va pas ?
- Hein ?

Subitement je me demandai ce que je fichais sur ce boulevard, à trois pas d'un homme que je voulais dans mes bras, cinq doigts recroquevillés dans ma poche au lieu d'entourer son sexe.
- Tu fais chier, eus-je envie de lui lancer tout à trac.
Comme pour le cimetière, je me tus. Il est des phrases plus agréables pour ne pas plomber un après-midi à deux.
N'empêche que cette rue était interminable. Et que ma frustration, mue peu à peu en colère, brûlait de déverser ses mots acerbes :
- Tu crains quoi, au juste ? Qu'un espion ne te suive ? Que ta copine ne se cache derrière un réverbère ? Ah non, je suis bête... Tu crains d'être vu avec moi. Ah oui, pour sûr, être surpris en ma compagnie serait infâmant. Une vraie tuile sur Tchernobyl, il semblerait même.
La main d'Andrea serra un bref instant mon poignet.
Aussitôt, le balancier de mes pensées repartit dans l'autre sens.
- Oh, arrête de te plaindre ! Tu connais les règles, non ? Si tu les acceptes, tu avances. Si tu les refuses, tu fais demi-tour. C'est aussi simple que ça : tu marches ou tu pars, mais tu cesses de geindre.
Je continuai à marcher, cette fois avec mes souvenirs.

Il y a longtemps, je fus la maîtresse d'un homme marié. Peut-être parlerai-je un jour de ce Petrus qui compta tant et de la prédiction que je lui fis :
- Je te quitterai parce que tu m'auras menée à bout. Ta femme aussi, parce qu'elle ne t'aime plus.
Et toi, à force de ne pas choisir, tu finiras comme les cons finissent, tout seul.
Notre énième et dernière rupture fut aussi violente que notre amour. Alors qu'il me téléphona pour cracher sa peine, je décollai le combiné de mon oreille, le laissai s'épandre pour mieux l'interrompre :
- Tu me me récites du mauvais Musset, là. Au revoir.
Je lui raccrochai au nez. Petrus rappela trois fois, puis plus du tout.
Lorsque nous nous revîmes par hasard, j'appris qu'il m'avait cherchée sans me trouver, mais cela même est une autre histoire.

Avec Petrus j'avais bu jusqu'à la lie la certitude de ne pas avoir de place. J'étais la geisha des heures volées, la muse puis l'intruse qu'on efface à la porte de chez soi. Un cheveu trop blond sur un col de veste, un fard à joues trop compromettant balayés d'une main coupable, un parfum trop entêtant lavé par la douche.
Tout cela, oui, mais aussi une image trop indélébile pour être oubliée, un corps trop présent pour être absent dans l'étreinte conjugale.
- De toi je ne peux me défaire... Tu me manques, tu m'obsèdes, tu me bouffes.
Les mots anciens rejoignaient les mots présents, les premiers aux seconds donnant la main, s'emmanchant dans une ronde infernale, une sarabande virevoltant sous mon crâne.
"Tu me manques, tu me manques...", m'écrivit Andrea lors des dernières nuits.
À ses messages je ne répondis point pour ne pas le compromettre.
Ce silence forcé avait du bon car sinon, j'aurais pianoté :
"Toi aussi."

Comment empêcher les souvenirs du passé de faire écran ? Je l'ignore.
Peut-être d'ailleurs n'est-ce pas souhaitable, puisque qu'on appelle cela l'expérience.
Celle dont au final on apprend si peu pour soi mais dont on fait largement bénéficier les autres du haut de nos "avis éclairés".
Celle dont on se défie pour soi en arguant d'une situation particulière, alors que celle des autres entre, de notre point de vue, dans un schéma.
Celle, qu'oublieux des leçons données, on vit en toute subjectivité alors que celle des autres ne peut être qu'objective.
Le régime de soi n'est pas celui des autres
. À tort dans doute, mais parfois à raison.

Entre Petrus et Andrea puis-je ainsi distinguer des différences. Tandis que le premier tremblait d'être pris, le second tremble mais en souhaitant l'être, en toute inconscience aux deux sens du terme.

Aussi, alors que je m'appliquai à effacer mes traces de leur appartement, Andrea les y laissa.
Le dernier jour où nous nous vîmes chez eux, il abandonna les lieux, couette tachée de mon sang et poubelle renversée sur nos agapes, partant au travail tout en subodorant que sa compagne rentrerait plus tôt de voyage.
- Rentre mettre de l'ordre ! l'enjoignis-je au téléphone.
Il m'obéit, faisant toutefois l'impasse sur le plus beau de mes actes manqués.

La veille, je me fardais dans la salle de bains en plaisantant :
- Si j'oublie ici un rouge à lèvres, elle saura, car jamais une femme ne se trompe sur ses produits de beauté.
Andrea acquiesça :
- Cet indice-là, je ne pourrai pas l'enlever. À mes yeux, tous les rouges à lèvres se ressemblent.

Rangeant mes produits dans une trousse, je ris en l'accusant de n'être qu'un homme.
- Pour vous, la différence est si ténue qu'elle en devient invisible. Comme ce naturel que vous trouvez à certaines, alors que leurs semblables n'y voient que comédie. Seule une femme est en mesure de deviner les artifices d'une autre. Vous, les hommes, n'y voyez que du feu.
Et, une fois le rouge à lèvres appliqué, je posai sans m'en apercevoir le tube sur la machine à laver.
Elle le trouva, bien sûr.
Il prétexta l'oubli d'une copine. Elle le crut, se persuada-t-il.
À mon avis, elle savait.

Elle savait que j'étais là comme l'odeur de tabac, de parfum et d'encens dans les dreadlocks d'Andrea. Mon odeur à moi mêlée de ma peau et de ma cyprine, qu'il ne peut entièrement ôter alors qu'il se lave parce je suis sa tache, l'image de son désir incarné et un corps trop présent, nu sous ses paumes malgré les vêtements.
Dans la Maison Européenne de la Photographie, le lieu que nous préférâmes au cimetière, je l'enlaçai en lui susurrant :
- Pense que ta peau est sur la mienne, ton sexe au fond de ma gorge.
Andrea m'étreignit follement au lieu de me repousser.

Quelques matinées tôt, sous la couette, il me demanda ce que je souhaitais pour Noël.
- Un cadenas, dis-je.
- Un cadenas ? Mais... Ce n'est pas un cadeau.
- Si, c'est même le plus beau. Achète-le où tu veux, dans un magasin de bricolage ou une boutique de luxe, mais offre m'en un.

Ma réponse le laissa pantois. À peu près autant que ce soir où, devant une boutique de belles robes, il me demanda si je voulais me marier.
La question avait tout l'air d'un piège. Plutôt que de l'esquiver, je répondis :
- Non, pas spécialement. Mais si un jour je me marie, ce sera en rouge.
Je n'ajoutai pas
"sur une plage, bronzée, pieds nus, sans témoin autre que le ciel, lors d'une cérémonie sans apprêts, riant de mon bonheur à la gueule des étoiles alors que mon amour me baisera dans le profane et le sacré, parce que baiser est un acte mystique, tellurique, primitif comme celui qui unit le premier homme à la première femme".
- En rouge ?
- Oui, en rouge. En blanc n'aurait aucun sens, et je déteste l'hypocrisie.

Facile à dire, puisque l'hypocrisie, nous baignons tous trois dedans.
Elle qui sait sans savoir, lui qui veut sans vouloir, moi qui sais et veux sans bouger.

Sans bouger comme au dixième jour où Andrea, coulant un œil sur le réveil, se récria :
- Je dois partir.
Et que je l'accueillis entre mes cuisses en lui murmurant :
- Va t'en.
Et qu'il jouit sur mon visage tandis que j'étalais sa semence sur mes lèvres, mes joues, mon menton, mon cou.
- Demain nous nous verrons chez toi, proposa-t-il.
- Oui. Demain. Chez moi. Je t'attends.

Par Chut ! - Publié dans : Andrea d'ébène
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Vendredi 12 décembre 5 12 /12 /Déc 23:47
Il y avait cette femme sur le mur, avec ses lunettes de soleil et sa poitrine nue. Ses épaules soulignées de noir semblaient surgir du blanc, son buste inachevé flotter dans la demi-pénombre.
Le halo sombre du fusain l'entourait d'une légère brume. Se détachant à la lisière du foncé et du clair, la main d'
Andrea ouverte sur la feuille et fermée sur ma nuque.

- J'aimerais te dessiner, me dit-il.
- De dos ?
- Non, de face, avec toutes tes imperfections.
- Celles-là ?
le questionnai-je en effleurant mes cicatrices.
- Pas seulement.
- Mes grains de beauté ?
- Aussi. Je ne te veux pas seulement belle, je te veux vraie. Toi avec tes cicatrices, tes grains de beauté et tes fêlures.


Andrea eut encore une fois ce geste si féminin de rassembler ses
dreadlocks pour les nouer. D'un gracieux tour de poignet, toutes se confondaient en un bloc retenu par une simple natte.
L
orsqu'il fut allongé, je m'amusai à rendre cet ordre au chaos, défaisant l'écheveau de sa chevelure, tirant sur ses serpents noirs, les tordant pour les emmêler à mes mèches blondes, plongeant mes doigts dans leur masse rêche, remontant leurs entrelacs jusqu'à son crâne, là où ses cheveux encore libres crissaient comme de l'herbe sous mes paumes.

- Tu es douce.
À ces mots je mordis ses cheveux et les tirai rien que pour le faire mentir, puis me coulai contre lui et le caressai de toute ma peau pour lui donner raison.
À ses lèvres closes je murmurai des phrases tendres puis crues qui le firent rougir :
- Je suis ton amoureuse et ta salope, ta promise et ta petite pute.
Andrea se défendit, me défendit :
- Ma petite pute... Non... Pas ça.
Pas ça, non, mais son sexe sur mon ventre me prouvait le contraire.

- Tire-moi les cheveux.
J'étais à genoux sur le parquet. À peine m'accroupis-je qu'Andrea me demanda :
- Veux-tu un coussin sous tes jambes ?
- Non.

Ce que je voulais, c'était justement l'inconfort de ce sol dur.
- Tire-moi les cheveux, répétai-je.
Sa main hésitante se posa sur ma tête.
- Tu es sûre ?
Au lieu de répondre, je refermai presque de force ses doigts.
- Utilise-moi, utilise ma bouche. Sans douceur, sans gentillesse. Fais-moi te sucer comme tu en crèves.
Je pris son gland entre mes lèvres pour mieux rester immobile.

Ma totale absence d'initiative dut le surprendre.
Un homme sur un canapé, une femme courbée bouche ouverte sur son sexe, voilà une situation normalement synonyme de plaisir. Sauf qu'à cet instant précis, les signes étaient aussi disjoints que nos regards confondus.
D
ans celui d'Andrea, je lus qu'il était désemparé.
Dans le mien, il lut une volonté farouche.
- Si tu veux du plaisir, viens le chercher.
Tant que tu refuseras de me guider, je ne bougerai pas.
M'empoignant doucement les cheveux, il fit glisser avec précaution son sexe le long de ma langue. Haussant le menton, je me moquai en silence.
- C'est tout ?
Ses yeux se firent plus sombres, sa poigne plus ferme.

À mesure des va-et-vient imposés, l'érection d'Andrea montait, m'emplissant la bouche jusqu'au palais.
Je savais son sexe trop large et trop long pour que je puisse le prendre en entier. Ce qui ne m'empêchait pas de le provoquer encore.
- C'est tout ?
Alors que ses doigts se crispaient contre mon crâne, que ses mouvements devenaient plus pressants, exigeants, mes œillades ironiques me précipitaient vers ma défaite. Vers l'étouffement dû à ce sexe énorme butant contre ma glotte et me coupant le souffle, me forçant à reprendre dans un bref répit une large goulée d'air.
Cette déroute même était ma victoire, signée entre mes cuisses de traînées liquides.
- Tu es trempée, dit-il.
- C'est tout ? objectai-je.

Soudain, la poigne d'Andrea n'était plus timide ni hésitante. Elle était martiale. Et moi, je suffoquai sous ses à-coup en réclamant davantage. Davantage de sa bite entre mes dents, davantage du goût salé de sa jouissance.
Alors qu'il m'empalait jusqu'à la garde, un gargouillis indistinct monta de ma gorge comprimée.
Je le voulais encore mais mon corps
, convulsé par l'envie de vomir, se révoltait.

Andrea me tira en arrière. J'avais la bave aux lèvres et les yeux emplis de larmes.
Il se pencha pour laper l'un et l'autre
, inquiet et murmurant :
- Ça va ? Je t'ai fait mal ?
Mes yeux parlèrent à ma place.

- C'est tout ?

Il rabattit mon visage sur son sexe aussi brutalement qu'il l'en avait dégagé.
Ma gorge à nouveau se contracta. Les larmes à nouveau jaillirent de mes paupières.
Je ne pleurais pas, non. Ou si je pleurais, c'était de plaisir, étouffée d'être
ainsi comblée, rendue, prisonnière.
Moi
son amoureuse et sa salope, sa promise et sa petite pute.
Moi adorant sa peau, son sexe et sa langue qui tour à tour me pénétraient et me léchaient le visage, me pourfendant et me consolant, m'aimant comme si rarement je fus aimée. Dans la violence et la douceur, pour moi les deux faces assemblées du désir et de l'amour.

-
Je ne te veux pas seulement belle, je te veux vraie. Toi avec tes cicatrices, tes grains de beauté et tes fêlures.
Peut-être sans le savoir, Andrea touchait là à ma faille essentielle. Celle qui me fait courber l'échine en me sentant fière, si fière d'être déchue, laide de mon maquillage défait par mes sanglots, les traits décomposés par la reddition à un plaisir qui me dépasse et que je crains de toute cette force brute qui justement me dépasse.
Moi et moi âme tout entières abandonnées, tirant une folle ivresse de sa soumission telle l'esclave ployée sous le poids de ses bijoux, mais rehaussée par l'or qu'elle porte à ses chevilles et son cou.
Aussi ne me sentis-je pas humiliée tandis que je rampais aux pieds d'Andrea dans la cuisine puis la salle de bains,
haletante, ses doigts fichés dans mon cul.

La magie se brisa lorsque son téléphone sonna.
- Oui, ma puce, je suis à la maison.
Mes lèvres moururent sur son sexe.
- Je suis fatigué, je vais me coucher.
Andrea voulut forcer la barrière de mes lèvres. Je me débattis pour m'échapper entre ses jambes écartées. Il m'attrapa par la taille mais je le giflai, parcourant à rebours le chemin de ma soumission, me redressant en réfrénant l'envie sauvage de le mordre.
- Non, non, ma puce... Je t'assure, tout va bien.
Une fois parvenue au salon, je m'assis
raide comme une planche sur le canapé.
- À demain, mon ange.
Lorsqu'Andrea me rejoignit, il avait l'air coupable de l'homme pris entre deux femmes. Moi, les poings serrés de rage.
Il voulut m'attirer contre lui. Je le repoussai.
- Pourquoi ? dis-je simplement.
- Je ne sais pas... Peut-être parce que je suis en colère.
- En colère contre... ?
- Je ne sais pas.
-
Ne te sers pas de moi contre elle. Elle ne mérite pas ça, et moi non plus.
- Je suis désolé. Je suis perdu, tellement perdu. Pardonne-moi, je t'en supplie.
- Ce n'est pas à moi qu'il faut demander pardon
.

Beaucoup plus tôt, alors qu'Andrea me pénétrait et que le préservatif dressait entre nous sa barrière fragile, je lui dis :
- Je ne prends pas la pilule.
Jamais je ne vis sourire un homme aussi largement.
- Alors, s'il craque, je pourrais te faire un enfant... Tu voudrais un enfant ?
- Oui,
dis-je en étreignant mes côtes.
Andrea vint en moi avec plus de vigueur.
- Tu le garderais si tu tombais enceinte de moi ?
- Oui... Parce que... C'est peut-être le seul que je pourrai peut-être avoir...

Là n'était pas, bien sûr, toute l'explication.
Un enfant par défaut, parce que c'est le seul que mon corps rafistolé ne pourrait porter, n'a jamais fait partie de mon plan de vie.
Plus qu'un enfant, je désire un père. Un père qui serait avant tout mon homme, mon mec, mon chéri, mon amour, ma désirade.
Alors qu'Andrea s'immisçant en moi me faisait gémir, une phrase innocente (?) d'Ether me revint en coup de poing :
- Il serait un beau métis.
Si la beauté de cet enfant était comparable à cet instant sur le fil, il serait parfait, oui.
Aussi parfait qu'Andrea et moi concevons le moment de pure magie où il serait créé :
- A
vec elle je ne peux avoir un enfant parce que...
- Tu veux que ce soit beau alors que vous faites l'amour,
complétai-je.
- Oui.

Peut-être est-ce pour cela que, d'une manière inattendue, mon projet de long voyage se charge aujourd'hui d'un autre sens. Un auquel je ne pensais pas il y a encore à peine
une semaine.
- Entre elle et toi je ne veux pas interférer. Si votre histoire se termine, qu'elle s'achève parce que vous êtes arrivés en bout de course. Mais pas à cause de moi.
À cette femme qui a partagé dix ans de la vie d'Andrea je refuse de m'opposer. Elle n'est pas ma rivale mais ma sœur, unie à moi par la même tendresse que je lui porte.
D'ailleurs de leur univers je me suis effacée, m'appliquant et le poussant à ôter les traces de mon passage dans leur appartement, me jugeant assez mesquine comme cela pour y avoir séjourné.
- As-tu vérifié que je n'ai laissé aucun bijou ? Aucun livre ?
Le dernier soir, alors qu'Andrea défaillait de sommeil, j'ai même lavé la vaisselle.
Deux assiettes contenant la même nourriture, c'est toujours louche.
De mon passage là-bas je ne veux laisser aucun signe. Non par goût, cette fois, d'une défaite programmée, mais par désir d'un vrai choix.
Sûrement est-ce là que se tient mon orgueil : si Andrea doit me choisir, qu'il le fasse alors même que je quitte le terrain.

Tandis que délirant dans un demi-sommeil, il me supplia de dormir à ses côtés et murmura qu'il était amoureux, je lui opposai mon silence avant de lui glisser :
- Si tu m'appelles un jour ma chérie, je te découpe en morceaux. Pour moi, ces mots-là signifient que tu vas me trahir. Et si tu m'appelles ma puce, je ne verrai pas ton visage mais celui de ma mère ou de ma grand-mère. Elles seules m'appelaient ainsi, mais je ne suis plus une enfant, parce qu'elles sont mortes.
Andrea émergea de son hébétude pour m'étreindre.
- D'accord, acquiesça-t-il, je ne t'appellerai que par ton prénom. Ce prénom qui me brûle alors que je l'appelle, elle, craignant tant de l'appeler par le tien.
Andrea replongea dans les limbes.
- Je sais que tu vas partir, mais reste dix minutes, juste dix minutes.
Sertie entre ses bras lourds d'épuisement, à sa question "Crois-tu qu'on puisse aimer deux femmes à la fois ?", je répondis "Oui".
Lorsqu'il me demanda de ne pas donner mon corps à d'autres que lui, tout en sachant qu'il n'en avait point le droit, je rampai entre ses jambes comme je le fis dans la salle de bains.
- Reste dix minutes encore... Oui, je sais, je suis égoïste... Mais dix minutes, dix minutes encore....
Je m'échappai pour claquer sa porte et chercher, hagarde, la route qui me reconduirait chez moi.

Par Chut ! - Publié dans : Andrea d'ébène
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Lundi 17 novembre 1 17 /11 /Nov 01:20
Nous étions au café lorsqu'Andrea me dit :
- Arrête de me regarder comme ça. Continue de me regarder comme ça.
Mon index effleura sa joue sans que je ne cesse de le fixer comme il ne le voulait pas ou le voulait trop.
Le serveur aussi nous regardait, avec l'envie de celui qui travaillera toute la nuit alors que nous, nous ferons l'amour.
Lorsque nous sortîmes du bar, un passant aussi nous regarda. Sa tête s'inclina d'abord vers mon visage pour remonter, très haut, à celui d'Andrea. Ses prunelles ne reflétaient pas l'envie mais autre chose. De la surprise, peut-être, ou de la réprobation.
J'ai déjà perçu ce regard ailleurs et il me déplaît : c'est celui qui vous dit que, blanche, vous êtes avec un Noir.

Plus tard, mon regard a déshabillé Andrea alors que j'étais déjà nue. Et le sien effleura et ma chair et mes os.
- J'aime tes yeux.
- J'aime les tiens, répondis-je en attirant sa bouche à mon visage.
- J'aime ta bouche.
- J'aime la tienne, répondis-je en la croquant comme une figue mûre.
- J'aime tes baisers.
- J'aime les tiens, répondis-je en glissant ma langue entre ses dents.
- Tu es belle.
- Jolie si tu veux... Et encore, ça dépend des jours. Toi, tu es beau.
- Beau ? Non. En moi je n'aime que mes cils.
Andrea les lissa d'un doigt coquet.

J'éclatai de rire car son corps tout entier est une sculpture d'ébène. Et qu'un homme
d'une aussi grande beauté se croie en toute bonne foi passable, ça me touche.
- Que tes cils, vraiment ? insistai-je.
- Non. En vérité, j'aime aussi mes ongles.
Andrea posa ses grandes mains dépliées sur mes seins. Lorsqu'il les replia, ses ongles y laissèrent de minuscules griffures.

Plus tard, c'est moi qui griffai sa peau en pensant que c'est la mienne. Avec Andrea, les limites de mon propre corps me deviennent étrangères. Je le touche en croyant me toucher, je me touche en croyant le toucher.
Je ne suis plus moi, mais nous. Lui et moi assemblés en un corps immense.

Il n'y a que dans la glace que je nous vois deux : ses longues cuisses appuyées contre les miennes, ses mains emprisonnant mes hanches, son dos courbé jusqu'à mes épaules. Et, toujours, saisissant et magnifique, le contraste entre nos peaux.
Dans la glace, je vois aussi mon front crispé de désir, son profil à demi caché par l'auréole de ses cheveux. Je le vois entrer en moi et mon ventre se creuser pour mieux l'accueillir.
Dans la glace, je le vois aussi si fort qu'
il pourrait me briser l'échine d'un seul coup de coude. Que son sexe-baobab pourrait me déchirer d'un simple coup de reins. Mais lorsque je lui souffle "Attends...", Andrea attend. Et lorsque je lui réclame une fessée, il n'ose qu'une légère pichenette.
- Plus fort, dis-je.
La pichenette devient tapotement
.
- Plus fort...
Le tapotement devient claque timide.
- Plus fort !
- Mais je vais te faire mal...
- Plus fort !!

Andrea m'obéit, parce que je veux sa main imprimée sur mes fesses comme une offrande.

Lorsque la nuit est bien avancée, Andrea me dit :
- Je dois partir.
J'acquiesce et roule sur le côté. Sa main qui me cherche
alors sous les draps me ramène à lui.
- Reste là... Encore un peu... Ne bouge pas...
S'il te plaît...
Souvent je lui désobéis, parce que je veux encore son sexe dans ma bouche. Et alors que je remonte à ses lèvres, il m'étreint et me souffle :
- Tu es ma drogue, ma cocaïne.
Je grimace. D'expérience, je sais que voilà une mauvaise nouvelle. Parce que ne pouvoir se passer de quelqu'un, c'est
forcément douloureux.
Si je deviens nécessaire à Andrea, il souffrira.
S'il me devient nécessaire, je souffrirai.

- Je dois partir
, répète-t-il.
J'approuve encore, me redresse pour sortir du lit. Mais, agrippant mon épaule, Andrea me fait basculer sur le sommier.
- Embrasse-moi... Encore... S'il te plaît...
Je me coule contre lui, caresse sa nuque, tord ses cheveux.
- Pourrons-nous, un jour, être amis ?
Nous nous promettons "oui" en pensant le contraire. Espoir et mensonge des amants qui s'entendent très bien, et surtout trop bien au lit.

- Je dois partir, répète-t-il.
J'opine et jaillis hors des draps.
- Tu veux bien m'apporter un verre d'eau ?
Je reviens avec une bouteille et des clémentines. Il avale une longue gorgée pour me désaltérer à sa bouche. J'engloutis des quartiers de fruits pour le nourrir à la mienne.
Complices, confidents, amants, nous sommes tout dans ce lit-là, et surtout intimes. D'une intimité pure et vraie qui nous permet d'être nous-mêmes, totalement.


Dès le premier baiser, Andrea et moi avions su. Su que c'était la pire des erreurs ou le plus beau des cadeaux. Su qu'il valait mieux en rester là sans en avoir la volonté.
Pourtant,
lorsque je le guidai à demi-dévêtu dans ma chambre, je crus naïvement que nous n'irions pas plus loin. Qu'allongés sur le lit, nous ne nous toucherions qu'à peine.
Si je souhaitais qu'Andrea s'allonge, c'était pour mieux l'admirer.
Mais admirer sans toucher, c'est un supplice.
Aussi le débarrassais-je de sa chemise pour atteindre sa peau. Aussi ôta-t-il ma robe pour goûter la mienne.
Les dés étaient jetés.

L'amour avec Andrea est une évidence. Une alchimie rare, instinctive, animale, une osmose idéale. J'ai beau le connaître à peine que j'ai l'étrange impression de le retrouver, tant sa peau m'est familière. Ses mains empruntent sans hésiter les chemins de mon plaisir, comme s'il en savait déjà les courbes et les méandres.
Quand je jouis, il y a à la fois quelque chose qui renaît en moi et qui se brise.
Quand il jouit, ses prunelles m'avouent ce que ses lèvres me taisent. Et si elles s'ouvraient pour parler, c'est ma main qui les scellerait.

- Je dois partir, répète-t-il.
L'aube se lève. Je pousse Andrea hors du lit, le regarde se rhabiller. Devant le miroir du couloir, je contemple nos corps désassemblés. M'étonne que, si différents, ils aillent si parfaitement ensemble.
Lorsqu'Andrea descend les escaliers, je referme doucement la porte puis vais rejoindre mon lit. Apaisée, épuisée,
je m'endors dans son odeur.

Après une nuit avec Andrea, je marche en équilibriste sur le fil de mes émotions.
Nous ignorons quand nous nous reverrons. Vite sera bien. Jamais aussi.


Par Chut ! - Publié dans : Andrea d'ébène - Communauté : xFantasmesx
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Lundi 3 novembre 1 03 /11 /Nov 02:39
L'homme-montagne prit place à la table.
- Je suis en retard ? Je t'ai fait attendre ?
Je secouai la tête. Non, non. Ou plutôt oui, mais après ?
Le retard, l'attente, je m'en moquais d'autant plus que j'aimais sa simplicité.
Sa façon
nonchalante de s'asseoir puis d'occuper l'espace, comme s'il avait passé sa vie à tirer des chaises pour poser ses fesses face à des inconnues.
Celle de me dire qu'il portait un prénom italien, Andrea, et de ne pas s'offusquer alors que je crus qu'il avait mal compris le mien :
- Non, je ne m'appelle pas Andrée !
- Mais moi, je m'appelle Andrea, même si cela peut sembler étrange...
glissa-t-il en me désignant sa peau d'ébène.
Celle de m'avouer qu'il était enrhumé, de renifler et d'accepter le mouchoir fripé qui traînait au fond de mon sac.
Celle de m'avouer ce qui aurait tant coûté à certains, une fois les usuelles formules de politesse prononcées :
- Je ne sais pas trop quoi te dire, en vérité.
J'objectai du tac au tac :
- Voilà donc venu le moment où on est supposé se demander ce qu'on fait dans la vie.
Sa bouche charbon se fendit d'un large sourire. Beaucoup d'hommes, piqués au vif, auraient vu là un défi lancé à leur imagination, un piège dont ils devaient se déjouer en inventant une question farfelue.
Pas lui, qui se contenta de :
- Alors, tu fais quoi dans la vie ?
Je résistai à la tentation de répondre "Je m'emmerde, ce qui m'occupe à plein temps, et toi ?" pour me rabattre sur la vérité. Qui n'était pas si loin de ce mensonge, mais point confondu à lui non plus.

Bien m'en prit. En quelques phrases à peine, Andrea et moi nous étions déjà trouvé des points communs. Assez suffisants pour alimenter des heures de discussion, si nous avions besoin de cette excuse.
C'est le froid qui eut raison de notre bavardage.
Pris jusqu'aux tréfonds des sinus et t
ransi jusqu'aux os, Andrea se dirigea à l'intérieur du café pour régler les consommations.
Je protestai :
- Eh, on avait convenu que c'était moi qui t'invitais !
Il repoussa mes protestations d'un revers de main. Puis me raccompagna au bas de chez moi.


Ce fut un prêté pour un rendu, car deux heures plus tard, Andrea franchissait la porte de mon appartement.
Toujours aussi beau mais follement plus chic, ayant troqué dans l'intervalle son large blouson contre une veste cintrée. Il n'en était que plus impressionnant.
Parce que de mon côté, dans ce même intervalle, j'avais opéré un troc inverse. Renoncé à ma jolie robe pour un large pantalon et à mes hauts talons pour marcher pieds nus.
Oublié le format gommette. Là, j'étais réduite à la taille lilliputienne.

La nuit qui suivit n'est pas racontable, car ce qu'Andrea me confia n'a pas à être raconté.
- C'est la première fois que je dis ça à quelqu'un.
Je le crus parce que ces heures étaient de grâce. Que sa bouche comme ses yeux me disaient la vérité. Qu'au creux de la nuit, même sur le canapé d'un appartement inconnu, même face à une étrangère, on peut être plus vrai que face aux siens, autorisé à entrouvrir le barrage qu'on a patiemment construit pour sauver sa peau, libre de formuler des pensées qu'on ne garde d'habitude que pour soi.

Peut-être parce qu'en ces instants d'exception, aucun jugement n'est de mise. Que seules comptent l'écoute bienveillante de l'autre, l'infinie confiance qu'on lui accorde, la fragile ouverture d'âme qu'il pourrait saccager d'une seule parole.

Ces instants magiques sont ceux de la fusion totale. Les yeux rivés à ceux de l'autre, les jambes mêlées aux siennes, les mains qui le cherchent et le serrent, ont beau être tissé d'un désir aussi fou que tu, il n'a finalement rien d'érotique.
À moins que cette fusion même ne soit la figure de l'érotisme suprême : un homme et une femme unis le temps d'un long spasme, comme deux chaînons d'une humanité enfin assemblés.

Qu'est-ce que l'amour physique, hormis le naturel prolongement à cette communion-là ?
Je caressai le bras d'Andrea en crevant de goûter ses lèvres pour le boire à la source.
Il se rétracta :
- Je ne peux pas. J'en meurs d'envie, mais je ne peux pas.
J'acquiesçai sans vouloir connaître ses raisons. Les soupçonnant, bien sûr, car il n'y en a pas dix mille, mais partant du principe qu'elles ne me regardaient pas.
Parce qu'Andrea était un grand garçon, que je ne lui demandais rien et qu'il était libre de quitter séance tenante mon appartement.
Parce que j'étais faible devant cet homme qui me plaisait tant.
Si j'avais voulu le protéger de lui-même, je l'aurais chassé de chez moi. En le blessant, pour être certaine qu'il ne revienne pas.
Mais Andrea, désirant aussi peu partir que moi le chasser, me réclama une histoire que je lui débitai d'une voix hésitante.

Cette histoire fut évidemment un piteux sursis qui ne régla rien.
Dans le silence qui lui succéda, Andrea avança son visage vers le mien, puis resta immobile.
Une main contre sa poitrine, je soufflai
à sa bouche close :
- Je ne veux pas te forcer à faire des choses que tu regretteras.
Et je happai ses lèvres entre les miennes.

Forcé, en vérité, aucun de nous ne l'était.
Aucun baiser consenti n'a la saveur de celui-là, pas plus qu'aucun baiser consenti n'est rendu.
Alors qu'à mon tour, je demeurai immobile, Andrea vint lécher ma bouche.
Par Chut ! - Publié dans : Andrea d'ébène
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Dimanche 2 novembre 7 02 /11 /Nov 18:12
La Thaïlande en une tom kha kai, le Japon en quelques yakitoris, l'Inde en un rogan josh... Quand l'envie de regoûter à mes ailleurs me tenaille, ou que simplement je refuse de me casser la tête, je m'approvisionne chez Monsieur P.
Monsieur P, c'est le royaume du surgelé. Et dans mon quartier, il loge juste à côté d'un entrepreneur de pompes funèbres.
De quoi faire de l'humour à froid, si je n'étais moi-même congelée.

Une heure plus tôt, j'étais installée sur la banquette d'une grande brasserie, face à un homme, pardon, un Monsieur que j'estime. En petite robe, sans veste ni manteau, réchauffée par une température aussi chaleureuse que la conversation.
Celle-ci prit fin à la tombée de la nuit, lorsque nous décidâmes de rentrer chacun chez nous.
Il prit le bus, moi mes pieds.
J'enfilai les rues froides comme les perles fuselées d'un interminable collier.

Ce soir-là, le vent avait des ongles. Des ongles qui s'insinuaient
sous mes paumes, sur mon cou, entre mes cuisses, pour mieux me pincer, des putains d'ongles juste bons à me déchiqueter.
J'arrivai enfin dans ma rue, m
eurtrie de froid et raide comme une stalagmite.
Il me fallait du chaud, du doux, du bon. Un passage revigorant dans la boutique de mon ami Antoine ou, à défaut, des petits plats sortis des fourneaux (industriels, personne n'est parfait) de Monsieur P.
Antoine ayant déjà fermé ses stores, je me rabattis sur mon joker.

Chez Monsieur P, les clients étaient rares et l'air polaire. La faute aux immenses frigos alignés le long de la travée centrale.
C'est devant celui des spécialités indiennes que je manquais de buter contre une montagne.

La montagne portait un ample blouson la faisant paraître plus imposante encore, une écharpe vert forêt nouée en deux tours de cou, des dreadlocks roulant sur ses épaules en coulées de lave refroidies.
Et, surprise par mon brusque mouvement d'arrêt, elle se tourna vers moi.

Je la dévisageai, saisie et impressionnée comme jadis au pied de la Soufrière.
Sa peau n'était ni d'argile ni de basalte, mais d'ébène délayée de porcelaine.
Couleur chocolat chaud ou café à peine crème, comme on dit.
- Pardon, s'excusèrent ses lèvres charbon pâle.
- Y a pas de mal, répliquai-je en tendant une manche fuchsia pour attraper un paneer palak.

Je jetai un regard à son panier. Il était presque vide. Un autre à son visage. Il était diablement beau.
Pas de cette beauté tapageuse qui fait plier le monde ni
taire un restaurant entier en surgissant, mais de celle qui, évidente, pousse les femmes à se retourner dans la rue.

S'il existait deux mots pour décrire ce visage, ce serait "séquences nécessaires". Comme
le plein doit succéder au creux et la courbe à la ligne droite, les traits de l'homme-montagne répondaient à une harmonie secrète, à un nombre d'or en équilibre fragile.
S
ur un autre, son nez un peu fort eût semblé trop accusé, la déclivité entre ses sourcils trop franche.
Pas sur le sien.
Front, sourcils, yeux, pommettes, nez, bouche, menton s'enchaînaient sans heurts, coulant de source.
Assurément, ce visage sculpté au fin burin,
aussi décalé dans l'univers aseptisé de Monsieur P qu'un bijou exotique sur une table d'opération, était à graver dans le marbre.
De quoi me mettre du chaud au cœur dans un monde si hostile et laid. Et de m'ôter à jamais, si besoin était, l'envie de retourner d'où je venais.

Je remontai l'allée du magasin pour agrémenter ma pitance de crêpes au jambon.
L'homme-montagne, empruntant le même chemin que moi, marchait sur mes talons.
Mus du même pas, nous remplissions nos paniers de concert, mais sans musique de fond. Monsieur P n'aime en effet ni les rythmes entraînants, ni les scies à la mode.
À ce superflu commercial il préfère le nécessaire : une sonnerie aigrelette annonçant qu'un frigo est vide.
À plusieurs reprises, entre deux pêches particulièrement juteuses, je me retournai.
Plus d'une fois, je surpris les pupilles pétrole de l'homme-montagne accrochées à mes gestes.
Souvent, je lui répondis d'une œillade ou d'un mince sourire, tout étonnée de sembler à son goût.
Comparé à sa taille XXL, ma dimension gommette ne pesait pas lourd.

J'arrivai à la caisse avec un peu d'avance, le panier débordant sous le poids des victuailles. Cédai ma place à un client muni d'une unique boîte de basilic.
L'homme-montagne, fraîchement débarqué de l'allée, prit la file juste derrière moi. Céda sa place à un client muni d'une unique boîte de glace. Que je laissai passer à mon tour, afin de n'intercaler personne entre sa peau chocolat et mon manteau fuchsia.
Je payai en traînant, fus dehors trop vite.
Peu importait.

En deux secondes je m'étais décidée, tant l'alternative était simple.
D'un côté, je pouvais remonter la rue sombre jusqu'à mon appartement vide, relever ma messagerie pour y trouver un mail aussi désagréable qu'attendu, me pencher sur un travail aussi fastidieux que stérile.
D'un autre côté, je pouvais laisser la part belle au jeu, au risque, à l'imprévu. À toutes ces épices pendant stratifiées au bout de mes poignets et n'attendant que le coup de chaud pour se révéler.
Mort lente contre soubresaut de vie, j'avais choisi.
J'étais congelée mais encore sur pieds, crotte.
Alors, d'un coup d'éclat et de culot, je ferais la nique aux jours tristes en un bras d'honneur pour dire merde à tout, à commencer par ma timidité.
Et à finir par mon format de caillou comparé à un homme-montagne.

Lorsqu'il sortit de chez Monsieur P, j'étais occupée à une tâche aussi essentielle qu'enrouler le cordon de mon I-Pod.
Lorsqu'il posa les yeux sur moi, tout embryon de politesse carapaté, je lançai simplement :
- Je vous invite à boire un café ?
Puis j'ajoutai,
brandissant mes sacs de surgelés pour adoucir ma proposition :
- Nous avons une petite demi-heure avant que nos emplettes ne décongèlent.

Il eut un bref, très bref instant d'hésitation avant de répondre :
- D'accord.
Ses pupilles glissèrent de mes sacs aux siens.
- J'en ai plus que vous, conclus-je, peut-être histoire de dire que j'avais davantage à perdre.
- Et si nous nous retrouvions dans dix minutes, le temps de déposer tout ça chez nous ?
- D'accord. Rendez-vous dans dix minutes, euh... là.
Prise de court, je lui désignai le café le plus proche.

Dix minutes plus tard, je l'attendais comme convenu en terrasse, une cigarette au bec et deux cartes des boissons ouvertes devant moi.
Le serveur eut le temps de m'apporter un cendrier, j'eus celui de m'en cramer une deuxième.
Le boulevard était désert.
L'homme-montagne n'arrivait pas.

Je n'étais pas déçue, pas fâchée. Bien au contraire, j'étais légère, amusée, ironique, chatouillée par une terrible envie de rire.
De rire d'être ainsi là plantée dans le froid, n'ayant même pas pensé à apporter ma lecture en cours : De l'amour et autres mensonges.

De rire en me remémorant une scène de Woody Allen, une de je ne sais plus quel film où il perce les fantasmes des femmes. Elles rêvent de se faire aborder franco dans la rue, comme dans la pub "et soudain, un inconnu vous offre des fleurs".
Mais alors qu'il réalise le désir de celle qui lui plaît tant, loin de la voir tomber subjuguée dans ses bras, il se prend... une grosse claque.


De rire en me rappelant de longues discussions avec des hommes. À les écouter, ils sont lassés de mener le jeu de la séduction, fatigués d'inviter les femmes à aller au cinéma ou boire des verres, agacés de leur proposer ceci et cela en les laissant disposer, et dépités de rentrer seuls chez eux.
Usés de jouer le jeu hypocrite de la galanterie qui les contraint à endosser le rôle de gentlemen, quitte à se branler ensuite sur la cuvette des toilettes.

À en croire les hommes, ils ne demandent qu'une juste inversion des rôles. Qu'une femme se détache de la réserve censément due à son sexe, ne brise enfin les chaînes de son troupeau timide pour affirmer son désir.
Le désir qu'elle a d'eux, de leurs mains habiles et de leur bite bien dure.
Pour se donner, les femmes ont paraît-il besoin d'un alibi. Et pour les prendre, les hommes juste de leur permission.

Mais accédez à leur souhait revendiqué en prenant le pouvoir que c'est la débandade.
Les hommes ont beau prétendre être vouloir pris, ils n'assument pas d'être des proies.

J'en étais là de mes réflexions lorsqu'une imposante silhouette se profila sur le boulevard.
Je biffai mentalement le cours de mes mauvaises pensées sur les hommes. À moins que je n'accorde à l'homme-montagne le statut d'exception.
Il me plaisait. Je lui plaisais. Il était venu.
Peut-être qu'
après ce café nous ne nous plairions plus du tout.
Quelle importance ?
Aucune, au fond, puisqu'il était venu.

Par Chut ! - Publié dans : Andrea d'ébène
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