5h du matin. Fin de soirée, ou plutôt de nuit, BDSM. Je suis avec mon ami et soumis dans le "vestiaire" - comprendre : une salle unique où hommes et femmes s'habillent et se rhabillent à la bonne franquette.
Puisque nous goûtons aux plaisirs de la même table, pourquoi ne pas la partager jusqu'aux cuisines ?
Les heures précédentes ont été riches en émotions et découvertes. Les mains lasses, je dézippe mes cuissardes des cuisses aux talons. Libère mes chevilles que je fais lentement tourner.
- Un massage, Maîtresse ?
L'interrogation me pousse à jeter un regard de côté. Un jeune homme est assis sur le siège collé au mien. Pas mal de sa personne moulée d'un haut en latex et d'un pantalon en cuir.
À première vue, sa tenue le classe dans la catégorie des dominants, mais sa question ne laisse aucun doute : en dépit des
apparences - souvent trompeuses ici comme ailleurs - il est soumis.
Soumis et désireux de me faire du bien.
Étant donné l'heure tardive, j'hésite. Lui expose que la nuit a été longue pour adoucir mon début de refus.
Il acquiesce d'un air contrit, et ce seul geste a raison de mes réticences.
Il s'agenouille devant moi. Prend délicatement mon pied gauche pour le serrer avec douceur et fermeté. Ses doigts agiles courent sur ma voûte
plantaire endolorie, détendent mes orteils crispés.
Sans le savoir, ou peut-être en le faisant exprès, il a touché mon talon d'Achille.
Je me renverse sur ma chaise, lui laisse volontiers ma jambe. Il s'aventure sur mon mollet, le palpe, le presse à petites touches. Esquive le genou, descend le long du tibia, revient à la
cheville, reprend son va-et-vient sur mon peton.
Le savant trajet de sa main n'est pas une caresse.
Il ne se la permettrait pas sans mon autorisation.
Pas une caresse, donc. Juste un moment de pur bonheur.
Je me redresse, il se raidit. Je lis dans ses yeux la crainte de ne pas me contenter. Le rassure d'un geste : je veux
simplement connaître son prénom.
Il s'appelle Yohann, cherche une Domina qu'il n'a pas trouvée. Je me désole pour lui, je me désole pour elle. Elle ignore ce qu'elle rate et ce dont je profite, à la seule différence que mon cœur n'est plus à prendre.
J'avise la laisse accrochée à sa ceinture, le complimente sur sa forme sobre et originale : deux liens de cuir épais
entrelacés.
Il me la remet aussitôt, attachée à un collier de cuir noir. Simple et beau lui aussi, il en est la pièce finale et maîtresse. J'ouvre l'attache par curiosité. Yohann, se méprenant, s'avance pour
me tendre son cou.
Je n'ai pas la cruauté de lui refuser ce plaisir.
Je le lui passe et le ferme.
Si besoin en était, ce clic métallique scelle nos places, assoit davantage nos positions. Surélevée, impérieuse, je trône.
Inférieur, assujetti à mes caprices, il se plie.
Lentement, mes pieds prennent possession de son visage. Le redessinent, ferment ses paupières, soulignent ses pommettes, pèsent contre son nez, s'introduisent entre ses lèvres ouvertes. Ses dents
mordillent mes ongles, sa langue serpente sur mes bas. Je les lui abandonne avant de les reprendre pour mieux les lui redonner.
Me penchant, je saisis la poignée de la laisse, la tire contre ma poitrine. Son torse entravé bascule vers mon ventre. Je le repousse du talon, l'attire de nouveau à moi. L'éloigne pour le
rapprocher encore.
En avant, en arrière, nos corps chaloupent et se frôlent en une danse lascive. Chorégraphie sensuelle et parfaitement
accordée, sans fausse note aucune. Soudés, rivés, enchaînés, nous tanguons au son d'une musique que nous sommes les seuls à entendre.
Autour de nous, des gens passent et
s'arrêtent. Emportés par notre ballet, nous n'y prenons pas garde.
Un homme presse mon bras en gage de complicité. Je lui souris sans le retirer. Il se courbe alors sur mes cheveux, les relève pour dégager mon visage, évente de son souffle mon front trempé de sueur.
Acteur et spectateur de notre étreinte, il y assistera jusqu'à la fin.
Yohann me fixe avec adoration. Mes jambes
descendent le long de ses épaules, enserrent sa nuque. Alors que je l'étrangle, son sexe trahit son désir.
Je le foule aux pieds en staccatos.
Pianissimo, fortissimo.
Il vibre au rythme de ma partition, épousant le mouvement que je lui imprime.
Soudain, ses pupilles se révulsent.
Il va jouir.
Soudain, la voix du préposé au vestiaire déchire l'air :
- À qui il est, le sac 216 ? J'vais le jeter, j'veux m'rentrer, y en a marre !
Yohann, dégrisé, ouvre les yeux et lève un doigt timide.
Mauvaise pioche, le sac 216 lui appartient.
Autant dire que la séance a fini là.
J'ai retiré mon pied en maudissant cet homme d'avoir empêché Yohann de prendre le sien.
Rond-de-cuir, va !
Photos : flyer Nuit Elastique ; Elmer Batters.
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