Lundi 17 novembre
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Nous étions au café lorsqu'Andrea me dit :
- Arrête de me regarder comme ça. Continue de me regarder comme ça.
Mon index effleura sa joue sans que je ne cesse de le fixer comme il ne le voulait pas ou le voulait trop.
Le serveur aussi nous regardait, avec l'envie de celui qui travaillera toute la nuit alors que nous, nous ferons l'amour.
Lorsque nous sortîmes du bar, un passant aussi nous regarda. Sa tête s'inclina d'abord vers mon visage pour remonter, très haut, à celui d'Andrea. Ses prunelles ne reflétaient pas l'envie mais
autre chose. De la surprise, peut-être, ou de la réprobation.
J'ai déjà perçu ce regard ailleurs et il me déplaît : c'est celui qui vous dit que, blanche, vous êtes avec un Noir.
Plus tard, mon regard a déshabillé Andrea alors que j'étais déjà nue. Et le sien
effleura et ma chair et mes os.
- J'aime tes yeux.
- J'aime les tiens, répondis-je en attirant sa bouche à mon visage.
- J'aime ta bouche.
- J'aime la tienne, répondis-je en la croquant comme une figue mûre.
- J'aime tes baisers.
- J'aime les tiens, répondis-je en glissant ma langue entre ses dents.
- Tu es belle.
- Jolie si tu veux... Et encore, ça dépend des jours. Toi, tu es beau.
- Beau ? Non. En moi je n'aime que mes cils.
Andrea les lissa d'un doigt coquet.
J'éclatai de rire car son corps tout entier est une sculpture d'ébène. Et qu'un homme d'une
aussi grande beauté se croie en
toute bonne foi passable, ça me touche.
- Que tes cils, vraiment ? insistai-je.
- Non. En vérité, j'aime aussi mes ongles.
Andrea posa ses grandes mains dépliées sur mes seins. Lorsqu'il les replia, ses ongles y laissèrent de minuscules griffures.
Plus tard, c'est moi qui griffai sa peau en pensant que c'est la mienne. Avec Andrea, les limites de mon propre corps me deviennent étrangères. Je le touche en croyant me toucher, je me touche en
croyant le toucher.
Je ne suis plus moi, mais nous. Lui et moi assemblés en un corps immense.
Il n'y a que dans la glace que je nous vois deux : ses longues cuisses appuyées contre les miennes, ses mains emprisonnant mes hanches, son dos courbé jusqu'à mes épaules. Et, toujours, saisissant
et magnifique, le contraste entre nos peaux.
Dans la glace, je vois aussi mon front crispé de désir, son profil à demi caché par l'auréole de ses cheveux. Je le vois entrer en moi et mon ventre se creuser pour mieux l'accueillir.
Dans la glace, je le vois aussi si fort qu'il pourrait me briser l'échine d'un seul coup de coude. Que son sexe-baobab pourrait me
déchirer d'un simple coup de reins. Mais lorsque je lui souffle "Attends...", Andrea attend. Et lorsque je lui réclame une fessée, il n'ose qu'une légère pichenette.
- Plus fort, dis-je.
La pichenette devient tapotement.
- Plus fort...
Le tapotement devient claque timide.
- Plus fort !
- Mais je vais te faire mal...
- Plus fort !!
Andrea m'obéit, parce que je veux sa main imprimée sur mes fesses comme une offrande.
Lorsque la nuit est bien avancée, Andrea me dit :
- Je dois partir.
J'acquiesce et roule sur le côté. Sa main qui me cherche alors sous les draps me ramène à lui.
- Reste là... Encore un peu... Ne bouge pas... S'il te plaît...
Souvent je lui désobéis, parce que je veux encore son sexe dans ma bouche. Et alors que je remonte à ses lèvres, il m'étreint et me souffle :
- Tu es ma drogue, ma cocaïne.
Je grimace. D'expérience, je sais que voilà une mauvaise nouvelle. Parce que ne pouvoir se passer de quelqu'un, c'est forcément douloureux.
Si je deviens nécessaire à Andrea, il souffrira.
S'il me devient nécessaire, je souffrirai.
- Je dois partir, répète-t-il.
J'approuve encore, me redresse pour sortir du lit. Mais, agrippant mon épaule, Andrea me fait basculer sur le sommier.
- Embrasse-moi... Encore... S'il te
plaît...
Je me coule contre lui, caresse sa nuque, tord ses cheveux.
- Pourrons-nous, un jour, être amis ?
Nous nous promettons "oui" en pensant le contraire. Espoir et mensonge des amants qui s'entendent très bien, et surtout trop bien au lit.
- Je dois partir, répète-t-il.
J'opine et jaillis hors des draps.
- Tu veux bien m'apporter un verre d'eau ?
Je reviens avec une bouteille et des clémentines. Il avale une longue gorgée pour me désaltérer à sa bouche. J'engloutis des quartiers de fruits pour le nourrir à la mienne.
Complices, confidents, amants, nous sommes tout dans ce lit-là, et surtout intimes. D'une intimité pure et vraie qui nous permet d'être nous-mêmes, totalement.
Dès le premier baiser,
Andrea et moi avions su. Su que c'était la pire des erreurs ou le plus beau des cadeaux. Su qu'il valait mieux en rester là sans en avoir la volonté.
Pourtant, lorsque je le guidai à demi-dévêtu dans ma chambre, je crus naïvement que nous n'irions pas plus loin. Qu'allongés sur le lit, nous ne nous toucherions qu'à peine.
Si je souhaitais qu'Andrea s'allonge, c'était pour mieux l'admirer.
Mais admirer sans toucher, c'est un supplice.
Aussi le débarrassais-je de sa chemise pour atteindre sa peau. Aussi ôta-t-il ma robe pour goûter la mienne.
Les dés étaient jetés.
L'amour avec Andrea est une évidence. Une alchimie rare, instinctive, animale, une osmose idéale. J'ai beau le connaître à peine que j'ai l'étrange impression de le retrouver, tant sa peau m'est
familière. Ses mains empruntent sans hésiter les chemins de mon plaisir, comme s'il en savait déjà les courbes et les méandres.
Quand je jouis, il y a à la fois quelque chose qui renaît en moi et qui se brise.
Quand il jouit, ses
prunelles m'avouent ce que ses lèvres me taisent. Et si elles s'ouvraient pour parler, c'est ma main qui les scellerait.
- Je dois partir,
répète-t-il.
L'aube se lève. Je pousse Andrea hors du lit, le regarde se rhabiller. Devant le miroir du couloir, je contemple nos corps désassemblés. M'étonne que, si différents, ils aillent si parfaitement
ensemble.
Lorsqu'Andrea descend les escaliers, je referme doucement la porte puis vais rejoindre mon lit. Apaisée, épuisée, je m'endors dans son odeur.
Après une nuit avec Andrea, je
marche en équilibriste sur le fil de mes émotions.
Nous ignorons quand nous nous reverrons. Vite sera bien. Jamais aussi.
Par Chut !
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Publié dans : Andrea d'ébène
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Bonsoir, étrange que vous parliez des "oripeaux" : j'ai pensé très fort à ce mot ici ou ailleurs, peut-être particulièrement sur "Traverser la nuit". Votre commentaire est empreint d'une poésie qui m'a touchée, et j'avoue qu'il est difficile de mettre des mots après les vôtres.
Écririez-vous ou auriez-vous songé à, Slevtar ? J'aimerais beaucoup découvrir vos textes si vous me le permettez. Mais s'il vous plaît, tutoyez-moi (ne m'imitez pas sur cette réponse, en somme !)
Typique de ton style ou du manque d'assurance qu'entraîne souvent l'écriture ? :)
En toute franchise, je ne dirai plutôt de moi que je suis une fille qui écrit. Écrivain peut-être un jour, mais dans longtemps, alors... Ce blog a en fait été une libération : les projets avortés, les textes commencés mais abandonnés parce qu'ils ne me plaisaient pas assez, les trouvant trop ceci, trop cela ou juste chiants, j'en ai aussi des tonnes ! Le blog autorise le fragment, il est même fait pour les formes brèves : de quoi rassurer les angoissé(e)s comme moi, qui craignent toujours de caler en chemin.
Mais comme tu le dis justement, l'âge et les amis aident. Le premier parce qu'il nous guérit de nous-mêmes (se connaissant et s'acceptant mieux, on se regarde moins), les seconds parce qu'ils nous encouragent et nous conseillent. Et tant pis si on se plante à la fin, on aura au moins essayé, achevé quelque chose qui nous tenait à cœur.
À la réflexion, je crois que notre pire ennemie est notre propre exigence. Le récit qu'on a en tête ne sera jamais exactement le récit-papier. Le mieux qu'on puisse faire est de réduire la distorsion.
Hou, que je suis bavarde ! Tout ça pour te dire que oui, bien sûr, volontiers, avec joie ! Et il va de soi que je te dirai, du tu au tu, ce que j'en pense. Le mail est sur le blog, tu peux l'utiliser quand tu veux.
Amitiés de plume.